Skull King : se creuser le crâne sur les jeux de plis

L’habitude veut que l’on qualifie les sorties du type de Skull King de “petit jeu de cartes”, parfois de “petit jeu de cartes sympathique”. L’intention n’est pas malveillante, mais confirme la tendance à sous-évaluer légèrement tout ce qui n’est pas pourvu d’un plateau et d’un thème narratif. Car, à bien y regarder, même s’il est effectivement sympathique, Skull King n’est pas aussi petit, léger, enfantin, et anecdotique qu’il pourrait le laisser croire.

Skull King est un jeu de cartes de Brent Beck et Apryl Stott publié en anglais en 2013 chez Grandpa Beck’s Games puis repris l’année suivante en version mulitlingue (dont le français) par la maison Schmitt Spiele, qui le distribue également depuis.

Dans cette version que l’on trouve aujourd’hui facilement en France, il dispose donc d’origine d’une règle en français pour un prix de 10 euros environ. À noter : Une version « dés » lui a été récemment adjointe, signe d’une certaine vitalité de la licence. Par ailleurs, pour qui voudrait le tester, il est possible de le pratiquer online sur le site allemand Brettspielwelt.de

 

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De Wizard à Skull King : plus qu’une filiation

Les connaisseurs verront vite de quoi il s’agit. Autrement dit le décalque d’un jeu qui s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires depuis sa sortie, et qui continue à le faire: Wizard de Ken Fisher (lui-même inspiré d’un jeu traditionnel). Une anecdote amusante veut que Skull King, le fils illégitime, soit sorti pratiquement en même temps que Witches de Ken Fisher et Joe Andrews qui semblait se présenter comme un héritier naturel. Ce dernier bénéficiait d’atouts promotionnels de poids : même auteur, même éditeur, même illustrateur et univers graphique, féminisation du titre. Même si Witches partait sur une base complètement différente, à savoir Hearts (La Dame de Pique) dont Andrews est l’un des spécialistes, il jouait sur l’ambiguïté. Toujours est-il que Skull King, venu lui aussi d’Amérique, remporte un succès plus large et moins confidentiel. Même s’il ne se présente pas comme tel, il est beaucoup plus proche de ce Wizard + que pouvaient attendre les fans. Il reprend les mêmes éléments traditionnels, mais les pousse encore plus loin.

 

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Le Wizard d’origine et sa « suite » Witches

 

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Wizard est donc un très bon jeu, basé sur le classique Oh Hell ! qu’on joue en France sous le nom de L’ascenseur. Il séduit par sa simplicité et ses principes amusants : au premier tour on a une carte en main, deux au deuxième tour, trois… À partir de cette main croissante, on doit à chaque fois parier sur le nombre de plis que l’on va faire. Si l’on obtient le score juste, on marque 20 points plus 10 points par pli réalisé. Si l’on est en-dessus ou en-dessous, une pénalité de 10 points par écart est appliquée. C’est un principe voisin de beaucoup de classiques (Whist) et du très bon Les sept sceaux, qui amène encore une dimension supplémentaire.

Les paris sont faits en simultanée et à l’aveugle – c’est en tout cas la variante la plus communément admise, la plus palpitante, et celle que reprend à l’identique Skull King.  
Quand ils sont révélés, il est vide évident que le nombre de plis qui ont été pariés est supérieur au nombre qui sera effectivement réalisé, donc qu’un aventurier va se retrouver le bec dans l’eau.

 

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L’atout est déterminé au hasard au début de la manche, et huit jokers (excuses et atouts maîtres) viennent corser un peu la pratique. En effet, en leur absence, si un joueur placé en deuxième avait le 1 d’une couleur banale ou le 13 d’atout, il pourrait avoir l’assurance de ne pas faire / faire le pli. Là, il est plus incertain : si le premier joue un Fou, le 1 devient la couleur demandée, si quelqu’un joue un « Wizard », le plus fort atout est pris. Là, il y a toujours une dose d’incertitude.

Élément plaisant pour les uns, rédhibitoire pour d’autres (moi par exemple), il est pourvu, dans la version européenne, d’un thème fantastique et d’illustrations assez particulière de Franz Vohwinkel qui, pour résumer, occupait la place de Menzel avant Menzel.

 

Qu’est-ce qu’il a dans les soutes ?

Sous une couverture réussie et attrayantes, se cache un paquet de cartes assez classiques, avec des illustrations plutôt rondes. Le thème des pirates est un classique, pas toujours très bien rendu, en témoigne la première version américaine, Grandpa Beck’s Skull King, The Game of Scheming and Skulking! (photo ci-dessous), mais ici il est plutôt pas mal. Une nouvelle fois, le choix est fait d’un packaging en direction des familles, grand public. C’est une constant des jeux allemands : packager sous des couvertures assez enfantines des jeux (Mü; Frank’s Zoo) qui auraient tout pour convenir à des amateurs de jeu de plis un peu pointus.

 

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Sur le plan plus technique, on trouve dans le paquet :

  • Trois couleurs de base allant de 1 à 13
  • Une couleur d’atout, noire, également numérotée de 1 à 13
  • Cinq cartes “escape”(drapeau blanc)
  • Cinq cartes Pirates (tous différents, sans incidence)
  • Une redoutable carte à double valence, Scary Mary : elle peut-être Pirate ou Escape au choix du joueur.
  • Deux cartes Sirène
  • Une carte Skull King

 

Soit un total de 66 cartes.

 

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Si les illustrations et les couleurs amènent un vent frais dans les voiles, une nouvelle fois la structure du paquet est des plus classique (les 4 familles de 13 cartes d’un paquet de 52). Ce qui l’est moins, c’est l’addition de ces multiples jokers et le fait qu’une couleur sur les quatre soit différenciée. Les grosses icônes situées dans les angles permettent de bien tout différencier.

Classicisme toujours, les cartes Escape et Pirate viennent très clairement rappeler les Fous (Jester) / Magiciens (Wizards) de son aîné. Ils occupent d’ailleurs la même fonction (Excuse/Joker et Atout). Seul leur nombre augmenté de 2, voire de 3 ou 4 si l’on considère la double carte.

La hiérarchie est la suivante :

  1. Cartes Escape
  2. Cartes de couleur
  3. Cartes noires (atout)
  4. Sirènes (qui ne sont pas une suite)
  5. Pirates (qui ne sont pas une suite)
  6. Skull King

 

Les cartes Sirène (intercalées dans la hiérarchie entre l’atout et les Wizards) et Skull King (une sorte de super Wizard) sont une nouveauté. Un des apports les plus intéressants, comme nous le verrons, de Skull King au genre. Pour le reste, rien que de très classique, le paquet du Gang of Four réserve plus de surprises.

 

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L’ensemble des cartes spéciales

 

En transposant en langage de jeux de cartes, nous avons donc plusieurs lignes d’atout hiérarchisées :

  1. La série de 1 – 13 noire, qui va couper les trois autres couleurs
  2. Les deux sirènes, qui vont couper les quatre couleurs, dont la première série d’atouts
  3. Les pirates qui vont couper les couleurs et les sirènes
  4. Le Skull King (chef des pirates) qui va couper tout le reste.
  5. (La sirène qui peut couper le chef des pirates)

 

L’auteur corse en effet les choses en permettant à la Sirène de prendre le Skull King. Autrement dit, une carte relativement faible (il y en a six au-dessus d’elle dans la hiérarchie), devient occasionnellement la plus forte. Et loin d’être une arme absolue, le Skull King est plus vulnérable qu’on le pense. Élément que l’on avait vu exploité dans le génial Frank’s Zoo, dans lequel la souris, carte la plus faible, mettait en déroute le puissant éléphant.

Il est assez fréquent de voir une pyramide couleur de base / atouts / super atouts / super super atout. C’était déjà présent dans Wizard, cela l’est aussi dans Njet, Mü, WWas Stich !, etc. Sans doute parce qu’ils sont présents dans l’héritage des jeux à l’allemande comme le Skat et le Dopplekopf (qui occupent la place de votre tarot et belote). Sans doute aussi n’est-ce pas aussi exotique pour les allemands que cela l’est pour nous.

 

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En ligne, bien que l’adaptation soit réussie, il est étrangement moins joué que son aîné.

 

 

Le jeu des 7 différences

La pratique et le plaisir qu’on peut en retirer sont relativement semblables à Wizard : estimer sa main, placer son pari, prier pour que ça passe, maudire l’adversaire, se marrer quand l’autre prend des mauvais points. Cependant, comme le montre la description ci-dessus, les détails apportent énormément et la prise en main n’est pas aussi évidente.

On pourrait lister les apports de la manière suivante : 

Premièrement, l’augmentation du nombre de cartes et la complexité du paquet font qu’il y a plus de retournements de situation.

Il y a une dimension inédite de chasseur – proie : le Skull King obtient une prime par pirate qu’il attrape, et les Sirènes ont une prime pour la prise du Skull King. Le chasseur devient alors la proie. Comme si le « petit » du Tarot se mettait à courser le « 21 ».

Le pari « 0 pli » est largement revalorisé. Parier 0 à Wizard, et donc chercher à éviter tous les plis, n’était pas forcément rémunérateur (20 points). C’est dommage car c’est techniquement plus compliqué que d’en faire un (30 points) ou deux (40 points). Le système a donc été revisité de fond en comble. On marque cette fois en positif ou en négatif, selon la réussite de l’entreprise, un nombre de points multiplié par le numéro de la manche (10 fois 10). Par contre, cela donne encore plus envie à vos adversaires de vous faire chuter. J’hésite encore quant au fait de savoir si c’est “un peu too much” ou “une excellente idée”. À la limite, le fait qu’on sache que cela peut faire gagner un adversaire est une bonne invitation à se sacrifier pour le faire chuter. Mais bon, “toi d’abord”.

La manière d’annoncer les points, façon chifoumi pirate, en chantant yoh oh oh ! et en ouvrant le point au même moment est très amusant. Cependant, il tire peut-être un peu trop le jeu vers le divertissement quand on le voudrait plus technique. Il est possible d’utiliser une variante de Wizard : des jetons savamment exposés tous en même temps, ce qui presse moins le rythme et laisse le temps de réfléchir.

La possibilité de jouer à 2 ou 6 (contre 3-5 pour Wizard) est relativement anecdotique. D’une part, car il n’est pas dit que la pratique y résiste bien. D’autre part, parce qu’ils se trouve de bons jeux de cartes dans cette configuration particulière.

Le fait que le nombre de tours soit fixé à l’avance évite les longueurs que l’on pouvait ressentir dans les configurations basses (3 joueurs). Peut-être aussi que ça renforce certaines stratégies.

Le fait que l’atout soit fixé, que l’on joue sur trois couleurs, et non quatre modifie fortement les habitudes. Il y a par ailleurs 29 atouts et cartes spéciales sur 66, pratiquement la moitié, contre 1/3 à Wizard

Les primes sont moins évidentes à calculer : score exact / pari à 0 / primes demandent un peu plus d’attention. 

Enfin, l’esthétique renouvelée et la thématiques fonctionnent bien. Le thème des pirates bien que convenu s’avère adapté.

Ainsi sur de nombreux aspects, il est meilleur que Wizard, dont il constitue une évolution marquante. L’avantage est qu’en achetant un paquet de Skull King, vous pourrez, en en enlevant quelques cartes (Scary Mary, Sirènes, 1 pirate et 1 escape) jouer à une version réhaussée graphiquement du vénérable ancêtre et vous faire votre propre avis. Amateurs de jeux de cartes, voilà en tout cas un classique instantané !

 

Skull King 

Un jeu de Apryl Stott, Brent Beck
Illustré par Eckhard Freytag
Edité par Devir, Grandpa Beck’s Games, Schmidt Spiele
Langue et traductions : Anglais, Espagnol, Français
Date de sortie 1ere édition : 2013
De 2 à 6 joueurs
A partir de 8 ans
Durée moyenne d’une partie : 30 minutes

 

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6 Commentaires

  1. TheGoodTheBadAndTheMeeple 21/04/2017
    Répondre

    Plus intéressé par les 7 sceaux, je note tout de meme celui ci 🙂 merci pour l’article le mettant en lumière !

    • Jocelyn Chaumette 21/04/2017
      Répondre

      J’aime beaucoup les 7 sceaux alors que j’ai très peu accroché à ma seule partie de L’ascenceur. Pour moi, les 7 seaux tient plus de la belote ou de la coinche avec un système d’annonce plus précis et plus retor que ces classiques sans pour autant virer à l’ermétisme des annonces du bridge.

      Par contre, les 7 sceaux ne sont plus au catalogue Gigamic 🙁

  2. morlockbob 21/04/2017
    Répondre

    Je me souvenais de Skull King comme d’un  » jeu de l’ascenseur » (on distribue une carte, puis 2, puis 3…A chaque fois on donne le nombre de plis que l’on pense faire.) assez chaotique. Il va donc falloir que je vérifie cela. C’est bien de sortir des jeux qu’on a pas vu passer ou qu’on a oublié.

  3. ReiXou 21/04/2017
    Répondre

    Ca a été un énorme succès chez moi (en famille). Ca crie, ca vit, très bon petit jeu de pli dynamique.

  4. Gaetan Baldini 30/08/2019
    Répondre

    Bonjour
    un point de règles .
    qui gagne dans cette configurations :
    je pose un pirate ,le joueurs d’après Une sirène et le dernier un roi pirate ?
     

    • morlockbob 30/08/2019
      Répondre

      bonjour

      si je me souviens bien il y a une aide de jeu avec la hiérarchie des pirates:

      3 solutions sont possibles pour ne pas faire un pli avec une carte pirate :• elle est posée après une autre carte pirate,• elle est coupée par un Skull King posé par la suite ou elle est posée après le Skull King,• elle est coupée par une Mermaid jouée dans le même pli que le Skull King

      comme la sirène bat le roi pirate, elle gagne le pli

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