Forgotten Waters – la frégate s’amuse

 

Forgotten Waters est un « Crossroad game » de Mr. Bistro, J. Arthur Ellis et Isaac Vega. Ce dernier est co-auteur de Dead of Winters, un autre jeu du type « Crossroad game ». Il s’agit de jeux narratifs semi-coopératif dans lesquels tous les joueurs auront un objectif commun ainsi qu’un objectif personnel.

 

Que diable allait-il faire dans cette galère ?

Dans Forgotten Waters nous incarnons des pirates, dans un monde un peu magique, peuplé de kraken, sorcières et autres créatures imaginaires. En début de partie chaque joueur va compléter une fiche de personnage avec cinq mots clé de son choix. Cette fiche indique en premier lieu l’histoire de votre personnage, son passé et ses motivations : pourquoi il se retrouve là, sur ce bateau de pirates. Ce texte se veut humoristique mais il tombe parfois à plat : l’utilisation répétée des cinq mots clés pour former des phrases un peu décalées est un peu raté, et pas si drôle au final.

 

Verso de la fiche perso : le background du personnage à compléter et les événements personnels qui se déclencheront en cours de partie.

 

La fiche de personnage indique surtout une constellation, qui représente l’objectif personnel du pirate. Selon le nombre de cases « ! » remplies en fin de partie, sa destinée se finira : mal/bien/glorieusement, avec trois paragraphes d’épilogue différents. Mais il faut au préalable arriver au terme du scénario, objectif commun qui réunit les joueurs. Comme bon nombre de jeux coop, il existe une seule manière de gagner, mais il y en a plusieurs pour perdre (que le niveau de coque du navire tombe à zéro par exemple, ou devoir lire le cinquième et dernier paragraphe menace).

 

Fiche personnage : les trois conclusions possibles et la constellation à cocher pour atteindre lesdites conclusions. En dessous, les 6 pistes de compétences sur lesquelles on peut progresser.

Prendre le large

Forgotten Waters est un jeu qui va vous raconter une histoire (ou plutôt cinq, puisque la boite se  compose de cinq scénarios indépendants de difficulté variable), et la narration est portée par une page web. Il faudra donc avoir un smartphone/tablette/ordinateur sous la main pour y jouer. Tout au long de la partie, les joueurs seront amenés à lire à haute voix ce qui arrive à l’équipage. Il est possible de jouer hors ligne (dans une grotte ou au milieu de l’océan), mais si vous avez un accès internet, vous aurez la possibilité d’écouter le texte interprété par des actrices et acteurs, accompagné des bruitages typiques des films de pirate (cri des mouettes, tirs de canon, bois du navire qui grince). Je vous recommande vivement d’écouter la piste audio, les acteurs sont franchement doués, les dialogues souvent hilarants, et la bande-son participe à l’immersion dans l’univers de pirates. 

Certains bouts de texte font avancer l’histoire principale mais souvent, un joueur aura à faire un choix, suite à un événement loufoque (par exemple : « vous découvrez qu’un de vos camarades d’équipage se cache pour lire des livres de développement personnel. Que faites vous ? Allez-vous lui parler ou le laissez-vous tranquille ? »). S’en suivra un paragraphe vous indiquant les conséquences pour vous (récompense ou pénalité). Chaque scénario a une certaine rejouabilité puisque les événements rencontrés (liés aux tuiles lieux piochées) et leurs récompenses sont différents. Vous pourrez par exemple croiser un personnage faisant fortement penser à Gollum, ou alors tomber sur une allusion à peine cachée au film Titanic. La trame principale du scénario reste toutefois toujours la même, et vous aurez donc toujours à passer par les mêmes lieux-clés, et affronter les mêmes adversaires ou quêtes. Les récompenses/pénalités que vous recevez sont soit des ressources, soit des cartes compétences/pouvoir (parmi un deck d’une centaine de cartes), offrant là aussi un léger renouvellement si vous décidez de rejouer un scénario.

 

Quelques trésors que vous pourrez trouver.

Selon votre personnage ou selon le scénario, pour pourrez récupérer certaines cartes Histoire spécifiques.

 

Le cœur du jeu réside dans un livre plateau, comme dans Almanac, Near and far ou Histoires de peluches (ce dernier est édité par Plaid Hat Games, tout comme Forgotten Waters et Dead of Winters, déjà cité plus haut). Au cours de leurs aventures, les joueurs visiteront différentes doubles pages du livre. À gauche une magnifique illustration, et à droite les emplacements avec les actions disponibles. Chaque zone a un titre et quelques icônes qui donnent une idée de la compétence testée et des récompenses éventuelles. Les joueurs ont ensuite 40 secondes pour se placer sur les différentes zones, selon leur position dans l’ordre d’initiative (appelée piste d’infamie dans le jeu). Le jeu étant coopératif, il faudra vite se coordonner, mais les premiers sur la piste d’infamie auront parfois envie de la jouer perso pour progresser en compétences et avancer sur leur objectif personnel.

 

Vous n’aurez pas le temps de lire ce que font exactement les actions. Fiez vous à leurs noms et aux icônes indiquées à gauche.

Notre figurine bateau se déplace en fonction des actions des joueurs. Les tuiles lieux numérotés piochées au hasard créent des péripéties différentes d’une partie à l’autre. Les îles correspondent à un scénario donné.

 

 

Les actions disponibles dépendent du lieu où l’on se trouve : en mer, sur la terre ferme, en combat. On pourra ainsi gagner des trésors (compétences/pouvoir) aux noms amusants, de la nourriture (sur une piste collective), améliorer son niveau sur six pistes de compétences, monter (ou baisser) sur la piste d’infamie, réaliser des tests de compétences.

 

Pistes collectives de provision, grogne/équipage et menace avec l’étape en cours du scénario.

Pistes de la coque du bateau, canons et cadrans relatifs aux combats et piste d’infamie (=initiative).

 

Dieu ne joue pas aux dés… mais les pirates, si !

Tout au long de la partie les joueurs vont gagner des niveaux de compétences qu’ils vont noter sur leur fiche de personnage. Ceci leur permettra d’avancer dans leur constellation et atteindre les fameuses cases « ! » qui définiront leur niveau de réussite de destinée. Mais améliorer ses niveaux de compétences sert aussi à augmenter ses probabilité de réussite aux tests, que le ou la pirate devra réaliser avec un D12. La valeur à prendre en compte étant la somme du lancé, du niveau de compétence sur la fiche perso et des icônes compétences apportées par les trésors. Chaque test a habituellement trois intervalles de résultats qui définiront la récompense ou pénalité remportée. Parfois il s’agira de trois paragraphes différents à lire ou écouter. 

 

Jeton relance et jeton malchance. Ce dernier impose de lancer deux dés et garder le plus faible.

 

Au moment de la répartition des tâches (chrono de 40 s), les joueurs n’ont pas le temps (et ne doivent pas !) lire le détail des résultats des tests, ce qui participe au joyeux chaos lors du choix de l’action où l’on place sa figurine. Les icônes indiquent quand même le type de test qui sera réalisé, d’où l’utilité de laisser quelqu’un de suffisamment compétent se placer au bon endroit, car parfois il faudra faire un score de 14+ (irréalisable juste avec un D12) pour atteindre le palier de réussite.

Les actions sont réalisées du haut vers le bas de la page, puis le paragraphe de fin de round est lu : lecture des paragraphes Menace, changement de page du livre si les pirates se sont déplacés, lecture des événements Constellation (« ! ») pour celles et ceux qui l’ont atteint. 

On enchaîne ainsi les rounds (placement des figurines sur les actions en moins de 40 s et résolution des actions) jusqu’à la fin de la partie. Celle-ci dure environ 4 heures (sauf s’il y a une condition de défaite plus tôt), mais le jeu propose un point de sauvegarde à peu près à la moitié du scénario (les joueurs peuvent naturellement s’arrêter à un autre moment s’ils le souhaitent). Il leur faudra noter sur une fiche dédiée, la situation (trésors, emplacement du bateau, niveau des différentes pistes collectives). Ça a le mérite d’exister, mais c’est un peu pénible et nous avons donc préféré jouer la partie complète en une seule fois (aussi pour ne pas oublier l’histoire et ce qu’il fallait faire pour continuer à avancer dans la réalisation de l’objectif du scénario).

Un long voyage

Le jeu est annoncé pour 3 à 7 joueurs, mais il y a une variante pour jouer à 2 ou même en solo. Les différences en termes de règles sont assez minimes, si ce n’est que l’on perd le coté chafouin de prendre ou se faire prendre l’emplacement visé selon sa position sur la piste d’infamie. Que ce soit à un ou à quatre, mes parties ont durée environ 4 h. Notre partie à 7 a duré plutôt 5 h 30. Lors de cette dernière, nous avons atteint la fin du scénario, mais aucun des joueurs n’avait eu le temps de débloquer son final glorieux. Autrement dit, nous nous sommes tellement concentrés sur la réalisation du scénario que nous n’avons pas assez avancé sur notre objectif perso. Tout le contraire de notre première partie, que nous avions perdue (bateau coulé) mais en ayant quasi tous débloqué le dernier palier de notre objectif personnel. Je conseillerai donc de jouer à Forgotten Waters à 5 joueurs au maximum, pour ne pas risquer de se retrouver dans la même situation que notre partie à 7 et pour une durée de partie un peu plus courte. D’ailleurs, il me semble que 4 h pour un jeu de ce type est un peu trop long. L’histoire est intéressante, mais mécaniquement les rounds se répètent un peu. Il aurait été préférable avoir plus de scénarios mais d’une durée de 2 h 30-3 h.

Météo imprévisible

Comme vous avez pu le comprendre, même s’il y a une petite phase de placement d’ouvrier, on est très loin d’un eurogame cérébral. L’aspect « choix en temps limité », l’aléatoire des lancers de dés et les textes humoristiques font pencher le jeu du coté narratif-fun, mais il faudra quand même que l’équipage réfléchisse un minimum et se coordonne correctement pour mener sa barque à bon port et terminer le scénario.

Forgotten Waters a la qualité d’oser s’aventurer sur un terrain peu exploré jusqu’à présent. Le mélange des genres (narratif/semi-coopératif /placement d’ouvrier/chaotique) pourra ne pas convenir à tout le monde, mais l’expérience ludique mérite d’être tentée au moins une fois.

Signalons enfin la qualité d’écriture et l’originalité des histoires, riches en rebondissements (notamment dans « Mort ou vif »), et la présence de nombreux personnages de femmes pirates, à laquelle je ne m’attendais pas, vu la représentation habituellement exclusivement masculine dans les films/romans de pirates (*).

(*) Comme contre-exemple, nous avons (entre autres) dans le secteur ludique, Jamaica et Madame Ching qui ont mis en avant trois femmes pirates ayant réellement existé.

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