Elizabeth Hargrave milite contre l’invisibilité des autrices dans le jeu de société

La mixité dans le jeu de société, et en particulier la visibilité et la place des femmes, voilà un sujet délicat qui revient régulièrement dans nos colonnes parce qu’il nous tient à coeur. J’ai personnellement commencé à m’interroger sur le bikini de mailles dans le j2s avant Ludovox, et vous vous souvenez peut-être de l’article « où sont les femmes ? », ou encore de la mise en lumière du retournement de One deck Dungeon qui ne propose que des femmes en protagonistes (Le jour où je n’ai pas trouvé de perso masculin dans un jeu). À la fin de l’année dernière, nous revenions sur le sujet dans cet Edito (lettre « Y ») pour partager la brillante étude menée par la journaliste Tanya Pobuda qui démontrait combien l’industrie était monopolisée par les hommes. Désormais il ne s’agissait plus d’impressions et de témoignages, les chiffres parlaient d’eux-mêmes. Les auteurs de j2s sont, d’après ces recherches basées sur les datas de BGG, pour plus de 81%, des hommes blancs. Nous avons interrogé des autrices sur le sujet de la représentativité – entre autres questions bien sûr – pour essayer de comprendre (cf itw Annick Lobet ; Nikki Valens…). Le problème de l’invisibilité des femmes est complexe, multiple, avec des racines anciennes, profondes. Il n’est pas réservé au monde du j2s mais il est sain que notre secteur aussi se demande comment faire pour progresser, devenir plus inclusif, plus ouvert, plus représentatif du monde tel qu’il est, sans oublier la moitié de son humanité. Ces questionnements traversent actuellement tous les pans de la société, dans l’art, la recherche, l’histoire, la politique, les médias, tout ce qui forge l’inconscient collectif. 2% des rues françaises portent le nom de femmes. Pas étonnant que l’on s’interroge.    

 

 

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Aussi aujourd’hui souhaitons-nous mettre en avant cette démarche menée par l’autrice de Wingspan, Elizabeth Hargrave, sur son blog. Elle écrit : « En 2018, seuls 7 jeux sur les 200 meilleurs jeux sur le site de jeux de société BoardGameGeek avaient un auteur non masculin impliqué (avec Wingspan ça fait 8.) Mais il y a beaucoup de femmes et de gens non binaires dans les jeux de société publiés. J’ai commencé à dresser une liste et j’ai fini par en avoir plus de 100. Veuillez communiquer avec moi pour me faire part des ajouts et des corrections. » 

 

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Women & Nonbinary Board Game Designers

Elle explique : « Vous voulez soutenir la diversité dans l’industrie du jeux de société ? Parlez de ceux qui font déjà du jeu de société un lieu plus diversifié. Cela aidera les jeunes designers à réussir et à normaliser l’idée que les game designer de jeux peuvent venir de n’importe quel milieu. Si vous êtes invité à faire partie d’un panel composé uniquement d’hommes blancs, faites parvenir quelques noms aux organisateurs. Créez des événements de jeux et de tests de jeux qui attireront de nouvelles personnes ; faites de la publicité auprès du public et tenez-les dans des espaces qui accueillent tout le monde. (…) Aidez les nouveaux designers à se constituer un réseau lors d’événements et de sessions de tests de jeux. Pensez à quel point ce serait intimidant d’entrer dans une pièce où vous vous démarquez visiblement comme étant différent, et essayez de rendre les choses plus faciles pour quelqu’un d’autre. »

Les femmes sont, de fait, moins nombreuses, mais mettre plus en lumière celles qui sont déjà là pourra susciter des vocations et faciliter le chemin. La liste des femmes créée prend soudain tout son sens : il ne s’agit pas d’un recensement, mais d’un véritable carnet d’adresse dans lequel piocher pour étendre le réseau de façon inclusive. Voilà une page à garder en favoris. 

 

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21 Commentaires

  1. Blue 12/04/2019
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    Que ce soit dans le jeu ou autre, j’ai toujours trouvé choquant qu’on précise qu’une oeuvre est faite par une femme ou une personne de couleur alors que pour un homme blanc, on ne le précise pas parce que c’est « Normal ».  Le jour où une femme noire sera responsable du succès de l’année et que personne ne mentionnera qu’elle est une femme ou qu’elle est noire, je pense qu’on aura fait un progrès phénoménal. Vue l’état de notre société, je doute de voir ça un jour.

    En attendant, il faut des initiatives comme celle là et il faut les soutenir, je trouve important que le jeu s’ouvre aux femmes. On trouve de plus en plus de joueuse dans les association, c’est bien qu’on progresse (mais on entend encore des remarques sur les « jeux » pour femmes, j’adore quand ces rigollots se font poutrer par une nana). Faut dire qu’on part de loin dans le jeu (il n’y a pas si longtemps, les tables de jeu étaient à 90% masculines).

  2. tihroflan 13/04/2019
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    C’est vrai qu’il y a très peu de femmes dans ce milieu. A tel point qu’on en est encore à se dire « wouahou, un jeu fait par une femme! C’est cool! » et ça, c’est un peu triste. Je rejoins Blue qui dit que c’est quand ce sera tellement normal qu’on ne le mentionnera plus que la « bataille » sera gagnée.

    Mais ceci dit, je suis allé sur le blog, et elle a fourni un travail de titan, à répertorier toutes ces femmes game designers O_o.

    Sinon (c’est une vraie question, pas du troll, promis) qu’est-ce qu’elle entend par « gens non binaires » ? Parce que (enfin de mon point de vue) si elle parle des transsexuels, ça reste quand même binaire. Non ?

    • Jules 16/04/2019
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      Il n’y a pas de mal à poser la question, et c’est même plutôt sain que de chercher à s’informer 😉
      Non-binaire, désigne des personnes qui ne se définissent ni en tant qu’homme, ni en tant que femme, mais soit en un mélange des deux, soit en rien de tout ça.

  3. Renaud Daulie 15/04/2019
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    Personnellement je me moque qu’un jeu soit créé par un homme, une femme, un blanc, un noir ou un dalmatien. Je veux que le jeu soit bon. Dans le monde du JdS il n’y a pas plus de sexisme que de jeu édités créés par des femmes.

    Faut-il lus de jeux créés par des  femmes ? Non je m’en fous royalement. Tout autant que s’il y en avait plus voire une majorité. Le militantisme féministe, quand il vire au délire des quotas et de la dénonciation de la société patriarcale qui s’insinuerait partout pour saboter le génie bafoué de celles qui ne sont pas éditées, est juste un délire.

    • fouilloux 15/04/2019
      Répondre

      Tiens, je pensais pas que ça arriverait si longtemps après la publication de l’article…

      Je crois qu’ici personne ne parle de quota. On fait une observation, simple, factuelle: la très grande majorité des auteurs de jeux édités sont des hommes blancs. Pourquoi donc? S’il n’y a pas de sexisme dans le monde du JdS qu’est ce qui l’explique? Pourquoi donc les femmes ne sont elles pas plus éditées que les hommes?

       

      • Djinn42 21/04/2019
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        Dans le domaine de la création les femmes ont une bonne place dans la littérature ou la musique par exemple.

        Encore que pour la musique on est pas encore complètement sorti du schéma « chante bien mais surtout soit belle ».

        Qu’est-ce qui explique ce retrait dans le jeu ? Je ne pense pas qu’il y ait un frein côté éditeur. D’autant que des auteurs femmes auront certainement des approches différentes et apporteront de l’originalité là où les hommes seront plus prévisibles. On l’a vu dans les problématiques côté scénario de comics aux USA.

        Je pense simplement qu’il y a un grand désintérêt de la création de jeu chez les femmes actuellement. Ca va certainement se développer avec l’élargissement du jeu dans la société. Question de génération.

        D’ailleurs la question est exactement la même côté auteurs issus de l’immigration j’imagine. Une précision manque dans l’analyse d’ailleurs, c’est une suprématie des hommes blancs et scientifiques. Comme quoi le sexe et la couleur ne sont pas les seuls critères déterminants.

        Je retrouve cette disparité parmi mes élèves. La majorité de mes bons élèves de collège sont des filles. De manière écrasant (3/4 – 1/4). Plus sérieuses, plus travailleuses, plus posées.

        Arrivé à l’IUT je n’ai que deux filles pour une promo de 56 garçons dans un DUT scientifique (Réseau et Télécom). Et c’est pareil partout dans le supérieur en mathématiques. Alors qu’on trouve une grande féminisation des enseignants (maths comprises). On ne peut pas dire qu’il y ait un barrage aux femmes dans le domaine.

        Appétence ?

  4. Tuin 15/04/2019
    Répondre

    Titre à mettre à jour : Elizabeth Hargrave ne milite pas, elle agit.

  5. Paresha NOSSIN 15/04/2019
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    Quoi E. Lang est noir !!!!! :P… heureusement sa n’a jamais été précisé ^^D

  6. Hebus 16/04/2019
    Répondre

    Histoire de ne pas le laisser tout seul, je rejoins Renaud dans son analyse. Dire que la société globale, au sens mondial, a un problème de parité, c’est un fait incontestable.  Dire que le JdS en a un, c’est amha assez inexact. Il suffit de venir voir les queues des auteurs de protos devant la porte des éditeurs dans n’importe quel salon professionnel pour voir que les femmes sont quasi inexistante. Du coup, logique que leur jeux publiés le soient tout autant.

    Pourquoi y a-t-il moins de femmes qui présentent des protos, ça c’est une bonne question, mais ce n’est certainement pas la faute du milieu du JdS ni là où il faut chercher la réponse.

    J’aime les femmes, j’approuve vigoureusement la parité, mais pas quand elle est érigée en dogme, et ce quel que soit le domaine. Je suis pour que les gens méritant obtiennent ce qu’ils cherchent, quel que soit leur sexe/religion/whatever. Par contre dire « ben dans tel truc il faut forcément faire du 50/50 », c’est totalement con. Et je peux le prouver : figurez vous que de nouvelles études sont venues confirmer un chiffre effrayant, 100% des enfants du monde naissent d’une femme! 😉

    • fouilloux 16/04/2019
      Répondre

      Sauf que personne encore une fois ne demande de quota, ni e parité. Ca c’est répondre à des arguments que personne ne formule.

      Maintenant je ne comprend pas : les femmes sont beaucoup moins représentées, à tous les niveaux, pour ce qui est de la création. Mais il n’y aurait pas de problème de sexisme. Je ne comprend juste pas. Attention, je ne dis pas que les éditeurs font de la discrimination. Mais on est obligé de constater qu’il existe une barrière, à un niveau ou un autre, qui freine les femmes dans la démarche de créatrice de jeu. C’est vrai pour le JdS, mais aussi dans d’autres domaines bien sûr. Si la société a un problème e parité et de reconnaissance, pourquoi diable le JdS en serait préservé.

      Et quelque part, vous illustrez parfaitement le problème avec vos réactions: nous avons ici une femme qui a remarqué que les femmes autrices étaient peu mises en avant et peu nombreuses. Elle pense que cela peut freiner leur envie de créer (ce qui est quand même sacrément cohérent tant l’identification joue un rôle dans les comportements) et donc propose une page pour les mettre en avant. Point. C’est tout. Elle ne demande/fait rien de plus. Or, pour vous, c’est déjà trop. Vous en êtes déjà à caricaturer la démarche en prétendant qu’on voudrait instaurer des quotas. Ce qui n’apparait nulle part dans l’article, ni ailleurs d’ailleurs.

      Ensuite, interroger les femmes joueuses de JdS, et vous verrez si elle n’ont jamais eu de soucis de parité en jouant. Même si chacune d’elle n’a qu’une seule anecdote à raconter, c’est déjà trop, car nous hommes, n’en avons tous aucune.

      • Radical 17/04/2019
        Répondre

        « Ensuite, interroger les femmes joueuses de JdS, et vous verrez si elle n’ont jamais eu de soucis de parité en jouant. Même si chacune d’elle n’a qu’une seule anecdote à raconter, c’est déjà trop, car nous hommes, n’en avons tous aucune. »

        Je comprend pas cette phrase … un soucis de parité en jouant ?

        • fouilloux 17/04/2019
          Répondre

          C’était mal exprimé en effet, remplace par « si elles ont déjà eu à faire face à des comportements sexistes » 🙂

  7. Tasslehoff 16/04/2019
    Répondre

    Si j’ai compris de quoi il s’agit, le but de la démarche de cette Dame, c’est de mettre en lumière les rares (même si on voit qu’elle arrive à en lister pas mal) femmes actrices de ce secteur d’activité, pour que les acteurs masculins n’hesitent pas à les démarcher afin de leur dire qu’elles sont les bienvenue.

    Je suis pas sûr d’avoir vraiment compris en faite. Mais pour moi, cette industrie est plutôt récente, et si il y a si peu de femmes,  j’ai du mal à voir autre chose qu’un manque d’envie de leurs part. Beaucoup de petites maisons d’editions ou d’auto-edition se sont monter, combien par des femmes ?

    De même du côté des auteurs, j’ai pas souvenir d’avoir vu passer des autrices dans les nombreuses règles que j’ai reçu à l’epoque.

    • fouilloux 16/04/2019
      Répondre

      Le but de la démarche je pense c’est simplement de dire « eh, tu es une femme, bin toi aussi tu peux être autrice de jeux de société. Pour l’instant on est pas très nombreuses, mais on est déjà quelques unes, alors pourquoi pas toi. »Je pense que ce que nous homme avons du mal à comprendre, c’est que depuis qu’on est gamins, on est abreuvé d’exemple de figures masculines qui essayent, qui réussissent, qui sont présents dans tous les domaines. Ce n’est pas le cas pour les femmes, c’est même l’inverse (« toi la princesse, tu attends bien sagement que ton prince vienne te chercher parce que toute seule tu y arriveras pas ») et ça joue assez fortement sur la confiance qu’elles ont en elles. Les études sur les jeunes enfants sont hallucinantes quand on voit comme ce manque de confiance en soi et ce sentiment d’être moins compétentes que les garçons arrive hyper vite chez les fillettes. Du coup, rien que montrer que oui, il y a des femmes qui font ça, qu’elles sont très talentueuses en plus (coucou Charlotte F.), bin c’est à mon avis déjà hyper important.

      Après je me tais, je suis certain qu’il y a plusieurs femmes qui t’expliqueront tout ça mieux que moi.

      • Shanouillette 17/04/2019
        Répondre

        Tu l’expliques parfaitement – et c’est quelque part rassurant de voir un homme l’expliquer. 🙂 L’importance de l’identification est clef. Les femmes ont très longtemps été écartées (pour faire court) des milieux de la recherche et de la création tant et si bien qu’il faut un certain esprit « pionnier » pour s’autoriser ce genre de démarche dans un certain nombre de milieux, même aujourd’hui, les chiffres et les témoignages parlent d’eux-mêmes. Montrer que ça existe, que c’est possible, que c’est ok, que tu seras pas « la seule femme » (imaginez vous faire un boulot/activité où vous êtes le seul/premier homme dans la salle) ça aide juste à se sentir à sa place, à se sentir aussi légitime que les autres, à prendre confiance et à persévérer. (+ Ça ouvre la voie pour d’autres). Comme tu le dis c’est une construction psychologique profondément ancrée, avec des générations de femmes qui devaient « rester à leur place » (au foyer) tandis que les hommes devaient faire, eh bien, tout le reste. Les choses évoluent bien sur mais il reste du chemin. Le seul but de la démarche ici c’est au fond de dire « regardez, vous êtes créatrices ? vous êtes les bienvenues ! ». Ça devrait être rien mais ça ne l’est pas en fait. (Il suffit de voir les levées d’objections).

        • Umberling 17/04/2019
          Répondre

          Sur ce biais de représentation, on avait un article sur la sur-représentation des modèles masculins dans le jeu ici, et ce que ça fait de s’en rendre compte.

          Je rejoins @fouilloux et @Shanouillette sur ce propos : l’univers du jeu est tout de même violent et pas tendre avec la gent féminine (je pense qu’on connaît tous une histoire de femme harcelée par un gros relou en soirée jeux/café jeux), alors se sentir représentée dedans, c’est pas gagné. Si des initiatives comme ça peuvent susciter des vocations, j’en suis. Sans aller jusqu’à l’affirmative action légale (ou discrimination positive), les acteurs et actrices du monde du jeu peuvent bien faire ce pas supplémentaire vers l’égalité. Et les acteurs (hommes) n’ont pas tellement leur mot à dire là-dessus, si vous voulez mon avis.

      • Tasslehoff 17/04/2019
        Répondre

        Ok, j’avais en tête le frein du « la place est occupé par les hommes, je vois pas comment faire ma place » d’ou mon passage sur industrie récente, qui me faisait dire, qu’il y avait encore plein de place à prendre. Effectivement, je ne pensait pas au modèle à suivre (c’est aussi que pour ma part, j’ai pas de modèle).

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