Wonderland’s War, un peu de folie dans votre tea party ?
Wonderland’s War, de Tim & Ben Eisner et Ian Moss, illustré par Manny Trembley, arrive depuis Druid City Games du côté des Lucky Duck, et c’est plutôt une bonne (grosse) nouvelle comme nous allons le voir.
Du contrôle de zones saupoudré de bag-building avec une douce once de stop-ou-encore, Wonderland’s War cache quelques règles surprises (tea) party sous son fou chapeau résolument Eurotrash. Ah lisse, il ne l’est pas.
Ne soyez pas si pressé de croire tout ce qu’on vous raconte.
Grosse, encombrante, dodue : l’édition, en mode body positive, n’a pas lésiné sur les moyens et s’assume fièrement. Et il s’agit là d’une version simple, plutôt sobre côté figurines. Dans cet esprit de déraison qui tend le jeu, tout est un peu beaucoup surdimensionné. Reste à espérer que votre table le soit aussi. Mais il faut le dire, elle a quelque chose de beau et de raccord, cette extravagance. Entre les standees illustrés, les Meeples flashy qui bombent le torse, les grosses fig de châteaux pointus, les détails du plateau loufoque et gigantesque, les jetons folie se prenant pour des pierres précieuses mastocs… Manny Trembley a su retranscrire cet univers étrange et esthétique avec brio sans retenir sa main et l’ergonomie reste pour autant de bon aloi.
Concrètement dans Wonderland’s War chaque tour est divisé en deux moitiés, et il n’y a que trois tours dans le jeu. Voilà pour les chiffres. La première partie du tour nous fait jouer le goûter (pour ne pas dire le festin tant il est garni !), qui consiste en une sorte de draft où nous plaçons nos standees devant la carte qui nous intéresse sur un marché, et façon Tokaido ou façon Bible, selon vos accointances, les derniers seront les premiers.
S’il est impossible de ne pas penser à quelque chose, il reste encore possible de penser à autre chose.
Les joueurs pourront ainsi ajouter des unités (Meeples powa) aux six grands emplacements du plateau central, améliorer le nombre et/ou la valeur des jetons de leurs sacs (pensez bag building), débloquer des capacités spéciales asymétriques, choper l’aide d’alliés très spéciaux, ou encore piocher des cartes de quête (des objectifs pour du bon PV) tout en faisant attention à ne pas trop devenir fou (la folie shine bright like a diamond mais on en veut pas trop quand même).
Du choix dans les stratégies : vous aurez envie de tout faire, mais il faudra bien vous décider ma petite Lucette, sachant que vous aurez 12 fois l’opportunité d’orienter ainsi votre axe dans la partie. Les récompenses les plus puissantes s’obtiennent souvent au prix de folie, sanctionnant vos points à la fin de la partie. À vos risques et périls comme on dit. Vous ne savez pas trop ce que mijotent les autres à ce stade, vous essayez de construire vos forces et le jeu vous en donne les moyens de manière très gratifiante. Mais la vraie fête se déroule ailleurs, après.
Si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ?
Une fois que notre standee a choisi ses quatre cartes du tour, il ira se placer sur un des six lieux du plateau, manifestant par sa simple présence un certain relief d’influence. Car il s’agit désormais de lutter pour le contrôle de ces zones avec l’aide de nos unités sur le terrain. L’originalité du titre veut que tout cela soit déterminé par le tirage de nos jetons du sac : un bon jeton viendra augmenter notre force d’influence dans la région active, un mauvais jeton (la folie) éliminera certaines de nos unités – et si vous n’en n’avez plus sur place, vous perdez automatiquement ce combat, ce qui s’avère rarement souhaitable.
Bien sûr, la chance au tirage aura sa part à jouer, mais vous pouvez améliorer vos probabilités dans la partie bag-building de la tea party et à travers le jeu de placement. Si vous avez par exemple placé six Meeples dans une zone, c’est beaucoup, et vous serez en mesure de faire face à quelques mauvais tirages. En revanche, il sera plus difficile d’être présent partout à cette allure. Sachant que les unités qui n’ont pas été détruites restent d’un tour sur l’autre, il s’avère parfois intéressant de faire un repli tactique du combat dont l’issue semble incertaine pour assurer une position à plus long terme. Sachant également qu’il existe un bouclier contre la folie, à utiliser à bon escient…
Vous essayerez aussi de lire les intentions de vos adversaires : sont-ils prêts à aller jusqu’au bout du combat ou restent-ils juste un peu dans le coin pour d’autres raisons (quêtes, forge…) ? Le tirage des jetons se fait simultanément, et vous avez le droit de bluffer en ne mettant rien dans votre main…
Si vous sortez victorieux d’un engagement, vous pouvez gagner beaucoup de points (selon la région et le round) et poser un château qui vous assure un peu d’influence de base sur place et quelques points bonus bien accommodants (et améliorables). Si vous étiez tout seul sur place, vous avez le choix entre l’une ou l’autre récompense, ce qui est déjà chouette pour une victoire facile que l’intelligence de vos adversaires devrait vous refuser.
Et quoi, vous n’êtes pas présent lors d’une mêlée ? Mais ne restez pas bras ballants l’ami, allez parier sur le gagnant pardi ! Si le joueur choisi est victorieux, vous gagnez un jeton dans votre petit sac, si votre pari est incorrect, c’est un éclat de folie à la place. Une façon simple et efficace de vous intéresser à ce qu’il se trame, voire à tenter d’influencer le combat par vos paroles perfides ou encourageantes, comme vous savez si bien le faire…
Est-ce que, par hasard, on m’aurait changée au cours de la nuit ?
Les capacités spéciales sont nombreuses à prendre en compte, entre celles des jetons tirés du sac, des pouvoirs asymétriques de votre personnage, de vos alliés… Il y en a des choses. Il se peut bien que vous oubliez un détail à un moment. Oui, il se peut. Cela arrive aux meilleurs. Aux professionnels ! Ce n’est pas si grave. La nature du jeu nous pousse à prendre les choses comme elles viennent. On se bat pas vraiment ad nominem ici, on va au combat parce qu’on est déjà là, parce qu’on avait une quête à remplir, pour tenter le diable, ou en sachant même d’avance que c’est perdu – et parfois c’est tant mieux, après tout vous avez cette quête qui ne demande pas autre chose ! On se fait ramasser alors qu’on pensait être en grande supériorité parce que la folie est de sortie, ou au contraire, on se retrouve grand gagnant d’un combat parce que l’adversaire était juste venu pour forger. La tension est tout de même là tandis que les écarts se resserrent sur la piste de score, ce malgré tous ces retournements foufous.
Ma parole ! pensa Alice, j’ai souvent vu un chat sans un sourire, mais jamais un sourire sans chat !
La forge est un moyen d’améliorer vos jetons, on ne rentrera pas dans le détail des règles ici, mais il s’agit d’un système qui peut accélérer le vidage de votre sac tout en permettant d’améliorer vos capacités. Car vos jetons ne retournent pas dans votre sac à moins que vous ne le rafraîchissez, et cela advient quand votre piste de folie est pleine à craquer. Vous tâchez donc de planifier (une bonne mémoire sera un plus car vous n’avez pas le droit de zieuter le contenu de votre sac pendant la phase de guerre) planifier, donc, vos batailles en sachant (en tâtant) peu ou prou les forces qu’il vous reste. Il vaut souvent mieux sacrifier un combat pour entrer dans la prochaine bataille plus frais et vaillant qu’avec un sac au trois quart vide, mais à vous de voir. Il peut y avoir de nombreux facteurs qui entrent en ligne de compte dans vos prises de décision. Car tout est bien imbriqué dans ce design-là. Les deux phases du jeu ne sont pas deux mini-games séparés. Que nenni. On a de la suite dans les idées chez les Eisner et Ian Moss (and co).
Si vous connaissiez le Temps aussi bien que moi, dit le Chapelier, vous sauriez qu’on ne le perd pas. Il se perd tout seul.
Ce texte n’est qu’un modeste Just Played. Ainsi, il est pour moi bien tôt pour débattre de l’équilibrage des capacités des personnages (le Chapelier fou est-il plus puissant que le Jabberwocky ? Vous avez 2h). De même, je ne suis pas certaine que le sujet ne soit pas complètement plaqué. Certains efforts sont faits (la phase de thé qui tourne autour de la table, ok), mais globalement j’ai l’impression que c’est un thème qui a été tiré du sac. Pourtant, pourtant… l’idée que tout peut advenir et qu’il faut s’adapter aux imprévus colle parfaitement à ce qu’il se passe durant une partie. Et c’est sans doute l’une des morales que l’on peut retenir du conte de Lewis.
Mieux vaut être que paraître.
La promesse de rejouabilité est tenue tout d’abord par l’espace de décision, mais aussi par la variabilité entre les pouvoirs des alliés, des factions, des cartes … Attention, il y a un beau livret, bien conçu, mais quelques règles à retenir qui n’adresse pas cette boîte à absolument n’importe qui (c’est plutôt un public dit “expert”, vous savez, les plus intelligents dingues). Il pèse 3kg02 sur BGG en complexity. Certains le boivent comme du petit lait – tout dépend si ce genre-là est votre tasse de thé… Regardez plutôt l’aide de jeu, vous saurez où vous mettrez les pieds :
J’ai bien failli passer à côté de ce Wonderland’s War car partir en guerre sur les terres des « Merveilles » ne m’attirait pas plus que ça a priori mais le titre a bien su nous surprendre et nous enthousiasmer. C’était un pari un peu perché, mais il est réussi. « Comment savez-vous que je suis folle ? » demande Alice. « Il faut croire que vous l’êtes, répondit le Chat ; sinon, vous ne seriez pas venue ici. »
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Ihmotep 29/04/2024
J’ai pu m’y essayer et depuis je n’attend que d’y rejouer :). Outre le soin du design du jeu, les mécaniques sont vite assimilées, intéressantes à jouer tout en ajoutant la dose qu’il faut de hasard dans le piochage du sac pour que ce soit à la fois drôle sans être frustrant. Ils ont su trouver le juste équilibre. D’ailleurs on sent que le jeu a été peaufiné : tout y a sa place. Bravo
Shanouillette 29/04/2024
merci pour le retour ! et oui il m’a fait cet effet là aussi 😀