Vicomtes du Royaume de l’Ouest – La comptabilité à la franque

La série de la Mer du Nord a (eu ?) le vent en poupe, c’est le moins de le dire. Et force est de reconnaître que Pillards apportait une fraîcheur au genre de la pose d’ouvriers, avait une proposition graphique forte, avant que la patte de The Mico n’apparaisse partout (et, à titre personnelle, me lasse). Idem pour l’édition, qui pouvait tout de même se targuer d’être généreuse, avec une boîte petite et pas si onéreuse vis à vis du matériel contenu. Bref. Passés les trois opus de la Mer du Nord, Shem Phillips revient avec Sam MacDonald pour une nouvelle trilogie, les Royaumes de l’Ouest. Architectes (Just Played ici) m’a séduit, à l’époque, comme avait pu le faire Pillards : un système d’accumulation et de capture d’ouvriers ma foi frais, et un jeu très ouvert. Paladins m’a moins convaincu, peut-être un peu lourd, malgré une vraie satisfaction à tirer le paladin qui va bien… et Vicomtes vient clore la série.

 

Développement toujours, points de victoire toujours. Foi et vice sont toujours là, tout comme les dettes et actes de propriété. Désormais, plus vraiment d’ouvriers : c’est donc au Vicomte de se balader pour aller déclencher les actions, autour d’une rondelle un peu particulière : son extérieur permet de se développer (avec du gain de ressources et de la construction de bâtiments), quand le centre permet d’envoyer des petits ouvriers (ah, les voilà, les fainéants !) à la construction du château, ou alors on va au scriptorium pour copier du manuscrit.

Le paquet de départ de tout un chacun !

 


On détermine la force d’une action par un certain nombre de symboles. Vous accumulez ces symboles lors de votre tour, jouant une carte de votre main dans une piste glissante. Toutes vos recrues vont et viennent, avec des effets d’entrée et de sortie. Pour parvenir à réaliser une action, il faut obtenir un seuil, bien entendu boostable avec des ressources à dépenser. Il est plutôt satisfaisant et élégant de voir son tableau rouler petit à petit, vieillir et muter, un peu à l’instar de l’excellent
Paper Tales. Sachant qu’en fin de tour, on peut recruter le bonhomme du quartier où stationne notre vicomte, moyennant monnaie sonnante et trébuchante bien sûr. Un poil de deckbuilding, vous dites ? Certes oui, mais on ne jouera pas tant de cartes que ça : c’est un peu un miroir aux alouettes que de se dire que l’on va vraiment deckbuilder. Pensez plutôt à votre main de couturiers de Rococo / Maîtres Couturiers, sauf que vous aurez une main proposant un choix limité, et qu’au final la satisfaction vis à vis de ce choix est minime. Pourtant, ce choix est important car persistant, car la carte restera dans notre tableau un certain temps. 

 

Le plateau central, avant l’installation des Margraves et des manuscrits…

 

Mini-jeux : le jeu dans le jeu

Hors cette gestion de margoulins, Vicomtes nous propose trois mini-jeux : la construction, chaque bâtiment renforçant la puissance de votre jeu en vous donnant une plus grande main, en octroyant des symboles sur certaines actions, etc. Et puis des points, tant qu’on y est ! Ce n’est pas tout : comme vous construisez dans le quartier où se trouve votre vicomte, vous bénéficiez d’emplacements limités. Et lorsque des emplacements sont connectez, bam ! Bonus pour les deux parties. Si la place est limitée, cela veut dire que tout le monde ne pourra pas s’y mettre… et c’est bien vrai, même si l’espace est plus libre à deux joueurs.

Les manuscrits rapportent des points lorsque vous les collectez, avec des systèmes de paliers à atteindre en premier, vous encourageant à vous spécialiser. Pour des symboles foi et des encriers, vous les collectez, et c’est bien tout. La douceur des PV tombant dans votre escarcelle, purement et simplement ? Ouep, c’est bien par ici. Pas bien compliqué.

 

Plateau personnel avec trois cartes actives. Lorsque les marqueurs Vertu et Vice se rencontrent, clash ! On résout l’emplacement.

 

Enfin, l’or et les symboles de noblesse vous permettent de participer au chantier. En fonction de votre score, vous placerez des ouvriers à la base du château, en pleine construction. Lorsque suffisamment d’ouvriers y sont, hop, ascenseur pour l’un d’entre eux, et décalage en adjacence pour les autres (avec éjection des ennemis). Et quand on atteint des étages supérieurs, on bénéficie de petits bonus. La finalité de tout ça ? Les PV, encore les PV. Si les réactions en chaîne sont jouissives, elles donnent à Vicomtes l’allure d’un jeu d’empilement de meeples plutôt que d’un jeu de gestion.

 

Des Leaders avec des effets plus spécialisés mais bien boeuf !

 

La foi, pas si rose

ADN indiscutable de la série des Royaumes de l’Ouest, on trouve la Foi et le Vice. Certaines recrues, pieuses, font augmenter votre foi, quand les plus vils brigands que vous invitez à votre table vous refilent certes des symboles joker pour l’efficacité maximale dans vos actions, mais la contrepartie… se paie lorsque les jetons Foi et Vice de votre plateau se rencontrent. Ça clashe ! Alors, vous récupérez quelques menues piécettes (on dira que ce sont des larcins ou des dons plus ou moins volontaires, mais le thème a ses limites) et des Dettes ou Actes de propriété, suivant la position du clash. Bien entendu, les dettes font perdre des PV, et les actes de propriété, eux, font gagner des ressources. Certaines actions nous permettent de retourner ces cartes pour solder les dettes (ouf, finalement le négatif devient positif) ou faire fructifier les actes de propriété (serfs exploités = points de victoire. Pa-rfait).

Cet ensemble mécanique va donc largement influer sur ce que vous faites de votre deckbuilding. En gros, on va choisir d’être le pire rascal, ou d’être le gentil, ou alors on s’en fiche et on regarde juste ce qui nous intéresse. Sauf que.

Sauf que, lorsqu’on observe proprement le jeu, lorsqu’on le décortique, eh bien on se dit que s’il paraît très ouvert, Vicomtes nous pousse à la spécialisation. Car plus du même symbole dans notre ligne d’actions, c’est plus d’efficacité, plus de rentabilité, plus de VP. Et les VP, c’est sacré. Donc, finalement, les symboles joker… ben, ils ont une utilité marginale : si on veut jouer sur deux tableaux sans temps mort, ce n’est pas si mal… sauf qu’il y a des opportunités d’exploiter les temps morts. Vous vous souvenez peut-être que certains emplacements vous permettent de récupérer des ressources ? Eh bien ils servent précisément à cela. Et renforcent les actions. Du coup, ben… l’édifice retombe à plat.

En bref, j’ai été convaincu par ce système de foi comme par le glaçage d’une tarte au sucre : c’est un poil trop, et on aurait préféré sans.

 

Y’a du monde au château… et ça, c’est à deux joueurs. Chaque ouvrier vaut 1 point par étage gravi (1-3) !

 

Bilan

Force est de constater que ce Vicomtes ne me séduit pas : deckbuilding un peu branlant et pas très immédiat, persistance finalement lourde, jeu très ouvert qui se réduit finalement à exécuter au maximum une stratégie (un mini jeu) parmi trois en panachant parfois avec un autre… J’ai la désagréable sensation de passer mon temps à suivre le meilleur choix, parce qu’il est évident. Et, surtout, de m’engouffrer dans cette stratégie qui me semble très limitée pendant trop longtemps. J’ai raté le coche, ou ce qui rend le jeu génial, car, visiblement, l’opus est en odeur de sainteté : les tours me semblent soit poussifs, soit automatiques (j’ai assez de ressources pour aller au château/pour aller chez les copistes/pour construire, j’y vais donc !). Non pas que Vicomtes n’ait rien de satisfaisant : les bonus que l’on se ménage avec les bâtiments nous sort le nez du sable en offrant des avantages non négligeables, les effets du château que l’on déclenche en cascade permettent des tours que l’on peut réellement qualifier de juteux. Bref, il sait satisfaire ses joueurs, cet opus, mais les met aussi dans des rails qui, sur des parties de cette longueur, ont tendance à m’agacer un peu. “Trop pour pas assez”, donc. Trop de mécanismes, pas assez de choix signifiants ? Je crois que mon verdict tient à cette phrase.

 

Dettes et actes de propriété… le timer de la partie.

 

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