Sankoré : le savoir se partage
Sankoré est une création conjointe de Fabio Lopiano, un auteur bien (re)connu (Calimala, Autoban, Ragusa, Merv...) et de Mandela Fernandez-Grandon (Glasgow en 2020) sorti initialement chez Osprey Games et qui arrive en français chez Super Meeple. Les deux auteurs ont un autre projet en cours chez ce même éditeur : Ayar Children of the Sun (à suivre).
L’empereur du Mali Mansa Moussa revient d’un pèlerinage à la Mecque avec son nouvel architecte dans ses bagages. Il souhaite faire rayonner l’université du Mali à travers le monde, la fameuse Medersa de Sankoré à Tombouctou inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.
Nous incarnons des directeurs d’école et nous allons préparer des cours universitaires, accueillir des étudiants, donner des cours, et enrichir la grande bibliothèque de Sankoré. Attention, les points de prestige que l’on va remporter dans chaque discipline dépendront des livres placés dans la bibliothèque… Poussez les portes, n’ayez pas peur…

Mise en place à 2 joueurs.
J’aime beaucoup les designs de Fabio Lopiano, en 2024 le jeu qui m’a le plus marqué reste Shackleton Base (en co-autorat avec Nestore Mangone). Tous les ans sortent énormément de jeux de type Eurogame et malheureusement pour moi beaucoup d’entre eux ont tendance à être des multijoueurs solitaires, et si j’en aime certains, j’apprécie plus quand on interagit avec les autres autour de la table. Cet auteur depuis le début de ses créations réfléchit à faire jouer les joueurs réellement ensemble, que ce soit avec des interactions positives ou négatives, dans ce qu’on aime appeler un écosystème.
Dans Sankoré, ce que l’on va partager est le savoir, et quoi de plus beau que de partager la connaissance, l’instruction, la science ?
Retour d’expérience
Dès la lecture des règles, on comprend qu’il va falloir être patient et minutieux ici car il y a beaucoup d’éléments à ingurgiter. Fort heureusement ces règles sont extrêmement bien écrites, mais on est vraiment dans du jeu expert, pas de doute, Sankoré est un jeu qui se mérite et qui ne va pas se dévoiler à la première partie. Cette sensation est loin de se dissiper quand on se retrouve devant son plateau personnel et le plateau central pour la première fois, on se sent complètement perdu devant cette immensité !
La structure du jeu se veut néanmoins simple, nous avons deux actions différentes parmi six à réaliser à chaque tour, et cela jusqu’à la fin de la partie qui se déclenchera quand on aura placé la dernière tuile Sankoré dans la Medersa. Toutes ces actions sont imbriquées comme nous allons le voir.

photo plateau perso
La principale action et que l’on aimerait réaliser chaque tour (tellement elle est importante) consiste à donner un cours, mais pour cela il faut que l’on ait un étudiant dans notre université, celui-ci va réaliser l’action de la tuile où il est présent et monter au grade supérieur. Au début, on accède uniquement aux cours préparatoires, mais ensuite les cours supérieurs universitaires deviennent accessibles.
En fonction de la tuile, on va pouvoir agir sur une des quatre disciplines : la Théologie, le Droit, l’Astronomie et les Mathématiques qui sont comme autant de mini-jeux. Si le meeple correspond à la discipline, on pourra réaliser en bonus l’action de la tuile.
Un peu de discipline que diable !
En dispensant un cours d’Astronomie, on va pouvoir cartographier le ciel et déplacer notre chameau sur les terres arides d’Afrique ; si l’on atteint une ville, on peut y planter notre tente, ce qui nous permettra de gagner du sel, une ressource importante, mais aussi et surtout d’avoir plus de savoir en astronomie la prochaine fois que l’on réalisera l’action.

La zone Astronomie
Avec les cours de théologie, c’est des livres que l’on pourra récupérer en construisant une mosquée, avec le Droit, on pourra gagner des tuiles compétences qui vont donner plus d’ampleur à notre jeu, enfin, avec les Mathématiques, on va ériger les murs d’enceinte qui protègent la Medersa (et pour cela, il faudra avoir des livres). En plus on va gagner de l’or et activer une tuile Sankoré nous donnant un bonus immédiat.
Dans notre première partie, on a surtout eu l’impression de faire un cours de Brass(e) coulée. En clair : on nageait ! Pourtant, Sankoré ne se noie pas dans une si grande quantité de ressources – on a les livres, l’or et le sel, et c’est tout (même si on peut considérer les étudiants comme une autre ressource).

Le cycle des ressources
C’est au moment où je commence à perdre pied que je vois cette illustration sur le plateau (photo ci-dessus) qui ressemble un peu au symbole de recyclage. Tout s’éclaire soudain. On a donc une sorte de synergie, d’économie entre ces diverses ressources. L’or nous sert pour les voyages en chameau, le sel se dépense à la mosquée et les livres à la Medersa. Tout est complètement relié et une fois que l’on a compris cette interdépendance, on se sent moins perdu.

Le plateau perso en fin de partie
Avec notre plateau, on se construit un moteur de jeu, d’abord parce que chaque action peut être renforcée avec des jetons que l’on aura récupérés en donnant un cours de Droit. Ainsi, désormais en réalisant l’action Astronomie, je vais gagner un or ou bien un déplacement d’étudiant.
De plus, nos tuiles de cours Universitaire vont nous donner un bonus si notre meeple est de la même couleur. Ainsi j’ai +2 de savoir pour ce cours de Théologie. C’est un élément du jeu qui se planifie, il faut faire “monter” ses élèves, et si possible en concordance avec la matière enseignée. Certains effets nous permettent de faire avancer un élève dans le cursus (sur le plateau), d’autres de déplacer latéralement. La marge de progression est fort importante dans ce secteur du jeu (on n’anticipe d’ailleurs pas assez cette construction lors des premières parties).

Les tuiles cours universitaire
Comme dirait Littlefinger, le savoir est une arme (mais le savoir se partage et se diffuse surtout !)
Les autres actions permettent d’ajouter des tuiles Cours universitaire sur notre plateau, afin de nous spécialiser, de diplômer des étudiants, ce qui nous donnera des points de victoire (mais nous fera aussi perdre un étudiant qui pourrait être bien utile). L’obtention de faveur nous permet de nous adapter, de gagner des ressources, des livres, etc. Le système est simple mais malin : soit on bénéficie d’un bonus en fonction de notre avancée sur cette piste, mais on ajoute sur notre plateau une tuile qui risque de nous faire perdre des points de prestige, soit on enlève une de ces tuiles. Enfin et surtout, pour construire une université, on a besoin d’accueillir de nouveaux étudiants.
Ces étudiants se trouvent sur des pistes en attente, présentes sur chaque discipline : quand vous prenez un étudiant vous devez le placer sur votre plateau, il sera prêt à enseigner pendant une autre action. Attention, ce faisant vous avez augmenté le niveau de savoir dans la discipline, et plus le niveau est important et plus vous allez pouvoir réaliser des actions puissantes, mais vos adversaires aussi, et ça c’est génial, parce qu’il y a une montée en puissance commune qui se joue. On a partagé l’intelligence collective, même si l’on va pouvoir se distinguer dans chaque discipline, car Sankoré reste un jeu compétitif.
Par ailleurs, en se vidant, ces files d’attente vont déclencher des bonus immédiats, mais aussi et surtout des décomptes intermédiaires. Par exemple, en prenant cet étudiant, on va contrôler les majorités dans la discipline à la fin de mon tour. Pour chaque zone, le joueur majoritaire va gagner le livre de la zone. Une sorte de contrôle de zone subtil comme Shackleton Base. Bref vous comprenez ici que l’on va se battre pour ces majorités. Au deuxième décompte, on ne gagnera pas des livres cette fois, mais des points de Prestige qui sont synonymes de points de victoire.

La file d’étudiants disponibles
Il y a donc toujours une tension constante dans les majorités, car il faut les gagner mais aussi les maintenir au moins jusqu’au deuxième décompte et cela nous pousse à jouer sur toutes les disciplines, mais surtout à maîtriser le tempo du jeu. On pouvait s’y attendre : Sankoré n’est pas un jeu où l’on joue dans son coin, on joue en fonction des autres, que ce soit ces majorités ou ce savoir qui augmente.

La zone de Droit
Et plus on a de savoir et plus on peut placer nos constructions dans les zones les plus prestigieuses. Oui, mais ça se mérite ! Non seulement il faut beaucoup de savoir, mais il faut aussi réaliser un cours magistral, et donc avoir deux étudiants en dessous de la tuile cursus universitaire – si ces deux conditions sont réunies, alors vous pouvez placer votre bâtiment et gagner la tuile sankoré et obtenir le bonus… Cette tuile sera placée sur la Medersa ce qui va accélérer la fin du jeu.

La bibliothèque
Un décompte interactif et impitoyable
Le deuxième élément génial réside dans ces livres qui nous servent de ressources. Une fois dépensés, ils rejoignent une des 3 rangées de la bibliothèque et tout le scoring du jeu tient sur celle-ci. En fin de partie la discipline majoritaire score 2 points par jeton de prestige que les joueurs ont gagnés pendant la partie et un pour la suivante, et les autres, rien du tout !
C’est-à-dire que vous pouvez très bien avoir plein de points de prestige dans la Théologie, si vous ne remportez aucune majorité avec ces livres vous ne marquerez pas de points (oui c’est sec !).
Ces livres ne nous appartiennent pas, en influant sur telle majorité il est possible que je rende service à tel ou tel adversaire ou inversement. C’est une interaction particulièrement intéressante qui peut aussi faire naître une part de négociation et d’alliance.
Par conséquent, il faut bien mesurer où l’on place ces livres quand on les dépense, il faut aussi sentir le vent, si des joueurs font prospérer la discipline Mathématique, il est temps de leur souffler quelques jetons prestige pour qu’ils ne marquent pas plus de points (mais aussi que l’on en marque nous-même). D’une certaine façon, cela m’a fait penser aux pistes de compagnies de Mombasa/Skimines.
Faites le mur
Quand vous érigez un des murs de la Medersa vous gagnez les ressources présentes en or, mais vous retournez la tuile Sankoré sur son côté point de prestige, non sans gagner le bonus avant. À la fin de la partie, toutes ces tuiles point de prestige vont être attribuées au joueur majoritaire dans les lignes et colonnes, et là encore l’interaction va être féroce.
Bilan de compétence
Sankoré a une belle présence sur table grâce à son édition exceptionnelle, mais cela se fait au prix d’une mise en place quelque peu fastidieuse, surtout la première fois. Le travail de Ian O’Toole est magnifique, mais surtout parfaitement exécuté, c’est là que l’on voit toute la compétence du bonhomme en termes d’iconographie et d’ergonomie ludique. C’est touffu, ne le nions pas, mais tout est à sa place, une fois que vous avez compris, tout devient évident.
On démarre avec quatre cartes objectifs et si j’en ai pas parlé c’est qu’elles pourraient sembler anecdotiques. En réalité, quand on découvre le jeu, elles permettent de définir des axes à privilégier, une fois ces objectifs réalisés ils nous donnent un pouvoir et un point de prestige dans une discipline. Personnellement je les distribue au hasard, mais une par couleur de discipline pour avoir plus de variété et éviter peut-être la sur-spécialisation.

photo cartes objectifs
Thématiquement je suis partagé. Le thème semble assez plaqué, mais quand on s’intéresse au sujet, on s’aperçoit que les auteurs ont fait des recherches et chercher à coller au mieux leur mécanique à la réalité historique, même si ça reste un Eurogame avec sa dose d’abstraction. Quoi qu’il en soit, en jouant la perception change. Si au début on trouve le tout très abscons, on finit par étonnement s’approprier l’ensemble.
Sankoré mélange de la gestion de ressources avec du contrôle de zone/majorité et un système de décompte assez impitoyable, mais jouissif. Il faut apprécier les jeux qui peuvent vous sanctionner si vous ne faites pas les bons choix ! Sankoré ne pardonne pas les errements, il vaut mieux le savoir. La courbe de progression est très importante et assez sèche.
S’il y a un peu d’analyse de setup, je retiendrais en particulier son interaction de type écosystème, ce sont les joueurs qui font le jeu, tout ce que j’aime. Sankoré est pour moi un petit bijou qui ne s’apprivoise pas à la première partie et avec des risques de congestion cérébrale. Tout est fortement intriqué, relié, enchevêtré dans une mécanique originale et élégante avec une notion de tempo très importante.
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Grovast il y a 27 jours
Bizarrement absent du Diamant d’Or, il faisait de toutes façons parties de mes priorités. Mais ton article enfonce le clou, merci.