À dos d’âne : El Burro, le spin-off malin de La Granja
El Burro (on en parlait déjà dans cette preview) fait partie de cette grande vague de jeux itératifs : prenez un jeu existant (ici La Granja sorti en 2014), utilisez une partie des mécaniques pour en faire quelque chose d’autre, et changer plus ou moins les sensations du jeu pour le rendre plus libre ou plus tendu.
Les auteurs, Michael Keller et Andreas Odendahl, avaient pour objectif au début de réaliser une extension de La Granja, du moins ils sont partis des idées qui n’étaient pas gardées dans la « Deluxe Master Set ». Puis, sur le chemin, ils se sont aperçus qu’ils avaient tous les éléments pour réaliser un jeu complet. On parlait de La Granja dans cet article et vous avez aussi le Ludochrono.
Majorque au moyen âge
Dans El Burro comme dans La Granja on est sur l’île de Majorque. On développe notre ferme, nos champs, nos élevages de porcs noirs et on vend notre production sur les marchés en livrant avec nos ânes et nos chèvres, tout cela durant quatre manches. Oui, on fait vraiment (presque) la même chose que dans La Granja, mais de manière très différente.
Dans La Granja les livraisons étaient un moyen d’aller éjecter les pions des autres, ici elles demandent une planification plus fine puisqu’il faudra s’y rendre à dos d’âne – on ne peut pas livrer un marché si on ne l’a pas atteint.

Le plateau central avec le chemin sinueux.
Chargez la mule !
Le plateau de jeu comporte un chemin où nos deux baudets vont se mouvoir et gagner des bonus, mais surtout accéder aux divers marchés locaux, ce qui nous permettra d’y livrer des ressources. Terminer un marché local (en livrant tout ce qui est demandé) donne des points en plus aux premiers, mais aussi un bonus immédiat et un bonus de revenu (une tuile que l’on ajoute à notre plateau). Par exemple, à la phase des revenus, on peut jouer une carte supplémentaire sur notre ferme. On réfléchit et planifie en fonction de cela aussi.

Notre plateau ferme.
Comme dans La Granja, l’axe principal reste les cartes que l’on peut mettre au milieu pour leur bonus (et un meeple saisonnier), à gauche pour les champs, à droite pour augmenter sa main de cartes, son revenu, ou avoir de la place pour accueillir de beaux petits porcelets (que l’on transformera en jambon, oui, désolé ^^). Enfin, tout en haut, on trouve les commandes, qui donnent des points (nerf de la guerre, tout de même) et permettent de déplacer les ânes. Si l’on retrouve le principe des cartes multi-usages, elles sont adaptées à cette version évidemment.

Quelques cartes.
Durant la phase d’action, on choisit chacun son tour un dé et l’on accomplit les deux actions. Quand tout le monde a pris deux dés, le dernier est activé pour le bénéfice de tout le monde, mais pour l’action du bas (dans la roue) uniquement. On avait un système similaire dans La Granja, il était fixe et les récompenses étaient uniques, ici, elles sont doublées, mais cela évolue pendant la partie (la roue interne tourne d’un cran à chaque manche). Dans La Granja, on avait l’impression que certaines récompenses étaient plus importantes que d’autres, ici ça évolue avec ce système de double action, offrant des dilemmes assez savoureux.

La double roue de prospérité.
L’interaction se situe surtout dans la course, mais les auteurs ont ajouté une mécanique de collaboration entre les joueurs, ce sont les livraisons avec les chèvres. Avant de livrer avec nos ânes, on peut accomplir une livraison spéciale chez l’un des adversaires. D’un côté, on va l’aider à compléter une de ses livraisons, mais de l’autre, on va progresser sur un plateau spécial, avec des pistes qui vont nous donner des bonus conséquents, des tuiles que l’on va ajouter à notre plateau ferme ou même retourner plus tard, pour la faire évoluer, de l’eau (utile nous le verrons).
Tout en haut de ces pistes, un scoring de fin spécifique, par exemple, je remporte 2 points par tuile amélioration que j’ai sur mon plateau en fin de partie. C’est quelque chose que l’on va essayer de planifier durant la partie. On ne rechigne donc jamais à livrer les autres, on réfléchit même aux ressources que l’on va produire ou récupérer durant la phase d’action dans ce but précis.

Le plateau communauté.
Le système d’ordre du tour est toujours régi par la piste de Sieste (Siesta) qui a été revu : au lieu de poser une tuile contenant le nombre de livraisons, on pioche quatre cartes que l’on va jouer sur trois emplacements. L’une d’elles indique l’avancement sur la piste de sieste, la seconde le nombre de livraisons que l’on va pouvoir réaliser à cette manche, et la troisième la valeur de l’étable, avec des points accordés aux meilleurs scores, ces derniers étant plus élevés au fil des manches.

La piste de Siesta.
La quatrième est mise de côté et servira pour la dernière manche, il faut donc ici aussi planifier pour ne pas se retrouver sans livraison au dernier tour. On a un peu de flexibilité en dépensant de l’eau pour augmenter légèrement notre livraison, ou bien une avance sur la piste Siesta, ou encore acheter des ouvriers (saisonniers). Tout est important. Je dois décider ce que je privilégie : l’ordre du tour ou la livraison, je laisse tomber la valeur de l’étable ? Fait notable, le deck des cartes livraison est le même pour tous les joueurs, seul l’ordre différera, et on les jouera toutes durant la partie.
Pas têtu, mais rusé
La nouveauté de cette itération, ce sont les ânes que l’on avancera en fonction des livraisons, de l’action du dé choisi ou de l’avancement sur la piste de la sieste. Le chemin est long pour arriver au quai de la Palma, et chaque avancée est un dilemme : quel âne j’avance, je rushe avec un seul ou j’avance l’autre pour gagner des bonus ? (Certains seuils exigent que les deux ânes soient passés). Cela permet de gagner de l’eau, utile à plusieurs égards, mais aussi d’atteindre des pistes de Borne qui rapporteront des points à chaque manche. Sans oublier les marchés locaux qu’il faut atteindre ; être le premier et le seul sur un marché, c’est l’assurance de livrer en premier, même si on est relégué derrière sur la piste Siesta. J’apprécie les jeux qui nous offrent plusieurs moyens pour arriver à nos fins, cela augmente notre espace de décision.

Fin de partie, un plateau bien chargé.
La Granja se démarquait aussi par son extrême adaptation : ne pas avoir une marchandise n’était pas grave, on pouvait toujours l’acheter, ou s’il manquait de l’argent, on pouvait vendre une ressource. Avec de l’argent, on peut tout faire comme acheter du raisin en vendant mon cochon. Est-ce vraiment mal joué ? Sans doute sous-optimal, mais si le timing l’exige, c’est correct.
Les ouvriers, pardon saisonniers, participent aussi à cette adaptation, j’envoie un de mes meeples sur une action de ma ferme, en plus de l’action que je m’apprête à réaliser, ces actions peuvent être améliorées en avançant dans la partie. Ces meeples doivent être payés pour libérer l’espace à la fin de la manche, sinon ils font grève et on ne pourra pas envoyer un meeple sur la case. J’aime ce petit côté thématique et ça fait plaisir à ma fibre sociale quand les ouvriers ne se laissent pas faire. En plus, ne pas les payer c’est quand même potentiellement handicapant. Bien fait pour ta gueu… tout travail mérite salaire.
On a un dernier type de cartes : les cartes spéciales ; comme les autres, elles vont pouvoir être jouées dans n’importe quelle zone de notre plateau, mais elles fonctionnent comme un scoring de fin. L’avantage, si on les place en tant que livraison, c’est qu’elles ne nécessitent pas d’action âne, on pourra, si on a de quoi, les livrer en fin de partie pour gagner les points (en revanche on ne fera pas avancer nos meeples ânes).

Les cartes spéciales.
Comme leur coût varie en fonction de la manche où on les joue, on peut être tenté de les utiliser rapidement. On se privera alors de cartes de production. Entre les points des bornes que l’on atteint, l’arrivée (potentielle) au port de la Palma, ceux du plateau de communauté, les cartes spéciales et les livraisons, El Burro se termine dans une belle salade de points, mais qui se planifie. L’opportunisme est présent, mais à petite dose.
Visuellement, c’est moins léché que La Granja Deluxe, pour autant si ça fait plus old-school, l’ensemble a quand même sa patte. La partie la plus douloureuse est la structure peu intuitive des règles, qui nous ont mis à rude épreuve, car certes elles sont exhaustives, mais la structure est étrange avec des renvois vers des pages antérieures ou ultérieures pendant la lecture. C’est agaçant ! Les aides de jeu en revanche sont parfaites en tout point et l’éditeur français (Fentasy Games dont on parlait dans cette news) a ajouté un feuillet de résumé des règles qui nous a plusieurs fois sauvés. Je vous conseille de lire ça avant de vous attaquer aux règles.
Un jeu qui pourrait bien vous braire
J’aime beaucoup La Granja, son interaction piquante, la richesse des cartes qui rendent chaque partie différente, son extrême adaptabilité, ses choix toujours importants. Je suis personnellement fasciné par ces jeux qui proposent un ADN commun pour aller dans une tout autre direction (cela sera d’ailleurs le sujet d’une chronique du podcast des Indisciplinés).
C’est ce que fait El Burro. On n’a pas l’impression de jouer au même jeu. Il est plus axé sur le timing et l’interaction semi-positive – que j’aime bien dans les jeux. Après de nombreuses sessions, dont la plupart en duel, je le trouve plus solide que son grand frère dans cette configuration. Contrairement à La Granja, El Burro évite l’écueil de certaines cases actions plus fortes, grâce aux doubles actions de la roue. Il est plus riche et plus combinatoire et demande une planification beaucoup plus importante. À noter qu’il existe un mode solo mais je ne l’ai pas essayé je ne pourrais donc pas vous en parler.
Pour autant, je n’ai pas trop envie de choisir, j’aime les deux, pour leurs qualités propres et leurs différences. Comme j’aime Brass et sa version Birmingham, ou les deux Endeavor.
———————————————————————
Depuis sa création en juin 2014, Ludovox a à cœur la pertinence et l’intégrité des contenus proposés par une rédaction indépendante et l’établissement d’une charte que vous pouvez retrouver ici. Cet article a été écrit avec une boîte issue d’un achat personnel.
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :
Ihmotep 22/05/2025
La Gradja m’avait bien séduite notamment poue l’usage malin de ses cartes (chacune ayant 4 possibilités) et son edition très propre (les infos sont clairement indiquées sur nos plateau personnel, amenant un vrai plus ergonomique). Je n’avais pas craqué car assez proche pour moi des sensations de Clans of caledonia.
El Burro je l’ai commandé. Les changements sont originaux et alléchants (la livraison chez les autres, les choix cornéliens,…) tout an gardant le sel de La Grandja (notamment les cartes multitaches)
Doc.Fusion 23/05/2025
Oh, tiens, il y a même un mode solo ?
atom 25/05/2025
Oui en effet, et je n’y ai pas pensé, n’étant pas joueur solo. Je vais faire un petit ajout.