Flotilla : le jeu sans dessus dessous ?

Flotilla est une création de Michael Mihealsick et J.B. Howell, sortie chez Wizkids en 2019 aux USA et qui arrive chez nous en français par le biais d’Intrafin. Il avait été auréolé d’une 5e place au podium du Diamant d’or de l’année passée. Oui je sais, 5e, mais pour un titre aussi clivant, c’est un bel exploit ! Déjà, on nous propose un univers post-apocalyptique dans un Eurogame, changeant ainsi des cités médiévales, mais en plus on y ajoute des dés que l’on va jeter comme dans un Ameritrash, pour obtenir le résultat de nos actions. Enfin, le jeu propose une asymétrie grandissante au cours de la partie, puisque les joueurs peuvent changer de rôle et renverser les enjeux & moyens qui s’offrent à eux. Sacrée promesse, non ?

 

Univers nucléaire 

Je vous passe les détails, mais, en gros, il s’agit d’une sombre histoire de gouvernants qui ont voulu jouer à qui a la plus grosse (bombe) et l’humanité subit un cataclysme qui décime la population. Celle-ci se reconstruit sur des plateformes marines dans un univers post-apo rappelant Waterworld.

Quand le jeu commence, nous sommes tous des Abyssiens, en gros des explorateurs qui vont aller toujours plus loin et profond, avec leurs barges pour plonger à la recherche de ressources dans l’objectif de les revendre. Mais qui les achète ? Les Célestiens, qui utilisent ces ressources pour construire de nouvelles plateformes. Pour marquer des points de victoire, Abyssiens et Celestiens devront construire des avant-postes et réaliser des objectifs, qui, évidemment, ne sont pas tout à fait les mêmes si vous êtes sur ou sous la surface…


Flotilla
propose un ensemble de mécaniques, des dés, des tuiles, un marché qui fluctue, mais tout est coordonné par un système de gestion de main, comme Concordia qui, sans être le précurseur de ce mécanisme, a sans doute contribué à le populariser. Le joueur actif joue une de ses cartes et on passe au joueur suivant, une carte jouée n’est plus disponible jusqu’à ce que l’on joue la carte du Capitaine dans le cas de Flotilla et du Tribun dans Concordia. Un mécanisme simple à intégrer et qui, pourtant, offre énormément de stratégies et de dilemmes. Ce paquet de cartes est le même pour tout le monde en début de partie, même si on va l’enrichir pour se singulariser.

 

Dans le mode abyssien, on est dans un jeu de type pick up and delivery (ou jeu de livraison en français). En effet, on envoie nos bateaux sur les mers, pour y récupérer des ressources, notre équipage nous sert à piocher des tuiles du sac pour agrandir la zone d’exploration, recruter de nouveaux membres, acheter ou vendre nos ressources et même copier l’action d’un camarade, comme le diplomate dans Concordia. Décidément !

 

 

Le plongeur nous permet de récupérer des ressources ! Pour cela, on lance différents dés en fonction des tuiles que l’on explore. Cet élément peut faire grincer les dents de certains joueurs car il n’est pas exclu qu’il nous arrive quelques petits malheurs, selon le tirage. En effet, on pourra tomber sur des ressources, mais aussi sur de la radioactivité ou sur des jetons de déplétion qui nous obligeront à aller chercher nos ressources plus loin. 

Ces dés, ajoutent une part de hasard… inconfortable, il ne faut pas se le cacher, mais il existe plusieurs moyens de le mitiger. D’abord, certaines cartes permettent d’annuler un ou plusieurs symboles nucléaires, d’autres de relancer. Enfin, on lance les dés qui correspondent au type de tuiles que l’on a placé, les dés de faible profondeur n’ont pas de radioactivité, contrairement à ceux de grande profondeur. Dans l’autre sens, pas de déplétion sur les dés de grande profondeur, au contraire des dés de faible profondeur.

Par-delà la surface

Nos cartes sont double-face, et, une fois monté à la surface, on les retourne pour endosser un nouveau rôle, celui de Célestien. Nous devenons les dirigeants qui vont construire des plateformes. Attention on parle de nouveaux rôles mais en réalité c’est plus une évolution qu’un vrai changement, notre fouilleur (le plongeur) ne jettera plus des dés pour récupérer des ressources, mais des dés de recherche, qui donnent d’autres genres de bonus. Notre négociant est toujours là pour acheter et vendre des ressources, mais il pourra réaliser plus de transactions, etc. On n’explore plus avec les tuiles, mais cette fois on les retourne et on construit les plateformes.

 

Surtout, on interagit avec les joueurs restés en profondeur ! En effet, ils revendent leurs ressources pour gagner de l’argent afin d’investir dans de nouveaux bateaux, permettant de récupérer plus de ressources, etc. Le hic ? La baisse des prix (loi de l’offre et la demande…) mais du coup, ils remontent aussi quand les Célestiens achètent les ressources. Voilà la première des interactions, mais ce n’est pas tout : en construisant les nouvelles plateformes les joueurs Célestiens gagnent des points de victoire, mais réduisent aussi les risques de radioactivité pour les joueurs restés en contrebas. Nous voilà donc dans un subtil écosystème où un rôle nourrit l’autre. On retrouve ce genre d’écosystème dans Brass pour les amateurs de gestion, avec ces bâtiments dont les adversaires peuvent profiter, ou dans Océans, avec son système de pool nourricier partagé, les fouisseurs ayant besoin des prédateurs pour éviter la surpopulation.

 

 

Le jeu ne se termine pas selon un nombre de tours déterminé, mais lorsqu’un certain montant de points de victoire est épuisé. On sent donc le jeu avancer doucement au fur et à mesure que les joueurs marquent des points, vidant cette réserve. Le gros des points est marqué en réalisant des tuiles Objectif, chaque rôle ayant les siens. Tout le monde a accès aux mêmes objectifs, mais les premiers à les remplir les trouveront plus gratifiants. Les premiers arrivés marqueront plus de points en fonction de la condition, par exemple 6 points par tuile de moyenne profondeur dans leur zone de jeu, mais le suivant pourra prendre son temps. Certes, il ne marquera que 5 points, mais il pourra aussi le bonifier cela, et au lieu d’accomplir cet objectif avec 3 tuiles, il attendra d’en avoir 5 ou 6. À chacun de trouver son rythme. 

 

Au creux de la vague ?

Ce mécanisme de gestion de main rend le jeu fluide, mais vous ne passerez pas à côté d’une explication bien copieuse ! Difficile de se lancer sans avoir intégré les notions de marchés, de rôles, de comment on gagne des points avec l’un et avec l’autre, des interrelations entre Abyssiens et Célestiens… 

Le hasard est un élément déterminant dans plusieurs strates du jeu : d’abord les dés qui peuvent nous faire souffrir de radioactivité, mais aussi certaines tuiles que l’on piochera dans le sac, même si les tuiles contenant de la radioactivité ont aussi l’avantage de contenir des zones où placer nos avant-postes. Certes, ce hasard peut impacter le jeu, mais en règle générale, chacun essuie quelques revers. Mais surtout, il s’avère thématique ! Il serait dès lors dommage de l’enlever uniquement pour faire plaisir aux control-freaks. 😀

 

 

Abyssiens et Célestiens sont complémentaires et on a envie de tester l’un et l’autre. Pour le moment, dans nos parties, l’ensemble s’est révélé assez équilibré. Au début, on pensait que le joueur qui était le premier à remonter à la surface avait un avantage et ça ne s’est pas confirmé ; ce qui fait la différence, c’est quand vous êtes le seul dans un rôle ! La course aux objectifs devient secondaire puisqu’il n’y a plus de concurrence et vous pouvez donc les optimiser au maximum.

La rejouabilité est assurée par les tuiles objectifs différentes et les cartes équipages que l’on va recruter. En général, je considère cela comme une rejouabilité artificielle : ce n’est pas en ajoutant des tuiles que le jeu va changer ! Pourtant, ici, ce renouvellement fonctionne, car l’élaboration de notre équipage se fait en fonction de multiples facteurs, entre notre stratégie, les tuiles objectifs et le comportement des autres joueurs.

Finalement, je comprends, Flotilla est un jeu clivant, mais il amène un vent de fraîcheur (quoi qu’un peu radioactif) sur le genre. Cette interaction écosystémique est délicieuse, même si certains pourraient reprocher que l’on n’agit malgré tout que dans notre zone, et non dans celle des autres. Pour ma part, c’est un franc coup de cœur qui ne demande qu’à se confirmer après plusieurs parties. Ah, ça fait du bien de sortir des « jeux solo à plusieurs » qui ne nous demandent qu’à analyser une mise en place ! Oui c’est vous que je regarde, Bonfire, Alma Mater, Newton ! Au coin ! Flotilla vous surclasse largement.

 

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2 Commentaires

  1. Adr1en 03/04/2021
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    Super jeu vraiment sympas. Comme dit dans l’article le hasard colle vraiment au thème. C’est de l’exploration et on ne sait donc pas à quoi s’attendre (profondeur, quantité de ressources disponibles, survivants, pollution, artefacts… ) .

    Par contre même en ayant bien bossé les règles avant, notre première partie à 4 a duré 4h après 30min d’explication de règles donc il faut prévoir du temps devant soit. Les règles sont nombreuses mais simples donc pas trop besoin de revenir dessus une fois en jeu.

    L’évolution « dans son coin » fait du bien aussi. C’est agréable de faire des parties prenantes et épiques mais sans « tension » entre les joueurs.

    Il y a aussi un bel effort sur le matériel. Je trouve le jeu jolie.

    Un coup de cœur pour moi même si il n’est pas facile à sortir avec son temps de mise en place un peu long et la durée des parties (on a presque pas le courage de faire le décompte des points en fin de partie).

  2. ocelau 04/04/2021
    Répondre

    Très bon jeu effectivement. Ça fait plaisir un « eurogame » qui raconte quelque chose car de la place du hasard jusqu’à la mécanique de changement d’organisation, il y a vraiment cette sensation de construire collectivement quelque chose (alors que techniquement chacun fait un peu les choses dans son coin) . Au delà du twist de changement de côté, il y a effectivement tout ce jeu en miroir très intéressant entre les joueurs (notamment via le marché) selon leur positionnement

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