Biotopes : Une graine semée dans le jardin ludique

On ressent dans l’opinion publique un besoin de reconnexion à la terre, de préserver le vivant, la biodiversité. Évidemment, ce terreau favorable pour les thèmes liés à la nature prolifère dans nos jeux de sociétés. Wingspan est un précurseur et plusieurs extensions ont pris leur envol, et le succès ne démord pas. Ark Nova, le jeu de Mathias Wrigge distribué en France par Super Meeple a remporté l’As d’or Expert. Sans oublier Earth qui a fait le buzz sur le festival de Cannes. Biotopes est une création de Sébastien Castano édité par Palladis Games, un nouvel éditeur qui a éclos dans le monde du jeu. 

Pour l’éditeur, il était plus cohérent avec son thème naturel de produire son jeu en France. Une démarche éditoriale qui m’a particulièrement marqué, cela a du sens, même si ça n’a pas été sans créer quelques ondulations dues au coût de la production engendrée par un tel choix.

Autres jeux avec le thème de la nature

 

Survie en milieu hostile

Biotopes nous propose de développer notre écosystème et d’occuper le plateau central qui représente le paysage constitué de différents biotopes : montagnes, zones humides, forêts et prairies.

 

 

Nous allons utiliser les ressources naturelles, au début des plantes, pour jouer des cartes qui vont nous permettre de poser d’autres espèces qui à leur tour vont croître et se multiplier et peut-être finir dans le ventre d’une autre espèce, qui finira sans doute elle aussi dans l’estomac d’un plus gros carnivore etc. La chaîne alimentaire, c’est l’histoire de la vie, ce cycle éternel…

Au-delà de la poésie que nous inspire le jeu, nous sommes dans une course aux points de victoire, nous allons construire notre moteur de jeu, et marquer des points selon des objectifs définis au début de la partie quant à l’occupation du territoire et au développement de nos espèces, mais aussi selon certaines de nos cartes. Tout cela en 6 manches de jeu (5 dans la version avancée).

 

 

On met les mains dans le camboui, la terre

En début de partie, on va placer chacun notre tour un jeton territoire sur un des hexagones, on devra en avoir sur chaque type de territoire. Ce qui va nous donner un cube de couleur par territoire que l’on va placer dans nos biotopes respectifs. À notre tour, on va pouvoir jouer un ou plusieurs cubes pour réaliser nos actions, il en existe sept et à l’exception d’Adaptation (placer une nouvelle carte dans notre tableau), on ne peut les réaliser qu’une seule fois par manche. Je ne vais pas entrer dans les détails, d’autant qu’à la première manche, on va être un peu limité à l’expansion et l’adaptation, enfin tout dépend des cartes que l’on va jouer.

Je vais commencer par m’étendre et coloniser le territoire, je prends un cube présent sur une carte plante, et je colonise un territoire correspondant au cube dépensé, et je place au passage un de mes jetons territoires, ça y est mon écosystème se développe. Je place un nouveau cube de la couleur du territoire conquis dans mon sac.

 

L’adaptation, c’est tout simplement jouer des cartes. Pour poser mes mignons petits lapins, j’ai besoin de plantes (c’est leur régime alimentaire), deux cubes de plantes que je vais dépenser en les glissant dans mon sac, tout simplement, désormais j’ai une colonie de lapins qui s’installent dans mes prairies. Et je pose un cube jaune sur ma carte Lapin qui pourrait me servir pour poser une carte, comme ce rapace qui se repaît de petits mammifères. Quand j’ai dépensé tous mes cubes, je passe. Quand tout le monde passe, on commence une nouvelle manche.

 

 

L’affaire est dans le sac (soupe primordiale)

Désormais, je vais piocher autant de cubes que j’ai de jetons Territoire sur le plateau. Comme j’ai colonisé un nouveau territoire, j’en pioche un de plus qu’en manche 1. Vous comprenez donc qu’il y a une dimension bag building, il va être primordial de gérer son sac au mieux.  On va tenter aussi de proliférer, et de faire reproduire nos espèces. Pour chaque cartes avec deux cubes, vous assisterez à la naissance d’un petit cube grâce à l’action reproduction, oh comme c’est mignon ^^

 

 

Les cartes espèces que l’on va placer dans notre tableau de cartes vont aussi nous donner des bonus, des effets en plus des espèces, comme piocher un cube dans notre sac (pratique), ou piocher une carte quand on réalise telle ou telle action, tout cela afin de construire notre moteur de jeu.

Les cartes à piocher sont divisées en trois piles, les Herbivores comme mes lapins de Garenne, les Insectivores, plus difficile à placer que les premières, mais elles ont le bon goût de donner un point de victoire, et oui on en oublierait que l’on ne concours pas pour la gloire, et les dernières sont tout en haut du règne animal, les carnivores. 

Puisque l’on parle des cartes, je l’avais déjà évoqué dans l’article de Cannes, on pioche les cartes au hasard mais dans la pile que l’on souhaite. Sur ma partie de test, cet aléa ne m’avait pas dérangé outre mesure, ça fait partie du jeu et ça reste thématique. D’autant que ça évite de passer trop de temps à lire les cartes, pour une première partie c’est pas gênant. Mais en connaissant mieux le jeu, j’étais un peu moins philosophe, c’est assez agaçant de devoir attendre un type de carte (un oiseau qui permettrait de faire l’action migration par exemple), et de ne jamais le voir même en piochant beaucoup. Nous avons contacté l’auteur qui nous a dit que suite aux nombreux retours dans ce sens, ils avaient modifié la règle, proposant désormais une rivière de cartes qui va amoindrir ce hasard.

 

L’homme est un loup pour l’homme

Si lors des premières manches on va tranquillement (comprendre dans notre coin) construire notre moteur de jeu, les suivantes, et surtout les dernières, peuvent être plus tendues. Le terrain est limité et les places sont chères, on va donc jouer des coudes (crocs) et utiliser l’action de compétition pour gagner du territoire, et tenter d’en faire perdre aux autres.

L’action de compétition ne peut être réalisée qu’une fois par manche, et que l’on peut se replier sur un autre hexagone à moins que l’on ne soit bloqué, alors malheureusement, notre espèce est en danger… C’est un élément à prendre en compte, car perdre un cube revient potentiellement à perdre des actions, et cela peut avoir un effet boule de neige qui peut être difficile à rattraper. De plus, en fin de partie ça peut coûter cher de se faire déloger des territoires qui marquent des points, ou pire diviser notre territoire en deux ce qui occasionne des points négatifs.

 

 

Démarche éditoriale

Avec ce projet, l’éditeur sort des sentiers battus, il ne s’agit pas pas d’un financement participatif à proprement parler, mais plus une campagne de précommande. Une fois celle-ci terminée, la production sera lancée dans une usine française, et le jeu trouvera le chemin des boutiques fin mai. Soit deux mois plus tard. Les financeurs auront une version améliorée. Nous avons contacté Josselin Moreau, cofondateur et CEO de Palladis Games, qui nous disait qu’ils étaient en train de nouer des partenariats avec des boutiques, afin d’en faire un maillon essentiel de la chaîne. Par conséquent, d’ici la fin de la campagne, de nombreuses boutiques vont le précommander, et il suffira de glisser le mot à votre crémier habituel de vous en réserver un pour économiser les frais de port. 

 

 

Le jeu est produit en France, avec uniquement du bois et du papier, aucun sachet en plastique mais uniquement des sachets en tissu (qui viennent d’un peu plus loin eux) qui servent durant le jeu, mais peuvent aussi abriter les composants. Ce qui a pour conséquence de faire gonfler le coût. Le jeu sera vendu en boutique autour de 55 €, ce qui peut faire tousser un peu, surtout au regard d’un jeu comme Ark Nova qui est à peine plus cher, mais avec un matériel bien plus abondant et qualitatif, jetons plus épais, cartes plus grandes etc.

Déjà, je n’aime pas réduire le prix d’un jeu à son matériel, je peux comprendre que ce soit important pour nous joueurs, mais c’est aussi une création de l’esprit. Il y a un auteur qui a une formation de naturaliste d’ailleurs, un illustrateur (une illustratrice ici), un directeur artistique, et du travail de développement et parfois des personnes annexes (consultant et autres). C’est aussi cela que l’on achète, pas uniquement du papier fut-il aux normes PEFC, ou des cubes en bois colorés venant de forêt autogérée.

 

Pour terminer la comparaison avec Ark Nova, on pourrait aussi arguer que celui-ci propose des photos en guise d’illustration, tandis que les cartes de Biotopes ont bénéficié du talent d’une illustratrice, Alizée Favier, ce qui a un coût plus conséquent que de faire appel à une banque d’images sans doute.

Néanmoins, il faut savoir ce que l’on veut, des produits ultra léchés, mais avec une empreinte carbone importante, ou bien des produits certes plus chers mais qui font appel à de la main d’œuvre locale et qui sont bien moins voraces en énergie. Les ressources ne sont pas illimitées dans notre monde fini, on n’a qu’une planète, sur laquelle on ne fait qu’un court passage… 

Le nouvel éditeur Palladis a fait son choix pour offrir au public une proposition d’un jeu qui soit produit en conscience et en adéquation avec son thème. Parler des écosystèmes et les respecter au mieux. Il faut dire que Palladis, tout récent qu’il soit, a été fondé par des acteurs du milieu du jeu de société, qui ont souhaité apporter une démarche à contre pied de l’écosystème ludique.

Après toutes ces considérations matérielles et éditoriales, revenons au jeu.

La mécanique est élégante, et, une fois que l’on a compris les règles, bien écrites au demeurant, on sait jouer. Même si la mécanique est originale et pour le coup pas vraiment intuitive, au début il y a des ratés, il faut un peu de temps de prise en main. Biotopes pourrait nous laisser croire que l’on est dans un jeu familial, considérez le plutôt comme un Initiés : il faut anticiper, optimiser, gérer son sac, c’est loin d’être évident. Le timing est à maîtriser, la compétition avec les autres joueurs est impactante. Le jeu possède une bonne profondeur avec sa version avancée par exemple, il est ingénieux, élégant, solide à la fois. Préférez y jouer à deux ou trois pour le découvrir, au risque que la partie découverte soit un peu longue.

On a envie d’applaudir la démarche, qu’elle fasse tache d’huile, que la graine essaime, qu’elle inspire d’autres éditeurs de l’écosystème ludique. On n’oublie évidemment pas Opla qui a ouvert cette voie il y a pas mal d’années déjà en produisant ses jeux en France.

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10 Commentaires

  1. cottrant 16/03/2023
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    Très bel article ….ça fait du bien !

    • atom 17/03/2023
      Répondre

      Merci beaucoup,
      J’avais surtout envie de aprler de la démarche éditoriale, et j’espère qu’il y a de la place pour des projets comme ça. Quoique l’on pense du jeu ensuite.

  2. Umberling 16/03/2023
    Répondre

    Le jeu ne manque pas de bonnes idées et il est superbement illustré, mais j’ai peur quant à son prix (tu en as justement parlé, et parlé justement). Par contre, j’ai eu de la peine à être séduit par le bagbuilding et la conquête, que j’ai trouvé poussifs et trop « mous » : on paie un cube d’un terrain pour le conquérir pour, par la suite, pouvoir investir ce territoire plus avant. Cette inertie au démarrage m’a grandement frustré, et je crois que j’aurais largement préféré quelque chose de plus direct. De la même manière, certaines cartes semblent prohibitives à l’achat ; j’ai eu l’impression qu’un tas de carottes me pendait devant le nez, mais que tout était hors de portée.

    • atom 17/03/2023
      Répondre

      Certes on paie un cube mais on récupére aussi un cube du territoire que l’on vient de coloniser. J’aime bien ce bag building qui nous pousse aussi a ne pas utiliser toutes nos actions, en garder pour la manche suivante.

      • Umberling 20/03/2023
        Répondre

        En théorie oui, en pratique, sur 6 (ou 5 !) manches, faut se lever tôt pour pas se planter. Sachant que tes cubes peuvent être bloqués sur des espèces pour marquer des points ou activer leurs pouvoirs, aussi… Y’aurait eu deux trois manches de plus, j’aurais pas moufté.

  3. Bastien 16/03/2023
    Répondre

    Ça me rassure quand je vois le commentaire d’Umberling.

    J’ai pu faire un bout de partie au FIJ. Intrigué, je repars avec une boîte.

    Après trois parties dont la dernière en initié, je fais le même constat : le jeu n’est pas fini.

    Pas de rivière, on subit la pioche alors que le scoring nous incite à se diversifier.

    Justement pour le scoring : on défausse toutes les cartes animaux sans cubes dessus – alors qu’on a peiné toute la partie à poser un certain type – contradictoire.

    Et parlons de l’icono : entre prendre un cube sur une plante ou un animal pour faire l’action ce n’est pas toujours clair.

    Essayé avec 3 personnes differentes et ça n’a pas pris a chaque fois.

    Bref un jeu pas fini pour moi, surtout au vu de son prix.

    • atom 17/03/2023
      Répondre

      Bonjour,
      Concernant la pioche je suis d’accord, sur ma première ça m’as pas gêné, car ça permettait d’avoir un jeu certes moins contrôlable, mais on gagnait en temps et s’il fallait lire 3 riviére de cartes on y était encore. Maintenant en rejouant c’est évident que cette frustration ne sert pas le jeu et les rivières sont obligatoires. Ce truc de défausser les cartes animal je conçois que ça soit frustrant, mais c’est aussi pour éviter de poser des cartes pour poser des cartes. J’ai aussi joué avec plusieurs personnes et on a tous plutôt apprécié. Mais j’entends que ça puisse ne pas plaire. Le prix du jeu j’en ai longuement parlé.

  4. LordLudo 18/03/2023
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    Ben, le vrai sujet n’est-il pas surtout que tout cela a déjà été fait, en mieux et il y a longtemps, par l’indétrônable et génial Dominant Species ?… Pour le coup et avoir testé Biotopes, en étant grand fan de ces jeux type « 4X darwinien », il n’y a aucune révolution et ça reste tellement moins riche et moins élégant que son modèle, qui traitait les mêmes problématiques avec une économie de moyens juste dingue…

    • atom 19/03/2023
      Répondre

      On ne peut pas comparer un jeu « initié » à un jeu expert aussi lourd que Dominant Spécies. Au passage Dominant Spécies ressort en français 🙂

      • LordLudo 19/03/2023
        Répondre

        🙂 Je considère DS ni comme un jeu véritablement « expert », ni « lourd » ; tu veux sans doute dire qu’il peut être un peu long (mais selon mon expérience, on parvient souvent à rester autour d’1h/joueur), mais les règles sont très simples et le tour de jeu est très processé et guidant ; les joueurs casual peuvent parfaitement entrer dedans en étant un peu accompagnés au départ. … Et par ailleurs oui, j’ai bien la nouvelle version dans le viseur 😉 ! C’est juste ce qui manquait à ce jeu, un petit coup de pimp up, car la DA était vieillissante (mais toujours hyper fonctionnelle).

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