Autobahn : L’autoroute du soleil

Le jeu de société permet toutes les extravagances. Il s’y côtoient des thèmes ultra “bankables” et d’autres bien plus terre à terre. Et si on construisait le réseau autoroutier allemand après guerre ? C’est le défi que Fabio Lopiano et Nestore Mangone se sont imposés avec Autobahn chez Alley Cat Games distribué en français par Intrafin. On notera avec un peu de malice le côté incongru et décalé que ce thème soit proposé par deux éminents représentants de la fameuse école italienne. Depuis Calimala, je surveille de près les créations de Fabio Lopiano – ici accompagné de Nestore Mangone.

École italienne qui nous a déjà gratifiés de jeux comme Tzolkin, Wendake, ou encore dernièrement Darwin’s Journey ou Zhanguo qui va ressortir bientôt. Des Eurogames très cérébraux (des Neurogames ? ^^) qui demandent souvent une lecture du jeu avant de se lancer, le hasard étant limité à sa portion congrue.

Il est vrai que ce n’est pas le thème le plus sexy, mais l’eurogamer en goguette frétille pas mal à l’énoncé du pitch, d’abord parce que la fameuse Autobahn, on l’emprunte pour aller faire notre petit pèlerinage annuel à Essen, mais en plus on retrouve les bases du jeu de train, un genre qui est plutôt apprécié. J’avais lu le journal d’auteur sur BGG et plusieurs éléments m’avaient intrigués. 

 

 

Le soleil brille de rayons scintillants (Autobahn Krafkwerk)

Nous voila dans la peau (ou la veste) des ingénieurs allemands qui ont donc la rude tâche de construire le réseau autoroutier et de l’améliorer. Dans leur carnet d’auteur, Fabio et Nestore nous expliquent leur volonté de construire un jeu sans salade de points où tout le scoring va être concentré sur les Meeples Employés que l’on va envoyer dans les bâtiments administratifs. Chaque type de bâtiments aura son scoring et plus on monte haut dans les étages et plus on marque de points. Un choix de game design que j’apprécie mais qui potentiellement peut scripter fortement le jeu.

Ce que j’avais aimé avec Calimala ou Moonbase (un prototype des deux auteurs prévu pour Essen 2024) , c’est l’interaction intéressante où l’on construit en commun quelque chose, ici les autoroutes, qui ne nous appartiennent pas, mais que l’on va utiliser pour construire nos stations services ou bien pour déplacer nos camions de livraisons afin de livrer les pays frontaliers. 

Si on planifie sur son plateau, on ne joue pas dans son coin, on lève le nez pour cerner les opportunités que les joueurs nous offrent. Chaque fois que l’on va construire ou améliorer une route, on va envoyer un Meeple Employé dans le bâtiment administratif qui correspond à la couleur jouée. En plus de cela, la valeur de la ville est augmentée et cela va bénéficier en fin de manche à tous ceux qui ont contribué.

Par un jeu de chaise musicale, quand il y a trop de Meeples dans un bâtiment administratif le Meeple le plus à gauche est promu et pourra monter dans la hiérarchie et les bureaux, ce qui est plutôt une bonne chose (garder en ligne de vue le scoring), mais il ne participera pas au décompte de la route en question et ne bénéficiera pas de sa petite obole. Et comme souvent dans ce genre de jeu, l’argent est le nerf de la guerre.

 

 

 

Comment on joue ?

À chaque tour, nous allons jouer une de nos cartes au-dessus de notre plateau. Attention nos cartes une fois jouées ne peuvent plus être récupérées, et d’ailleurs chaque section – à l’exception de la construction des routes – ne peut être jouée qu’une fois. Récupérer nos cartes est une action de notre tour, et en plus de cela on gagne 1 Deutsche Mark par carte (comme dans l’excellent Concordia). Si l’on a super bien planifié, on les récupère immédiatement quand on les as toutes jouées ; par contre on ne gagne pas d’argent en plus (on ne peut pas tout avoir !).

 

 

La couleur de la carte indique où l’on doit jouer l’action : par exemple en jouant une carte rouge sur l’action route, je construis et prolonge une portion de route sur la voie rouge, si j’avais joué sur  l’action station essence, je pourrais construire ma station, mais sur la portion rouge, etc. Mais en plus de cela, la couleur permet de déplacer un de nos camions de livraisons vers les pays frontaliers si – et seulement si – notre camion est présent sur une route de la couleur de la carte que l’on vient de jouer. Vous comprenez donc l’importance des couleurs des cartes pour faire avancer nos camions et toute la finesse de planification. 

 

 

La dernière action permet de débloquer des technologies sur notre plateau, qui vont nous donner des bonus et qui sont par ailleurs nécessaires pour monter dans les bureaux. Eh oui tout est interrelié (encore une des qualité de l’école italienne).

 

Revenons donc aux  livraisons

Chaque pays réclame un type de marchandise.  En répondant à la demande, on va bénéficier d’un bonus que l’on pourra utiliser lors d’un tour ultérieur. Si on livre autre chose, on aura juste quelques deniers. Les bonus sont conséquents : de nouvelles clés pour débloquer de nouvelles zones de notre plateau, de l’argent, une avancée sur une piste nous offrant bonus et autres, etc. En plus, livrer des marchandises dans des pays différents peut être un des scorings. Vous sentez l’embouteillage dans votre système neuronal ?

Mais attention, si on décide tous de livrer le même type de ressources, et que l’on emprunte les mêmes routes, ça crée des bouchons. Oui décidément l’interaction est vraiment présente dans tous les secteurs du jeu !

 

 

La fin de manche intervient quand le dernier tronçon de l’ère en cours est construit, le joueur qui clôture la manche peut promouvoir un de ses Employés (le scoring, n’oubliez pas) et chaque route est décomptée ; alors on se partage les revenus (enfin, si et seulement si on a des Meeples dans le bureau afférent). On repart pour une nouvelle manche où le prix des tronçons aura quelque peu augmenté (et oui l’inflation règne ici aussi).

En début de partie, on a tous une carte Itinéraire personnelle et on va gagner des bonus (oui encore) à chaque ère si l’on a réussi à relier les deux villes – et les bonus sont plus forts si la qualité de la route est meilleure (on cumule les bonus).

Au passage, cette carte itinéraire nous a posé des problèmes de lecture, elle semble un peu contre intuitive, par exemple les bonus se cumulent de haut en bas, alors qu’une convention voudrait que ça soit plutôt de bas en haut. d’autant plus que la valeur 0 indique la qualité maximale.

Quoi qu’il en soit, cette carte Itinéraire est intéressante, car elle nous donne un but que l’on va tenter de suivre tout en s’adaptant aux cartes que l’on a en main et au jeu des adversaires. Une interaction positive étant donné que l’on va œuvrer – sans forcément le désirer – pour les autres joueurs, et ils feront de même.

 

 

Ich Bein an berliner  

À la fin de la seconde manche, nous sommes en 1986 (et oui le temps file !). La réunification de l’Allemagne et la destruction du fameux Mur de Berlin permet d’accéder à la partie Est, un nouveau terrain de jeu pour nos apprentis bétonneurs. En sus, nous allons pouvoir livrer une nouvelle ressource que tous les pays limitrophes s’arrachent : les médicaments, qui ont pour avantage un bonus conséquent, à savoir la promotion de nos Employés. 

 

Des bonus comme s’il en pleuvait

Terminer une route donne des bonus, certaines portions de route donnent des bonus, livrer des marchandises aussi, débloquer certaines zones de notre plateau donne des bonus aussi qu’il ne faudra pas oublier. On peut avoir la sensation d’en avoir partout. Toutes ces icônes sont explicitées en fin de livret, mais pas d’aide de jeu pour guider un tour de jeu. On se retrouve souvent à se demander ce que fait telle ou telle tuile. Après une partie, le tout est à peu près intégré, mais c’est un peu dommage car on passe pas loin de l’indigestion. J’ai personnellement scanné et imprimé les deux dernières pages en deux exemplaires pour faciliter l’expérience.

Autre gratification, certaines actions permettent de remplacer une de nos cartes parmi d’autres présentes dans une rivière. Elles ont en plus un (devinez quoi) bonus. Par exemple, en jouant telle carte, je vais pouvoir construire une station essence, ou encore avec celle-là je vais avancer sur la piste de développement. Pendant l’ère trois, les cartes sont encore plus puissantes. Une très bonne idée qui a malheureusement un peu tendance à alourdir le jeu.

 

 

Un jeu béton 

Autobahn est un ensemble de bonnes idées. On apprécie en particulier le système de scoring qui évite la salade de points, malheureusement il semblerait que tout ne se vaut pas, du moins en termes d’investissement : il y a des pistes qui semblent demander beaucoup d’efforts pour un résultat pas garanti (livrer des ressources de pays différents), tandis que d’autres paraissent plus simples à mettre en place.

Les stations services permettent de gagner des bonus quand on réussit à faire passer son camion devant, sauf que les places sont limitées et à moins d’être le seul sur ce pan de jeu, on construit les stations où l’on peut et pas vraiment où l’on souhaiterait. Un axe de scoring permet de marquer des points avec elles, mais ça demande beaucoup d’effort pour une récompense qui semble là encore très aléatoire. 

Côté ergonomie, avec les véhicules et les tronçons de voie, le plateau est chargé et il arrive qu’un élément de jeu nous échappe. Peut-être que si le plateau était un peu plus grand on aurait moins cette sensation. Et pourtant il me paraît difficile d’incriminer Javier González Cava l’illustrateur, il a composé avec des contraintes qui me semblent incompressibles. Les illustrations sont assez quelconques, mais ce n’est pas un élément sur lequel on s’attarde dans ce genre de jeux, surtout avec ce thème.  On regrettera juste que les daltoniens soient les grands oubliés. Un joueur daltonien était à notre table et il a un peu souffert pour reconnaître les différentes stations, ou ne pas confondre les routes.  À noter que dans la version kickstarter les pompes à essence sont sérigraphiées, pas dans la version boutique (un détail qui n’en est pas un pour notre ami Daltonien). 

Élément qui paraît assez surprenant et quelque peu inquiétant, il n’y a absolument aucune adaptation pour jouer à deux et à trois. À deux on se partage la construction du réseau routier et le jeu s’en trouve long et répétitif (on n’a pas terminé la partie). En effet, au lieu de se partager la construction de 10 tronçons à quatre, on se les partage à deux et inévitablement, on se retrouve à faire des actions de manière répétitive. De même, les bonus sont répartis à deux et la sensation de “trop” est renforcée. Bref, je déconseille cette configuration, et je pense que si l’on s’arrête à celle-ci on risque de ne pas apprécier le jeu (mais en même temps c’est une configuration proposée). À quatre, au contraire, le jeu file à bonne allure, presque trop, on ne ressent pas cette sensation de répétition, moins de bonus aussi à déclencher.

Si le jeu tient la route (désolé), on ne peut s’empêcher de se dire qu’il manque un peu de développement pour éviter les sorties de route, que ça soit dans le gameplay ou l’ergonomie. Attention, Autobahn est loin d’être mauvais, on a beaucoup apprécié son interaction, le mélange de gestion de main, de construction de réseau avec un petit arbre technologique sur notre plateau) et même le « pick and delivery ». On a tous apprécié la partie et eu envie de remettre ça pour essayer des axes différents, optimiser mieux les déplacements, les constructions … mais dans l’embouteillage des sorties ludiques, pas sûr qu’il réussisse à se trouver une place.

 

 

Pour aller plus loin :

 Le journal des auteurs sur BGG

 Calimala : dans de beaux draps !

 Zapotec régle de trois mexicaine

 Merv : Un jeu merveilleux ?  

 

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