► E.D.I.T.O. : L’asymétrie, une richesse ?

Sur Ludovox, nous évoquons régulièrement l’asymétrie dans les jeux de société que nous chroniquons, en en parlant plutôt comme d’une qualité, d’une richesse. Mais qu’est-ce que l’asymétrie ? Il y a-t-il un seul type d’asymétrie ? Qu’est-ce que cela apporte en plus ? En trop ? 

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On trouve ici ou là, dans les profondeurs des contrées du web, des discussions sur le sujet, des tentatives de définitions, et force est de constater pour ma part qu’il n’est pas si simple d’en tirer une. Comme c’est un terme que nous utilisons régulièrement dans nos colonnes, il peut être intéressant pour nous d’affiner le sens que nous lui donnons. Profitons-en pour faire un peu le tour du propriétaire et cerner ce qu’une belle asymétrie peut apporter à un jeu !

 

Asymétrie : qui es-tu ?

Quand on parle d’asymétrie parlons-nous d’égalité des chances face à la victoire (à aptitudes égales) ? Cette notion est plutôt recouverte par l’idée d’équilibrage – mais spoiler alert : les deux sont quand même intimement liées.
Faisons simple : qui dit asymétrie, dit objectif de jeu et/ou de moyens différents pour les joueurs.
Mais est-ce que les jeux qui se pensent “symétriques” le sont rigoureusement ? Rarement, en vérité. Pas si simple.

 

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Bague chifoumi, en vente sur un site de bijoux

 

J’ai noté que le chifoumi (pierre-papier-ciseaux) était souvent donné comme exemple de jeu 100% symétrique. Le but du jeu (si léger soit-il) est en effet le même pour tous, et les moyens donnés aux joueurs pour l’atteindre sont strictement identiques. Aucun avantage ni aucune compensation n’est donné par le jeu en fonction de l’ordre du tour, puisqu’il est simultané, personne n’a l’initiative. D’ailleurs, saviez-vous que d’après les spécialistes (oui, il y en a !) il semble que dès la deuxième partie d’affilée des techniques et des tactiques comportementalistes se vérifient ? (source)   

Si on osait, on pourrait dire que les échecs sont déjà un jeu un peu « asymétrique » ; on connaît bien l’importance de “l’avantage du trait” (les Blancs l’emportent statistiquement plus souvent sur les Noirs – en voilà une phrase bien laide à écrire) en ce sens, le joueur qui joue les Noirs devient plutôt un défenseur qui vise la nulle, alors que le Blanc est l’attaquant visant la victoire. Après, la situation est nettement plus complexe que ça en vérité (comme vous le lirez si vous cliquez sur lien ci-dessus) et les Noirs peuvent heureusement tirer la situation à leur avantage pour l’emporter. 

Les échecs permettent surtout de me rendre compte ici que plus un jeu est symétrique et plus la moindre petite différence de traitement devient manifeste. Ainsi, aux échecs, le choix de la couleur (initiative) peut devenir un choix de rôle qui entraîne un gameplay un peu teinté. Il est d’ailleurs possible de découvrir ce genre d’états de fait sur le tas (dans la douleur dirons-nous), mais le savoir au départ peut être un vrai plus pour anticiper sa stratégie (et ne pas râler tout le long, accessoirement). 

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Alors pour avoir un jeu parfaitement symétrique, il faudrait en théorie rassembler strictement le même but et les mêmes moyens, tout le temps, à chaque instant du jeu. Les actions possibles, la configuration initiale, les pouvoirs, l’ordre du tour, les conditions de victoire, les éléments matériels à disposition, les règles de fonctionnement, toutes les conditions de jeu devraient être entièrement égales pour tous, du début à la fin.

 

Certains jeux tentent de s’en rapprocher : les jeux “en miroir” comme Karuba, Limes, ou Welcome. Dans ces titres, on a un tirage commun d’éléments qui s’appliquent à tous simultanément, un peu comme dans un bingo où chaque joueur aurait la même grille. Ici les choix successifs des joueurs engendrent des développements différents. Par exemple dans Karuba les tuiles Jungle tirées s’appliquent à tous les joueurs en même temps, mais chacun va décider de la façon dont il les place sur son plateau pour créer son propre chemin, et peut aussi décider de les défausser pour déplacer son aventurier à la place.

Dans Welcome, idem, tout est égalitaire et simultané, l’asymétrie réside seulement dans les choix des joueurs. “C’est assez fou de se dire qu’à partir des mêmes tirages de cartes, les joueurs vont obtenir des quartiers si différents les uns des autres.” nous écrivait El Gringo dans son test du jeu.
Bref, on pourrait dire que les jeux en miroir sont des jeux plutôt symétriques sans créer trop de polémique.


Donc… tout le reste est asymétrique ?  

Oui, plus ou moins. Nous pourrions certes entrer dans des classifications complexes, catégoriser les jeux en fonction de tous leurs éléments constitutifs et mesurer le degré d’asymétrie… Et vite nous retrouvés bloqués par de multiples contre-exemples ou antécédents qui sortent joyeusement des clous. En fait, on se rend compte que compiler des critères n’est pas satisfaisant pour avoir une définition pratique. Un peu comme lorsqu’on essaie de définir la notion de jeu elle-même, ou de jeu de société, d’ailleurs (édito).

Ce que j’en conclus donc, pour ne pas entrer dans des empilements de facteurs un peu indigestes, c’est qu’un jeu généralement considéré comme asymétrique par les joueurs (dans le langage courant), est avant tout un jeu qui offre des gameplays différents aux joueurs. Or, nous le disions, le gameplay est mû par deux caractéristiques facilement repérables dans un jeu :

  • l’objectif (but du jeu)
  • les moyens (actions, choix possibles)

 

Au final, tout ce qui compte, c’est les décisions possibles, et les raisons qui nous poussent avant.

À ce stade, on peut observer différents degrés et formes d’asymétrie selon les typologies de jeux : légère, prononcée, totale, partielle, avec des dynamiques propres (progressive, stagnante, mouvante), des origines différentes (structurelle, matérielle…) et des conséquences plus ou moins profondes sur la partie.

Toutes ces asymétries vont pouvoir apporter bien des situations, bien des obstacles, bien des ressentis.

 

D’un côté à l’autre du spectre… 

 

  • Tous contre un

 

Avoir un but du jeu différent engendre-t-il forcément une asymétrie totale ? 
Prenons l’exemple des jeux “all vs 1”(tous contre un) type Descent, ou les Fury Of Dracula, Letters from Whitechapel-like : à chaque fois, un joueur va avoir un objectif fondamentalement différent des autres, avec ses propres règles, il aura donc en main des moyens pour élaborer son plan et mener son chemin vers la victoire. Son gameplay est parfois tellement alternatif qu’on a l’impression de voir deux systèmes de jeu se confronter (Imperial AssaultConan).

Ces jeux-là sont donc totalement asymétriques, au sens où l’entend couramment, car la structure coupe visiblement les règles en deux pans nets. Cela dit, dans les jeux à structure “1 vs all” il y a par essence un groupe de joueurs qui partagent le même fonctionnement et le même but (généralement associés ensemble contre l’Overlord). Soulignons que dans ce groupe-là se loge souvent un autre type d’asymétrie : celle liée à l’avatar, bien distinct, que chacun incarne. C’est de l’asymétrie à tous les étages !

 

 

       Zoom sur Scotland Yard, peut-être le jeu initiateur du “1 vs all” (avant HeroQuest), ou en tout cas l’un des jeux qui aura le plus marqué et ouvert la voie à de nombreuses autres titres type « chasse à l’homme » telles que Fury Of Dracula, Ghost chase, Letters from WhitechapelGaribaldi, mais aussi Specter Ops.

Spiel des Jahres en 1983, Scotland Yard (conçu par Werner Schlegel, Dorothy Garrels, Fritz Ifland, Manfred Burggraf, Werner Scheerer et Wolf Hoerman, oui, il s’y sont mis à plein !) met un joueur dans la peau de Mister X, un criminel qui tente d’échapper aux autres joueurs incarnant des détectives tous associés. L’objectif des enquêteurs est de le capturer avant qu’il n’effectue son 24e déplacement. Même L’île au trésor, paru l’an dernier, est une sorte de descendant direct de Scotland Yard !   

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Note : Tous ces jeux offrent une asymétrie à la fois franche et parcellaire : en effet, plusieurs joueurs partagent le même objectif, ce qui en fait pour certains “des jeux d’équipe”. C’est ainsi qu’ils sont répertoriés – à mon grand désespoir ! – dans la base de BGG. À mon humble avis, un jeu d’équipe n’est pas un “1 vs all”, car “1” n’est tout simplement pas une équipe. (Sol, Captain SONAR, Decrypto sont fondamentalement des jeux d’équipe, pas Imperial Assault.) Mais fermons la parenthèse !

 

  • Rôles cachés

 

On peut également ranger non loin de cette catégorie les jeux à rôles cachés (ou à “objectifs secrets”, bref les « loups-garous« -descendants), The Resistance, Secret Hitler, Shadow Hunters, mais aussi Chevaliers de la table ronde et ses allégeances secrètes, ou Battlestar Galactica, etc : Avoir des objectifs spécifiques nous oblige à jouer différemment des autres, ouvertement ou secrètement.

Ici, les ressentis des joueurs sont très marqués selon le rôle qui nous échoit en début de partie. Notons que sur les derniers exemples cités, nous avons des jeux qui se jouent avec une révélation des rôles durant la partie, on a donc ce qu’on pourrait appeler une asymétrie “progressive”, souvent très chargée en termes de storytelling, avec moult retournements de situations (nous sommes tous dans le même camp puis soudain…). Dans les « loups-garous like », l’asymétrie secrète, une fois révélée, met souvent un terme à la partie : elle déclenche un climax dans l’arc narratif de la partie tout en étant, dans la règle, un moment de résolution définissant vainqueurs et perdants.  

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   Un mot sur Battlestar Galactica (2008). Ici, tout le monde reçoit d’abord un rôle, mais celui-ci va pouvoir évoluer durant la partie. Une fois le cylon (= traître) révélé au grand jour, il n’a plus à feindre être un humain. Le gameplay va donc évoluer pour chacun : l’asymétrie rampante se dévoile au grand jour, les mouvements tacites virent à l’affrontement frontal. On passe d’une ambiance de suspicion à des coups de théâtre brutaux quand les masques tombent, pour ensuite conclure sur une phase finale d’affrontement très ouvert mais aussi, souvent moins chargée en tension.

Ce script pousse l’aspect narratif et immersif bien loin, avec, pour les joueurs, la sensation de vivre une histoire en trois actes digne des grandes tragédies grecques (vous savez, mise en place – complications – résolution). Dans cette dynamique, l’asymétrie latente et non caractérisée est source de grandes tensions. Bien amené, on voit que c’est un dispositif efficace pour générer des obstacles sur le chemin des joueurs. Et comme tout écrivain ou scénariste vous le dira, les obstacles, c’est la vie !  

 

  • Jeu à deux

 

Les jeux à deux sont souvent plus ou moins fortement asymétriques (ce sont en fait un peu des jeux avec deux factions). On l’a vu, même les échecs ne sont pas 100% symétrique. Et puisqu’on parle jeux à deux, un rapide coup d’oeil dans le panorama de cette configuration nous permet d’observer une très grande diversité d’asymétries.



J’ai le sentiment que l’asymétrie est assez répandue dans les jeux à deux. Toujours est-il qu’elle y est nettement plus facile à régler par rapport à un multijoueur où les combinaisons possibles se multiplient. Il y a de beaux exemples d’asymétrie à deux : Claustrophobia, Twilight Struggle, Stronghold (2e ed), Seigneur des anneaux : Confrontation, Raptor, et encore tous les « Street fighter like » type BattleCON…” nous dit Grovast.

« Il n’y a pas tant de jeux qui sont vraiment asymétriques, tout simplement parce que c’est extrêmement difficile à équilibrer. Tout particulièrement si ils sont multijoueurs. C’est pour ça que la plupart d’entre eux sont des jeux à deux, ou des jeux à un contre tous » nous confirme le maître Cathala, célèbre pour son expertise dans le domaine du jeu à deux (7 Wonders Duel, Raptor, Mr Jack, etc). 

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Si on remonte aux origines du monde (presque), on trouve ce jeu à deux baptisé Bagh Chal. Le jeu d’origine népalaise est asymétrique dans la mesure où l’un des joueurs contrôle quatre tigres, alors que son adversaire contrôle jusqu’à vingt chèvres. Un joueur est dans une logique de blocage tandis que l’autre est dans une stratégie de prise. On pense également au Talbut (jeu des pays scandinaves de la famille des jeux de tafl), un joueur joue les « Moscovites » et cherche la mise en échec, l’autre joue les « Suédois » et est sur une stratégie de fuite. 

 

  • Jeu à faction 

 

Et quand il s’agit de guerroyer sur un terrain, on se retrouve souvent à devoir choisir une faction : un dispositif très ancien provenant des wargames (le sachiez-tu : les jeux de guerre remonteraient au VIIe siècle). Qui dit faction, dit stratégie. Elle entraîne à elle seule des plans de développement et des orientations générales spécifiques, avec des implications du côté du but comme des moyens. 
Britannia, publié initialement en 1986 puis traduit chez nous en 2007 par Edge, proposait aux joueurs de gagner des points en remplissant des objectifs propres au peuple qu’ils incarnent (par exemple les Pictes gagnent des points en détruisant des armées et des forts romains, et en possédant des régions d’Écosse et du nord de l’Angleterre.)

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Les éditions de Cosmic Encounter à travers l’espace et le temps

 

Dans Cosmic Encounter (dont la première édition remonte à 1977), les races extraterrestres se battent pour le contrôle de l’univers, et chaque alien avait ses propres pouvoirs. Dans Blood Bowl (première édition en 1986) on voyait s’affronter des équipes archétypales avec des orcs contre des elfes ou des nains contre des humains, ce qui colorait nettement la partie et permettait un certain renouvellement. Pas étonnant de trouver des factions d’ailleurs, puisque Games Workshop avait simplement décalqué son système de wargame « Warhammer Fantasy Battle » (1983) sur un terrain de foot !

 

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Blood Bowl 1986 – photo BGG

 

Avec Chaos dans le Vieux Monde (2009) nous avions des dieux avec des pouvoirs, unités, stratégies et conditions de victoire différentes (plus précisément 1 condition de victoire commune + une condition de victoire asymétrique). Tous ces jeux ont marqué les joueurs pour avoir offert la possibilité de jouer des rôles typés selon les camps joués. L’avantage de la faction est qu’elle permet de pousser l’asymétrie dans une certaine personnification (personni-fiction) qui développe l’immersion et l’implication ainsi que la rejouabilité.

Autre bénéfice – plutôt marketing cette fois : si un jeu de base asymétrique trouve son public, sortir des extensions de nouvelles factions offre une idée toute trouvée pour rentabiliser le produit, parfois aux dépends de l’ensemble.  

 

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Elle vient certes du wargame, mais la faction est un concept qui peut être transféré à de multiples types de jeux (à commencer par les jeux de civilisation et leurs dérivés).
Si on avait des gameplays asymétriques dans des jeux de gestion déjà avec Agricola par exemple où la pose d’ouvriers bloquante engendre une disponibilité mouvante des actions (sans parler des cartes en main), la notion de « faction » réellement à commencer à pointer le bout de son nez dans des jeux dit de kubenbois assez récemment, et encore sporadiquement. Vous vous souvenez comment Grovast avait décrypté avec soin les moult voies stratégiques possibles d’un Terra Mystica (2012) selon le peuple choisi ? Notons que depuis, Clans of Caledonia a suivi ses traces non sans un certain panache. (Bien sûr, il n’y a pas que les factions dans la vie, il va sans dire que les jeux de gestion ont moult autres façons de jouer sur l’asymétrie dans leur économie d’actions et de moyens, et même d’objectifs.) 

 

  • Jeux de cartes


Encore un mot sur les factions, qui sont utilisées également depuis longtemps dans les jeux de cartes, notamment des jeux de cartes à collectionner, et c’est peut-être à Richard Garfield avec
Magic The Gathering (1993 chez Wizards of the Coast) que nous le devons.
Dans ces formats, on a des paquets que l’on prépare entre les parties, nous construisons nous-mêmes l’équilibrage de nos combos, et aucun paquet n’est identique.
Garfield pousse l’exercice à son paroxysme avec, peu après les débuts de Magic, Netrunner (1996, même éditeur, avec un univers tiré du jeu de rôle Cyberpunk 2020), qui proposait carrément deux façons de jouer ; une pour le pirate informatique qui cherche à dévoiler les plans de la corporation, et une pour la corporation qui doit mener ses plans à bien, en avançant prudemment et en érigeant des défenses. Et quatre conditions de victoire totalement différentes (deux par joueur).

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Netrunner – 1996 – les sets de départ par DukeOfEarl

 

“Ce qu’il faut retenir de l’asymétrie dans le jeu de cartes à collectionner, c’est qu’elle permet d’ouvrir le jeu à des styles différents : préférez-vous un jeu agressif qui fonce dans le tas ou une approche plus calculée et contrôlée qui va établir la victoire petit à petit, ou encore un paquet basé sur une combinaison de cartes produisant un effet inouï ? Vous le pouvez, et les jeux sont même plus subtils que cela, puisque des approches hybrides sont possibles. En plus de fournir un jeu “global” avec différentes stratégies, l’asymétrie raconte un bout d’histoire, et se soucie de plaire à un large panel de joueurs. S’ensuit logiquement toute une nécessité de lecture du jeu : il faut savoir quelle approche sera trop extrême, comment réagir face à un type de jeu. En bref, l’asymétrie dans le JCC est là pour lui donner une profondeur inégalée, et c’est sans doute une des raisons qui explique la popularité du genre et la robustesse de Magic The Gathering, par exemple.” commente Umberling. keyforge-age-ascension-ludovox-jeu-de-societe-lamindra

À noter qu’avec le récent Keyforge, cette diversité est conçue en amont par un algorithme. Chaque deck acheté est unique. Si les moyens de gagner sont les mêmes pour tous les joueurs, c’est en fait la façon d’y parvenir qui change. Cependant, si l’algorithme vous propose un jeu fixé, il est difficile de ne pas être déçu quand on n’aime pas comment le paquet acheté fonctionne, ou lorsqu’on s’aperçoit que l’on a déjà un paquet similaire, là où les JCC et JCE plus traditionnels proposaient – au sacrifice d’un peu de temps – une approche personnalisable.

      Avec ses nombreuses extensions, Smash Up propose une monstrueuse quantité de factions. Les ninjas, les pirates, les robots, les magiciens, les aliens, les dinosaures, super héros, les princesses, les rocks stars, que sais-je encore… Là encore, ce sont les moyens qui priment sur la fin. Et il faudra s’adapter à son tirage, à son mash-up de base. Le concept a pris, car la modularité est insolite. On se prend au jeu de voir fonctionner des adeptes de Cthulhu steampunk, ou encore des plantes carnivores qui ont le charme d’être zombies. Le plaisir de jeu est donc basé non seulement sur l’exécution d’un plan (remporter des points pour gagner), mais aussi sur la découverte des synergies inhérentes aux factions que nous pilotons. Comment tirer parti des forces de notre paquet, et comment minimiser ses faiblesses ?  

smash-Up-X-extensions

 

Quand on pense jeu de cartes et asymétrie on pense bien sûr aussi au deck-building, cette mécanique qui nous permet (généralement) de commencer tous égaux face à un marché de cartes pour ensuite voir nos jeux progressivement se diversifier et se spécialiser selon nos achats. Cela dit, il n’est pas rare d’avoir déjà un départ asymétrique, avec par exemple des personnages ayant un pouvoir particulier (Aeon’s End) ou une petite pioche personnelle (Nightfall) à disposition par exemple. Avec Rune Age, on a carrément chacun une faction avec son deck personnel unique à construire. 

 

  • La coopération

 

Il n’y a pas que l’affrontement qui permet à l’asymétrie de s’épanouir, évidemment ! Même dans un jeu totalement coopératif cette dernière peut exister : En général on cherchera à gagner tous ensemble, mais avec des moyens différents.

Cette diversité des gameplays est plus ou moins prononcée, et souvent elle prendra lieu et place du côté des avatars spécialisés que l’on incarne dans la partie (Pandemic, Aeon’s End, Gloomhaven, Zombicide… ou déjà la toute première version de Arkham Horror, sortie en 1987). Plus nos personnages sont définis par leurs capacités, plus l’asymétrie peut s’exprimer. 

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   Voyez Spirit Island (2017) : chaque joueur va se retrouver avec une main de cartes pouvoirs très spécifiques, une entité qui a ses capacités particulières et un développement unique ; chacun va améliorer son Esprit comme il le souhaite et avoir en main des outils, des contraintes, des coûts qui lui appartiennent. Les joueurs doivent repousser les envahisseur sur leur territoire commun. Un des effets de bord d’une asymétrie complexe comme ici – dans un titre coopératif – c’est la diminution de l’effet leader. Compliqué de dicter ce que le copain doit faire quand on n’a pas tous les éléments en main, et/ou quand on a déjà fort à faire avec son personnage ! À l’inverse, on sait bien que dans un Pandemic où les joueurs détiennent toutes les informations sur ce que les autres peuvent faire et où les pouvoirs personnels sont simples, le jeu devient un puzzle où un Mastermind peut plus facilement émerger pour tout contrôler.

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La coopération permet en fait toutes les architectures d’asymétrie. Des jeux d’équipe avec asymétrie “partielle” (Codenames), ou du “all vs 1”, comme dans Mysterium par exemple où le fantôme cherche à faire passer des messages, et les autres à les décrypter, dans un ultime but commun. Cela génère bien sûr des actions distinctives et dans ce cas, même un matériel spécifique selon que l’on s’assoie d’un côté ou de l’autre du paravent. 

 

  • Les coopétitifs

Bien sûr, certains jeux jouent un peu en dehors des jolies bornes bien délimitées (sinon ça serait pas drôle !). Prenons Cerbère en exemple, beau cas de coopétitif exacerbé où la – ou plutôt les – dynamiques asymétriques sont sans cesse changeantes et redéfinies par les intentions des joueurs. Au départ, on coopère pour échapper au Cerbère et progresser ensemble vers la barque qui nous fera traverser le Styx, oui sauf qu’on va finir par découvrir que les places sont limitées sur l’embarcation… En attendant le chien approche et grogne, et s’il venait à croquer les miches de quelqu’un, ce joueur passerait aussitôt de son côté.

Pas de rôle imposé ici : ils sont dictés par nos ambitions, nos cartes, nos discussions, nos relations, et par les opportunités qui se libèrent au fur et à mesure des actions de chacun. Ainsi les alliances se font et se défont librement du début à la fin, et notre but change soudain drastiquement si l’on passe du côté obscure du dogue, avec de nouvelles options qui en découlent. C’est ainsi que Cerbère, via son asymétrie désordonnée, perpétuellement imprévisible, profondément humaine et non mécanique, donne lieu à des situations de jeu vivantes, vibrantes, et très variées. 

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L’asymétrie, une richesse !

Avant de conclure, comment ne pas évoquer Vast et Root ? Ce dernier est certainement « le » cas d’école (actuellement en tout cas) du jeu qui pousse l’asymétrie à un très haut niveau sans perdre tout le monde en route. Il offre à chaque joueur un but propre (traduit, certes, assez classiquement en points de victoire), et pour le réaliser, en découlent des ensembles de règles et de moyens qui n’ont rien à voir d’une faction à l’autre, le tout sans s’effondrer sous son propre poids. Une belle réussite, saluée par le public et la critique (cf Just playedTest).

Mais avant d’arriver à ce bon niveau de fluidité, l’intéressant Vast (chez le même éditeur, Leder Games) avait essuyé les plâtres, en poussant le bouchon de l’asymétrie si loin que le résultat s’adressait à un public disons motivé, prêt à lire non pas une règle de jeu, mais carrément cinq.

« Avec Root, les auteurs ont pris un chemin différent. Les actions « de base » suivent les mêmes règles pour tout le monde. L’asymétrie vient de la façon dont on va pouvoir déclencher ces actions, et des rapports de force, largement inégaux. Du coup, le jeu est beaucoup plus fluide, simple à expliquer et rapide d’accès que Vast, même si les règles sont très denses, » nous expliquait maître Fouilloux dans son article

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À lire aussi : la rejouabilité, c’est quoi au juste ?


Si une asymétrie bien dosée offre indubitablement une diversité et une rejouabilité remarquable, n’oublions pas qu’elle met aussi du liant thématique, même dans les eurogames les plus mécaniques. Elle apporte, via les personnages, les rôles, les factions et leurs pouvoirs, un peu de couleur et de crédit au thème. “
Que serait Terra Mystica sans factions ? Réponse de Rick Hunter : Rien,” conclut Grovast. 
Il y a de belles partitions à interpréter, et il y a les asymétries si timides qu’elles ne marqueront pas les joueurs (je commence avec 2 bois alors que t’as 2 blés, c’est un jeu super asymétrique, je te dis !). 
Bilan : mettre le curseur au bon endroit entre uniformisation et sophistication n’est pas une mince affaire surtout quand des notions d’équilibrage entrent en considération… Ah ! L’équilibrage ! Une autre question intéressante. Un jeu doit-il forcément être équilibré pour être valable ? Pas de panique, ce sera pour un autre article !

 

 

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23 Commentaires

  1. Jahz 22/05/2019
    Répondre

    Excellent article qui fait un beau tour d’horizon ! Les nombreux exemples sont très parlants, et en plus il y a le boss Netrunner alors c’est tout bon 🙂 Quoique Scythe aurait pu être nommé aussi dans la catégorie des factions 😉

    • Shanouillette 22/05/2019
      Répondre

      Merci beaucoup !

      Cet article m’a donné du fil à retordre. J’en profite pour dire merci à tous ceux qui m’ont aidée à le peaufiner.
      Scythe était cité dans mon brouillon au départ, sur un paragraphe « équilibrage » qui a sauté finalement parce qu’il devenait trop fat et servira en fait pour un prochain article dédié au sujet. Tout comme d’autres j2s comme Afaos… J’ai pris mon parti de ne pas pouvoir les citer tous. Je ne pense pas que ça soit vraiment souhaitable de toute façon. Après les commentaires peuvent servir à mettre en exergue votre jeu asymétrique favori qui serait honteusement passé sous silence ! 🙂

  2. Gougou69 22/05/2019
    Répondre

    T’as pas cité Clash Of Rage, j’en connais un qui va pas être content 😀

    Sinon, excellent article de fond. Comme d’hab’ quoi…

    • Shanouillette 22/05/2019
      Répondre

      hahahaha ! Heureusement qu’il l’a pas encore lu, j’ai le temps d’éditer… Merci ! 😉

  3. BdmL 22/05/2019
    Répondre

    Le premier jeu qui me vienne à l’esprit lorsqu’on parle d’Asymétrie est Antiquity. Il est allé très loin dans l’asymétrie et bien avant que l’asymétrie soit à la mode.

    L’asymétrie d’Antiquity est originale car elle est basée sur les conditions de victoire très différentes, pas seulement une course aux points de victoire avec des moyens différents. Et en plus, on peut changer notre choix en cours de partie.

    Question équilibrage c’est un sacré tour de force pour qu’un choix ne soit pas plus avantageux qu’un autre.

    • Shanouillette 22/05/2019
      Répondre

      Merci BdmL du commentaire. Comme quoi chacun ses références 🙂 Intéressant en effet. J’ai surtout cité des jeux que je connaissais et c’est pas le cas de Antiquity – j’avoue, je connais que de nom, je vais aller me fouetter avec une boite de Starcraft pour la peine (c’est le tarif). Tiens, côté jeux qui étaient symétriques avant la mode, j’aurais pu citer Dune.

       

  4. BdmL 22/05/2019
    Répondre

    On ne peut pas tout connaître, surtout avec tout ce qui sort maintenant. C’est juste un jeu qui m’a beaucoup marqué, et je pense ne pas être le seul, et qui reste très atypique.

  5. Liopotame 22/05/2019
    Répondre

    Hop moi je cite les Voyages de Marco Polo et ses personnages gros bills 🙂

  6. Alfa 22/05/2019
    Répondre

    Super article! Pour moi un jeu asymetrique l’est soit par la config de depart (par ex jeux a roles cachés, RES ARCANA), soit par le gameplay/actions possibles (par ex jeux à factions, jeux coop, PANDEMIC, TERRAMYST, ROOT), soit par les objectifs / but du jeu (ou un melange de ces 3, par ex RAPTOR, MRJACK et aussi nombreux 1vsAll comme SCOTLAND Y)

  7. Damien 23/05/2019
    Répondre

    Que c’est bon d’avoir des articles de fond comme cela qui posent les choses sur le monde du JdS, de manière précise et argumentée ! Bravo ! Vivement celui sur l’équilibrage… 🙂

    • Alfa 23/05/2019
      Répondre

      Gros +1, je viens en grande partie sur ludovox pour ces articles de fond qui temoignent d’un recul pertinent sur le jds. Merci encore !

  8. Alfa 23/05/2019
    Répondre

    Petite remarque sur les jeux de deckbuilding, a mon sens CLANK, DOMINION, STAR REALMS ne sont pas asymetriques , car sinon tous les jeux le seraient (car la config de jeu, le plateau ou les cartes en mains evoluent en cours de partie…).

    • Shanouillette 24/05/2019
      Répondre

      Tout à fait, ce que j’aime c’est voir que l’asymétrie est partout ou presque à divers degrés, après il y a soit des compensations parce qu’on en veut pas ; soit au contraire on creuse l’asymétrie pour la faire exister pleinement et on offre moyens/buts variés aux joueurs. Et parfois, ça tombe un peu dans les creux. Par ex, Dominion que tu cites est presque un jeu en miroir sauf que les achats se font chacun son tour, du coup, de fait, avant même de jouer on se rend compte que le premier joueur a un avantage dans la mesure où la partie se termine en fin sèche (c’est une course, tu pars devant et les autres n’ont pas de compensation), de mémoire même l’auteur l’avait reconnu. Certains joueurs ont donc décidé de finir le tour en cours, ou de changer de premier joueur d’une partie sur l’autre en considérant ces dernières comme de simple manche.

  9. Macnamara 23/05/2019
    Répondre

    Encore une fois un EDITO de qualité, c’est vraiment agréable à lire.

    Sur l’asymétrie, j’ajouterai (ou j’insisterai sur le fait) qu’elle permet de vivre des histoires. Je pense à La Guerre de l’Anneau ou à Star Wars Rébellion. Non seulement les deux camps n’ont pas « joué au même jeu », mais ils n’ont pas vécu la même histoire en fin de partie (ou du moins pas du même point de vue, ce qui change tout).

    • Shanouillette 24/05/2019
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      Clairement ! la vraie asymétrie permet cela, quand un rôle est joué par chacun et qu’une histoire se déroule car la thématique est forte, on a chacun notre version des faits à la fin et c’est juste énorme. Merci pour ton commentaire !

  10. Laurent Denis 23/05/2019
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    Merci beaucoup pour cet article extra.

    Depuis longtemps l’assymétrie est ce qui fait le charme des jeux que j’aime le plus, il me semble que souvent ca renforce l’immersion et ca rend le jeu plus concret (j’aime pas tellement juste bouger un meeple) :

    Raptor et Mr Jack mes 2 meilleurs jeux à deux, j’adore incarner ce rôle et batailler avec mon adversaire,

    dans le 1 contre tous, il faut absolument mentionner Not alone, ce jeu est tellement bon dans l’immersion et donne vraiment des parties équipes entre la créature et les survivants.

    Bien sûr Root est une pépite que je sors malheureusement trop peu, quelques copaines le comparent à un vulgaire wargrame (ca me met bien en colère  🙂 . Je découvre que Clans of caledonia est un jeu assymétrique, je l’avais pris pour un vulgaire jeu de gestion 🙂 , du coup je vais me renseigner un peu plus.

    Merci encore en tous cas

    • Shanouillette 29/05/2019
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      Merci pour ce retour ! En effet je crois que j’ai toujours préféré les jeux asymétriques également et cela faisait longtemps que je voulais explorer le pourquoi. Not alone en effet gros succès par chez nous, estampillé coup de coeur Ludovox il y a deux ans !

  11. acariatre 24/05/2019
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    Excellent article une fois de plus. La joie de retrouver ces éditos riches, argumentés et questionnant !

    Quelques pistes de réflexion qui me sont revenues en tête à la lecture de l’article :
    – Dans le jeu coopératif, l’asymétrie est une façon de forcer à la collaboration. En interdisant (ou complexifiant) les actions selon les joueuses, on oblige à se répartir les tâches, comme dans l’excellent Pandémie par exempel. Mais cette vidéo de Mark Brown (https://www.youtube.com/watch?v=C3M8BvWcJQY) qui parle du jeu vidéo Overcooked m’avait interpellé en émettant l’idée que le besoin de coopération et de communication était encore plus fort et plus vivant si les rôles n’étaient pas imposés par le jeu mais imposés temporairement (et continuellement remis en question) par les circonstances !

    – Les joueuses ont soif de contrôle. Et l’équilibre des chances au départ est vu comme l’assurance d’un contrôle maximum sur la partie. L’asymétrie est acceptée si et seulement si elle ne perturbe pas ce bel ordonnancement qui seul permet au mérite d’éclater. C’est politiquement triste mais tant pis. C’est aussi complètement contraire à la réalité ou l’asymétrie est la situation de base.

    – Certains jeux asymétriques assument pourtant de ne pas donner les mêmes chances à toutes les joueuses (Comme dans Mr Jack Pocket ou les auteurs disent avoir visé – et atteint – 55% de chances de gagner pour Sherlock Holmes). C’est super intéressant narrativement et ludiquement de déjouer des pronostics de départs et de faire mentir les probabilités. Dommage que ça ne soit pas plus exploré.

    – L’asymétrie est parfois au contraire une façon de rééquilibrer les chances. Au plus haut degré comme en ajoutant des handicaps aux jouteuses identifiées comme partant naturellement avantagées par une meilleure connaissance du jeu. Dans le jeu de gestion, c’est fait très à la marge en rééquilibrant les situations de départ (le premier joueur part avec plus de choix mais moins de ressources par exemple). Mais ça me semble plutôt utilisé soit dans le domaine de la compétition soit dans le domaine très familial pour redonner de l’enjeu aux parties et ne pas décourage les nouvelles venues.

    Sujet très riche qui me fait réagir donc !

    • Shanouillette 24/05/2019
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      Merci pour ton commentaire ! En effet tu explores ici beaucoup l’aspect « équilibrage » dans l’asymétrie, et (comme je le disais ci-dessus à Jahz) c’était un paragraphe de mon Edito initialement, mais ça devenait tellement vaste et l’article était déjà tellement long, que du coup ça donnera lieu à un autre Edito prochainement ! 🙂 Certains jeux sont déséquilibrés et jouent la dessus, tout dépendra de l’intention du game design, et du fait de l’assumer pleinement. D’autre cherchent l’équilibrage au plus fin et jouent sur les handicaps et les compensations. Pour Overooked, et laisser les joueurs se répartir les tâches librement, c’est en effet tout le jeu de la communication et on voit ça aussi dans Cerbère, c’est une sorte de jeu à rôles cachés où là aussi rien est imposé, chacun choisit son rôle librement et peut en changer librement, tantôt secrètement, tantôt ouvertement, et tout va se faire en fonction des discussions et des promesses, ce qui donne lieu à des parties incroyablement vivantes.  On se rend compte que les parties débutent presque tjs sur la base d’une coopération totale, et puis, par la force des choses (quel jeu vicieux!) des camps doivent s’établir pour survivre.

  12. shamdream 29/05/2019
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    un super travail bravo. Moi j ai pas d exemple de jeu. Mais la notion de premier joueur est constitutif d’un déséquilibre.

    Je pousserai le vis, en m interrogeant sur est ce que l asymétrie est une différence de moyen de départ ou une différence d’odre de tour et de priorité ?

    Pour ma part je répondrai qu’ un jeu est asymétrique si les moyens de départ sont différents. Et je  parlerai de différence des chances dans l organisation du tour et des choix.

    bref, je reste admiratif du travail fait sur votre site.

  13. XavO 07/07/2019
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    Merci pour l’article. Je vais attendre avec impatience la suite sur l’équilibrage !

    Je reste avec une question très théorique : comme il n’y a pas de jeu sans joueur, comment un jeu pourrait être autre chose qu’asymétrique vu que nous sommes tous différents ? Vous avez deux heures. 🙂

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