Juan Rodriguez : sur écoute

Ce n’est pas tous les jours, peut être même pas chaque année que nous pouvons recevoir de nouvelles saveurs ludiques. Un nouveau mécanisme, ou encore des aventures ludiques qui nous procurent des émotions ressenties jusque-là par d’autres déclencheurs qu’un jeu.

Parfois les idées sont simples : comment n’avoir pas pensé plus tôt à le reproduire dans un jeu ; le cas de The mind.

Une fois que la voie est ouverte, il y aura des déclinaisons : on ne peut plus compter le nombre de titres qui ont suivi la voie ouverte par Dixit

L’audio est un sens encore très peu invoqué dans les jeux. On a parfois quelques bandes sons, timer, ou interaction avec une appli ; mais l’écoute, l’écoute du bruit, des dialogues ? Cette voie là s’est ouverte avec Echoes, dernièrement paru. Un jeu dans lequel on écoute des samples audio, des morceaux d’histoires jetés en vrac qu’il nous faut remettre dans le bon ordre. Un puzzle audio.

Avant que ne sorte Echoes, un auteur travaillait déjà sur quelque chose de proche, quelque chose de simple et évident, qui se comprend en deux mots : une enquête audio.

 

Juan Rodriguez, peux-tu nous raconter l’histoire de Tracks ?

À chacun de mes jeux, j’ai cherché à explorer de nouvelles façons de jouer, de nouveaux concepts, de nouvelles thématiques. Ce qui me motive c’est la recherche de l’expérience particulière et autant que possible de l’implication émotionnelle du joueur. Or le son est un des vecteurs primordiaux de l’émotion et il était peu exploré dans les jeux jusqu’à maintenant. 

Le concept de Tracks m’est venu en pensant à un enlèvement où la victime, enfermée dans un coffre de voiture, entend les sons de la ville et essaye de les identifier pour se repérer. Mais cela impliquait qu’un joueur se glisse dans la peau de la victime. Nous avons rapidement convenu avec Christian Rubiella, mon complice sur ce projet, que c’était trop violent. Nous avons donc adouci le contexte. Maintenant les joueurs sont tous des « Rookies » (des bleus) fraîchement promus flics. Leur première affectation les amène dans la ville de Siren Bay, qu’ils vont découvrir et apprivoiser au fur et à mesure des affaires que l’on va leur demander de résoudre.

Dès les premiers moments de la création, j’ai senti une certaine forme d’urgence.

Nous sommes tous influencés par les mêmes médias, la même culture, les mêmes réseaux. Il est logique qu’une idée éclose dans plusieurs têtes en même temps. D’habitude je pousse assez loin les prototypes sur lesquels je travaille. Pour ce jeu, nous avons choisi avec Christian de le proposer rapidement à des éditeurs. Notre idée était de ne pas perdre de temps à travailler dans un sens qui ne conviendrait pas à l’éditeur final. Les orientations possibles étaient nombreuses. Nous voulions choisir ensemble, avec lui, les axes de développement et ne finaliser que la « bonne » version du jeu. L’enthousiasme de l’équipe de KYF éditions à immédiatement résonné avec nos impératifs, et il nous galvanise encore…

 

Tracks – Juan, un otage ?

 

Tu ne connaissais pas Echoes alors que tu travaillais sur ce nouveau concept de jeu. Penses tu que la sortie d’ Echoes avant Tracks puisse être positif pour la mise en valeur de ta création ?

Oui tout à fait. J’aurais évidemment préféré l’inverse dans les dates de sorties, mais les deux jeux, en utilisant l’audio, ne l’abordent pas de la même façon. 

Tracks propose une série de vraies enquêtes policières, le temps y est compté, il est court. Il faut être sagace et rapide pour trouver la solution et pouvoir intervenir à temps. Ce n’est donc pas la même sensation, pas la même cible forcément qu’un Echoes, qui prend son temps et qui tient plus du puzzle audio que de l’enquête.

La composante audio centrale de nos jeux ouvre un large secteur à explorer. Je suis persuadé que nous allons être de nombreux auteurs à nous engouffrer dans cette nouvelle voie. D’autant plus que les moyens techniques dont les joueurs disposent rend cela très fluide.

 

Tracks sera une saison à vivre en seize épisodes, dans le désordre éventuellement, un Audio Macro Crime City ? Est ce qu’on retrouvera les protagonistes, la même ville, est-ce qu’on apprend au cours des différentes histoires à reconnaître les bruits de la ville ?

 

Tracks est vraiment conçu comme une série TV. Nous avons construit tout un environnement humain avec des personnages secondaires. Les vedettes (parfois malmenées) sont évidemment les personnages des joueurs. Donc, en arrière-plan des parties de jeu, tout un univers va vivre et évoluer avec peut-être des histoires parallèles. Cet environnement sera mis en valeur dans un livret qui introduira les affaires et racontera ce qui se passe pour la brigade, dans la ville, les relations entre les personnages secondaires… bref tout un background élaboré.

Par contre, aucune obligation pour les joueurs d’utiliser le livret histoire.

Il sera tout à fait possible de picorer une affaire par-ci par-là sans s’immerger dans la trame globale. Comme dans une série dont on ne regarde qu’un épisode sans la vivre dans son intégralité, certains clins d’œil ou allusions ne vont pas résonner de la même manière, sans pour autant nuire au plaisir immédiat. 

 

Évidemment l’expérience complète, telle que nous l’avons conçue et souhaitée, aura notre préférence et c’est celle que nous recommandons. Mais, d’une part chacun reste libre, et d’autre part, le groupe de joueurs n’est pas forcément uniforme. Notre système peut s’adapter à la façon de jouer des participants.

 

 

 

Une appli dans un jeu, ce n’est plus une nouveauté, on doit facilement trouver des gens pour travailler le produit. Mais du bruitage, du montage de sons, adapté au jeu de société, qu’en est-il ?

J’ai participé à une cellule de Kino dans laquelle nous faisions des courts métrages plus ou moins régulièrement. Avec un point d’orgue annuel : le KinoKabaret. Pendant 48 ou 72 heures une trentaine de malades se réunissent et réalisent ensemble des courts métrages. En occupant, suivant les projets, les différentes fonctions nécessaires à sa projection publique à la fin du délai. Très formateur comme challenge. 

Par la suite, j’ai travaillé sur des séries de courts en dessins animés vers la fin de mon passage à Charlie Hebdo (dix ans quand même). Nous avions à ce moment là commencé par enregistrer les voix des acteurs et caler les scènes animées ensuite. C’était sur « Maurice et Patapon » de Charb, puis « Les Pandas de Tignous » qui continue encore aujourd’hui.

J’ai donc déjà manipulé du son, dirigé des acteurs et des ingénieurs du son, et j’avoue que cela m’amuse beaucoup. 

Par contre effectivement, ce n’est pas dans les normes actuelles des productions ludiques. Mais la création n’a que des frontières floues. Le jeu vidéo a déjà défriché ce secteur d’activité et certaines grosses productions du jeu de société commencent à faire des bandes annonces vidéo dans lesquelles interviennent acteurs et techniciens vidéos.

 

Pour Tracks nous travaillons avec un ingénieur du son habitué à colaborer sur des films. Et c’est très intéressant, son expertise en ce domaine va nous permettre de faire encore plus vrai. C’est bien connu, au cinéma, il faut faire du faux pour faire du crédible. Sans compter sur l’enregistrement des acteurs qui demande pas mal de technicité et de finesse. Pour le Prototype, c’est Christian qui s’était attelé à cette tâche de la gestion du son. Il a un vrai talent d’acteur, c’est loin d’être mon cas. Son énergie et ses idées ont porté notre projet bien plus loin que prévu. Mais pour en revenir à la partie application, il est important de préciser que dans ce domaine les compétences de Nico de KYF édition nous ont été précieuses et nous avons vraiment été accompagnés dans le développement du jeu d’une façon incroyable et que nous ne pensions pas possible. Bref beaucoup de boulot, mais que du bonheur.

 

Tu as sorti récemment Cartzzle, et on peut aussi remonter à beaucoup plus loin dans le temps pour entendre parler des jeux de Juan Rodriguez, Tic tac boum, Elixir, ça ne nous rajeunit pas. Mais tu as surtout d’autres projets qui aboutissent cette année, dont tu peux nous parler ?

Concernant Cartzzle, nous travaillons avec Florent et Bony des Jeux OPLA, sur de nouveaux opus qui devraient voir le jour à la rentrée. Je ne peux pas en dire plus, la surprise étant de mise sur certains…

À la rentrée, avec Julien Prothière, Sur le Fil, magnifiquement illustré par Jonathan Aucomte, doit sortir chez Gigamic, c’est un jeu poétique avec un peu de dextérité. Il met en scène des oiseaux posés sur des fils accrochés à des poteaux installés sur les bords de la boîte… un petite filiation lointaine avec Décrocher la Lune. À partir de 7 ans, il peut se jouer en compétition ou en coopération, au choix !

 

Sur le fil (proto)

 

Fictions, mémoire de gangster, avec Fabien Riffaud, prévu pour cet été. Édité par Ludonova et illustré par Éric Hibbeler. Il s’agit d’un jeu coopératif dans lequel les joueurs tentent de développer leur gang commun, à travers des scénarios rejouables. Ils vont braquer une banque, attaquer un fourgon, blanchir de l’argent au casino… pour finir par tenter de faire Main basse sur la ville. Tout cela dans une ambiance Pulp avec des lancés de dés extravagants ! Un gros travail de longue haleine qui voit enfin le jour. Nous sommes impatients !

 

 

Sans oublier pour la fin de l’année : Silex and the City, d’après la BD et le dessin animé de Jul, avec Fabien Riffaud, chez Don’t Panic Games. Un petit jeu de cartes dans lequel il ne faut pas être le perdant. Surtout ne pas avoir d’idées neuves, pour ne pas faire de découvertes qui nous mènent à des évolutions… qui nous entraînent inéluctablement là où nous en sommes ! 

Et Tracks, bien sur, en novembre !

 

Une année bien remplie ! Merci Juan

LUDOVOX est un site indépendant !

Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :

Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :

acheter tracks sur espritjeu

Laisser un commentaire