Le Trésor de Davy Jones – Le Châtiment de Skélit est de retour !

Le Trésor de Davy Jones est à l’origine un jeu créé par Kane Klenko sous le nom de Dead Men Tell No Tales, issu du financement participatif puis édité par Renegade en 2015 en VO. Nous vous en avions parlé à cette époque dans ce Just Played par Izobretenik, puis dans ce Solo is Beautiful par Keltys. La récente localisation en Français par Origames le remet sous le feu des projecteurs et cela me donne une bonne occasion de vous donner mon ressenti.

Dans ce jeu coopératif pour 1 à 5 joueurs, vous incarnerez un équipage de pirates avides de richesses ayant décidé d’aborder et de piller le Châtiment de Skélit, navire légendaire maudit et redouté de tous, dirigé par le capitaine Smith et son groupe de squelettes. La mission sera d’autant plus périlleuse qu’un incendie s’est déclaré pendant l’abordage, et qu’il faudra en extirper ses trésors et votre équipage avant qu’il n’explose et ne sombre définitivement dans l’océan.

Mais avant de lever l’ancre, un petit Ludochrono pour vous mettre dans le bain ?

 

 

La réédition

En termes de contenu, cette réédition est quasi identique à la précédente. Les règles du jeu sont inchangées ainsi que la qualité du matériel, toujours au rendez-vous avec de belles tuiles enflammées et de jolis dés miniatures écaillés. Soulignons les belles illustrations colorées signées Jason D. Kingsley et Chris Ostrowski. La seule nouveauté repose sur l’ajout de sept figurines (une par personnage du jeu) pour remplacer les meeples. Pour le coup, elles ont de la gueule, sont agréables à manipuler et ajoutent du cachet à un jeu qui en possède déjà.

 

Les sept fripouilles de votre équipage, de belle facture

 

Si le matériel est impeccable, je regrette que cette réédition n’ait pas servi d’occasion pour retravailler et corriger certains petits défaut du jeu, qui persistent. Côté matériel par exemple, les socles de couleur associés aux nouvelles figurines n’ont pas d’utilité étant donné que l’on ne retrouve pas ce code couleur sur les cartes personnage ou sur leur jeton face visible (uniquement sur la face cachée, mais du coup on ne s’amuse pas à les retourner à longueur de partie, pas pratique tout ça…). Petit détail sans trop d’importance.

Plus embêtant par contre, le lot petites règles éparpillées dont on se serait passées est toujours présent, mais surtout, le livret de règles est toujours aussi mal organisé et pénible à lire ! J’y reviendrai un peu plus loin dans l’article.

 

Troisième tour de jeu, des débuts difficiles…

 

Un pandemic like…

Le cœur des mécaniques du jeu s’inscrit dans la lignée des « Pandemic-like ». On est dans un niveau de complexité similaire, destiné aux joueurs initiés. Après la mise en place, les tours de chaque joueur s’enchaînent, toujours avec les trois étapes suivantes :

  • On pose une tuile pour explorer le bateau,
  • On joue ses cinq actions,
  • On génère des problèmes en fin de tour, en piochant des cartes puis des jetons si nécessaire.

 

 

Pour gagner la partie, il faudra ramener un certain nombre de trésors dans un canot, et votre équipage avec. Le niveau de difficulté choisi déterminera ce nombre. Par contre pour perdre la partie, comme le dit Mathieu dans le Ludochrono, les voies sont multiples :

  • Trop d’explosions (alias éclosions dans Pandemic),
  • Vider la réserve de jetons Damnés sur le bateau (alias cubes virus),
  • Mort de tous les personnages,
  • etc.

 

Il faudra donc jouer les équilibristes pour ne pas déclencher l’une des condition de défaite. Le rapprochement avec Pandemic est évident, tout comme les personnages fortement typés par leur capacité spéciale.

Parmi les autres mécaniques que l’on trouve, la gestion de la fatigue se cumule à la gestion des actions. Les personnages se fatigueront principalement en pénétrant des compartiments où le feu est intense, en perdant un combat, ou en portant un trésor. Chaque action doit être pesée pour ne pas trop épuiser vos personnages. Si vous abusez des actions fatigantes, ils ne pourront plus se rendre sur des tuiles où l’incendie est trop intense, barrant votre route.

 

La gestion de la fatigue sous forme d’horloge. À 9 points, je ne pourrai plus me rendre sur les tuiles enflammées au-delà de 3.

 

Les dés posés sur chacune des tuiles du navire figureront parmi vos principales préoccupations. Ils reflètent l’état de l’incendie dans les compartiments. On changera leur valeur si le feu s’étiole suite aux actions des joueurs, ou bien s’il s’intensifie suite aux événements qui ont lieu en fin de tour. Un compartiment qui explose, c’est la cata : tout ce qui est posé dessus part en fumée, y compris vos personnages. Vous n’aurez droit à laisser passer que peu de ce genre d’occasions.

 

Plus la valeur des dés est élevée, plus les flammes ravagent les lieux et empêchent votre progression. À 6, c’est l’explosion…

 

En somme, la recette du jeu reste classique dans l’ensemble, sans grande prise de risque. Néanmoins, je dois avouer qu’une fois mélangée, cette salade a plutôt bon goût et se marie très bien avec le thème.

 

…Avec du punch (ou du rhum arrangé)

Le thème fort est un des atouts du jeu. Nous voilà à piller des trésors dans un navire pirate en flamme, gardé par des revenants. Quoi de plus « badass » ? Je vous le demande. De plus, il ne s’agit pas là que d’une façade alléchante. Le thème se retranscrit bien dans le gameplay. C’est en effet un jeu nerveux dans lequel la sensation d’action est au-rendez-vous. Les tours sont plutôt rapides à jouer et ne laissent que peu de place à l’« analysis paralysis ».

Le gameplay est agréable, riche. On fera face à différentes situations qui nous demanderont de prioriser grosso modo entre les stratégies suivantes :

  • Calmer l’incendie dans les compartiments,
  • Repousser les âmes des damnés,
  • Combattre des squelettes pour amasser du matériel,
  • Préparer plus sérieusement un combat contre un solide gardien de trésors,
  • Traîner lentement un lourd coffre jusqu’à la sortie.

 

Le mélange de ces préoccupations plus ou moins prioritaires suivant la situation est suffisant pour ne pas avoir l’impression de refaire toujours la même chose.

 

Plus que deux trésors et on est bons !

 

L’ensemble a fait que c’est un jeu auquel j’ai pris plaisir à jouer, confronté aux dilemmes et à la difficulté croissantes au fil des minutes. De ce côté-là, je pense que Klane Klenko a plutôt réussi son coup. Cependant, les règles ne sont pas toujours épurées et on doit penser à plein de choses. On oubliera facilement un détail durant la maintenance, ou le jeu. Par exemple, oublier de retourner la tuile en début de tour est un véritable fléau. Avec 100% des coéquipiers que j’ai pu côtoyer, il a fallu que nous redoublions tous de vigilance pour se surveiller les uns les autres. De la même manière, plusieurs situations faisant augmenter la fatigue seront systématiquement zappées si personne ne met un effort particulier là-dessus. Il y a également un petit lot de mini-règles quasi inutiles, que l’on oubliera plus ou moins volontairement, et qui auraient franchement pu être élaguées à l’occasion de cette nouvelle édition. Avis à la population.

 

Se laisser déborder par les damnés est une des premières causes de mortalité

 

Hardcore, chaotique, mais prenant

Un point important à savoir : le jeu est très difficile ; vous savez, ce genre de jeu auquel on gagne une fois sur trois et ça, c’est clivant ! Si vous êtes du genre à râler, à être mauvais perdant, ou à pointer du doigt l’injustice des mécaniques laissant trop de place au hasard, hop, la sortie c’est par ici ! Ce jeu n’est probablement pas fait pour vous.

J’ajoute immédiatement un bémol qui va contrebalancer mes propos : hasard certes, mais il est designé avec suffisamment d’intelligence pour que le tout passe « crème ». Je m’explique dans les paragraphes qui suivent.

 

Quelques objets seront accessible à tous les joueurs au prix d’une action. Choisir le bon objet au bon moment apportera beaucoup d’avantages.

 

D’une part, le hasard et sa maîtrise sont un élément central du jeu et de son gameplay, car il y a bien une part de contrôle importante. Néanmoins il est possible de perdre assez fatalement si le jeu en « décide ainsi ». Et en général c’est bien cela qui me pose problème dans certains jeux. Clairement, sur mon expérience de jeu, un bon quart des parties n’ont eu aucun espoir de réussite (je serais prêt à en débattre dans les commentaires). Le fameux jet de dés qui détermine l’état du bateau à la mise en place y est bien pour quelque chose.

Cela dit, à aucun moment une sensation d’injustice ou de jeu « cassé » n’est survenue. J’ai eu exactement le même ressenti avec les Contrées de l’horreur, que je vous recommande si vous êtes amateurs d’Ameritrash et de l’univers Lovecraftien.

Alors que se passe-t-il ?

 

Les cartes Châtiment : vous allez les adorer

 

Difficile de donner une réponse précise, mais je pense qu’ici ce hasard n’oriente que progressivement et doucement l’issue de la partie à chaque fois qu’il sévit (à l’exception de la mise en place comme je vous l’ai dit plus haut). Autrement dit, il pousse sans abuser dans un sens ou dans l’autre. Il n’agit pas de manière violente ou en dent de scie, comme j’avais pu le ressentir par exemple dans The Loop. Ainsi, le déroulement de la partie fait que l’on tend à garder toujours espoir, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus, ou jusqu’à la victoire.

Ce dosage fin du chaos donne du goût et nous tient toujours en haleine, si bien que l’on a tendance à mieux accepter l’issue de la partie, à l’image d’un film ou d’un roman bien scénarisé ! Rendre un jeu chaotique mais pas trop est tout un art, et j’espère vous avoir convaincu que le piment a été bien dosé dans ce jeu !

 

Une fin de partie apocalyptique, réussie de justesse

 

Le livret de règles, mon seul regret

Je vous le disais plus haut, le livret de règles n’a pas été réécrit à l’occasion de cette réédition. Les informations sont dispersées, parfois données uniquement dans des exemples, ce qui est perturbant. On apprend dans un exemple de situation que l’on peut conserver après un combat des points de combat mis de côté, alors que cette information n’est présente nulle part dans le texte des règles (et on passe du temps à relire pour s’en assurer…).

Ou encore, à peine la mise en place expliquée, déboule un hiatus exhaustif sur la gestion de la fatigue, avec tous ses cas de figure et exceptions avant même de savoir ce qui compose un tour de jeu. Au final, c’est typiquement un livret qui nécessite d’être connu par cœur si on ne veut pas commettre d’erreur durant le jeu : « Ah, je me souviens qu’il est écrit quelque part que si le baril explose et qu’aucune tuile n’est présente à côté, on tourne dans le sens des aiguilles d’une montre et on prend la prochaine tuile connectée, à laquelle on va ajouter… etc. ».

Ce manque d’organisation fait que pour chercher une réponse à une question, on va devoir parcourir à chaque fois le livret de long en large avant de la trouver. C’est un défaut classique que je retrouve une fois de plus ici. Je suis d’autant plus déçu et surpris qu’il s’agit d’une réédition du jeu. À l’instar de Robinson Crusoé, un effort de réécriture des règles aurait pu donner une occasion d’apprendre des erreurs, de profiter des feedbacks, puis de fournir de superbes résultats pédagogiques en retour, augmentant le plaisir de la découverte du jeu. Dommage.

 

Capitaine au rapport

Sur la dizaine de parties que j’ai pu faire, je dois avouer Le Trésor de Davy Jones m’a convaincu. Il n’était pas parti avec des points d’avance pour moi, avec un livret de règles en fouillis et ses quelques micro-règles inutiles, avec son aspect cloné de Pandemic et avec ses nombreuses sources de hasard.

L’alchimie des différents éléments thématiques, matériels, mécaniques du jeu, la justesse du dosage du hasard, les choix tactiques, font du tout un réel bon jeu coopératif selon moi. À l’exception des quelques petites règles à mémoriser, il est fluide, léger, sans temps mort ni blocage. On est plongé dans l’action tout le long de la petite heure de jeu.

Son niveau de difficulté élevé est emblématique mais n’engendre pas de sentiment d’injustice, et l’on aura facilement envie d’y retourner pour tenter de gagner, encore et encore. Ce goût de reviens-y est bien présent, et c’est sans nul doute au talent de designer de Klane Klenko que l’on doit cela !

 

 

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