Frank Heeren, Feuerland Spiele

Particulièrement discret de ce côté-ci du Rhin, Frank Heeren est pourtant à la manœuvre sur plusieurs titres notables à l’international, et donc connus par chez nous. Terra Mystica, la raison d’être du lancement de Feurland Spiele en 2012 fut ainsi un sacré coup de maître. Entretien avec celui qui continue depuis lors son bonhomme de chemin en évitant les projecteurs.

 

Bonjour Frank, qu’est-ce qui t’a amené aux jeux de société, et quel genre de joueur es-tu ?

Salut Alban, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui jouaient avec nous au Yatzee, Scrabble ou au Rummy quand j’étais jeune. Plus tard, j’ai pratiqué beaucoup de jeux « pen & paper » [NDT : jeux nécessitant uniquement un papier et un stylo, comme la bataille navale, le Tic-Tac-Toe ou encore le jeu du Dictionnaire] et finalement, j’ai rencontré Uwe Rosenberg qui m’a initié aux jeux plus consistants.
Je vis et travaille actuellement dans une petite ville près de Francfort. J’aime pratiquement tous les types de jeux : l’eurogame lourd, les jeux à thème fantastique ou historique comme Runewars, Mémoire 44, mais aussi les bons jeux fun comme Codenames ou King of Tokyo

 

De gauche à droite : H. Ostertag, D. Lohausen, U. Rosenberg, F. Heeren, J. Drögemüller

Éditeur de jeux est-il ton job à temps plein ?

Oui. J’ai démarré Feuerland Spiele à temps partiel en 2012, mais la masse de travail a continuellement augmenté, jusqu’à nécessiter mon temps plein depuis 2015.

 

Quel est ton lien avec Uwe Rosenberg, et quel est son champ d’intervention au sein de Feuerland ?

Uwe et moi étions camarades de classe au lycée. Nous sommes rapidement devenus amis eu égard à notre attirance mutuelle pour les jeux. Uwe est une sorte d’éclaireur pour nous, son carnet d’adresses et sa connaissance du milieu nous sont extrêmement utiles.

Dirk Schmitz

Inga Keutmann

 

Qui d’autre travaille pour Feuerland, avec quelles responsabilités, quelle organisation et quels partenariats ?

Nous sommes actuellement deux personnes et demi. Dirk est le premier à m’avoir rejoint dès 2013 pour s’occuper du service client. Depuis 2016, Inga complète l’équipe à temps partiel. Elle gère une bonne partie de nos localisations, et planifie également la plupart de nos activités sur les salons.
Quant à moi, comme nous sommes une petite structure, je suis finalement impliqué un peu à tous les niveaux. Mais mes missions principales restent de m’occuper du business et du développement des jeux.
Un nouveau collègue va cependant nous rejoindre en avril 2019 : Bastian. Il sera en charge de la production et de la chaine d’approvisionnement en général.

Physiquement, nous occupons de petits locaux dans la région de Francfort, composés de seulement deux bureaux. Christof Tisch est notre voisin de coworking : il travaille à la mise en page, à la fois pour Hans im Glück, pour le magazine allemand Spielbox, et bien sûr également pour nous. Pour ce qui est du stockage, nous n’avons pas d’entrepôt en propre. C’est notre partenaire Ludo Packt qui sous-traite toute la logistique.

 

La plupart des jeux développés en interne par Feuerland sont des gros jeux. Est-ce que cela correspond à une ligne éditoriale définie dès le départ, ou est-ce simplement à l’image de tes propres goûts ?

Les deux. Quand nous avons commencé en 2012, il n’y avait que peu d’éditeurs allemands focalisés sur les gros eurogames. C’était donc non seulement une belle opportunité pour nous démarquer, mais cela correspondait aussi très bien à mes goûts personnels.

 

Comment gères-tu le sourcing de nouveaux jeux ? Reçois-tu beaucoup de propositions spontanées, et/ou es-tu actif en prospection sur les salons et autres ?

Un peu de tout, il n’y a pas de canal privilégié par rapport à un autre. Et puis aussi, Uwe garde les yeux bien ouverts pour nous. Par exemple, Claudia et Ralf, les auteurs des Basses Terres, ont en premier lieu montré le jeu à Uwe. Comme il a apprécié, non seulement il nous a mis en contact, mais il a aussi aidé à le développer encore plus.
Pour Fuji, c’est Wolfgang Warsch qui nous a démarchés directement à Essen 2017. Quand nous l’avons vu la première fois, nous ne savions pas qu’il publierait alors autant de jeux à succès en parallèle et qu’il deviendrait aussi connu en si peu de temps.

 

En parallèle de l’édition pure, il semble que Feuerland soit en charge des versions allemandes des jeux Stonemaier. Est-ce un partenariat privilégié, et comment t’es-tu retrouvé à localiser les jeux de Jamey ?

Cela a commencé avec l’intérêt d’Uwe pour Viticulture, et les cartes qu’il a réalisé dans le cadre de l’édition « essentielle ». Nous avons ainsi bâti au fur et à mesure une très bonne relation avec Jamey. Quand Scythe est sorti, il nous a naturellement proposé de nous en charger pour l’Allemagne. Je suppose que nous parlons le même langage – au sens figuré.

 

Vous localisez également en allemand Gloomhaven, Hannibal & Hamilcar, des jeux de Pleasant Company Games… que pèsent les localisations dans le business actuel de Feuerland et dans vos plans pour le futur ?

Tous ces jeux nous ont intrigués pour différentes raisons. Certains, comme Ancient Terrible Things ou Hannibal sont dans notre catalogue principalement car nous les aimons : nous ne gagnons pas beaucoup d’argent avec eux. Pour Scythe et Gloomhaven, c’est coup double car non seulement nous les aimons, mais en plus ils se vendent bien.
Malgré tout, nos titres maison sont les plus importants pour nous, car nous en détenons la propriété intellectuelle.

 

Quel accueil reçoivent les jeux Feuerland à l’étranger, et peux-tu nous donner une idée des proportions en volume de ventes ?

Oui, nos jeux se vendent dans le monde entier, et comme le marché international est plus vaste que le marché allemand, les versions anglaises se vendent (beaucoup) plus. La proportion est d’environ 70/30, mais reste difficile de donner un chiffre exact, parce que cela dépend des jeux. Terres d’Arle est un contre-exemple : il est particulièrement apprécié en Allemagne.

 

Que penses-tu du fait que le nombre de nouveaux jeux a littéralement explosé ces dernières années ?

J’apprécie en tant que joueur, et cela me cause du souci en tant qu’éditeur. Feuerland a grandi au fil des années, mais nous demeurons un petit acteur et nous sommes de fait limités dans le nombre de sorties. Il n’est de toute façon pas dans mes intentions d’accélérer le rythme de création interne outre mesure. Mais parfois, nous avons des opportunités pour des jeux externes comme Gloomhaven, et nous ne pouvons pas résister à l’envie de les faire rentrer en Allemagne.

 

Quelle est ta vision de la montée en puissance du participatif ? Serais-tu susceptible de passer par Kickstarter un jour ?

Le crowdfunding est une belle nouvelle manière de donner naissance à des jeux qui n’auraient pas pu voir le jour autrement. Si nous avions un projet vraiment spécial qui le nécessitait, j’imagine que nous pourrions y avoir recours un jour. Mais ce n’est pas le cas pour le moment, nous nous focalisons clairement sur l’édition traditionnelle.

 

Le site web de Feuerland ne propose plus de boutique en ligne ni de version anglaise. Pourquoi ces changements ?

Nous avons fermé la boutique, parce qu’il y a assez de boutiques en ligne qui vendent nos jeux, et nous voulions nous concentrer sur notre cœur de métier – faire des jeux – plutôt que sur la vente. Les revendeurs sont là pour ça.
Et puisque nous avons désormais des partenariats pour les localisations anglaises de nos jeux, nous avons pensé que la version anglaise du site n’avait plus autant d’importance. Mais il se pourrait qu’elle fasse son retour plus tard dans l’année. [NDT : Entre le moment de l’interview et celui de la publication, la version anglaise a effectivement été remise en ligne !]

 

Les jeux Feuerland étaient historiquement localisés en français par Filosofia. Suite au rachat de F2Z par Asmodee, il semble que ça soit Edge qui reprenne le flambeau, au moins pour Projet Gaia et Les Basses Terres. Quelle est la nature de vos relations, et conserves-tu la possibilité de passer par un autre éditeur français pour tel ou tel jeu ?

 

Oui, bien que nous ayons une bonne et forte relation avec Asmodee, rien n’est pas gravé dans le marbre. Il n’y a pas d’accord global pour passer systématiquement par eux ; et en effet à compter de 2019 nous allons également distribuer des jeux en anglais sous notre propre nom aux U.S.

 

Y-a-t-il encore une chance de voir une VF de Tea & Trade, l’extension de Terres d’Arle ? Et qu’en est-il des réimpressions des anciens titres ? Par exemple, l’extension Feu & Glace pour Terra Mystica est épuisée en VF depuis longtemps.

Nous verrons. Nous n’avons pas perdu l’intérêt dans ces titres, mais le marché est relativement restreint s’agissant des extensions. Imprimer dans une certaine langue doit répondre à une équation économique qui n’est pas simple.

 

Merci ! On espère voir toujours plus de VF de tes jeux nos étals.

Le plaisir est pour moi, merci de l’intérêt pour nos jeux et pour rappel, Fuji et Magnastorm vont être publiés en France cette année ! [NDT : via Super Meeple (news)]

 

Ludographie

 Magnastorm (2018)VF Super Meeple (2019)
 Fuji (2018)VF Super Meeple (printemps 2019)
 Les Basses Terres (2018)VF Edge (2018) – Disponible à date
 Projet Gaia (2017)VF Edge (2018) – Disponible à date
 Terres d’Arle : Tea & Trade (2017)Pas de VF connue
 A la gloire d’Odin (2016)VF Filosofia (2017) – Disponible à date
 Haleakala (2015)VF Filosofia (2016) – Disponible à date
 Terres d’Arle (2014)VF Filosofia (2014) – Rupture
 Terra Mystica : Feu & Glace (2014)VF Filosofia (2015) – Rupture
 La Route du Verre (2013)VF Filosofia (2014) – Disponible à date
 Terra Mystica (2012)VF Filosofia (2013) – Disponible à date

 

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2 Commentaires

  1. Gabbri 28/03/2019
    Répondre

    Agréable cette entrevue. Très factuelle. Merci.

    Je râle un peu maintenant que je suis là : « sourcing » rrr… « prospection » c’est bien déjà, non ?

  2. TheGoodTheBadAndTheMeeple 28/03/2019
    Répondre

    belle itw d’un editeur un peu trop meconnu, et pourtant ! Un must pour les gamers.

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