Tyrants of the Underdark, le roi des jeux de deckbuilding ?

Vous le savez peut-être – ou pas – mais j’adore les jeux de cartes. Le matériau ludique est souple, versatile, et le deckbuilding est un mécanisme que j’affectionne en particulier. Tyrants of the Underdark fait partie de cette grande famille. Il s’agit d’une grosse boîte oblongue et asses lourde, remplie de carton mais pas que. Dans ce titre qu’on a ramené de la Gencon, les joueurs incarnent des maisons d’elfes noirs qui s’emploient à leur activité favorite : essayer de conquérir l’Outreterre. Et pour ce faire, rien de mieux que des légions d’elfes pour occuper villes et routes ! À l’heure du consumérisme de masse, des joueurs Kleenex (dont je fais forcément un peu partie, vu la quantité de titres auxquels je dois jouer pour le boulot), Tyrants s’en sort-il ? Se démarque-t-il de la myriade de deckbuilders que je possède déjà ?

Point import : le texte de règles de chaque carte n’est pas compliqué du tout, et les mots clef sont en gras pour plus de facilité. Avec un anglais de base, vous parviendrez sans mal à faire jouer plein de monde. Il n’y a que peu de cartes qui ont des fonctions biscornues. Le livret de règle est abordable, mais c’est sûr qu’il faut des volontaires.

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Le deck de base, histoire de bien se sentir dans un deckbuilder.

 

Jouer.

Les principes du deckbuilding sont bien simples : on joue les cinq cartes de sa main dans l’ordre que l’on souhaite, applique leur effet, et pioche cinq cartes en fin de tour. Si d’aventure nous acquérons une carte, elle file dans notre défausse, qui deviendra notre nouvelle pioche personnelle lorsque nous serons dans l’impossibilité de piocher. Vous allez me dire, rien de bien neuf par rapport à Dominion ou Ascension. Sauf que.

En déballant le jeu, on s’aperçoit tout de suite de la présence d’un plateau. Oui, Tyrants of the Underdark est un jeu de contrôle de territoire et l’assume pleinement. On va gagner une partie en ayant le plus de points de victoire et ceux-ci sont acquis de plusieurs manières :

  • par les troupes ennemies tuées, mises dans notre zone de score,
  • par les cartes de notre paquet, chacune a une valeur en points,
  • par les cartes promues (retirées de notre paquet) avec un bonus pour l’avoir fait,
  • par le contrôle de sites (un montant en PV est indiqué sur chaque ville si vous y êtes majoritaire),
  • par le contrôle total des sites (un petit bonus si vous êtes vraiment tout seul sur un lieu),
  • par les jetons de PV : Certaines villes spéciales vous apportent des PV chaque tour si vous en avez le contrôle total. Evidemment tout le monde se bat pour elles.

 

Comme dans pas mal de jeux du genre, on a une réserve de cartes sous forme de rivière (six cartes qui sont remplacées au fur et à mesure des achats) et les cartes sont achetées avec une ressource. Ici, le contrôle (symbole de toile d’araignée, en hommage à Lolth). On se croirait presque dans le classique du deckbuilding Ascension, étant donné qu’il existe une autre ressource : le combat. La ressemblance s’arrête là. Le combat va en vérité nous permettre d’interagir avec le plateau. Pour un point de combat, on placera une légion (une petite figurine), et pour trois, on tue une légion adverse ou neutre (posées en début de partie, les neutres occupent les villes stratégiques et certaines routes).

Seulement, on ne répand pas son influence n’importe où : pour envoyer des troupes, il faut de la présence. Chaque figurine à votre couleur vous donne de la présence sur les villes où elles se situent, ainsi que sur les espaces adjacents (routes ou villes). Eh ouais, il va falloir s’étendre et tisser sa toile petit à petit tout doucement depuis sa ville de départ.

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Bleu a de la présence sur Tsenvilyq et pourrait bien attaquer Rouge par surprise…

 

Ou pas. Et oui, bien entendu, il sera possible de « tricher » avec la règle de présence. On pourra envoyer des espions sans respecter les conditions pré-citées de présence et d’adjacence. Les espions n’occupent pas les villes à proprement parler, mais… ils donnent de la présence et peuvent être envoyés librement partout. Eh ouais. Bon, on en a que 5 en réserve. Et il faut la bonne carte pour les faire débarquer. En tout cas, avec une fouille en règle d’un site (comprenez trois symboles militaires), on pourra renvoyer un espion ennemi à la maison de son propriétaire. Certaines cartes vous demanderont de retirer vos propres espions, en général pour vous permettre de déclencher une action super forte après.

 

Cercle intérieur drow

Lorsque vous ne voulez plus d’un mignon car vous lui avez trouvé un remplaçant, pas besoin qu’il vous encombre plus avant. Pour cela existe le mécanisme de promotion. Le mot-clef promotion va permettre d’envoyer les cartes de votre deck que vous jugerez superflues dans votre conseil restreint, hors de votre jeu. Ce conseil semble un lieu sympa, mais je pense personnellement que c’est un peu l’endroit où l’on se fait assassiner en moins de deux. Mais bref.

Dans votre conseil restreint, la valeur de points de victoire d’une carte augmente et ça, c’est très, très important. Une carte faible à 1PV peut en valoir 4 dans votre Conseil ! Non content de donner un sens à l’épuration de votre pioche, Tyrants valorise vos choix de façon tout à fait remarquable. Plusieurs stratégies peuvent se révéler à travers ce système de promotion, selon les types de cartes que vous aurez en jeu. Et oui, car plusieurs mises en place sont possible, je m’en vais vous expliquer ça de suite.

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De la bonne carte

Comme dit en introduction, les effets des cartes ne sont pas trop biscornus. Il est facile de se repérer dans les fonctions des cartes, et souvent elles permettront de remplacer certaines actions. Par exemple, l’effet « supplanter » remplace « payer trois pouvoirs militaires pour assassiner une troupe adverse et un autre pour en placer une des vôtres ». Déployer, itou. Pratique. Cependant, procéder ainsi vous spécialise. Vous y perdez en malléabilité, malgré des tours d’accélération assez impressionnants.

Quatre paquets thématiques vont pouvoir constituer le marché, et seuls deux seront joués à chaque partie, donnant un peu (beaucoup) de rejouabilité à l’ensemble.

Les Elfes Noirs

Misant sur la promotion de leur cartes et leurs espions, les elfes noirs sont parfaits pour débuter dans Tyrants. Versatiles, dangereux, ils n’ont cependant pas de mécanismes « spéciaux ». On retrouve beaucoup de variations sur les actions de base, leur donnant une nouvelle saveur.

Les démons

Si vous jouez avec les démons, vous placerez des Reclus enragés dans les paquets de vos adversaires. Ne faisant rien et leur collant même un malus de points de victoire, les Reclus sont une plaie dont il faut vite se débarrasser. Les démons sont friands de cartes à dévorer (retirer de la partie sans passer par la case promotion !), et produisent, en conséquence, des effets dévastateurs. Fun.

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Gros démon vs gros dragon. (Pour les fans de Stranger Things !)

 

Les élémentaires

Les élémentaires jouent sur les Aspects des cartes – chose que j’ai omise jusque-là. Chaque carte possède un Aspect : Conquête, Ambition, Malice… Autant de valeurs symboliques pour les elfes noirs. Les Aspects vont dicter quelles cartes font quoi : Ambition pour la promotion, Malice pour les espions, Conquête pour… la conquête. Et les élémentaires peuvent augmenter leur puissance si vous jouez une autre carte possédant le même aspect qu’elles ! Et oui, il va falloir comboter un peu à la Star realm.

Les dragons

Les dragons vous permettent de mieux sélectionner ce que vous allez acheter en ligne centrale en dévorant les cartes importunes. Comme les Elfes Noirs, cette faction est plutôt simple et conviendra à une première partie quand démons et élémentaires sont plus complexes.

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Spécialisation vs. versatilité.

 

 

Écueils d’édition

L’édition de Tyrants of the Underdark n’est pas parfaite, sans démériter non plus. Les couleurs des joueurs sont une erreur flagrante : noir et bleu nuit, orange et rouge. Dès que vous avez une luminosité un peu basse, bonjour les dégâts. Le plateau est plutôt sombre mais s’avère très lisible. Il est seulement dommage de ne pas parvenir à très bien distinguer l’Outreterre esquissée en fond…

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Avec de la lumière ça donne ça. Mais bon, dès que la nuit tombe…

 

Les cartes ont un texte correct, mais qui aurait pu être plus lisible : la part belle a été donnée à l’illustration, ce qui est louable mais pas forcément du goût de tous. Pour rappel, le jeu est sous licence Donjons et Dragons : on a donc affaire à des illustrations de licence, qui personnellement me laissent froid, mais qui sont de plutôt bonne qualité, quoi qu’inégale.

 

La diplomatie / jouer dans son coin

Un reproche est souvent fait aux jeux de deckbuilding : on joue trop dans son coin. Sauf qu’ici, non. Le contrôle des sites est continuellement source de bisbille. On voit les joueurs pendre de l’avance et si l’on veut les rattraper, les empêcher de s’étendre… Eh bien il va falloir se retrousser les manches.

On a une sensation d’inertie face au plateau : Pour rejoindre un joueur, il faudra quelques tours et une fois que l’on aura cessé de le houspiller, il le sentira encore pendant un moment. Ainsi, un jeu de Caliméro s’instaure. On ne saurait gagner par le deckbuilding ou le contrôle de territoire seuls. Il faudra combiner les deux… faire les bons choix sur le terrain et sur l’achat & l’épuration des cartes.

Les grands sites circulaires représentent un énorme avantage (si on en a le contrôle total on gagne des avantages chaque tour) et il suffira parfois d’assassiner ou de supplanter la bonne personne au bon endroit pour faire s’écrouler le château de cartes ! Aussi, on essaiera de se montrer discret… ce qui n’est pas si facile quand on répand son influence.

Au contraire de la plupart de ses confrères, Tyrants secoue les joueurs, les jette les uns contre les autres. Pour un peu, on aurait l’impression de voir un Risk.

Si jamais on se trouve sous un feu nourri, on ne va pas forcément se retrouver privé de ses possibilités : peu de frustration ! On aura au contraire toujours la possibilité de répliquer, de faire un coup pendable avec un espion, et même si on ne reprendra pas toujours facilement du poil de la bête, on parviendra tant bien que mal à remonter la pente. Même les Reclus ne sont pas si frustrants ; juste assez pour vous faire dire que vous vous en passeriez bien…

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Une rivière copieuse !

 

Comparaisons

Tyrants pourrait faire penser à l’excellent Trains, avec son plateau, son contrôle de territoire et ses routes. Et c’est le cas… en un peu plus méchant. Si l’on parle de deckbuilding pur, il a plutôt l’ADN d’Ascension quand Trains relève de Dominion : plus d’opportunisme, moins de calculs de probabilités.

Pour les mêmes raisons que Trains (l’utilisation intelligente du plateau), Tyrants force l’interaction et offre un vent frais au deckbuilding. Sans révolutionner ses mécanismes, il parvient à créer de superbes sensations (en tout cas pour moi, hein), et remplace aisément dans mon cœur Battalia (que j’ai trouvé bon, mais aussi très poussif).

Les auteurs jouissent d’un bon passif avec la pose d’ouvriers de Lords of Waterdeep, leur précédent jeu. Comme pour LoW, Tyrants n’innove que peu, mais propose une version fine et subtile de mécanismes déjà croisés. Par ailleurs, le thème est ici plus heureux que dans les Lords.

 

Impressions à chaud

Wow. Dès le premier tour de jeu de Tyrants, je me suis dit « OK. J’ai compris. J’aime ce jeu. » et je n’ai pas été détrompé à la fin de la partie. En effet, j’avais bien intégré les mécanismes, le placement, les alliances défiantes que l’on doit réaliser, c’est fluide, ça coule de source et on rentre tout de suite dans le vif du sujet.

J’ai perdu, mais j’ai vraiment, vraiment beaucoup apprécié tout ce que j’ai vu de Tyrants. La ressource d’achat dissociée de la ressource de deckbuilding : quand dois-je m’arrêter de peaufiner mon paquet pour passer en mode conquête ? Est-ce déjà trop tard ? Cette alchimie subtile fait mouche, et le thème n’en est que plus fort. On se sent maître de cette armée qui étend de subtiles pattes d’araignée dans les ténèbres…

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Fin de partie à deux. Rouge domine clairement, mais Bleu s’est étendu hors-chap au sud.

 

Tyrants of the Underdark,

Un jeu de Andrew Veen, Peter Lee, Rodney Thompson
Edité par Gale Force Nine, LLC, Wizard Of The Coast
Langue et traductions : Anglais
Date de sortie : Gencon 2016
De 2 à 4 joueurs
      

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17 Commentaires

  1. Shanouillette 08/09/2016
    Répondre

    Même ressenti, c’est malin, instinctif, un peu méchant mais jamais punitif.  J’ai joué qu’à deux, et les sensations sont là.

  2. atom 08/09/2016
    Répondre

    J’ai craqué et je l’ai adoré, c’est tout ce que vous avez dit, malin, nerveux. Ce que j’adore c’est le fait que les cartes donnent un choix, je peux ou avoir deux pour acheter ou deux pour attaquer par exemple.

  3. PrimeSinister 08/09/2016
    Répondre

    Gros coup de coeur pour ce jeu qui est un must-have pour tout amateur de deckbuilding.

    Cependant la qualité de l’édition n’est pas à la hauteur :

    – illustrations du plateau de jeu quasi-inexistantes

    – design des cartes très (trop) sombre qui ne met pas en valeur les dessins

    – cartes plastic-coated (donc très sensibles à l’usure), on aurait préféré des cartes toilées

    – figurines peu inspirées : les espions sont sympas, des soldats à la place de boucliers auraient été bien aussi.

    • atom 08/09/2016
      Répondre

      Tu as oublié, thermoformage pourri ou les cartes sleevés ne rentrent plus, j’ai du bricoler le mien avec une partie thermo et une partie pimpée.
      Les couleurs qui sont trop proche rouge/orange et noir/ bleu, et selon la lumière, on peut se tromper.

      • PrimeSinister 08/09/2016
        Répondre

        J’ai pas encore sleevé le mien (ce qui est indispensable vu la qualité des cartes), tu me gâches la surprise, ahahaaha. C’est quand même un comble pour un deckbuilding de faire de la carte aussi cheapos…

        • atom 08/09/2016
          Répondre

          Oui c’est abusé, même chose pour Trains grrr.

  4. Ameritrashementvotre 08/09/2016
    Répondre

    Tout pareil, et çà m’a fait penser un peu à Exodus(sauf le deckbuilding )dont j’attends la sortie avec impatience.

  5. Dr_Chikenman 08/09/2016
    Répondre

    Tout cela a l’air fort appétissant !

    Une sortie est-elle prévue dans nos contrées un beau jour ou faudra-t-il se contenter d’import faute d’annonce ?

    • PrimeSinister 08/09/2016
      Répondre

      Je crois qu’il est acté qu’il ne sera jamais traduit. Enfin, il ne faut jamais dire jamais, mais c’est hautement improbable

      • Shanouillette 08/09/2016
        Répondre

        Peu probable, malheureusement, mais ne sait-on jamais !

      • Dr_Chikenman 09/09/2016
        Répondre

        Merci pour la réponse !

        • Shanouillette 17/10/2016
          Répondre

          Bonne nouvelle ! L’éditeur américain nous a dit que la bête serait traduite ! Haa voilà pourquoi je dis toujours il ne faut jamais dire jamais !!

          • atom 17/10/2016

            Hohoho ! Great news ^^

  6. 6gale 08/09/2016
    Répondre

    Pour ma part, je préfère et de loin Mythotopia (jeu d’affrontement fantastique à plusieurs sur plateau, avec une méca de deckbuilding au top).

  7. TSR 10/09/2016
    Répondre

    Je trouve très chouette que le deckbuilding avec plateau sorte enfin des gares :).

    Merci pour l’article, très sympa !

  8. Zuton 10/09/2016
    Répondre

    Une très bonne surprise coté thème et mécanismes malgré des graphismes palots tout comme des sensations ludiques sur Lords of Waterdeep. Tyrants mêle gestion de deck de cartes , interaction et conquête sur plateau. Une réussite !

  9. happymike 03/10/2016
    Répondre

    Effectivement Tyrants of the Underdark est bien sympathique et procure de bonnes sensations de conquête !

    « Clank! » à l’air aussi très prometteur dans le genre Deck Building avec plateau.

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