Kanal : Atout Thaler

En publiant Oranienburger Kanal (2022) chez Spielworxx, Uwe Rosenberg sort de sa Frise Orientale préférée, mais continue de mettre en lumière le nord de l’Allemange : Oranienbourg est comme vous le saviez une ville de l’arrondissement de Haute-Havel, dans le Land de Brandebourg.

Nous vous en parlions dans cette news, le plus sobrement intitulé Kanal (2024) est ni plus ni moins que la version 2.0 retravaillée par Sylex Edition, présentant l’avantage additionnel d’être porté en version Française dans nos contrées.

Le temps de trouver un bleu de travail, et on détaille tout ça.

Ouvrez les vannes

On ne le découvre pas, Uwe Rosenberg a de la suite dans les idées. De jeu en jeu, il aime à triturer, affiner et encore réviser les mêmes marottes mécaniques.

Voici donc la branche dite des « roues de ressources à la Rosenberg », qui au sens strict nait avec La Route du verre (2013).

On s’autorise toutefois à considérer que ces roues sont une évolution de celle introduite originellement en tant que compteur des ressources à produire dans Ora & Labora (2011). Sachant qu’il s’agissait avant tout d’une astuce ergonomique pour remplacer avantageusement les « cases d’accumulation » à la Agricola, on se dit que les voies du game-design sont parfois longues et tortueuses.

Oranienburger Kanal et donc Kanal (2024) qui nous intéresse plus précisément au titre de cet article sont ainsi une sorte d’épure de la double-roue personnelle de La Route du verre. Chaque joueur ne dispose plus que d’une unique roue, avec un nombre de ressources distinctes qui se réduit d’autant. Mais le principe de conversion a traversé les années et se retrouve à l’identique : par une simple rotation, les ressources dites de base deviennent des ressources avancées. Chemin faisant, la configuration descend à 1-2 joueurs

Ce n’est pas tout, puisqu’un autre spin-off a vu le jour depuis, cette fois de 1 à 4 joueurs. Il se nomme Black Forest (2024) et à toutes fins utiles en voici le Just Played par Meeple_Cam.

Ces filiations semblent compliquées ? Elles ne le sont pas tant que ça, une fois résumées visuellement sur le schéma ci-contre.

 


Trois ressources « de base » et deux ressources « avancées », leurs compteurs
en sens opposés simulant une transformation à chaque rotation.


Une profusion de matériel limitée – relativement aux standards d’abondance de notre époque.
L’installation est d’autant plus vite expédiée.

 

Pour propulser sa roue de ressources, Kanal met en œuvre un plus que classique système de pose d’ouvriers sur un plateau central. Les joueurs alternent manches « fortes » octroyant trois prises d’actions et manches moins avantageuses avec seulement deux actions.

Cette structure mécanique s’avère robuste, mais ce n’est pas là qu’il faut chercher surprises et variations. Les actions sont immuables d’une partie sur l’autre. Parmi les sept emplacements, trois sont des pis-aller permettant de se renflouer dans une des ressources de base. On s’efforce de les utiliser le moins possible, au profit des quatre emplacements de construction qui sont les vrais accomplissements.

L’ouverture de partie est particulièrement scriptée à cet égard, le premier joueur n’ayant jamais aucune bonne raison de délaisser sa priorité sur un premier bâtiment.

 


Cinq des sept cases d’action du plateau seront occupées à chaque manche.

 

Le secret – et tout le plaisir – du jeu consiste en réalité à surfer autant que possible sur les effets des bâtiments construits. Il s’agit le plus souvent de gains et/ou de conversions de ressources. Plus vite et plus fort on en bénéficie, plus tôt et plus longtemps on peut espérer faire l’impasse sur les actions annexes. Par effet de vases communicants, la possibilité de prendre plus que la moitié des 4 emplacements constructifs lors d’une même manche met la pression sur l’adversaire, pour ne pas en « céder » un. Encore faut-il jongler habilement avec ses ressources pour se retrouver solvable dans les quantités demandées.

Il est illusoire d’espérer enchaîner éternellement des constructions plus ou moins dispendieuses ; tôt ou tard, des apports de ressources fraiches restent quoiqu’il en soit nécessaires. Y consacrer un minimum de son capital d’actions est cependant un signe de bonne gestion.

 

Faire le pont

Car il y a une grosse subtilité, qui fait la mini-originalité et donc l’identité de Kanal : les tant souhaités effets des bâtiments ne se déclenchent pas dès la construction. Il faut remplir l’une puis éventuellement l’autre des deux conditions d’activation distinctes.

L’activation survient d’une part lorsqu’un bâtiment est entouré avec des voies : quatre en tout, mais pas forcément n’importe lesquelles, chaque bâtiment demandant des voies de types précis.

D’autre part, relier un bâtiment à deux de ses voisins – via des ponts – déclenche également une activation. Il est à noter que certains effets comportent soit un choix, soit plusieurs niveaux dans le gain obtenu, en fonction du respect partiel ou total de la contrainte.

 


Les quatre types de voies : chemins en terre, routes en pierre, rail en acier, et le fameux canal


Le Magasin de Bric à brac offrira 3 Thalers, et d’autant plus d’acier qu’il est entouré de types de voies différents.
Le Hangar à câbles donnera 2 pierres s’il est entouré d’au moins 2 chemins et d’un canal, plus 3 minerais s’il y a 2 canaux.


Les écrous verts permettent de visualiser le nombre d’activations restantes,
qui pourraient encore être déclenchées sur chaque bâtiment.

 

Ce principe fonctionne particulièrement bien, il fait émerger un puzzle d’optimisation et de planification, qui n’est pas sans poser son lot de choix impactants. Jouer avec les contraintes de placement des voies pour mutualiser les besoins de bâtiments adjacents, déclencher une activation suboptimale mais utile tout de suite, au contraire attendre pour la jouer à plein plus tard, combiner astucieusement les conversions de ressources sans dépasser le plafond de stockage, choisir où préparer le terrain en plaçant chaque pont, utiliser judicieusement ses thalers pour tourner la roue en urgence ou regagner une ressource vitale : les sujets de réflexion ne manquent pas, et l’espace de décision est important.

 


L’optimisation qui préside aux activations via les ponts amène à ce type de pattern,
appelé « ronde des ponts » dans le jargon.


Tout ne peut être anticipé et il faut parfois construire des voies en avance de phase.
Un bâtiment friand de routes en pierre serait le bienvenu ici.

 

Mieux vaut être Thaler

La structure des manches prévoit de mettre en jeu des cartes Bâtiment issues de trois pioches successives, ce qui fait monter lentement en gamme les propositions. Cette petite montée en puissance n’est pourtant pas prégnante, et l’expérience n’est pas celle d’un jeu de développement ni d’un jeu à moteur. On parle d’effets « two shots » au mieux. Idem côté cases d’actions : certaines sont boostées à la marge à chaque tiers du jeu, ce qui accélère la fin de partie de manière plutôt discrète.

Un gros regret se trouve par ailleurs dans un certain manque de personnalité des différents « decks ». Trop rares sont les bâtiments avec des effets hors des sentiers battus, impliquant autre chose que les sempiternels gains ou conversions de ressources/PV. Les noms des 324 bâtiments ont beau être tous différents, la vaste majorité est techniquement très/trop similaire. On peine à trouver un thème au paquet de la lettre choisie.

 


6 decks de 54 cartes, 6 glossaires distincts
…et si peu de différences en ressenti

 

On note également, selon les tirages, des déséquilibres imprévisibles dans l’une ou l’autre ressource avancée. Le cas échant, ils peuvent pénaliser un des joueurs plus que l’autre. Il est par exemple possible de se retrouver avec un excédent de métal et pas assez de débouchés, parce que rien n’est sorti de la pioche pour en faire quelque chose. A l’inverse, une dose d’opportunisme est de mise en début de manche lorsque le joueur qui la débute voit flopper tout cuit dans le bec le bâtiment idéal dans sa situation.

Kanal a pourtant des atouts pour plaire aux amateurs de gestion de ressources. Manier habilement sa roue pour éviter les effets de plancher/plafond est un vrai challenge. L’asymétrie légère dans les coûts et gains des différents types de voies est également un plus. Ainsi, les canaux sont très forts en ce qu’ils redonnent de l’argile (logique s’agissant de creuser), mais il faut pouvoir payer les 3 Thalers requis.

 


Très important : en fin de manche, on peut tourner « gratuitement » une fois sa roue.
Encore faut-il pour cela ne pas terminer à 0 dans les ressources de base. Suivez mon regard.

 

Si le jeu ne manque pas de piquant dans la réflexion proposée – en langage scientifique, on appelle ça : un gros fumage de cerveau -, il faut être conscient qu’il n’induit qu’une interaction très indirecte.

 

Nous restons au final dans la plus pure tradition Rosenbergienne, et ce n’est pas vraiment le plus inspiré du lot. Je le trouve ainsi inférieur à Terre d’Arle (2014, 2 joueurs également), mais ce dernier boxe deux catégories au-dessus en termes de durée de partie.

Kanal n’est pas une révolution, et son manque de variations dans l’expérience de jeu d’une partie sur l’autre suggère un usage à petite dose. Dans ces conditions toutefois, il offre un ratio profondeur/temps de jeu assez intéressant, et sa particularité autour du principe d’activation suffit à justifier son agréable pratique.

 


En début de partie, on essaye de profiter des quelques voies pré-imprimées sur le plateau

 

Un jeu de Uwe Rosenberg
Illustré par Crocotame et Mariya Georgieva
Edité par Sylex Edition et Fentasy Games (VF)
De 1 à 2 joueurs
A partir de 12 ans
Durée d’une partie constatée : 60 à 90 min
Durée d’installation constatée : 5 min
Prix boutique constaté : 65€

 

 

Depuis sa création en juin 2014, Ludovox a à cœur la pertinence et l’intégrité des contenus proposés par une rédaction indépendante et l’établissement d’une charte que vous pouvez retrouver ici. Cet article a été écrit avec une copie presse du jeu. Si vous aimez notre travail, n’oubliez pas de nous soutenir sur Tipeee

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2 Commentaires

  1. morlockbob il y a 15 jours
    Répondre

    Thaler à moitié convaincu 😉

    • Grovast il y a 14 jours
      Répondre

      Héhé, bien résumé 😉

      Je savais que les affreux jeux de mots te plairaient.

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