Winter tales, l’avalanche narrative

Ingrédients d’une narration réussie

Les blockbusters américains utilisent tous ou presque la même recette : on commence par un personnage dont les faiblesses vont le mettre en danger, puis on lui trouve un but. L’étape suivante est l’arrivée d’un antagoniste. Le héros et son adversaire seront en concurrence tout au long de l’histoire. Le héros va donc construire un plan d’attaque pour défaire son adversaire, ce qui arrivera lors d’une bataille finale où il en apprendra plus sur lui-même. L’histoire se conclut par un nouveau départ, le héro sortant grandit de son aventure.  On se demande pourquoi tous les blockbusters suivent cette trame … et puis on joue à Winter Tales.

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Faisons les présentations

Winter Tales est sorti en anglais en 2012 chez Fantasy Flight Games et tout prochainement en boutique en français grâce à Edge. Et comme tous les jeux de cet éditeur, il bénéficie d’une édition de qualité. La boite, de taille “standard” semble néanmoins un peu vide : ici point de figurine en plastique, outre le plateau de jeu on y trouve des jetons, des cartes (pour la plupart de petite taille), et des pions personnages en carton montés sur support. Loin d’être un défaut, ce choix éditorial laisse la part belle à un parti pris graphique tout à fait à propos.

Le jeu dépeint Villegivre un village envahi par l’hiver et la bataille qui s’y déroule entre le printemps et l’espoir contre la grisaille, la tristesse et la mort…

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Vous avez dit narrativiste ?

Le plateau, les différents personnages et les cartes sont le support d’une histoire que les joueurs se raconteront tout au long de la partie. Chacun d’eux incarnera plusieurs personnages sortis directement de contes et de fables (d’Alice au Loup des 7 chevreaux en passant par Pinochio et le bucheron en fer blanc). Des personnages altérés et tourmentés qui trouvent une place inattendue dans l’histoire du village.

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Deux équipes de 2 ou 3 joueurs vont donc narrer tous ensemble l’histoire de Villegivre (il est possible de jouer à 3, 5 et 7 avec un joueur “neutre”).

Le jeu propose des lieux remarquables, comme le manoir de Dorothy, ou l’Asile du chapelier Toqué…

Il permet également aux deux clans d’effectuer des quêtes qui leurs sont propres telles que : “Découvrir une menace sinistre qui permettra de frapper les rebelles semant la peur et l’horreur dans son sillage” par exemple. Ou pour les rebelles “créer un lien fort entre deux personnages (une formidable amitié, un amour parental, ou un grand amour)”.

Il oblige surtout les joueurs à utiliser des cartes représentant des illustrations dessinées par des enfants de 5 et 9 ans (oui, vraiment). Ces cartes permettent généralement des interprétations diverses et variées et sont le coeur de la mécanique ludique du jeu : on les utilise pour déplacer ses personnages, pour attaquer ou piéger ses adversaires, et surtout pour résoudre les quêtes qu’on a initiées. Elles sont le support de la narration, l’idée charnière qui permettra au récit d’évoluer.

Car le jeu n’est rien d’autre qu’un jeu de narration : on doit d’abord planter le décor, puis initier les quêtes, narrer ses voyages, les escarmouches des rebelles, les attaques des soldats de l’hiver.

Les quêtes sont des “battles” où chaque camps expliquera, cartes à l’appui, comment elles vont évoluer, et quelles difficultés vont rencontrer les protagonistes.

Tout au long de la partie chaque camp va gagner des batailles et une histoire va se construire. Elle se conclura par un épilogue qui devra donner une cohésion à l’ensemble de ce qui aura été raconté.

Pour plus de précisions sur le gameplay, reportez-vous à la preview du jeu publiée il y a quelques mois par Shanouillette.

Mon sentiment sur le jeu

Les graphismes du jeu sont très beaux, le choix des personnages et leur background, les lieux et les quêtes, les cartes, tout est fait pour donner des idées aux joueurs.

Le but annoncé est de faire parler les joueurs, les aider à développer leurs idées et générer des histoires variées. On se prend rapidement au jeu et on incarne nos personnages avec plus ou moins de facilité.

Mais au final, le jeu est paradoxalement lourd et long. Le temps de résoudre 3 quêtes et l’épilogue arrive. Et il s’est passé une heure et demie. Quatre vingt dix minutes de bonheur pour des gens loquaces, si les joueurs s’écoutent, peaufinent les histoires et visent avant tout à une narration réussie. Quatre-vingt dix minutes poussives si votre groupe de joueurs n’est pas à l’aise avec la narration.

Winter Tales est un jeu de société à part et donc pas pour tout le monde. Même si le jeu donne de la matière pour permettre même aux joueurs les moins loquaces de participer, il nécessite un minimum d’imagination et une certaine facilité d’expression. Le jeu est assez lourd de règles, à l’image de l’aide de jeu format A4 fournit à chacun. Les actions sont divisées en étapes où les points de règles ne manquent pas. Cela a pour effet d’alourdir le jeu, notamment lors de la première partie et fait parfois passer la narration au second plan. L’issue des quêtes est décidée par le nombre de cartes jouées par les deux camps. Elle est remporté par celui qui aura raconté la “meilleure” histoire, en jouant le plus de cartes. On comprend vite que certains compteront les cartes, d’autres privilégieront la quantité de cartes à la qualité de la narration. Le décompte final pousse aussi les plus compétitifs à conserver des cartes en main afin de … gagner la partie, oubliant par la même que ce qu’auront vraiment gagné les joueurs, c’est bien le plaisir de s’être raconté une histoire.

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Difficile donc de créer une histoire cohérente et intéressante, digne d’un blockbuster américain. Winter tales est à réserver à des joueurs avertis, que la narration ne rebutera pas et qui souhaiteront plus mettre l’accent sur la cohérence globale du récit plutôt que de remporter la partie.

Cela dit, au même titre qu’à Hollywood, l’histoire pourra se décliner sous différentes formes : on pourra mettre en scène un récit terrifiant, ou mettre en scène un slash movie. Le jeu ouvre même la porte à des histoires d’amour. La seule limite est l’imagination des joueurs, leur envie de partage, et leur volonté non pas de s’opposer, mais d’utiliser les antagonismes comme moteur de l’histoire.  

Pour continuer commencer

Il existe d’autres jeux de narration : le grand ancien “Il était une fois”, mais surtout le peu connu “Zombie Cinema” dont le matériel beaucoup plus limité mets l’accent sur une seule chose : recréer un film de Zombie. Contrairement à Winter Tales les règles épurées permettent de ne penser qu’aux scènes. Il est auto-édité et disponible seulement sur le site de son auteur Eero Tuovinen.

On m’a également conseillé “Fiasco” chez Edge, qui bénéficie de nombreux scénarios et donc d’une excellente rejouabilité. Je vous conseille donc l’un de ces deux jeux pour mettre un pied dans le jeu de narration. Nous avons tous des références de films et il est facile de dérouler une histoire cohérente. Il ne sera jamais trop tard par la suite et si vous vous sentez imaginatif d’acquérir Winter Tales.


>> Winter tales la preview

Un jeu de Jocularis, Matteo Santus
Edité par Albepavo, Edge
Langue et traductions : Anglais, Autre, Français, Italien
Date de sortie VF : 11/2014
De 3 à 7 joueurs
A partir de 10 ans
Durée moyenne d’une partie : 90 minutes
Dispo à 45€

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3 Commentaires

  1. Shanouillette 25/11/2014
    Répondre

    Merci pour cette première contribution au vox !

    Et retrouvez Olivier sur les excellents podcasts de proxi-jeux (où j’ai l’honneur de faire une petite intervention mensuelle !).

  2. MeepleGaut 25/11/2014
    Répondre

    Effectivement merci Olivier, et encore bravo pour votre podcast que j’écoute quasi systématiquement sur mon vélo!

    Voilà un jeu que j’ai en ligne de mire depuis un bon bout de temps, dont j’attendais patiemment la VF, mais du coup, vu le CR que tu en fais, j’essaierai quand-même d’y jouer avant de l’acheter.

  3. Fred la loutre 13/01/2015
    Répondre

    Fan de Proxi-jeux, je vais suivre avec intérêt les publications de Mr Olivier

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