Minecraft, Builders & Biomes : les petits cubes dans un gros cube

Au cours de mes lectures d’articles de revue de jeux, j’ai souvent été frappé de la méfiance atavique exprimée par les chroniqueurs et forumeurs envers les jeux à licence. Ces jeux sont souvent décevants et misent sur leur licence pour se vendre, nous apprend-on. De même, on note parfois une légère crispation envers l’éditeur Ravensburger.

Or donc, Minecraft, Builders & Biomes reprend indubitablement la célébrissime licence du jeu vidéo Minecraft et est édité par Ravensburger. Faudrait-il donc doublement se méfier ?

Etant fort naïf, et ayant été fort positivement marqué par des jeux à licence tels que La Guerre de l’Anneau, Star Wars : X-Wing, Star Wars : Rebellion, Les Batailles de Westeros (qui magnifie le système de Mémoire 44), Age of Empires III, voire même Star Trek: Ascendancy, je suis prémuni de cette défiance.

Du côté de l’éditeur, Ravensburger est avant tout pour moi l’éditeur de la gamme Alea qui nous a donné des incontournables comme Puerto Rico, Die Händler von Genoa, Les Princes de Florence, Macao, Notre-Dame et j’en passe beaucoup d’autres, faute de pouvoir les citer tous. Plus récemment, Ravensburger a mis sur les étals Villainous, un autre jeu à licence, dont nous vous parlions ici notamment, en fort bien.

Autant dire que je partais vierge de tout préjugé sur ce petit jeu d’Ulrich Blum. Je dis petit parce qu’il n’a rien à voir avec les mastodontes que j’ai cités ci-dessus. Désolé du faux espoir que j’ai peut-être suscité par cuistrerie.

Prolégomène superflu sur le manque de culture guic de l’auteur de ces lignes

 

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Je dois à présent m’excuser auprès des spécialistes de Minecraft – le jeu vidéo (car il convient désormais d’établir la distinction entre le jeu de plateau et le jeu vidéo), car je ne le connais pas, ou presque. Tout au plus en ai-je entendu parler par quelques guics de mes amis, ou l’ai-je vu par-dessus l’épaule de mes plus grands neveux alors qu’ils y jouaient. Je ne saurais donc proprement vous dire si la version plateau est fidèle au jeu vidéo.

Même si j’en doute.

Dialogue incongru sur un point de vocabulaire entre la rédaction et l’auteur, dont la lecture ne fera que perdre du temps au lecteur pressé
  • La rédaction : Pst !
  • Moi : Oui ?
  • La rédaction : On n’écrit pas « guic », mais « geek » !
  • Moi : Ah bon ? Mais pourquoi ?
  • La rédaction : Comment, pourquoi ? Mais c’est comme ça, c’est tout.
  • Moi : Parce que dans ce cas, on devrait prononcer « jaik », ou peut-être « jé-èk », pas « guic » ?
  • La rédaction : Ah là là ! Mais qu’il est indécrottable celui-là !
  • Moi : Il va falloir que je retourne au CP, des subtilités de notre langue m’échappent.

Un matériel pixélisé à souhait

 

KODAK Digital Still Camera

 

L’avantage de reprendre la licence de Minecraft est que cela enlève un poids des épaules de l’illustrateur. Il peut se permettre, voire il se doit même de faire des illustrations pixelisées. Qui a dit moches ?

Vous voyez des pommes de terre, là ?

 

KODAK Digital Still Camera

 

Moi non plus.

Mais je me rappelle que l’auguste version in silico ne s’encombrait pas de réalisme des apparences : des bonshommes tenaient au bout de moignons des haches pour couper des arbres. Le tronc tombait, mais le faîte restait flottant dans l’air, avec, les surplombant, des nuages carrés. Autant dire que ces pommes de terre sont peut-être même trop réalistes.

 

Un héros prêt à partir à l’aventure, armé de ses patates

Un héros prêt à partir à l’aventure, armé de ses patates

 

Ce qui m’a peut-être le plus charmé dans le matériel sont les 4 jetons qui permettent de dessiner un nouveau personnage : la touche chic par excellence…

 

Erreur d’impression ? Non, c’est la touche « faites-le vous-mêmes » !

Erreur d’impression ? Non, c’est la touche « faites-le vous-mêmes » !

 

L’essentiel sur les règles

Si vous voulez un aperçu des règles de jeu, cliquez délicatement sur le plus

Le jeu se déroule en un nombre indéterminé de tours, chaque joueur exécutant l’un après l’autre deux actions différentes parmi :

  • Prendre deux cubes ressources du gros cube
  • Se déplacer sur la carte et explorer, c’est-à-dire révéler des tuiles des piles situées autour du marqueur du joueur
  • Construire un bâtiment révélé à l’aide de ses cubes et le placer sur son plateau individuel
  • Récupérer une arme qui traîne en périphérie du plateau
  • Combattre un monstre révélé, qui apporte en cas de victoire des points et une action supplémentaire ou des points supplémentaires en fin de partie

 

Simple, efficace, quoique indubitablement classique.

 

Un tour de jeu en un tour de main

Un tour de jeu en un tour de main

 

Tout joueur quelque peu expérimenté se fera une représentation assez précise de ces actions, tant elles sont classiques.

Une précision sur les combats : on pioche trois tuiles parmi celles que l’on possède et on compte les cœurs sur les tuiles retournées. Si le nombre est supérieur ou égal au nombre de points de vie du monstre, il est vaincu. Sinon, on pleure (si on est sensible seulement, ce n’est pas obligatoire).

Comme les pommes de terre n’ont pas de cœur (de quoi on peut déduire que Rodrigue n’est pas une patate), elles introduisent une dose de hasard qui peut se contrer en rajoutant dans la pile des armes plus efficaces. Mais les patates restent dans la pile (contrairement à Rodrigue qu’on n’a pas vu depuis longtemps).

Le cœur du jeu réside dans les décomptes qui interviennent quand une couche du gros cube est entièrement vidée. Chaque décompte fait intervenir des critères différents portant sur les bâtiments construits : le type de terrain pour le premier, le type de matériaux de construction dominant pour le deuxième, le type de bâtiment pour le troisième. Comme il faut que les bâtiments soient adjacents pour compter, il faudra choisir soigneusement les bâtiments à construire et où on les pose.

Les règles sont simples, sans ambiguïté et, autant que j’ai pu en juger, ne souffrent d’aucune erreur de traduction (si ce n’est qu’on apprend qu’Aurélie est un prénom masculin).

 

Déterminons ensemble le type de jeu

Comme, avant de découvrir les règles, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre, j’ai joué au jeu des devinettes tout au long de ma lecture.

La première chose qui m’a frappé dans la partie expliquant la mise en place est la formation du gros cube composé des petits cubes empilés. On devine rapidement qu’il va falloir enlever des cubes et, comme ils sont lisses, ils glissent. Serait-ce un jeu d’habileté ? J’aurai bien aimé trouver une petite ventouse dans le matériel. Plop !

 

Ça vous plait ? C’est moi qui l’ai fait !

Ça vous plait ? C’est moi qui l’ai fait !

 

Le positionnement des tuiles en carré de 4 par 4 me rappelle quelque chose. Mais quoi ? Voyons ! Mais c’est bien sûr ! Memory ! Comment ai-je pu oublier ? Mais on forme des piles de 4 tuiles. Serait-ce donc une version de Memory en 3D ? Formidable !

Allons donc ! Voici à présent que nous avons un plateau individuel, de la forêt, de la montagne, des cubes de ressource : aurions-nous affaire à un jeu de développement et de cubenbois ?

Nous pouvons explorer, construire, combattre : s’agirait-il d’un 4X ? Ou à tout le moins d’un 3X ? Ou peut-être encore d’un land crowler, avec des quêtes (on tue bien des monstres à coup de pommes de terre, c’est quand même rudement épique).

Mmmh, il y a aussi des décomptes sur des objectifs à choisir : serait-ce plutôt un jeu de planification ?

Bon. Minecraft, Builders & Biomes n’est rien de tout cela, tout en étant un peu tout cela à la fois ; sauf le côté Memory qui n’est pas du tout présent (rassurez-vous, vous pouvez y jouer contre vos enfants sans être sûrs de perdre !) : dans une séquence d’actions rapides, on découvre le paysage, on essaie d’anticiper sur les bâtiments que l’on doit construire, on cherche à acquérir les ressources nécessaires tout en subtilisant celles dont l’adversaire a besoin, on tape des monstres parce qu’ils n’ont rien à faire là et on essaie de construire un bâtiment au nez et à la barbe d’un adversaire inattentif.

 

On est parti ?

On est parti ?

 

Deux actions

Deux actions par tour. Différentes. On aimerait souvent en avoir trois (ou quatre, évidemment !).

« Se déplacer, prendre des cubes, et prendre le bâtiment à l’adversaire. Ah ! C’est vrai, je ne peux pas, je suis limité à deux actions. Alors : se déplacer, prendre une arme, attaquer le monstre. Ah, non plus ! Mais je ne vais quand même pas attaquer le monstre rien qu’avec des patates ! Et si j’attends, il va me le prendre, lui, là, je le sens, parce qu’il me regarde avec ses petits yeux. Bon, puisque c’est comme ça, je vais prendre 4 ressources et déclencher deux décomptes, ah ah, bien fait pour eux ! Ah mais non, c’est vrai, on peut pas faire deux fois la même action. »

 

Monstre ! J’arrive ! Attends que je m’arme, prendons la dynamite ! Zut, je ne peux plus attaquer !

Monstre ! J’arrive ! Attends que je m’arme, prendons la dynamite ! Zut, je ne peux plus attaquer !

 

Cet extrait de monologue intérieur démontre bien une chose : ce jeu est basé sur la frustration. Tu voudrais faire trois actions ? Tu n’en feras que deux ! Ce serait un jeu allemand que ça ne m’étonnerait pas. Ulrich Blum, vérifions… allemand, en effet. L’homme a d’ailleurs déjà derrière lui une carrière ludique s’étalant sur une décennie avec des titres édités comme Antigua, Grand Cru ou encore Speed snacks. 

 

Ah ah ! Chance ! Que voilà ? Un bâtiment qui m’intéresse ! Je prends les ressources ! Zut, je ne peux pas le construire et on risque de me le piquer ?

Ah ah ! Chance ! Que voilà ? Un bâtiment qui m’intéresse ! Je prends les ressources ! Zut, je ne peux pas le construire et on risque de me le piquer ?

 

Taper des monstres, c’est bien ?

Alors, investir une action pour attaquer un monstre, est-ce pertinent ? Ça permet notamment de gagner une action plus tard. Mais ce n’est pas sûr, puisqu’on peut échouer. À cause des patates. Alors investir une action pour peut-être gagner une action, ça a l’air pas terrible, non ?

 

Pour une action, ce montre vous permet de gagner une action

Pour une action, ce montre vous permet de gagner une action

 

Voyons cela. Déjà, ça permet de gagner des points, 3, 4, 5 points, sachant qu’un décompte peut n’en rapporter que 10 (ou moins), ce n’est pas tout à fait négligeable.
Et surtout, l’action donnée par un monstre est cumulable avec les deux normales. Ah ! Ça permet de faire 3 actions alors ? Oui ! Voire 4 si on a tapé deux monstres ! Ou plus ! Ah, mais c’est drôlement bien alors ! Eh oui ! Surtout que grâce à cela, on peut répéter ses actions ! Ouh là là, mais vous m’intéressez drôlement, là !

Mais il y a quand même des limites : on peut faire A – B – A, mais toujours pas A – A – B comme « je prends des ressources, j’en reprends et je construis », séquence qui serait intéressante mais un peu fastoche.

Pouvoir faire plusieurs actions à la suite est indéniablement intéressant à des moments clefs de la partie, mais cela a un coût, qui s’appelle le risque, le risque patate. J’imagine qu’on peut faire des parties entières sans jamais attaquer de monstres, ce qui économise en outre les actions nécessaires à récupérer des armes. À voir si cette stratégie est viable. En tout cas, ces gentils monstres-là ne vont pas vous poser de problèmes si vous ne les attaquez pas, si ce n’est qu’ils vous empêchent de construire les bâtiments qui se trouvent (peut-être !) sous eux.

 

Plutôt terrain ou bâtiment ? Mais ne vendez pas la peau du monstre avant de l'avoir vaincu !

Plutôt terrain ou bâtiment ? Mais ne vendez pas la peau du monstre avant de l’avoir vaincu !

 

Les monstres qui rapportent des points en fin de partie peuvent eux-aussi être très puissants : ceux-ci par exemple rapportent respectivement deux points par bâtiments de type Décor, assez faciles à construire et deux points par tuile Forêt, même si ces tuiles ne sont pas adjacentes. Cela peut s’anticiper et se combiner avec les décomptes. 

 

Les décomptes

Les décomptes sont au final la clef du jeu : comme ils sont déclenchés par le joueur qui, faisant l’action de collecte de ressources, finit de vider un niveau du gros cube, le minutage du jeu est directement contrôlé par les joueurs. On pourra voir des joueurs qui renâclent à achever un niveau, histoire de soigner leur décompte. C’est là qu’il faut penser à lever la tête de son plateau afin de voir si le différentiel de points avec ses adversaires ne mérite pas de déclencher le décompte. Ce point de règle fait également qu’on aura des parties plus ou moins longues, selon l’humeur et la stratégie choisie par les joueurs. Et c’est également ici que nos amis les monstres peuvent aider à faire des coups fumants :

 

Une partie de Jenga ? Non, non, Minecraft !

Une partie de Jenga ? Non, non, Minecraft !

 

Dans la situation montrée par la superbe photographie ci-dessus, un joueur ayant une tuile de monstre lui permettant de jouer une action de plus peut tout à fait déclencher les trois décomptes, et donc la fin de partie, lors de son tour de jeu. S’il en a l’intérêt !

 

Un jeu méchant ?

Assurément oui. Déjà, on tape sur des monstres qui ne nous ont rien fait. Et ça, c’est vraiment très méchant.

L’interaction est assez classique pour un jeu à l’allemande (un qui comprend de l’interaction, on s’entend), mais elle existe à plusieurs niveaux : on peut se piquer des ressources, se voler des bâtiments, déclencher le décompte à un moment pas du tout optimal pour un autre joueur, prendre la peau d’un monstre à un joueur qui le convoitait pour la vendre à sa place. Cela fait déjà pas mal de moyens de nuisance et, pour s’en prémunir ou les utiliser à des fins de victoire, il va falloir rapidement apprendre à sortir le nez de son optimisation propre pour ne pas chercher seulement à faire le plus de points possibles mais aussi empêcher les autres de le faire. Ceci sera plus particulièrement vrai à deux joueurs.

En revanche, il n’existe pas la possibilité de prendre ses armes et ses patates pour aller détruire un bâtiment de l’adversaire construit sur son plateau. Ulrich Blum est resté fidèle à l’esprit de l’école de production de jeu de son pays. Pas d’attaque frontale. 

 

Veaux, vaches, cochons, poulets : le côté agricolesque du jeu

Veaux, vaches, cochons, poulets : le côté agricolesque du jeu

 

La légère asymétrie

Pour le plus grand plaisir des amateurs du genre, on trouve de plus en plus de jeux asymétriques. Ce Minecraft se conforme à cette vague, quoiqu’assez mollement. Les plateaux individuels ne sont en effet pas les mêmes. Je ne suis pas persuadé à ce stade de mon analyse que cela apporte quelque chose de fondamental, mais la mention valait la peine.

 

Une légère asymétrie - très légère

Une légère asymétrie – très légère

 

Alors, heureux ?

Minecraft, Biomes & Builders n’est à mon sens ni un grand jeu ni un coup de cœur, mais c’est néanmoins un jeu qui vaut le détour et qui saura réunir en des parties assez courtes et rythmées des amateurs de jeux de stratégie et des joueurs plus occasionnels. Il offre des choix intéressants à faire, et les sessions promettent de ne pas trop se ressembler, si les joueurs saisissent l’opportunité qui leur est offerte de gérer le minutage du jeu en jouant bien sur le déclenchement des décomptes.

 

 

 

 

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2 Commentaires

  1. morlockbob 02/01/2020
    Répondre

    un seul mot : bravo !

    et le jeu vaut plus que sa licence

  2. LeRefuseur 03/01/2020
    Répondre

    Excellent article! Et ayant pu essayer le jeu la semaine dernière, j’ai le même sentiment : ce n’est pas un grand jeu, mais ce n’est pas un mauvais jeu. Les choix sont intéressants, les dilemmes sont bien là, et ça accroche très bien avec les enfants/ados/adultes fans du jeu vidéo.

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