ITW | Naïade, sa vie, son œuvre

Depuis des années, ses illustrations dynamisent les univers ludiques avec un panache qui sort indubitablement du lot. Sous le pseudonyme de Naïade, Xavier Gueniffey Durin s’est imposé comme l’une des figures majeures de l’illustration de jeux de société, avec sa patte colorée, souvent fouillée, parfois poétique, toujours évocatrice, au service de titres emblématiques comme Seasons, The Big Book of Madness, Tokaido ou encore Zenith, Looot, Leaders, Rivages pour citer quelques créations récentes. Son travail, aussi subtil que foisonnant, a indubitablement marqué la sphère ludique. C’est pourquoi, à l’occasion de la dernière édition du Festival du Jeu de Montpellier, où il s’est vu remettre le Prix de l’Illustrateur saluant l’ensemble de sa carrière et sa cover sublime de Leaders, nous avons voulu revenir avec lui sur son parcours, ses inspirations, les coulisses de son métier, et les évolutions d’un secteur en pleine mutation. Rencontre avec un artiste discret, dont l’imaginaire n’a pas fini de nous faire voyager. 

 

Shan : Bravo pour ce prix qui salue une cover marquante (Leaders) mais récompense surtout toute une carrière. La tienne est jonchée de cover marquantes, ça tombe bien ! 

Xavier : Merci !

Shan : Prenons le temps de monter dans la Dolorean… Quel est pour toi LE jeu qui représente un premier gros tournant dans ta carrière dans le milieu ludique ? Comment analyses-tu ce travail de l’époque avec ton œil d’aujourd’hui ? Quel conseil donnerais-tu à ton jeune toi débutant depuis notre Dolorean ? 

 

 

Xavier : Je pense que l’enchaînement de Seasons et Tokaïdo a tracé une direction pour ma carrière. Ces jeux ont cartonnés (Seasons directement puis Tokaïdo sur la longueur), ça a mis beaucoup de lumière sur mon travail et m’a permis d’être contacté par d’autres éditeurs qui souhaitaient soit un dessin très travaillé (comme Seasons) ou plus minimaliste (comme Tokaïdo).

Pour ces deux jeux, j’étais encore dans la découverte du métier (ils représentent mes troisième et quatrième jeux après Isla Dorada et Bugs and Co), je faisais beaucoup d’erreurs mais Funforge et Libellud ont été fort bienveillants avec moi. Aujourd’hui si j’en avais l’occasion je referai Seasons différemment, plus léger, plus harmonieux, par contre je ne changerai pas grand chose à Tokaido dont je reste assez fier.

Si je devais conseiller mon jeune moi, je lui dirais de ne pas passer trop de temps sur des détails qui ne se verront pas au final.

 

 


Shan : À quel moment t’es tu dit « Bon, je vais me consacrer à 100% à l’illustration de jeux » (puisque tu fais partie des premiers illustrateurs à en vivre) ? 


Xavier :
Avant d’être illustrateur, j’ai eu la chance de faire la connaissance de Mathieu Leyssenne (Ani) dont j’admirais le travail et qui m’a beaucoup influencé sur ma façon de mettre en couleur. Pendant qu’il réalisait les illustrations de Jamaica, il m’avait envoyé son travail en cours pour me demander mon avis. Ça, c’était déjà très surprenant ! Mais quand j’ai pu admirer le plateau du jeu, ça m’a émerveillé, je me suis dit que je voulais faire ça, faire rêver les joueurs et joueuses comme moi je rêve.

 

Shan : Aujourd’hui, si tu devais faire une sélection de trois jeux qui ont été particulièrement importants dans ta carrière, tu choisirais lesquels et pourquoi ? Et si tu devais garder une seule cover, celle que tu trouves la plus aboutie, la plus fine, la plus cohérente ? 

Xavier : Tokaido est forcément le plus important, il a marqué les gens je pense. Il est toujours là, après 13 ans, c’est pas si mal.

Labyrinth parce que c’est le jeu de mon enfance et quand Ravensburger m’a contacté pour la réédition, j’étais vraiment touché.

Snow Time est un jeu que je trouve important parce qu’on (l’éditeur « Lui-même » et moi) a osé un graphisme sombre et inquiétant. Le jeu n’a pas rencontré le succès, mais j’en reste très fier.


Shan : Entre Seasons et Snow Time, de Complots à Tokaido, et beaucoup d’autres comme Twin It ou Pickomino, ton style est caméléon, s’adaptant au propos du jeu, mais je trouve qu’il demeure une « patte » Naïade quand on regarde toutes tes créations. Es-tu d’accord avec ça ? Comment définirais tu la patte Naïade

Xavier : Ce sont les autres qui me disent qu’on reconnaît mon travail à ma « patte », mais j’entends aussi « Ah ! C’est toi qui a illustré celui là, je ne pensais pas… ». Comme tu le dis, je m’efforce de m’adapter au jeu que j’illustre. De mon point de vue, ma « patte » c’est surtout mes défauts, j’ai peu de connaissances techniques en termes d’anatomie, de couleurs, de composition… Je fais beaucoup d’erreurs mais c’est aussi ce qui fait ma singularité j’imagine.

 

Shan : Cette année entre Leaders et Zenith il y a encore deux styles différents. J’imagine que les indications et attentes formulées par le directeur artistique y sont aussi pour quelque chose. Peux-tu nous en dire plus sur le cahier des charges de ces deux opus ? 

Playpunk a fait appel à moi pour mon coté naïf, je les ai prévenus que je n’était pas un spécialiste de la S-F, et c’est justement ce qui les intéressait. Ils souhaitaient un design simple contrastant avec l’aspect très calculateur du jeu.

Chez Studio H ils cherchaient plutôt des illustrations douces et élégantes, parce qu’il s’agit d’un jeu d’affrontement et de domination stratégique dans lequel il n’y a pas de « violence » (on ne perd pas de personnages).

Shan : Proposes-tu toujours qu’une seule réponse à un brief ?

Xavier : Oui, lorsque je travaille sur un projet, je ne propose qu’un seul croquis par illustration ou élément, parce que je ne veux pas montrer des idées que j’aime moins au risque de les voir être choisies par l’éditeur. Par contre, je recommence mon travail de recherche et de croquis si l’éditeur n’est pas convaincu.

Shan : Je crois que tu aimes bien faire aussi le travail graphique (logotypes, iconographie…). L’as-tu fait sur ces deux titres aussi ?

Xavier : Si l’éditeur accepte de me laisser faire, j’aime bien m’en occuper. J’ai l’impression qu’un illustrateur ou une illustratrice aura tendance à proposer des pictos plus cohérents avec l’ambiance et un peu moins froids. J’ai pu m’occuper de la partie picto dans Snow Time, Sobek ou Tanuki Market, c’était cool. Parfois l’éditeur a un ou une graphiste qui s’en occupe en interne, ça me va aussi. Pour Zenith, j’ai pu faire quelques propositions mais c’était un travail complexe et c’est l’éditeur avec l’aide du graphiste Alexis Vanmeerbeeck qui ont fait le plus gros du travail. 

 

 

Shan : Est-ce que tu as parfois « 100% carte blanche » ? 

Xavier : J’ai la chance qu’on me fasse souvent confiance et de toute façon j’aime assez peu être dirigé. D’une manière générale, les bons éditeurs et/ou directeurs artistiques savent me transmettre leurs contraintes, me donner la direction qu’ils souhaitent pour le jeu et ensuite me faire confiance pour proposer un univers cohérent qui sert le jeu.

Shan : Quand nous t’avions interrogé sur l’IA en 2023, elle ne te faisait pas franchement peur (« moi qui suis un petit illustrateur peu connu avec un style de dessin pas très répandu, l’IA est incapable de synthétiser mon travail pour ne serait-ce que s’en approcher »), tu pointais qu’elle n’était pas si intelligente pour remplacer l’humain sur du jds qui a ses particularités ergonomiques. Est-ce toujours ton regard sur ce sujet, deux ans après, ou est-ce que cela a évolué ? 

Xavier : Oui, il y a eu de l’évolution, les IA se sont enrichies de travail de milliers (millions ?) d’artistes et créatifs et sont capables de copier de manière toujours plus surprenantes. Ça n’est jamais original, c’est souvent un peu froid, mais c’est bien fait pour des machines. Ça me fait pas mal penser aux fast food, t’as pas envie de cuisiner, t’as pas envie de dépenser trop de tunes, tu vas te faire un burger vite fait, c’est pas ouf mais ca fait le taff..! Les fast food sont là, on y va, mais les resto classiques n’ont pas disparu. Je suis un resto classique, plutôt italien d’ailleurs …

Je ne suis pas contre les IA qui peuvent apporter beaucoup à ceux qui veulent en bénéficier, par contre je suis profondément contre le vol massif et généralisé des créations d’autrui.

 

Shan : Revenons à Leaders. Bravo pour ces illustrations et cette cover ! Peux-tu nous parler un peu de la manière dont tu as travaillé pour ce projet ? 

Xavier : L’auteur avait une idée assez précise de ce qu’il souhaitait pour son jeu et Vincent Jamgotchian (le DA de Studio H) a su m’expliquer la direction artistique voulue par la maison d’édition. De mon côté, je procède un peu toujours de la même manière : Je fais des recherches dans des livres et sur internet pour obtenir des images de références (armures, tenues, armes, anatomie…) puis, je laisse les influences que j’ai accumulées en quatre décennies couler dans mes doigts (dessins animés, films, BD, jeux ….)

Shan : Il t’a fallu combien de temps pour cette cover ? 

Xavier : Cette cover là n’a pas été longue à réaliser, elle était faite en une journée. Par contre, pour y arriver ça nous a pris un peu de temps, il y a eu plusieurs croquis, plusieurs versions, quelques prises de tête..! On a eu du mal à se comprendre avec Vincent, on ne voulait pas la même chose et on était têtus ! Je dirais qu’il y a eu 10 jours de propositions pour finalement « accoucher » d’une illustration assez rapide à réaliser.

Shan : Est-ce que tu as eu des inspirations particulières, pour certains personnages on pense à WoW (World of Warcraft) ? Quels outils utilises-tu ? 

Xavier : J’ai plein d’inspirations, et particulièrement dans le jeu vidéo : Wow bien sûr mais aussi, Zelda, Mario, mais aussi les dessins animés Ghibli … Pour ce projet, j’ai travaillé sur Procreat pour les croquis puis Photoshop pour la couleur.

Shan : Y avais-tu déjà joué ? 

Xavier : Oui, l’éditeur m’avait envoyé un proto pour que je puisse y jouer chez moi.

Shan : Avant de terminer, quelles sont tes dernières découvertes marquantes en termes d’illustrateurs•trices ? 

Xavier : Noëmie Chevalier, l’illustratrice de Courtisans, je suis complètement émerveillé mais jaloux de son travail.

Shan : Et en matière de jeux ? 

Xavier : Faraway et Château combo, deux petites merveilles sur lesquelles je passe un peu de temps !

Shan : Merci pour ton temps ! 

> Découvrez le travail de Noëmie Chevalier et celui de Naïade sur ArtStation.com

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