Makaka, l’éditeur dont tu es le héros

Depuis 2007, année de sa création, Makaka se fait remarquer par son catalogue éclectique et original. Si vous n’êtes pas fan de bande dessinée, vous êtes peut-être passé à côté de cette maison d’édition au tempérament unique, qui a déjà permis à de nombreux auteurs encore inconnus de publier leur premier album. Par contre, si je vous dis “BD dont vous êtes le héros”, il est fort possible que vous ayez déjà repéré leurs ouvrages, à la frontière entre l’album illustré et le livre dont vous êtes le héros, sur un étal de libraire, dans les rayons d’une bibliothèque, ou sur la table de chevet d’une chambre d’enfant. Peut-être cela éveille-t-il en vous un souvenir ludique de votre jeunesse où vous parcouriez des livres d’aventure de cette collection mythique vendus à plus de 14 millions d’exemplaires en France, Un livre dont vous êtes le Héros (édition Gallimard Jeunesse), pesant vos décisions pour avancer dans une histoire à choix multiples.

C’est en juin 2012 que les deux fondateurs de Makaka, Karine Laca et Shuky décident de créer une nouvelle collection basée sur ces livres de notre jeunesse en misant sur l’image et le panel de possibilités qu’offrent les histoires illustrées. Une bande dessinée pour tous où le lecteur prend le contrôle de l’aventure et où la trame narrative se cache aussi dans les détails de l’illustration. Et puis Kuala (ex « Baiam » just played ici) est arrivé en 2018 dans nos boutiques ludiques en collaboration avec Blue Orange, proposant une aventure graphique au gameplay plus assumé, flirtant avec le jeu narratif et n’hésitant à présenter cet ouvrage comme “Le Jeu dont vous êtes le Héros”.
Makaka a maintenant ses entrées dans les boutiques ludiques et depuis 2020 a ouvert sa gamme aux touts petits avec son premier tome
Chatons et dragons (just played ici) puis avec le titre Liguili : messager aventurier, nous offrant une bonne occasion pour faire le point et en savoir plus sur ce drôle d’éditeur.

Quelque part dans l’Ardèche nous attend Karine Laca, cofondatrice de Makaka, qui nous ouvre son album de souvenirs et nous livre les secrets de fabrication d’une bande-dessinée dont nous sommes le héros.

 

En 2007, vous fondez les éditions Makaka, alors qu’il n’y a pas beaucoup de place pour de nouveaux éditeurs dans ce milieu. Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le pas ?

En 2006, en plein essor des blogs, mon comparse Shuky, scénariste depuis le biberon, me propose de créer un blog pour mettre en relation des scénaristes de BD et des dessinateurs. Le blog 30 jours de bd voit le jour en proposant à des binômes scénariste-dessinateur de poster gratuitement le fruit de leur travail sur le site avant de laisser la main le lendemain à d’autres auteurs. Face aux demandes grandissantes des artistes désireux d’être publiés sur le blog, nous avons vite été dépassés. Ne pouvant que constater la qualité des travaux proposés, il nous semblait alors impossible de laisser autant d’artistes talentueux sans éditeur et avons pris le pari un peu fou de créer une maison d’édition dès l’année 2007. Notre naïveté nous a permis de nous lancer dans le grand bain sans tenir compte des nombreux risques d’une telle entreprise, évitant par là même les doutes des entrepreneurs trop informés. La ligne directrice est restée la même depuis que nous avons créé Makaka, faire ce qui nous plait en mettant en valeur des narrations atypiques avec des gens que l’on aime et que l’on suit depuis le tout début de l’aventure.

 

Comment est venue cette idée d’associer le jeu et la lecture ? Il y a-t-il des joueurs dans l’équipe de Makaka ? Un souvenir de nos livres dont nous étions le héros ?

L’idée première était de remettre au goût du jour les livres dont tu es le héros qui ont bercé notre enfance en immergeant ce type d’aventure dans l’univers graphique de la bande dessinée jeunesse. Le concept nous a paru très vite pertinent, nous donnant envie d’y jouer. Nous avons immédiatement perçu le potentiel qu’offre la bande dessinée pour ce type d’aventure, permettant de renforcer l’immersion, de jouer sur le visuel, sur l’ambiance, de dissimuler des objets dans les décors… tout en prenant conscience que la logique narrative de se perdre d’une page à l’autre pouvait en déconcerter plus d’un. C’est pourquoi cette série s’adresse à des lecteurs qui aiment jouer et qui ont gardé une âme d’enfant.

Chevalier a été le premier volume de cette série avec Walsh à l’illustration et Shuky au scénario. Puis très vite, face au succès du premier ouvrage, plusieurs thèmes se sont imposés avec les pirates en 3 tomes avec cette fois-ci Gorobei aux manettes graphiques ou des enquêtes ciblant un public plus âgé comme Sherlock Holmes.

 

                                    

 

Penchons-nous plus particulièrement sur Liguili. Tu es l’autrice de cette ouvrage. Est-ce ta première expérience dans la collection dont vous êtes le héros ? Pourquoi vouloir s’adresser particulièrement aux tout petits ?

Oui Liguili est mon premier ouvrage en tant que scénariste. Du haut de mes 40 ans, je suis toujours une grande admiratrice des ouvrages pour enfant que je collectionne avec toujours autant d’affection. Mon envie d’écrire associée à ma passion pour le monde de l’enfance, ont logiquement trouvé un terrain idéal dans la collection des BD dont tu es le héros. Nous venions depuis 2020, d’ouvrir cette gamme aux plus petits avec le titre Chaton et dragon de Jarvin et Ju. N’ayant encore jamais écrit de scénario, je me suis imposée des contraintes narratives exigeantes pour rendre le récit accessible aux petits sans être « cucul ». Ce défi d’équilibre a été très stimulant : chercher le mot juste, un vocabulaire qui soit à la fois soutenu et accessible aux plus jeunes.

Sur le plan graphique, l’association avec Gorobei a été une évidence, car son univers coloré, hyper rond, riche en détail me permettait de recréer les images de mon enfance, celles que j’admirais des heures à la recherche de petits détails, de traits d’humour ou de clin d’œil dissimulés. Ce sont d’ailleurs nos personnages qui introduisent l’histoire en confiant le premier courrier prioritaire à Liguili, dans lequel la petite Kali qui adore écrire propose à Gorobei, roi du dessin de créer un livre ensemble.

Et hop, une petite mise en abime…

 

Comment réussir à ce que tout s’enchaîne parfaitement ? Il y a-t-il un story-board au départ puis vous mélangez toutes les cases ?

Il y a de quoi se perdre au Cormier… ©Makaka Edition

C’est un vrai casse-tête ! Nous commençons à avoir de l’expérience dans ce domaine grâce aux précédents titres de cette collection et sommes maintenant à même de donner une feuille de route aux auteurs qui se frottent à ce genre d’ouvrage.
Nous travaillons d’abord le scénario de manière linéaire puis distinguons les différents lieux majeurs qui composent l’aventure. À partir de ces derniers, nous traçons des chemins avec des étapes auxquelles sont attribués un numéro aléatoire, en évitant d’avoir des chiffres trop rapprochés afin que les cases soient éloignées dans le livre. Afin de ne pas se perdre dans les divers chemins et leur ramification, nous avons fait un plan du village et de ses alentours. Il faut toujours être vigilant au respect de la trame narrative de l’aventure et ainsi vérifier que l’illustrateur n’a pas oublié le petit détail qui donne toute la cohérence au récit.

Lorsque le travail touche à sa fin, la tension est vraiment palpable. Chacun prie pour que rien ne manque et que les cases s’enchaînent en toute logique. Pour bien faire, il faudrait vérifier tous les chemins et les embranchements du livre à la recherche de la moindre erreur. Heureusement, nous avons pour cela une équipe de bêta-testeurs, soit une dizaine de familles avec des enfants de trois à sept ans que nous sollicitons sur le fond comme sur la forme, aussi bien sur le ton employé que sur la taille de la police. Nous avons notamment demandé leur avis aux enfants sur le rôle qu’il voulait jouer dans l’aventure, en leur proposant d’incarner Liguili ou de l’accompagner dans son périple. 

 

 

Il y a une forte diversité dans les propositions ludiques qui cassent la routine que l’on pourrait rencontrer dans ce type d’ouvrage. Pourquoi avoir voulu jouer sur différents tableaux ?

C’est un choix éditorial que d’insérer des jeux et des casse-têtes au centre du récit afin de notamment donner du rythme et créer un autre aspect ludique. Chaque scénariste est libre de choisir quels types de jeux il veut insérer dans son ouvrage, du rébus aux énigmes plus élaborées. Cela permet notamment de calibrer la difficulté de l’ouvrage. Dans Liguili, certains objets ne sont accessibles que si le héros parvient à résoudre une énigme, rendant le récit moins linéaire. J’ai choisi de mettre un niveau de difficulté plus important dans cet ouvrage, sans que cela soit bloquant pour l’enfant. Les épreuves ne sont pas obligatoires et il est toujours mentionné que si les jeux paraissent trop compliqués, le héros peut poursuivre son chemin sans être handicapé pour le reste de son périple. Je pense sincèrement qu’il ne faut pas prendre les enfants pour des imbéciles et qu’ils possèdent plein de ressources insoupçonnées.

L’idée secondaire est que les parents prennent aussi du plaisir en accompagnant leur enfant dans le livre. Les jeux sont accessibles mais pas simplistes. Nous avons aussi voulu apporter une petite aide aux parents en insérant des bulles dodo, incitant le héros, donc l’enfant à faire une pause et se reposer. Nous savons par expérience à quel point il peut être difficile pour un enfant passionné de mettre un terme à sa lecture. Je crois que le plus beau compliment que l’on pourrait me faire pour cette bd serait que les lecteurs ont passé un bon moment de qualité ensemble.

 

Voulez-vous continuer de développer ce mariage entre bande dessinée et jeu ? Que nous réserve l’avenir chez Makaka ?

La gamme des tout-petits va continuer à s’étendre. Au-delà des aventures existantes comme Chat et dragon et Liguili qui devraient connaître une suite indépendante, le prochain tome s’appellera Calie et Kasskou. Cette Calie n’a rien à voir avec moi (Kali), elle a été inspirée de l’entourage proche du scénariste… Il s’agit d’une princesse qui, comme beaucoup de ses collègues, se retrouve enfermée dans un donjon. Mais, pas question de rester attendre un éventuel prince charmant, plutôt se débrouiller toute seule et devenir l’héroïne de son aventure grâce à ses fidèles compagnons, le chat kaskoo et deux esprits de l’air.
Nous aimerions que cette collection puisse se garnir de trois nouveaux ouvrages par an si on arrive à garder le rythme tout en conservant une qualité narrative de qualité. Chaque tome pourra se lire indépendamment des autres mais un lien évident reliera l’ensemble de la collection avec des clins d’œil et des personnages qui se croiseront, formant une petite famille.

©Makaka édition

Coming soon… ©Makaka Edition

 

En novembre sortira 2070, une expérience proche de celle de Kuala permettant de jouer de un à quatre joueurs, pour un public adolescent-adulte. Chacun incarnera un personnage, de l’alien à l’androïde, pour résoudre un mystère autour de vols perpétrés dans un labo secret, dans un esprit semi-coopératif où il faudra vaincre en équipe tout en résolvant son objectif secret.

Couverture provisoire de 2070. ©Makaka Edition

 

Par la suite, nous aimerions monter crescendo dans la gamme ludique, notamment avec le projet Enquête à Pearl Town qui comprendra un plateau de jeu, des personnages à incarner tout en préservant le côté narratif. Le jeu sera coédité avec Blue Orange qui nous laisse carte blanche sur ce projet et permettant à Makaka de garder son indépendance. Une nouvelle aventure pleine de promesses…

 

©Makaka Edition

Couverture provisoire d’Enquêtes à Pearltown. ©Makaka Edition

©Makaka Edition

Chouette ambiance à Pearl town… ©Makaka Edition

 

Petit à petit Makaka semble faire son petit nid dans le monde ludique. On lui souhaite de continuer à nous surprendre avec ses belles créations à la fois graphiques, ludiques et narratives, confirmant son rôle de chainon manquant entre bande dessinée et jeu de société.

 

Propos retranscrit par Mattravel 

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1 Commentaire

  1. Knightbob 16/06/2021
    Répondre

    Merci pour ce coup de projecteur sur cet éditeur qu’on adore à la maison!

    Grand fan des LDVELH depuis ma jeunesse, j’ai initié mon fils à ce format par les BD Makaka, en parcourant avec lui les nombreux univers proposés.

    Bah voilà, c’est malin! Suite à votre article, j’ai commandé les 2 derniers tomes que je n’avais pas encore et qui m’attiraient X)

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