Tracks : Du proto à l’édition – Partie 1

Aujourd’hui nous allons vous parler d’un jeu que nous avons suivi de près, alors que ce n’était encore qu’un prototype, et jusqu’à sa version quasi finale. Tracks est un projet très particulier que l’on a découvert dans le cadre d’un festival professionnel, encore sous forme de proto, puis on a recroisé son chemin et son évolution jusqu’à son édition …

C’est aussi l’occasion de parler d’un projet à travers le temps, et à travers ceux qui l’ont fait, d’abord les auteurs, Juan Rodriguez et Christian Rubiella, mais aussi le travail d’édition, les illustrations, l’application, et tout un lot de choses que l’on ne peut soupçonner quand on a le produit fini dans les mains.

 

 

Novembre 2021, quelque part en Drôme…

Juan Rodriguez nous pitche rapidement le jeu. La trame de l’histoire se passe dans une ville : Siren Bay, où le maire a mis le paquet sur la sécurité. Il a installé des caméras de surveillance partout dans la ville, qu’il appelle vidéoprotection, évidemment. 

Mais ça ne suffit pas, il y a des élections bientôt, il a donc besoin de résultats visibles. Il communique sur une unité spéciale pour lutter contre la criminalité, une unité d’élite qui va placer des micros et écouter les agissements du crime. Cette unité, c’est nous. On découvre assez vite l’envers du décor, on est relégué dans les caves de l’unité de police, on a accès à toutes les caméras de surveillance de la ville, mais le système ne permet d’en activer que quatre maximum en même temps. Pas de budget, vous voyez ! 

Cette limite en plus d’être introduite narrativement sert aussi le gameplay, puisque cela évite aux joueurs d’utiliser trop de caméras et de se noyer dans un surplus d’informations.

 

 

Sur écoute …

Pour notre première mission, nous avons un enregistrement de quelques minutes : une voiture qui démarre, des bruits de pneus qui crissent, des bruits extérieurs. On imagine aux bruits un peu étouffés que le micro est sur une personne qui est en train de se faire enlever. Vous devinez notre mission ?

Une fois la bande son entièrement écoutée, nous pouvons la réécouter où bon nous semble, et tenter de relever des sons qui pourraient nous en dire plus ; le bruit de la mer ? une fête foraine ? Vous comprenez que nous avons un temps limité pour cibler la planque où se sont réfugiés nos malfrats. Et si l’on tarde trop, il se pourrait qu’ils jouent les filles de l’air. 

En trop peu de minutes, on doit donc rassembler toutes nos compétences auditives (bande-son) et visuelles (la carte de la ville). On peut aussi s’aider des caméras de surveillance, il suffit pour cela de regarder la carte portant le numéro du lieu indiqué dans la rue, carte qui nous donne une image du lieu, dont on tirera des informations si on observe avec attention. Toutes les caméras n’étant pas utiles, le risque est, en en observant trop, de s’éparpiller un peu, et de perdre ce précieux temps.

 

 

Quel projet !

À ce stade, on se dit que le projet est prometteur, qu’il ne manque pas d’ambition, mais qu’il va demander un énorme travail d’édition dans l’écriture des nombreux scénarios, les auteurs souhaitant en proposer une quinzaine, tout en proposant un renouvèlement des différents objectifs. Pour cela, il faudra une application aux petits oignons. Sans oublier un énorme travail d’illustrations, que ce soit pour la carte qui sert de plan de la ville, ou bien les caméras de surveillance.

Mais il y a aussi tout ce que l’on n’imaginait pas, en tant que joueur …

 

Juin 2022, quelque part en Drôme…

Quelques mois plus tard, le même Juan nous présente le projet, qui depuis a été signé par KYF Editions. Beaucoup de choses ont évolué. D’abord, nous n’avons plus un simple magnétophone, mais une application, qui agit au doigt et à l’œil : on peut écouter, réécouter, rembobiner de façon simple et pratique, puis, une fois que l’on pense avoir trouvé le lieu, on clique dessus dans l’application. Celle-ci nous révèle ce qu’il se passe : on a trouvé, on a raté, ou encore, on est arrivé trop tard.

 

La nouvelle carte de Siren Bay

 

Tester, tester, tester …

Pour qu’un projet éditorial aille au bout, il faut donc le tester encore et encore, et c’est d’autant plus vrai pour un projet qui fait appel à l’audition. C’est ce que nous propose Juan, en nous embarquant pour quelques scénarios. Nous testons les épisodes, il écoute nos retours, les note scrupuleusement.

Parfois, notre fine équipe tourne en rond, elle a beau tendre l’oreille, elle a raté un élément significatif, ce qui fait beaucoup rire Juan (vous voyez le rire de Satanas et Diabolo ?). Néanmoins, il le consigne sur son calepin et nous explique la problématique concernant les bruitages. Il l’évoquait d’ailleurs dans l’interview qu’il nous avait donné en mai, il nous disait travailler avec un ingénieur du son habitué à collaborer sur des films, une expertise nécessaire sur un projet comme celui-la. 

Des tests sont faits sur les salons et festivals. Le jeu a tourné notamment au FIJ où le retour du public cible est précieux, et plus récemment à PEL, le même week-end que le bouclage du projet. Les réglages sonores sont importants, car si les testeurs ratent un élément important, il faut peut-être (c’est l’équipe éditoriale qui en décidera) le renforcer, et si au contraire c’est un peu trop évident, il faudra déplacer le curseur. De même, les tests permettent de mettre en évidence le vocabulaire utilisé, si un mot ne parle pas au groupe il conviendra d’en trouver un plus imagé, plus éloquent, plus large.

 

Christian Rubiella et Juan Rodriguez

 

Une bande-son immersive

C’est bien connu, au cinéma « il faut faire du faux pour faire du crédible ». Sans compter sur l’enregistrement des acteurs, “ qui demande pas mal de technicité et de finesse” nous disait Juan. Pour revenir au travail sur le son, nous n’écoutons pas seulement des bruits, mais aussi des dialogues. Dialoguiste c’est un métier, n’est pas Tarantino qui veut, pourtant ça fonctionne bien, c’est fluide, et on se laisse embarquer dans l’univers des protagonistes de Siren Bay. 

Dans le prototype, ce sont des personnes de l’entourage de Christian qui jouent les dialogues, notamment sa compagne. Certains personnages sont parfois surjoués dans la version proto, ou décalés avec le personnage incarné, et ça nous sort un peu du jeu, ça nous amène à sourire, ce qui n’est pas l’objectif. 

Dans le cinéma, mais aussi la littérature on appelle ça la suspension consentie de l’incrédulité (lien wikipédia), par exemple quand un personnage pour les besoins du scénario change radicalement de caractère ou qu’il fait quelque chose qui ne nous semble pas vraisemblable, si c’est trop exagéré le spectateur va apercevoir les ficelles et perdre la cohérence et la crédibilité, il n’y croit plus.

Dans un jeu, c’est la même chose et pour éviter cela l’éditeur a engagé plusieurs acteurs afin d’éviter le syndrome de l’acteur qui joue plusieurs rôles. L’important est d’augmenter l’immersion pour le groupe.

 

 

Christian nous confiait avoir utilisé un argot qui pouvait être daté, ce qui nécessite un travail d’écriture pour que ça ne sonne pas faux aujourd’hui. Les dialogues sont réécrits puis validés par les auteurs. Dans certains cas, ce sont les acteurs qui ont leur mot à dire et font profiter de leur expertise, mentionnant que tel dialogue fonctionne peut-être à l’écrit, mais sonne faux une fois joué.

 

Coté scénario

Si Christian et Juan se partagent le travail, c’est plus Christian qui travaille sur le scénario, puis en discute avec Juan.  Tracks devrait avoir 15 scénarios, qui peuvent se jouer dans l’ordre sous forme de campagne, ou bien être picorés, en fonction de nos envies. On devrait y croiser des personnages récurrents, que l’on retrouve dans la campagne, un fil rouge parcourant le jeu un peu comme dans une série.

 

 

Mais à qui s’adresse ce jeu ?

Dans ce projet, il y a une volonté de rendre le jeu accessible à tout un chacun. Le sujet tourne autour de la criminalité, mais pas de violence gratuite, sans édulcorer pour autant. Tracks est un projet ciblé pour la famille.

Cette accessibilité se retrouve aussi dans “le produit” puisqu’il n’y a pas de règle. On est directement jeté dans le feu de l’action, la première mission sert de Tutoriel, puis les choses sérieuses s’enclenchent, et il faudra écouter, et faire quelques déductions. Pour ce qui concerne les scénarios que l’on a testés, on est toujours dans des éléments logiques et intuitifs, un peu à la Détective (sans en avoir la profondeur évidemment). Ce n’est pas alambiqué comme peuvent l’être certains jeux du genre. 

Le chronomètre a été gardé pour certaines enquêtes, mais enlevé pour d’autres, car ils se sont rendu compte que c’était un facteur de stress et que ça desservait le jeu. il reste présent, mais pour pouvoir mesurer notre réussite.

 

 

Christian raconte qu’ils ont finalement trouvé le truc, l’idée pour guider les joueurs qui auraient perdu le fil, qui seraient sortis du rail, ou auraient raté un élément. Par un système d’indices, les joueurs peuvent ainsi interroger, via l’application, par exemple la femme de l’écrivain enlevé à la toute première mission, celle-ci révélant le lieu où il était la dernière fois qu’elle l’a entendu. Ce nouvel élément donne une béquille aux joueurs, mais leur fera perdre quelques points sur leur rapport de mission. 

Maintenant que vous avez un aperçu du projet, qu’on a vu la part des auteurs et scénaristes, que reste-t-il à faire à l’éditeur qui a signé le jeu pour l’emmener vers une œuvre à part entière ? Dans la prochaine partie, nous vous parlerons de la part éditoriale de l’œuvre : illustrateur, graphiste, développement de l’application, production.

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1 Commentaire

  1. Cormyr 12/07/2022
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    Bel article.

    J’ai essayé le feu au Festival du Jeu de Montpellier, « Sortons Jouer ! », une fois sur le festival, une autre fois chez les Castor, un bar à jeu, le soir après le Festival. 3 enquêtes de faite.

    Je me méfiais car je ne suis pas un aficionados de Micro Macro City et j’avais peur que ce ne soit qu’une variante. Vous aurez compris que j’ai été conquis pour en avoir fait 3 parties dans la même journée.

    D’abord l’idée de l’audio est géniale. On discute pour identifier les bruits, parfois on entend pas la même chose.

    Autre très bonne idée, il y a une progression dans le jeu. On gagne en expérience. Et quand je dis « on », je parle du joueur. On reconnait les bruits et on va plus vite. Heureusement les enquêtes deviennent plus difficile. Et Christian (que je connais bien) étant un fourbe, certaines enquêtes vont utiliser votre pseudo expérience (tel bruit veut dire qu’il est passé par là) pour vous induire en erreur. Après explication, c’est évident et logique, certains bruits peuvent être liés à d’autres lieux/évènement.

    Bref du tout bon pour moi, nous l’attendons avec impatience.

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