Océans – Pas de pitié pour les poissons

L’évolution est bien cruelle. Cela, Evolution (du même éditeur) ou même Darwin’s Choice (d’un autre éditeur, mais avec un thème exploité de façon assez similaire) l’exploitaient en long et en large, mais en se cantonnant plus à ce qui se trouve au-dessus de l’océan primordial. C’est ici qu’Océans entre en jeu. Se fondant sur les principes d’Evolution, il change pourtant notablement le système. J’avais trouvé le grand frère un peu mou, mais très précis sur sa thématique. Darwin’s Choice faisait, lui, le choix d’un jeu encore plus aride. Mais quid d’Océans ? À en croire les éditeurs, les américains de North Star Games, c’est le jeu de la série Évolution le plus testé et développé à date. Et, Ô surprise ! Il s’avère que le travail paie et que cette attention au détail se ressent. Et il est rendu disponible en français par l’entremise de Funforge.

 

Magikarp fait trempette

Les principes de gameplay, simples comme bonjour, peuvent décevoir à la lecture des règles : OK, on joue des traits sur des espèces pour leur donner des pouvoirs spéciaux, on nourrit une espèce et on engrange des points de victoire de nos espèces (leur population vieillissante). Jusque-là, pas tellement de différences avec Évolution, sinon moins d’espèces à nourrir… Mais dès qu’on commence à jouer, on se rend compte que le diable est dans les détails, et qu’au contraire, cette base est bien chamboulée.

Tout d’abord, les cartes Trait sont séparées en deux types. Les traits de Surface et les traits des Abysses. On piochera d’abord dans les traits de Surface, qui sont constitués de 16 pouvoirs différents et complémentaires, sachant que les traits des Abysses sont tous uniques, mais que vous ne pourrez les jouer que lorsque la fin de partie approchera, et qu’ils ont un coût conséquent.

Si je nourris mon superprédateur, les symbiotes de droite en profitent. Pendant ce temps, les parasites de gauche vont bouffer chez un autre joueur…

 

Les traits de Surface sont notre base, et celle-ci parvient à mettre en place un écosystème particulièrement fonctionnel. Pour se nourrir, trois grandes façons : tout d’abord, fouir dans le Récif, une réserve contenant un quart de la nourriture/population/points de victoire. Certaines cartes améliorent cela, quand d’autres empêchent simplement de le faire. Attendez, vous croyez vraiment qu’un super prédateur va aller fouiner dans le récif corallien pour glaner deux trois alevins ? Non mais vraiment. Autre façon de se nourrir, donc, attaquer une autre espèce… parfois une des vôtres ! Une valeur de carapace aidera parfois à protéger nos espèces, quand d’autres traits vous rendront impossibles à attaquer (parce que vous êtes trop nombreux ou discrets). Pourquoi voudrait-on s’attaquer soi-même, me demanderez-vous ? Eh bien, lorsqu’on atteint le seuil fatidique indiqué par le petit poisson mort, BOUM ! Le fléau de la surpopulation frappe. Cela vous fera perdre la moitié de votre population, dont les restes iront au récif. Cette contrainte permet de limiter la force d’une espèce, et ceci est plutôt bienvenu !

Alerte, alerte ! Récif presque vide et explosion cambrienne imminente.

 

Dernière façon de se nourrir : les effets « accidentels ». Vous êtes un parasite et piquez à l’espèce de gauche ou droite, vous vous nourrissez en symbiose avec une espèce adjacente, ou êtes charognard et ramassez les miettes des grosses prédations. Lorsque vous vous nourrissez ainsi, vous récupérez généralement de la nourriture dans des bacs « Océan » (et non dans le Récif). Cela a son importance…

Globalement, rien que ces seize cartes font un jeu riche et très interactif. Dès la première carte est jouée pour chaque joueur, la messe est dite : ça va saigner. Si le tirage de départ va orienter certaines parties vers des moments plus paisibles que d’autres, l’interaction reste très forte et cette histoire de prédateurs et de fouisseurs fait penser au mécanisme d’aventure de Caverna par son équilibrage : si vous êtes seul à profiter de ce que le jeu peut offrir, vous avez un avantage décisif. La notion d’écosystème est bel et bien au cœur d’Océans, avec un cœur bien plus fluide que celui d’Évolution.

Miam miam, du bon poisson…

Sous l’océan…

Le récif va donc se vider assez vite, et lorsqu’il est vide, c’est disette… ou pas : on pourra toujours, au lieu de jouer une carte Trait sur une espèce, faire migrer autant de poissons d’un bac à un autre (donc d’un bac océans au Récif, par exemple). Certes, on n’a pas très envie de le faire, mais, parfois, la survie de nos espèces en dépend. Enfin, lorsque l’on vide le premier bac Océan, on déclenche l’explosion cambrienne. Et c’est là que le jeu devient un peu fou. Au lieu de se cantonner à une carte par tour, on en jouera deux. Le ton est donné, mais ce n’est pas tout : on fera également vieillir chacune de ses espèces de deux poissons-population au lieu d’un. La contrainte ajoutée permet certes de se mettre pas mal de points de côté, mais elle ajoute une pression non négligeable. De plus, on pourra jouer des cartes Abysse ! Enfin ! Ces cartes Abysse, je le disais plus haut, ont un coût : il faudra payer de la population pour les poser. Mais si les synergies des cartes Surface étaient plutôt aisées à mettre en place, généralement, les cartes Océan vous spécialisent en vous rendant redoutable. Vous pouvez vous transformer en véritable béhémoth, vous aventurer sur les banquises avec une couche graisseuse vous mettant à l’abri de la surpopulation, et j’en passe.

 

Grâce à tous ces petits trucs, les secondes moitiés de partie d’Océans ne se ressemblent guère. Renouvellement en plus assuré par des événements qui affectent tout le jeu, petites règles supplémentaires parfois dispensables, mais, après tout, pourquoi pas ? La surcouche n’est pas trop lourde, mais le gain n’est pas, à mon avis, si incroyable. Le jeu nous permet de créer des environnements plus amicaux ou plus durs si l’on souhaite choisir. Le tout est servi par une édition classieuse et des illustrations très agréables. On retrouve la patte de l’illustratrice d’Evolution pour la majeure partie du jeu, mais aussi d’autres illustrateurs (un des frangins Fryxelius, Tomasz Jedruszek, et j’en passe). L’ensemble est cohérent et respire le talent.

Ouais, les cartes Abysse c’est pas de la gnognote.

Arrête, cétacé ! Donne ton verdict !

Océans surclasse Évolution sur tous les points – Fouilloux arguerait que non, y’a pas de dinosaures, mais ce serait bien son seul reproche. Convaincant par son approche simple dans les règles, mais pas simpliste dans la stratégie, Océans présente un gameplay très thématique et pourtant léger, un écosystème de jeu et de thème harmonieux, et des parties sans merci. (Joueurs allergiques au sel s’abstenir.) Qu’on ne s’y trompe pas : sous la surface des eaux émeraude, sous les couleurs vives et chaudes du récif corallien, on trouvera un monde cruel… Dans la marée de jeux de construction de moteur, Océans tire, pour moi, le gros lot : on a là une affaire interactive, nerveuse, élégante et thématique à la fois. Si certaines parties (surtout les premières, à vrai dire) peuvent s’étendre un peu, c’est bien la seule ombre au tableau. Autant dire que les réticences sont minces et qu’il me tarde de replonger.

 

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5 Commentaires

  1. alfa 21/01/2021
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    Voilà qui donne envie , merci !!

    meme si je n’ai pas été convaincu par  une chose : en quoi Océans surclasse-t-il Evolution «  en tout point » ? Je ne pense pas que tu aies suffisamment comparé les différences (dans l’article) ,  pour pouvoir tirer cette conclusion. Peux tu nous en dire plus sur les « points » en question?

    • Umberling 21/01/2021
      Répondre

      Hello ! Pour te répondre un peu précisément sur la comparaison entre Evolution et Océans :
      – L’écosystème d’Océans est simplement meilleur et mène à des choix plus profonds. Comme je le disais, les seize cartes de base feraient un jeu excellent à elles seules. Chaque trait posé paraît beaucoup plus critique et signifiant que dans Evolution, surtout que tu ne nourris qu’une seule espèce par tour (yay, moins d’entretien !)
      – Evolution semble designé pour le thème, et avec une attention secondaire au game design (loin d’être raté cela dit). Océans ne fait pas le compromis et est bon des deux côtés.
      – Le rangement d’Océans est bon et l’édition, des plus agréables.

      Le seul reproche, c’est peut-être un poil de temps d’attente.

  2. morlockbob 22/01/2021
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    A deux ça se joue ou c’est mieux à plus (cause l’interaction ?) ? merci

  3. Flemeth 24/01/2021
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    Plutôt mitigée de mon côté, avec un gros doute sur l’équilibrage des cartes. Coprophagie (coût de 1 mais qui va piquer 2 poissons dans le sac d’un joueur à chaque tour) est juste monstrueuse. Des règles françaises assez floues sur certains points, notamment les attaques (en anglais il est précisé qu’on mange ce qu’on peut, en français il est dit qu’il faut manger précisément à hauteur de notre attaque). Notre 1e partie nous faisait perdre 2 poissons du sac à chaque migration, ce qui a créé une lenteur incroyable au niveau du jeu car personne ne faisait de migration. Le jeu est sympathique mais pêche (ah ah) sur pas mal points, dommage. Le matériel est magnifique par contre (mention spéciale pour les cartes Abyss).

  4. morlockbob 25/01/2021
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    Jeu chouette (enfin chouette aquatique) mais, et c’est encore très présent pour pas mal de titres, des traductions lamentables, non relues, faites par des non joueurs. Que pensez de l’exemple donné par Flemeth ou du KS d ‘Exploration dont l’éditeur, sous la pression, va revoir ses règles ??? Oui oui il n’y a pas de petites économies et les joueurs vache à lait n’ont qu’à se débrouiller….

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