Villainous : Réinventer l’asymétrie

Villainous est un jeu à licence. Autant dire que ça fait peur dit comme ça. Heureusement, il est également estampillé Prospero Hall, un studio de création de jeux que vous connaissez sûrement pour avoir créé Kero ou Choose Your Own Adventure : House of Danger. Voilà qui est rassurant et nous épargne donc d’un énième Monopoly ou Jeu de l’oie à licence. Le fait d’incarner un méchant de Disney et le terme « asymétrique » qui plane autour du jeu achèveront de nous convaincre d’y jeter un œil. Décortiquons !

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Deux mots sur le gameplay

Être un grand vilain c’est avant tout savoir gérer son royaume. Bien sûr on ne parle pas ici de gestion comme dans un gros jeu à l’allemande, Villainous se range plutôt dans la catégorie des « gateway games » [Ndlr : jeu passerelle] donc accessible pour le néophyte mais tout même assez retors pour satisfaire l’expert. Cela ne vous fera pas cogiter énormément, les choix ne sont pas très variés, mais les tours de jeu sont suffisamment courts pour maintenir une certaine fluidité et ainsi vous garder éveillé.

On constate rapidement qu’un royaume de méchant ressemble beaucoup à un champ de bataille de Magic / Hearthstone / n’importe quel jeu de carte à collectionner dérivé de Magic. On y invoque des sbires pour taper les méchants (qui sont les gentils en fait vu que c’est nous les méchants), on s’arme d’objets pour obtenir des pouvoirs permanents et on joue des effets à usage unique, le tout en collectant et dépensant des ressources (chez moi au bout de 3 tours, on appelait ça du mana). Rassurez-vous cependant, sur cet aspect là aussi le jeu reste très simple et le but n’est pas d’imiter la richesse de Magic, mais plutôt de l’épurer et de garder les sentiments de gestion de main, de mana et de contrôle du plateau.

 

Asymétrie, vous avez dit asymétrie ? 

Un autre aspect semblable à Magic est la fameuse asymétrie : chacun a son propre vilain qui a ses propres caractéristiques.

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Pour faire simple, l’asymétrie est un élément variable qui peut aller de l’asymétrie d’objectifs (comme dans les jeux à objectif secret) à l’asymétrie de gameplay (où tout le monde a des règles de jeu différentes) en passant par la plus commune, l’asymétrie de pouvoirs (prenez les capacités spéciales individuelles de chaque joueur dans n’importe quel jeu coopératif comme exemple).

Villainous décide de garder un gameplay commun pour tou(te)s les joueurs ou joueuses, mais chaque personnage aura un objectif et un paquet de cartes complètement différent.
Le jeu offre donc un socle commun de règles, ce qui simplifie l’apprentissage, en revanche c’est vraiment la façon de jouer votre personnage qui est personnalisée, la composition de votre paquet de cartes a été réfléchie pour vous proposer un challenge retraçant les difficultés que doit rencontrer le personnage que vous incarnez.

Pour peu que vous choisissiez à chaque partie un vilain différent, Villainous offrira toujours le sentiment de découverte d’un jeu nouveau et cela renforce aussi le sentiment d’incarnation et d’unicité du personnage. Maléfique cherche à répandre des malédictions dans les 4 lieux de son plateau, s’épuisant au fur et à mesure car il faut réunir certaines conditions pour les maintenir ; le Prince Jean ne cherche qu’à accumuler et conserver du mieux possible des ressources (le « Pouvoir ») et ne devra donc les dépenser pour payer ses cartes que s’il sait que cela sera rentable à terme, tandis que la Reine de Coeur cherche à transformer ses cartes en arceaux pour jouer au croquet, abandonnant ainsi de précieux soldats.

L’avantage d’utiliser des personnages de Disney, c’est qu’ils sont la plupart du temps connus de tous et toutes. On comprend donc très rapidement où notre personnage veut en venir, même si c’est une première partie et que l’on ne connait pas encore toutes les cartes. Et pas besoin de gameplay totalement asymétrique pour conserver une profondeur de jeu, le paquet de cartes individuel s’en charge très bien. Facile à apprendre mais profond, la case gateway game est définitivement cochée.

 

Zoom sur l’interaction

L’interaction dans Villainous est si particulière qu’elle mérite un paragraphe à elle toute seule. Votre royaume va être envahi de méchants gentils qui viendront contrecarrer vos plans et là encore, il y a un paquet personnalisé par vilain. Alice viendra embêter la Reine de coeur tandis qu’Aladdin sera là pour ralentir Jafar. Si à première vue chacun vit son histoire, avec ses cartes, son plateau, ses méchants et ses gentils, c’est précisément ses derniers qui vont permettre une interaction entre les joueurs. En effet, ce sont vos adversaires, via leurs actions, qui vont faire apparaître des gentils dans votre royaume.

Une interaction « take that » comme disent les anglophones où l’on cible un joueur ou une joueuse directement pour qu’il ou elle se prenne une crasse sur le coin de la tronche. Le genre d’interaction qui transforme Villainous en jeu de pleurnichard(e) à base de « non mais tu vois bien qu’il est plus en train de gagner que moi », mais qui permet également de laisser aux joueurs et aux joueuses le loisir de rééquilibrer le jeu qui est tout de même assez sujet au hasard (en cela on pourrait le rapprocher de pas mal de jeux de conquête où le catch-up est également confié aux joueurs).

Une interaction paradoxale aussi car elle est à la fois très directe puisqu’on choisit quelle personne on vise, mais en même temps indirecte puisque l’on est pas en train de détruire des choses chez l’adversaire, on lui créé plutôt des obstacles pour le ralentir, et parfois il s’en servira même pour mieux rebondir. C’est vilain mais pas tant que ça.

 

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Il n’empêche que cela nous oblige en permanence à surveiller le jeu de ses adversaires et là encore l’asymétrie a son importance : il faut comprendre le fonctionnement des autres personnages pour bien saisir où ils en sont dans leurs objectifs et ainsi frapper la bonne personne au moment ça fait le plus mal. Clairement, on est loin de se sentir seul(e) autour de la table.

Ces aspects me font fixer le nombre de personnes idéal pour jouer à Villainous à trois. À plus, le jeu devient trop lent et il y a trop de choses à surveiller (à noter une mécanique à cinq ou six qui permet d’éviter de tous s’acharner sur la même personne, mais bon ça reste la pire configuration à mon sens). À deux, il manque le côté « pleurnichage » et discussions entre les participant(e)s pour savoir qui frapper mais cela reste néanmoins la seconde meilleure configuration.

On parlait tout à l’heure de l’asymétrie. Celle-ci se ressent aussi dans l’interaction. Ursula en est le meilleur exemple puisqu’elle ne peut pas attaquer directement les gentils mais devra les déplacer dans des lieux spécifiques après avoir passer un pacte avec eux pour les piéger. De leur côté, le Capitaine Crochet et Jafar cherchent respectivement Peter Pan et le Génie pour accomplir leur objectif et vont beaucoup plus interagir avec la pioche de leurs gentils. Là encore c’est aux adversaires de composer, surveiller et aviser en fonction des situations.

Beaucoup de cartes permettent de contrer rapidement l’arrivée de certains gentils et l’interaction va au final dans les deux sens : on cherche à s’armer au bon moment pour pouvoir faire face à toute les menaces qui vont nous tomber dessus (à priori quand on est en train de gagner). Idem pour certaines cartes (les Conditions) jouables pendant le tour des adversaires qui nous obligent à jeter un coup d’œil sur le jeu des adversaires pour savoir si cela vaut le coup de la garder ou non.

 

Et l’édition ? 

Que dire sur le matériel ? Graphiquement le jeu évite le piège classique du jeu à licence, il ne met pas des extraits des dessins animés comme illustrations. Les cartes ont des illustrations originales sur leur verso et la direction artistique globale (pour le recto des cartes ou les icônes de jeu par exemple) donne un ton moderne et différent. Épurée et esthétique, elle n’est cependant pas la meilleure idée en termes d’ergonomie à mon goût : on se penchera souvent sur l’aide de jeu pendant les premières parties pour comprendre les effets de chaque action.

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Autre bémol : le jeu est fourni avec une sorte de cratère en plastique pour y placer la réserve de jetons au cours de la partie, à la manière d’un organizer. Sauf qu’un organizer à pour but de trier différentes ressources alors que dans Villainous il n’y en a qu’une, gadget inutile et qui prendra de la place dans la boîte à côté du thermoformage, son cousin tout aussi inutile, embêtant et en plastique. Il aurait mieux vallu accentuer l’édition sur la qualité des cartes, élément central du jeu, qui ne nous offre pas le plaisir d’être toilées.

 

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En résumé !

Villainous est un jeu qui crée la surprise et peut rejoindre le panthéon (très restreint) des licences ayant une bonne adaptation en jeu de société.
Avec
Root sorti à peu près au même moment, nous sommes peut-être en train d’assister à un nouveau mouvement de jeux asymétriques à plus de deux joueurs. Si Root dérivait du wargame et utilisait l’asymétrie pour montrer les intérêts propres à chaque faction lors d’un conflit politique et militaire, Villainous ressemble plutôt à une épure de Magic ou de jeux de cartes à l’américaine où la thématique est centrale.
Prospero Hall a compris que l’immersion ne passe pas forcément par des textes à rallonge mais plutôt par une personnalisation forte des belligérants et c’est pourquoi l’utilisation de l’asymétrie entre en harmonie avec cette intention.

 

► À voir aussi : Nous avons testé pour vous… Villainous

                             La vidéo Ludochrono Villainous

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4 Commentaires

  1. Grovast 28/11/2019
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    Un minimum de paraphrase des règles et un maximum d’analyse de ce que procure le jeu : ce vers quoi devrait toujours tendre un Just Played. Il se trouve que c’est plus facile à dire qu’à faire, donc well done!

  2. Astien 29/11/2019
    Répondre

    Tout a fait d’accord avec le commentaire précédent de Grovast.
    Un Just play sans avis personnel mais avec une analyse du jeu et l’exposition sur ce qu’il nous invite à vivre, je veux en lire encore et encore des articles comme ça 😀 !

    #LePionfesseurPresident

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