Leader 1 : l’ex-leader ? 

À une époque, les choses étaient simples : il n’y avait qu’un seul jeu de vélo sur le marché. Maintenant, ils sont deux, et on ne peut que s’en réjouir. Sauf que je ne sais pas si le marché a de la place pour deux opus, vu l’aura peu transcendante des jeux de sport.

Sans dire que le succès de Flamme Rouge va rendre complètement obsolète son prédécesseur en matière de thème, Leader 1, il est légitime de penser qu’il rend sa réédition encore plus improbable. La boîte de base de Leader 1 devrait donc logiquement suivre le destin de son extension / stand alone Leader 1:  Hell of the North : introuvable, éventuellement hors de prix sur le marché de l’occasion.

Dommage, car l’ancêtre en a encore dans la pédale, en témoigne la campagne en cours que nous menons avec mon groupe d’amis. Oui, oui, nous jouons à Leader 1 en mode campagne. Au moment de la pause estivale, j’avais envie de rendre hommage à ce jeu, à cette expérience et à mes partenaires de jeu exceptionnels (en espérant que cela attendrisse légèrement leur petit cœur… pour que je puisse y planter sauvagement un poignard dans la deuxième côte qui précède l’arrivée de l’étape n°7.)

 

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Petite reine, grands moments

N’ayant jamais joué au petit nouveau qui enflamme les cœurs, plus par manque d’occasion que par dogmatisme ou fidélité absolue, je n’entends pas faire un comparatif. Plutôt parler d’une expérience singulière. Il n’en reste pas moins que l’œil aguerri du joueur qui a un peu de bouteille percevra vite les différences de constitution. Nous avons un coureur profilé d’une part avec Flamme Rouge et un second avec un gros croupion avec Leader 1, pour le dire crûment à la manière d’un directeur sportif de ma connaissance.

Flamme Rouge fait montre d’un parti pris graphique, ludique, ergonomique, en termes de rythme et de durée, tout à fait dans l’air du temps. Ici, avec Leader 1, c’est évidemment moins vrai. Petites figurines sur socle, design désuet (fragiles avec ça), de grosses tuiles hexagonales, une boîte d’un format inhabituel, des graphismes qui sentent les années 80/90, pire, des feuilles où il faut inscrire au crayon et gommer les caractéristiques de son personnage : le matériel semble de prime abord plutôt daté.

Il a cependant l’avantage d’être relativement lisible dans ses enjeux. L’image ci-dessous laisse bien apparaître les creux que les joueurs peuvent créer dans la montagne (les sections rouges sont des côtes, les noires des descentes, et les bouts de papier à pois des ajouts maison). Mais elle montre aussi le caractère sommaire des tuiles, de la représentation du peloton, l’option réaliste choisie pour les coureurs, l’aide de jeu cartonnée, etc. Précision : la scène se passe en 2017. 

 

Leader 1 matériel

 

Rien de véritablement enthousiasmant, à l’heure de la figurine généralisée, mais rien de rédhibitoire non plus. Je ne voudrais d’ailleurs pas me lancer dans un comparatif stérile, ni une opposition vaine, à la manière de ces articles que je déteste. Je n’ai mentionné, et tagué, Flamme Rouge, que pour faire connaître Leader 1 par capillarité.

Bref, autant le dire, ce côté légèrement moins ergonomique de Leader 1, s’il n’est pas forcément très gênant, se remarque vite. Tout comme la durée de partie, qui peut-être un peu trop importante (même si modulable). Pourtant, comme pour l’excellent Powerboats, autre jeu de course atypique, ou comme dans le cas de Snow tails qui commence à les rejoindre dans la catégorie des jeux de course vintage, cela n’entame en rien la qualité d’un gameplay relativement épuré.

 

Powerboats

 

Le jeu a d’ailleurs plutôt une bonne cote (71 avis, une note de 8,6 sur Tric Trac ; 824 notes, 7 sur BGG ; 92 % sur Ludovox) et est souvent cité, comme Thunder Alley, Rallyman ou Formule Dé comme une sorte de classique du jeu de société (de sport). Comme je le mentionnais, pour l’instant, on le trouve encore en occasion (autour de 20€), mais l’extension a disparu des radars. Il y a sans doute une fenêtre à saisir : il n’est pas encore rare et pas non plus considéré comme un jeu mythique et hors norme. Il est juste assez différent et unique dans sa catégorie. Il ne flambe pas. Il n’y a pas tant de jeux de sport que cela, et de jeux de course cycliste encore moins, ce qui amène à s’y intéresser un peu plus que, disons, la construction d’une cité médiévale. Notons que ce jeu auto-édité a donc réussi l’exploit de s’installer à la force du mollet sur un créneau réputé difficile (encore plus que le jeu de SF dans les années 90). 

 

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Le coin du mécanicien

Les règles semblent assez simples à leur lecture, mais dans le même temps on se demande ce qu’il est bien possible de produire d’excitant avec cela. Il est donc question de mener une équipe de trois coureurs. Assez classiquement, chacun dispose à la base d’un stock d’énergie. Les trajets qui vont en consommer plus ou moins en fonction de :

1) Le terrain (plat, montagne, descente)  

2) Les caractéristiques de votre coureur

3) La durée de l’effort

4) La présence ou non d’une aspiration.

Globalement, un sprinter va souffrir en montée, un grimpeur aura du mal au sprint. Autrement dit une simulation assez basique de quelques éléments constitutifs d’une course. Il me semble trouver un juste équilibre entre la simulation lourde et l’exploitation d’un thème juste pour le fun. Les sensations sont bonnes, la tension continue.

Pour gagner, il faut sortir du peloton, mais on dépense plus d’énergie de cette manière, et le peloton roule plus ou moins rapidement. Il y a une base gratuite de mouvements, et la possibilité d’ajouter des cases payantes. Pour faire la différence avec le peloton et les autres échappés, il faut prendre des risques : celui de la chute ou du coup de pompe, résolus avec des lancers de dés. Le système est assez bien vu d’ailleurs : le risque augmente avec les tentatives, jusqu’à la limite de la démarche suicidaire de la dernière chance. 

À ces règles de base très simples et accessibles se greffent celles de l’extension, Hell of the North, très appréciée pour ses ajouts, et de toute une série de variantes proposées par la communauté sur Internet. La communauté sur BGG est assez impressionnante autour de ce titre, proposant un certain nombre de circuits et d’aménagement de règles, visant à épicer le set de base. Le matériel et les règles ont une plasticité qui permettent sans problème ces transformations. Dont celles que nous avons pratiquées, qui inscrit le jeu dans une campagne de plusieurs courses consécutives. 

 

Etape 5 haute montagne

 

L’aventure, c’est l’aventure

Et au fait, tu connais le vélo ? Quand je me suis proposé pour faire le quatrième dans un championnat de Leader One, l’organisateur était sceptique. Il faut quand même se passionner pour faire les 11 étapes que comporte cette modalité de jeu. Et le faire avec trois gus qui connaissent le jeu sur le bout des doigts, qui ont une saison dans les pattes, sont imbattables au Trivial pursuit édition Giro, Vuelta et Tour de France et qui vont sur des sites de streaming pour voir les courses dans les Ardennes.

En fait, le vélo ne me passionne pas et se situe quelque part entre le patinage artistique et la formule 1 en termes d’intérêt chez moi, c’est-à-dire proche du néant. Pour autant, j’étais intrigué par le récit qu’en faisaient les trois survivants de la campagne passée. J’étais également marqué par Leader One, depuis que Sébastien Khim, désormais transféré dans l’équipe Catch up Games, avait écrit, avec une analyse remarquable, un dossier sur le sport et le jeu. Il avait par ailleurs interviewé Alain Ollier. Quelque chose m’avait marqué dans cet article.

Je ne résiste pas au plaisir de le citer : « La manière dont ce secteur s’est développé, autour du noyau des amateurs de wargames, jeux de rôle et jeux de stratégie, n’est pas neutre. D’un côté le sportif décérébré, héros d’une culture aussi populaire qu’intellectuellement médiocre ; de l’autre, le geek asocial du club d’échecs, représentant d’une contre-culture impopulaire, communément mise en marge et ringardisée ? Cette dichotomie caricaturale trouve, quoi qu’on en dise, une certaine rémanence dans notre secteur, à travers l’expression plus ou moins consciente et affirmée d’un rejet, d’un désintérêt, voire mépris pour le sport et la culture dominante qu’il représente. »

 

Dans la course

Une partie test à deux, qui ne montrait finalement qu’une part du potentiel, plus tard et je me suis retrouvé embarqué dans la course. J’ai reçu par mail les fichiers comprenant les circuits préparés à l’avance et les modifications de règle. J’étais déjà noyé. Je suis venu en slip à la première, sans avoir vraiment creusé. Rien de compliqué, mais je préférais apprendre sur le tas, dans le peloton.

Le format championnat est particulièrement bien adapté pour un jeu comme Leader 1. D’une part, pour retranscrire l’ambiance d’une course à étapes, d’autre part parce que cela permet d’équilibrer les forces sur la durée. Enfin, parce que cela multiplie les enjeux, bien au-delà du simpliste « finir premier« . Sans doute ai-je grillé, dès le contre la montre initial (variante), à coups de dépenses d’énergie superflue, beaucoup de chances de mener l’un de mes coureurs à la victoire finale. Maintenant je ne suis plus dangereux. Disons le tout de suite, je ne dis pas ça pour « faire ma chouineuse », ni pour qu’on m’aide. Néanmoins, comme le résumait bien un participant de l’année dernière, il y a dans ce jeu toujours quelque chose pour lequel se battre : le classement de la montagne, le maillot vert (compromis), une victoire d’étape (bien que complet débutant, j’en étais pas loin), voire une échappée héroïque dont on se souviendra longtemps après avoir tout oublié de ses parties d’Agricola. L’ensemble dessine un récit tout à fait prenant et passionnant. Il n’y a pas beaucoup de jeux dont je ferais onze parties en un an sans me lasser, la moyenne générale est un peu en-dessous.   

 

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Milieu de course encore groupé dans l’étape 5. Le peloton en chasse.

 

Surtout, vu la durée, la stratégie individuelle et les alliances collectives revêtent une plus grande complexité selon le terrain sur lequel on joue. Par exemple, dans son équipe de trois coureurs (un leader, un grimpeur, un sprinter), certains vont viser le général, alors que d’autres vont viser des objectifs intermédiaires. La différence se fait par des couches de caractéristiques : descendeur, puncheur, spécialiste des courses par équipe…. Le reste, c’est de la stratégie de course : sentir à quel moment sortir du peloton, ce genre de choses. Et prendre des risques bien sûr. Profiter des défaillances. S’allier et rompre les pactes, se jauger, avec une fourberie qui n’a rien à envier aux jeux de civilisation.

Les étapes très différentes vont mettre en valeur tel ou tel type de coureur, chacun trouvant, un peu comme dans le jeu de rôle finalement, des moments forts pour s’exprimer. On pourrait craindre une certaine répétitivité, mais en fait les étapes sont suffisamment différentes (montagne pure et dure, contre la montre individuel, par équipe…) pour produire une narration singulière. Un optimiseur fou serait capable d’analyser tous les circuits par avance pour avoir une stratégie de course sur la durée.

La légère surcouche en termes de règles (gestion de l’avant et l’arrière du peloton, en premier lieu) issue de l’extension ou des forums est bienvenue à mon goût. Elle n’alourdit pas forcément le jeu, mais apporte un peu de réalisme et des enjeux supplémentaires. 

leader one

 

L’antidote à la morosité

À vrai dire, cette campagne de Leader 1 (non achevée encore) est le truc le plus cool que j’ai joué ces derniers temps. La tendance actuelle à toujours plus de modernité, toujours plus de nouveauté, toujours plus de suppression du temps (de durée de partie, du tour, du temps entre deux jeux) qui devient l’ordinaire des cercles de joueurs un peu spécialisés, faisait que je ne jouais presque plus. Je suis d’ailleurs passé à côté de tous les hits de 2017 : Scythe, Great Western, Terraforming Mars, des titres que je n’aurais loupé pour rien au monde lors des dix ans passés, et que j’avais tendance à fuir aujourd’hui.

Leader 1 m’a remis en selle, en se recentrant sur les fondamentaux et les basiques. Parce que ce genre d’expérience offre un mélange de convivialité, d’entraide (je suis parfois à la ramasse pour comprendre les trajectoires et lire les parcours) et de moment de gloire. On peut tenter des trucs à la noix, on assiste à des coups du sorts dégueulasses, et tout cela est vraiment prenant et intense. Il y a plein de micro-décisions à prendre tout au long de la partie. Il y a des enjeux permanents, y compris quand on a été lâché après une bête crevaison. Et puis, il y a ces échanges de mails entre les parties, où l’un des participants prend bien le soin d’envoyer les tableaux Excel et le document Word qui fait le récit de la dernière étape. Et parfois, il y a juste l’enjeu de boire une bière tranquille, à l’ancienne, sans trop se prendre la tête.

Pour l’instant, mes coureurs sont dans une sorte de ventre mou au général, je me suis pas mal débrouillé sur le sprint et la montagne, j’ai pu montrer un peu les dents, bref je fais le Poulidor. Le meilleur reste à venir, assurément.

 

À lire aussi :

Tous les articles de cet auteur

Vous aimez le vélo ? > Just played de Flamme rouge : mettre un coup sur la meule !

 Vous préférez les courses à la Mario Kart ? > Titan Race : Cavalcade, cabriole et carambolage

 

Fiche de jeu Leader 1

Fiche de l’extension

Crédits photo cover – bannière : Henk Rolleman

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11 Commentaires

  1. Alendar 24/08/2017
    Répondre

    Merci pour ce Just Played!
    Quand Flamme Rouge est sorti, je me suis demandé quel était ce jeu de vélo qui semblait tellement plus profond… et j’ai regretté le temps où je débarquais dans le monde du jeu, faisant l’erreur de ne pas acheter l’Enfer du Nord alors qu’il était à ce moment en destockage!
    Bref, il donne toujours autant envie!

  2. TheGoodTheBadAndTheMeeple 24/08/2017
    Répondre

    Super article !

    Tu oublies de citer le vénérable grand ancien, Um Reifenbreite qui a eu un Spiel il y a fort longtemps. Un excellent jeu de vélo style BD aussi.

    Perso j’ai trouvé flamme rouge fade en comparaison d’un excellent snow tails, ou d’un terriblement fun Rivieres d’enfer de FF.

    Enfin, il reste Mississipi Queen dont tu n’as pas parlé, et qui a aussi eu un Spiel je crois !!!

    Bref, il y en a eu des jeux de courses par le passé quand même. C’est moins à la mode.

  3. maksym59 24/08/2017
    Répondre

    « J’ai reçu par mail les fichiers comprenant les circuits préparés à l’avance et les modifications de règle. » Serait il possible de me transmettre ces fameux fichiers?? D’avance merci

    • Damien Andre 26/08/2017
      Répondre

      Je vais voir avec celui qui a construit tout ça.

    • Damien Andre 28/08/2017
      Répondre

      Vous pouvez me donner un mail ? L’auteur est ok/

      • blueb 19/04/2018
        Répondre

        Bonjour

        en plein championnat de leader 1 et à l’affut de circuits et modifications de règles pour les saisons suivantes, est-il possible de récupérer également ces fichiers ?

        merci et bonnes courses

      • Alexandre Perrin 28/12/2018
        Répondre

        Bonjour,

         

        serait-il possible d’envoyer les règles et le parcours svp?

         

        Cordialement

  4. Greta 24/08/2017
    Répondre

    J’ai vu sur BGG que Powerboats est devenu Powerships (KS) dans une version multilingue…

  5. Damien Andre 17/09/2017
    Répondre

    Powerships, le thème me semble un peu convenu et moins sympa que Powerboats.

  6. Ben 07/12/2017
    Répondre

    Bonjour,
    Merci pour votre Article, très sympathique a lire,

    J’hésite entre l’achat de Leader one et Flamme rouge + extension,

    Hell of the nort n’étant pas trouvable, Leader one seul est il assez complet ?

    Merci

  7. Nicolas M 12/07/2019
    Répondre

    Bonjour,

    Je suis un fervent joueur de leader 1 avec mon frère et suis toujours à l’affût de nouvelles règles pour pimenter ou donner plus de profondeur au jeu.

    Notamment comment gérez vous le clm ?

    Est il possible de me transmettre le fichier des règles modifiées ?

    Merci et bon jeu

    Nicolas

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