Tranquillité : L’Ascension – Attention où vous mettez vos pieds !
Tranquillité : L’Ascension est une suite de Tranquillité, un jeu développé par James Emmerson en 2020. Dans son Just Played, Shanouillette nous vantait les mérites de ce premier opus, qui d’ailleurs portait bien son nom, à travers un gameplay silencieux et reposant.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? s’il fallait résumer Tranquillité en un mot, j’en proposerais deux plus exactement. Le premier serait jeu de « réussite ». En effet, à l’instar du Solitaire avec un jeu de 52 cartes, le principe du jeu est de placer toutes ses cartes à la fin de la partie dans un ordre croissant, sans se retrouver coincé. Jeu en solitaire ? C’est tout à fait possible, mais il s’agit avant tout d’un jeu coopératif.
On arrive au deuxième mot, ou plutôt nom : « The Game ». Comme le défendait justement Shanouillette, Tranquillité à quelque peu ce « truc télépathique », où il va falloir sans communiquer ressentir à quel moment il sera bon pour vos coéquipiers que vous placiez telle ou telle carte sur la table, afin de compléter efficacement une série tout en leur laissant la possibilité de jouer confortablement.
Pourquoi cinq ans plus tard l’auteur décide de remettre le couvert pour un jeu qui se voulait simple, détendu et ma foi, qui n’avait me semblait-il rien à ajouter ? Tranquillité : L’Ascension est une véritable itération de Tranquillité, qui va quelque peu hériter des mêmes principes de base, mais qui va proposer quelque chose de significativement différent. Découvrons tout cela ensemble.
Un pied devant l’autre
Pour se faire une idée du principe de base, suivez les panneaux : une explication en vidéo dans ce Ludochrono, ou bien en prose dans les paragraphes qui vont suivre.
Le jeu est essentiellement constitué d’un paquet de 85 cartes que l’on va diviser équitablement entre les joueurs. L’objectif sera donc de réussir à placer les cartes dans une série ininterrompue sur la table, de manière à reconstituer une montagne se terminant par une carte Sommet. On perdra la partie si à tout moment, un des joueurs ne peut pas accomplir son tour de jeu
Justement, comment jouer ? Votre paquet de cartes est à usage unique, une fois épuisé c’est la fin. Il faudra donc l’économiser le plus possible en piochant le moins possible. Vous aurez toujours cinq cartes en main, et la recomplèterez au fur et à mesure. À votre tour de jeu, soit vous décidez de défausser deux cartes, un moindre mal par rapport à une dépense excessive, soit vous placez une carte pour contribuer à la construction de la montagne.
La pose de cartes est plus contrainte que dans Tranquillité. Vous ne pourrez placer vos cartes qu’à la suite d’une autre, de gauche à droite uniquement, sans jamais laisser d’espace vide. Lorsque vous placez cette carte, vous devrez alterner sa couleur avec celle de la précédente (il y en a trois), et sa valeur devra être aussi proche que possible de celle de la précédente également. Si par exemple vous placez un cinq à côté d’un trois, vous le payerez en défaussant deux cartes, ce qui fait déjà bien mal.
Face à ce problème, il sera possible de démarrer une rangée supérieure, seulement s’il y a plusieurs cartes au-dessus desquelles placer la nouvelle rangée (aucun vide dessous donc). On essayera ainsi de mitiger la difficulté en créant des « options » pour ses coéquipiers, en faisant avancer les lignes inférieures suffisamment pour qu’ils aient plusieurs choix possibles et placer leur carte éventuellement aux étages supérieurs.
Cinq cartes Sommet sont disséminées dans le paquet, et la partie sera remportée dès lors que la dernière carte jouée qui comblera le dernier espace restant sera un Sommet. J’oublie un détail inhérent à Tranquillité : il est interdit de communiquer !
Stressez en toute tranquillité
Il est assez clair que Tranquillité : L’Ascension va nécessiter d’assimiler quelques principes contre intuitifs, là où Tranquillité restait simple sur toute la ligne. La grande différence entre les deux opus réside dans les mécanismes de pensée, et donc dans le rythme de jeu, et par conséquent dans les sensations qu’ils procurent. Ici, on va peser le pour et le contre de chaque option avant de jouer. Moins de fluidité au profit de plus grands dilemmes. L’erreur de jugement sera bien plus sévèrement punie, si bien que poser une carte prend des allures de sceller son choix dans le marbre. Un pied mal posé est un pied qui dévisse !
Personnellement, j’ai justement trouvé les choix de jeu bien plus intéressants dans cette itération que dans le jeu de base, pour plusieurs raisons. Premièrement, ils impliquent plusieurs petites séries constituant les étages de la montagne. « Vais-je me tortiller pour continuer l’étage en cours, ou bien vais-je confortablement placer une carte dans l’étage supérieur, laissant moins de marge aux joueurs suivants, qui seront face au même choix ? ». Cette phrase est à relativiser, car les situations peuvent être différentes, mais elle vous donne le ton.
Dans le jeu original, les dilemmes m’ont paru un peu trop rares. L’inspiration n’est pas très forte pour motiver le placement d’une carte plutôt qu’une autre. On sait qu’un 41 sera à placer quelque part au milieu, par ici ou là, mais on le placera sans grande conviction. On va avoir tendance à meubler un grand vide de façon erratique durant une bonne moitié de la partie, avant de commencer à sentir l’étau se resserrer, pour finalement ne plus avoir trop de choix : le meilleur étant toujours le « moins pire ».
Ici c’est très différent, la catastrophe peut arriver dès les premiers tours. Telle que l’ascension d’une montagne, la partie nous fait ressentir un danger de chute permanent. Est-ce un choix thématique délibéré ? Ce serait beau, mais je ne saurais affirmer si c’est le cas ! En tout cas la différence est là : on ne fait pas les malins et on avance à petits pas.
Il y a plusieurs tout petits twists apportés par quelques cartes spéciales qui permettent de donner du mou (encore un choix thématique ?). Par exemple, les cinq Ponts sont une sorte de joker, mais qui en réalité sont un prêt avec intérêt. On peut les placer à côté de n’importe quelle carte, mais plus tard, il faudra obligatoirement les recouvrir avec une carte classique avant de terminer la partie. En les recouvrant, on payera la différence maximale avec les deux cartes voisines. Si le pont vous a permis de placer un neuf à la suite d’un cinq malvenu, plus tard, vous aurez intérêt à placer un sept pour ne payer que deux cartes, ou bien vous payerez vraiment trop cher.
Dans la même idée, les feux de camps vont remplacer une carte de la même couleur, à n’importe quel endroit, à condition que cette dernière puisse être replacée plus haut, tout en payant le prix suivant les mêmes règles. Ces petits ajouts ne sont pas un « game changer », mais arrondissent les angles, permettent de souffler dans un moment tendu.
À la recherche du raccourci
Je pose cette phrase ici, sachant qu’elle peut faire débat : Tranquillité semble tendu, mais en réalité, il peut être « cassé », à condition de trouver sa faille. Il suffit de comprendre le principe du damier. Pour augmenter vos chances de réussite de manière astronomique et quasiment gagner à chaque coup, vous devrez non pas chercher à prolonger vos séries de chiffres, mais à retarder cela le plus possible en alternant un vide et une carte sur la table. Comme le coût à payer est basé sur la plus petite différence avec les cartes voisines, ça marche à tous les coups. Si un jeu peut être ainsi détourné, c’est pour moi un problème : il perd son intérêt. C’est le tour de magie qui a été raté avec maladresse, ou c’est la blague mal racontée que l’on est ensuite obligé d’expliquer. Même combat !
Autre bénéfice apporté par cette itération, ici on ne casse pas le jeu. On va perdre les premières parties, à essayer de comprendre le « truc ». Au bout de quelques parties, on le saisit. Il faut en fait laisser le plus possible d’options à ses coéquipiers. Plutôt que de poser la carte qui ne va rien me coûter à sa pose, je devrais plutôt opter pour celle qui coûtera plus cher, mais qui permettra aux joueurs suivants d’avoir plus d’options, en créant par exemple des emplacements supplémentaires aux étages supérieurs, pour placer leurs cartes. Il y a donc une façon de jouer pour gagner, mais il n’y aura pas de raccourci universel. Tout sera question de dosage entre coût pour soi-même et bénéfice pour ses coéquipiers, ce qui fait un très bon point pour un jeu coopératif.
La courbe de progression sera également raide. On progresse fortement entre les parties, si bien que les premières paraîtront violentes, alors qu’au bout de quatre ou cinq, on gagera la plupart du temps. Là aussi, quelque chose de bienvenu a été apporté pour accompagner cela : des variantes !
Varier les galères et les plaisirs
Les trois variantes proposées par les règles s’avèreront aussi efficaces qu’indispensables. Chacune ajoutera une dose importante de difficulté, mais en parallèle, comme je vous le disais, votre compétence au jeu en fera autant. Chacune vous imposera un objectif supplémentaire en plus des objectifs de base. Voyons un peu de quoi il s’agit.
Le Sentier verdoyant nécessitera de former une chaîne ininterrompue de cartes vertes du bas vers le haut pour remporter la partie. Vous devrez apprendre à gagner du temps, temporiser en sacrifiant des cartes ou en jouant ailleurs, en attendant de piocher la bonne couleur.
Le Documentaire Alpin, imposera aléatoirement trois patterns à reproduire dans votre montagne, chacun basé sur la succession précise de trois valeurs (par exemple 10-12-10). L’effort se rapproche de celui du sentier.
Enfin, la Faune montagnarde, le plus intéressant à mon goût, ajoutera un nouvel élément sur la table. De petits meeples Bouquetins viendront s’ajouter sur les 12 cartes sur lesquelles ils figurent aléatoirement, lorsque celles-ci seront posées. L’objectif sera de mener au moins 8 d’entre eux au sommet, en défaussant chaque fois une carte pour faire monter un meeple d’un étage. L’horreur ? Pas tant que ça, car d’une part vous prendrez tous les bouquetins situés sur une carte pour les faire grimper (et non pas un par un), en cherchant donc à les grouper. D’autre part, cela ajoute un intérêt à défausser des cartes, ce qui n’est par conséquent plus une perte sèche de votre tour de jeu. La variante ajoute donc certes de la difficulté, mais surtout une autre dimension, à travers la gestion de vos cartes inutiles, qui deviennent par conséquent indispensables. Très beau twist.
On tentera donc sa chance plusieurs fois avant de venir à bout de chacune de ses variantes, et ce ne sera pas chose facile. Le nombre de parties sera par conséquent bien plus important. Et surtout, ces variantes sont compatibles entre elles. Rien n’empêche de combiner le Sentier verdoyant et les Bouquetins. C’est l’enfer, mais c’est possible, et quelque part, ça fait même envie !
Atteint-on un sommet ?
De fait, Tranquillité : l’Ascension est plus complexe à appréhender que son prédécesseur, moins dans la détente, plus dans la concentration. Un public s’attendant à trouver un jeu exactement dans la même veine peut ressentir une certaine déception. Pour ma part, c’est l’inverse. Je n’ai jamais accroché au premier pour les raisons que j’ai évoquées, alors que, vous vous en doutez peut-être, je suis totalement conquis par celui-ci. Comme je le disais en introduction, il est une itération, mais qui propose autre chose et donc qui parle peut-être plus à un public légèrement différent.
Avec l’émergence de jeux modernes aux gameplays parfois révolutionnaires, le jeu de réussite peut paraître un peu vieillot en 2025. Chez certains, Tranquillité : l’Ascension va paraître ennuyeux, renvoyant une image des jeux d’autre fois, ou même tomber à plat. C’est comme ça. Il ne sera pas moteur d’ascenseur émotionnel, style oblige. L’intérêt n’est pas là. Pour l’apprécier, il faut être amateur de jeux de patience, ou jeux de type puzzle. Si vous êtes de ce public, il vous apportera de la consistance et de bonnes sensations.
La coopération fonctionne bien à deux ou trois joueurs. Je le recommanderais moins à quatre ou cinq, où des pioches plus petites provoqueront des défaites plus soudaines. Je vous parlerai du mode solo dans un prochain article !
Outre le gameplay, l’autre force du titre réside dans ses variantes, qui imposent des contraintes avec lesquelles il sera intéressant de jongler. De plus, elles garantiront une longue durée de vie à un petit jeu à petit prix.
Une autre itération est prévue. Je n’ai pour l’instant pas d’information sur sa localisation en Français. Son nom est (roulement de tambours) Tranquillité : the Descent (la descente). Non, ce n’est pas une blague et j’espère avoir l’occasion de l’essayer !
En définitive, Tranquillité : l’Ascension ne m’apparaît définitivement pas comme une itération fade à simple but lucratif. Il y a une vraie recherche dans l’approfondissement du gameplay et dans l’objectif de faire durer, et cela fait plaisir.
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