Sail – Duo de pirates contre Krakens et tempêtes

Les œuvres d’auteurs nippons suscitent ma curiosité : souvent minimalistes (Deep Sea Adventure), parfois taquins (Insider) et au game design parfois remarquable (Scout). La culture et le savoir-faire ludique du Japon méritent le coup d’œil.

Sail, imaginé par Akiyama Koryo & Kozu Yusei (auteurs japonais donc) et illustré par Weberson Santiago (La Famiglia) est une réédition (nouveau jeu, nouveau thème) de leur précédent jeu Hameln Cave. Paru en 2023 chez Allplay (USA), il a été édité en français par la même maison en 2024.

Sail est un jeu de plis coopératif pour deux joueurs. Depuis The Crew, le gagnant du Kennerspiel des Jahres (littéralement « jeu pour connaisseurs ») 2020, le concept des jeux de plis coopératifs a la côte et montre son potentiel. The Gang (le Just Played) en est un bon exemple. Mais Sail profite aussi d’une seconde vague de « hype » : celle des jeux coopératifs à deux joueurs, bien enclenchée, notamment depuis Sky Team (le Just Played), gagnant du prestigieux Spiel des Jahres 2024. Alors, Sail a-t-il le potentiel de surfer habilement sur ces vagues, ou de couler comme une enclume ? Nous allons essayer de tirer ça au clair !

 

 

Des plis, des vagues, un Kraken

Dans Sail, vous devrez faire naviguer un navire pirate à travers des eaux périlleuses, sous la menace du légendaire Kraken qui vous attaquera régulièrement. Le navire devra sortir indemne par l’extrémité Est du plateau. Le jeu est basé sur le principe du tir à la corde : le gagnant d’un pli attire le bateau de son côté du plateau. Les cases de celui-ci étant des losanges, attirer le bateau vers vous le fait par la même occasion avancer un peu, permettant ainsi de manœuvrer pour simultanément avancer et éviter des obstacles. Il faudra donc bien organiser ses tours de jeu, dans un contexte de communication limitée, car il n’est pas permis de donner des informations sur sa main de cartes.

 

 

Le système de pli est d’apparence classique. Lorsqu’à son tour de jeu votre coéquipier appelle une couleur (il y en a trois), vous devrez suivre la couleur sans forcément monter la valeur, ou bien vous défausser d’une carte.

Chaque carte comporte un symbole (une roue, un canon, le kraken, ou une sirène). La combinaison des symboles des deux cartes du pli est centrale dans le jeu : elle déterminera l’action que fera le bateau. Celles-ci sont nombreuses. Par exemple, se déplacer vers le joueur remportant le pli, ou en ligne droite, ou bien subir une attaque du Kraken, ou encore l’attaquer. Cette dernière permet d’ajouter des cartes dans le paquet du Kraken, afin d’éviter qu’elle ne se vide et perdre ainsi la partie. À chaque pli, le choix tactique sera globalement porté sur le dilemme : « fait-on avancer le navire, ou bien doit-on plutôt attaquer le Kraken ? ».

 

Si un symbole Kraken se glisse dans le pli, vous pourrez le subir ou bien l’attaquer en fonction de la carte jouée en face.

 

La partie se divise en manches successives jusqu’à rencontrer une condition de victoire ou de défaite. Entre chaque manche, le Kraken vous attaquera. Il est matérialisé par un petit deck de cartes à faibles valeurs et portant le (non souhaité) symbole du Kraken. À chaque attaque, on piochera une de ses cartes pour l’ajouter à notre défausse et ainsi la « pourrir ». Si l’on vient à épuiser ce deck, c’est fini ! À l’inverse, on gagnera en atteignant la tuile sortie.

Une manche se termine dès qu’un joueur remporte un total de 4 plis. En plus du dilemme « avancer ou gérer le Kraken », il faudra donc jouer sur une répartition équilibrée de plis entre les joueurs afin de temporiser la situation tout le long de la partie. Ces enjeux situés à plusieurs niveaux permettent une certaine profondeur stratégique, mais correspondront à des publics initiés ou experts.

Une petite virée en Ludochrono pour les règles nautiques.

 

Le plateau et le paquet Kraken. Moins il a de cartes, plus ça craint.

 

Des sensations salées

Comme je le disais plus haut, Sail impose une forte contrainte en superposant plusieurs niveaux de réflexion pour gérer sa main de carte (couleurs, valeurs mais aussi symboles) : dédier son pli à tirer le navire du bon côté, le dédier à attaquer ou limiter les dégâts du Kraken, tout en devant équilibrer le nombre de plis avec son adversaire. En conséquence, la profondeur tactique se paye avec une sensation de marge de manœuvre étroite. Rares seront les coups parfaits, mais on aura plutôt tendance à faire au mieux avec ce que l’on a. Ce n’est pas un inconvénient en soi, mais cela définit un style de jeu que certain(e)s apprécieront et d’autres pas. Dans un genre radicalement différent, j’avais éprouvé la même sensation avec Gloomhaven, où chaque tour de jeu imposait des sacrifices dans sa main de cartes.

 

 

De prime abord le système d’action avec la combinaison des symboles est contre intuitif, ce qui n’arrange pas ce choix. Par exemple, deux symboles « barre » ou deux « sirène » font avancer le navire, ce qui est fort bien, mais la combinaison des deux, ou bien le canon avec la barre sont un pli perdu ! De même, combiner deux canons forme un pli spécial pouvant avoir plusieurs effets différents. On aura tendance à devoir se remettre en tête toutes les combinaisons possibles à chaque partie et parfois-même entre les manches, ce qui ne facilite pas l’anticipation et les coups tactiques. C’est dommage car cela affecte légèrement le plaisir de jeu, sans toutefois être un problème.

 

Les petites choses à retenir par cœur.

 

La mémoire est d’autant plus sollicitée qu’il faudra obligatoirement connaitre chaque effet associé à chaque numéro de carte (cartes 1 à 3 avec tentacules, 4 et 5 avec canon, 6 à 8 avec barre, 9 avec sirène) pour espérer remporter ne serait-ce que le premier niveau. Cela dit, dès la troisième ou quatrième partie, ces inconvénients deviennent peu à peu de l’histoire ancienne.

 

Les deux sirènes sont la meilleure combinaison possible et fait avancer d’un grand pas. Seulement ces cartes sont rares et il faudra comprendre quand les jouer.

 

Lorsqu’on ne sait pas vers quel port on navigue, aucun vent n’est le bon !

Le jeu se veut difficile. La marge de manœuvre est étroite, l’erreur de jugement est peu permise, voire fatale. N’ayant pas la possibilité de communiquer sur sa main, on pourrait croire que la chance est grandement impliquée dans la victoire, pour obtenir les bonnes cartes afin de bien combiner ses plis. Seulement ici, je n’ai jamais réellement éprouvé ce sentiment ! En effet, plusieurs éléments bien pensés viennent modérer la hasard et récompenser des choix réfléchis.

Premièrement, la majorité du jeu est distribuée entre les deux joueurs au début de la partie (18 cartes sur les 21). On peut donc déduire majoritairement le jeu allié en regardant le sien. Les cartes défaussées sont consultables, pas besoin de mémoriser.

De même, le paquet de cartes du Kraken viendra compléter le paquet de cartes joueurs avec des cartes de petite valeur. Plus on avancera dans le jeu, plus on aura connaissance du nombre de cartes ajoutées, malgré le fait qu’une part plus grande ne sera pas distribuée (la taille du paquet grandissant). Si on les compte, cela conférera un avantage certain.

Enfin, à chaque début de manche, on échange une carte avec son coéquipier. Cela renforce la connaissance de la main alliée et permet de rééquilibrer le jeu. Ce petit geste d’échange de carte est un véritable twist plaisant qui devient vite central dans le gameplay. De plus, un peu à la manière d’un jeton Radio dans The Crew, cet échange est l’occasion de faire passer un message.

L’apprentissage progressif du jeu forcera à exploiter ces petits leviers et se fera ressentir sur les chances de victoire. Une victoire à Sail ne viendra pas à la première partie, ni peut-être même à la seconde, voire peut-être même pas à la troisième… Il exige une certaine persévérance qui deviendra par la suite gratifiante. On peut y aller à reculons, pour ensuite y prendre goût.

 

Chaque joueur choisit un capitaine lui conférant une capacité spéciale.

 

On embarque ou pas ?

En découvrant Sail, j’ai tout de suite reconnu des sensations proches du jeu coopératif Le Renard des Bois : Duo (le Ludochrono, le Just Played), car l’on retrouve la même association entre jeu de plis et tir à la corde. Mais les deux ne jouent pas dans la même cour. En comparaison, Sail ajoute une bonne dose de complexité et une échelle de progression plus longue, étalée sur 6 scénarios. Le Renard des Bois : Duo quant à lui va être plus épuré et rapidement accessible, sans pour autant être simpliste. Je ne saurais départager les deux. À vrai dire, je les trouve tous les deux intéressants, avec des sensations proches : l’un étant accessible, l’autre avec plus de complexité et de profondeur tactique.

Pour être apprécié à sa juste valeur, Sail demandera de faire un petit effort d’apprentissage, de mémoriser des effets par cœur. Une fois ce cap franchi, il offre du challenge et de la profondeur, à vous la longue randonnée à travers la courbe de progression des 6 scénarios. Surtout, et par dessus le reste, il est réellement plaisant à jouer et gratifiant lorsque la prudence et le jeu réfléchi sont récompensés d’une victoire. C’est donc un jeu exigeant pour un public initié. Les afficionados des jeux de plis auront bien entendu plus de facilités pour s’y mettre.

Une extension en anglais est disponible à la vente en ligne à ce jour (pouvant être intégrée au jeu en Français), dans une petite pochette plastique : Sail – Seafarers Expansion. Elle propose d’étendre l’échelle de progression avec 4 nouveaux scénarios (ou bien 6 selon les sources), 4 nouveaux capitaines et 3 nouvelles tuiles. Ces dernières sont à disposer sur le plateau selon les scénarios et permettront d’échanger des cartes avec votre coéquipier, ou encore de prolonger le mouvement du navire. Je n’ai pas eu l’occasion de l’essayer, mais n’hésitez pas à faire vos retours dans les commentaires. Et pour aller encore plus loin, sachez qu’une version Legacy est prévue cette année sur Kickstarter. On vous en parlait dans cette News.

Quoiqu’il en soit, si vous avez été touché(s) par le succès des excellents The Crew et de sa suite The Crew: The Quest for Planet Nine, vous aurez probablement remarqué que la configuration à deux joueurs n’est pas bien servie. C’est ici que des titres comme Sail ou Le Renard des Bois : Duo comblent très bien ce vide en proposant un gameplay bien adapté pour deux, Sail s’adressant parfaitement aux initiés et experts aimant exploiter un gameplay jusque dans ses moindres détails.

 

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1 Commentaire

  1. Sylvain il y a 7 jours
    Répondre

    Merci pour cet article très détaillé.

    Une erreur s’est glissée en fin d’article concernant The crew. Le premier jeu de la gamme est The Crew : en quête de la neuvième planète, et le suivant est The crew : mission sous-marine.

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