Voir Essen et…

Quel drôle de titre, me direz-vous… Voir Essen et… Vous aurez sans doute complété la fin du titre vous-même. La raison pour laquelle j’ai choisi ce titre, c’est tout simplement parce que je suis conscient qu’il s’agira probablement de mon seul passage dans ce salon surdimensionné où le bruit continu arrive à peine aux chevilles de la folie qui y règne en permanence. Il faut dire que venir du Japon passer 5 jours dans cette jolie ville si peu visitée fait montre d’une certaine inconscience.

Mais avant d’entamer une psychothérapie en public, commençons par le début. Il en faut toujours un. Même chez Perrec. 

Avion…

Départ le mercredi matin 11h, heure japonaise. 3 heures du matin en Allemagne. Mon ami Eric et moi sautons dans l’avion pour Helsinki.
10 heures plus tard, et un sandwich rapidement avalé en compagnie d’une Lapin Kulta, direction l’avion pour Düsseldorf. Jusqu’ici, tout va bien. Une fois à l’aéroport de Düsseldorf, tout se complique un peu.

Aéroport accueillant, surtout le matin !

Aéroport accueillant, surtout le matin !

 

Valise quasi vide (à peine quelques T-shirts, deux pantalons…), on essaie de monter dans un ICE [NDLR : train à grande vitesse) en direction d’Essen. Le gars derrière le guichet de la compagnie de train, le dos nonchalamment posé sur son fauteuil à roulettes en position « parle toujours… », nous indique que nous devrons monter dans un train express. Il aurait été sympa de nous expliquer que le train ne s’arrêtait pas à Essen. Enfin, il s’y arrête, mais pas vraiment à l’endroit où nous aurions souhaité descendre…

Premiers pas dehors. La différence de température entre le Japon et Düsseldorf dépasse les 10 degrés. Autant vous dire que mon corps a rétréci de moitié à la première bouffée d’air carbonisé. Le train arrive après quelques minutes… Se faire une place devant les portes n’est pas facile face à des groupes de touristes chinois de plus de 20 personnes chacun. Bon, allez, on force.

Les annonces sur les quais et dans le train ne sont qu’en allemand… Il y a un truc qu’il faut que je vous dise à mon sujet : je ne supporte pas de ne pas comprendre une langue, ou de ne pas pouvoir la parler. Ni une ni deux, je vais demander à un employé dans le train, avec mes souvenirs d’allemand du lycée, où le train s’arrête. Il me répond : « Alten Essen ». Il y a le mot Essen dedans mais il me semblait que le mot « Alten » ne faisait pas partie de ce que nous avions vu sur Internet quelques jours auparavant alors que nous préparions le voyage.

Debout depuis plus de 20 heures, avec 14 heures d’avion dans les jambes et le cerveau trop limité en oxygène, nous avons décidé de rester dans le train, en mode « whatever will be will be ».

« Alten-Essen, Alten-Essen », balance une voix grésillante dans les wagons surchauffés.

Eric et moi, on se regarde comme deux chiens de faïence et, sans se concerter, on prend nos affaires et on saute sur le quai. Bon, on n’a pas vraiment sauté. On s’est juste un peu précipités. Juste ce qu’il fallait pour donner l’impression que nous vivions notre instant trailer de film américain.

Alten-Essen. Nuit noire. Vent froid.

Arrivée vers 20h, c'était presque inquiétant. Bon, on arrivait du Japon, le pays où on laisse son sac, son iPhone et son iPad sur une table au deuxième étage du Starbucks pour réserver une table en attendant de commander.

Arrivée vers 20h, c’était presque inquiétant. Bon, on arrivait du Japon, le pays où on laisse son sac, son iPhone et son iPad sur une table au deuxième étage du Starbucks pour réserver une table en attendant de commander.

 

On se dit qu’on n’est pas encore arrivés. À ce moment-là, le salon d’Essen a disparu de nos esprits comme par magie. Étonnant comme la moindre inquiétude peut effacer les rêves qui nous muaient jusqu’alors.

Et là, sorti de nulle part comme un super héros sympathique, un garçon nous indique qu’il nous faut prendre le métro jusqu’à la gare. Smartphone en main, anglais approximatif mais courageux, il nous emmène jusqu’à l’entrée du métro. C’est beau un humain qui rend service. 

Arrivés à la gare d’Essen. On monte dans un taxi et en route pour l’hébergement à l’espagnole qui nous accueille pour quelques jours. 

La Proxi Team

Dès le début de ma passion pour les jeux de société, je me suis dit qu’il serait sympa de parler des jeux japonais. Après tout, personne n’en parlait et il fallait encore attendre plus d’un an avant que Love Letter ne soit lancé sur le marché par AEG. C’est tout naturellement que j’ai demandé à Olivier et Jérémie, de Proxi-Jeux, avec un et avec un X, s’ils seraient intéressés par des chroniques sur le jeu au Japon et les jeux japonais. 

C'est beau, hein ? Et encore, je ne vous ai pas montré mon Tshirt !

C’est beau, hein ? Et encore, je ne vous ai pas montré mon Tshirt !

 

Depuis le début de notre collaboration, nous avons sympathisé et nous sommes vu en France. Essen me paraissait être le meilleur moyen de les revoir et de rencontrer tous les copains qui gravitent autour du podcast. Réunis à la C… R…, nous avons passé 4 jours ensemble. Et deux soirées, les deux autres étant consacrées à d’autres rencontres. Pizza le premier jour, chinois le deuxième. Essen ? Moi qui m’attendais à voir fleurir des saucisses un peu partout. Je les découvrirai, recouverte de moutarde légère et de ketchup américain dès le lendemain.

Le podcast a été ma première participation active dans le jeu de société. Depuis, j’ai parcouru un bout de chemin avec Gus, Tric Trac et Ludovox, du côté des médias, et rencontré des tas de gens du côté des joueurs, des éditeurs et des auteurs. Je ne les remercierai jamais assez pour cette chance et l’envie d’approfondir qu’ils m’ont donnée en acceptant mes chroniques.

Passer ce séjour avec eux était aussi un très bon moyen de découvrir efficacement les allées du salon, ses pièges, ses secrets, ses bons coins…

Discuter en face à face, jouer aux mêmes jeux, participer à l’apéro Proxi-Jeux, autant de bons moments qui me resteront gravés en mémoire.

Il est toujours difficile d’écrire un article sans tomber dans la facilité du name-dropping cher aux gens dont on partage les instants importants. Facebook en a été témoin tout au long de cette dernière journée de salon. Alors, moi aussi, je pourrais céder à cette tentation qui me donne l’air plus important que je ne suis en réalité. Mais non. Je garderai les noms en tête, comme un secret à ne pas partager et à chérir loin des autres.

Toujours est-il que de pouvoir enfin mettre des visages et de vrais prénoms sur des pseudonymes avec lesquels on cohabite dans ce podcast, ça change tout dans les rapports humains. Il aurait probablement fallu quelques heures, quelques jours de plus pour vraiment pouvoir profiter de tout le monde et en savoir plus sur eux, mais pour le moment, je me satisferai de cette première impression enrichissante et pleine d’aventures autant linguistiques, ludiques qu’humaines.

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Décalage horaire et frénésie à l’euro

Les deux premiers jours ont été ponctué par des nuits très courtes, des repas trop riches et des étoiles filantes plein les yeux, de celles qui vous ravissent des billets dans le portefeuille. Il y a cependant une énergie qui traverse le salon, matérialisée par les voix fortes, le brouhaha perpétuel, l’excitation des rencontres, l’affairement des démonstrateurs et des vendeurs, la course aux goodies et aux promos, l’éclat des pièces au change infernal sur les comptoirs, le rush du stylo sur la feuille de précommandes… Une énergie galvanisante. Elle est si forte qu’elle vous fait oublier que vous n’avez dormi que deux ou trois heures. Si envahissante que même le café vous semble inutile.

J’ai lu ici et là qu’Essen était un supermarché géant du jeu de société. C’est l’impression que j’ai aussi ressentie. Il y avait cependant plus que cela. D’ailleurs dès le deuxième jour, on devient plus prudent et les envies sont influencées par une étonnante sagesse frugale. Je me suis rendu compte que je prenais le temps d’observer les tables de démonstration et de discuter avec les gens croisés dans les différents halls du salon. J’ai été heureux de pouvoir parler à Zee Garcia, de la team Dice Tower. Mon préféré, à n’en pas douter, pour ses goûts intéressants et son humour décalé. Une photo avec Rahdo, que j’aime beaucoup même si ses vidéos sont truffées d’erreurs de règles et que j’évite de l’écouter trop sérieusement, surtout quand il s’agit de présenter des projets Kickstarter. 

Rahdo 150

Et voilà, vous avez vu ? En deux secondes d’inattention, on se laisse inviter au name-dropping ! C’est terrifiant. Le monde du jeu est clairement devenu un lieu où les auteurs et les représentants du jeu, qu’ils soient dans l’édition ou la critique, sont reconnus. On les nomme, ou les surnomme, on en fait des héros de notre loisir alors qu’au final, tout ceci est tellement superflu. Une poignée de main, un sourire lancé, sans interpeller, sans identifier, ne serait-ce pas plus naturel ? Mais comme dirait une génération toute entière d’enfants de Youtube, osef ! Tant qu’on s’amuse !

Les deux jours suivants, je découvrais la folie du week-end… Le samedi, en attendant l’ouverture, je tombe sur Théo (enfin, c’est lui qui tombe sur nous puisque nous faisions le pied de grue devant l’entrée). Théo, c’est Théo Rivière. Il a des pulls qui feraient rougir les Londoniens vendeurs de céréales. Il s’en dégage une beauté étonnante, où quand le kitsch rencontre le bon goût. Nous discutons rapidement de sa reconversion et sans s’en rendre compte, c’est désormais une nuée infernale d’enfants et de parents allemands qui se traînent, l’air jovial, derrière nous. Mein Got! 

Fluch der Mommie !!!!!

Fluch der Mommie !!!!!

 

On m’avait prévenu que le week-end, on profiterait probablement moins du salon… Et en effet, c’est la ruée vers l’or, de celui qu’on trouve entassé, pas celui balayé à coups de tamis dans les rivières. 

Malgré tout, c’est l’occasion d’errer plus tranquillement dans les allées, de craquer pour quelques dernières sorties et de glâner encore des promos ! 

Le soir, le dernier jour, on se rend compte à quel point nos oreilles se sont habituées au bruit incessant. Il faut du temps pour que le silence reprenne sa place sans être gênant et perturbant. Dans l’avion, la mécanique rutilante qui fait avancer la machine émet des sons qui nous rassurent, qui nous rappellent qu’il y a à peine quelques heures, on remplissait des sacs de boîtes bien remplies… Mais c’est déjà fini. Plus que le décalage horaire qu’impose un tel voyage, dans les deux sens, c’est la rapidité hallucinante avec laquelle la vie normale reprend son cours. Jusqu’à avaler tous les souvenirs qu’on essaie de conserver. Dès mon arrivée au Japon, passage rapide chez moi, douche, rasage, costume passé, je prends le volant et je suis reparti travailler, comme si de rien n’était. Comme si tout cela n’avait été qu’un rêve de printemps mais sans les jolis feuillages. 

Oui, ce n’était sûrement qu’un rêve… 

Au prochain épisode, Jerry Hawthorne : la rencontre improbable (merci à Shanouillette d’ailleurs, qui, sans le savoir, m’a permis d’aller remercier une personne qui compte ! Mais ceci est une longue histoire sur laquelle je reviendrai très rapidement !).

À suivre ! 

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17 Commentaires

  1. fouilloux 20/10/2015
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    Rhhhhhaaaaaa une raison de plus de regretter d’avoir rater Essen cette année et ne pas t’y avoir croisé! 😉 Je crois que je vais faire un article sur le joueur en souffrance qui est resté chez lui il y a deux semaines.

    • Izobretenik 21/10/2015
      Répondre

      Si ça peut te rassurer, je prépare un sujet sur « mes regrets d’Essen » 🙂 Même en y étant, au final, on rate tellement de choses.

  2. atom 20/10/2015
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    Voir Essen et dormir ? ( car a mon avis il faut se reposer après un voyage a Essen).
    J’ai adoré ton reportage très vivant, ça donne vraiment envie d’y aller. Venir du japon wahouu !

    • Izobretenik 21/10/2015
      Répondre

      Dormir… oui, si on le peut ! Le décalage fait qu’on se réveille à des heures étonnantes. Par contre, sans doute en raison de la fatigue, le décalage du retour a été moins difficile à absorber.

  3. Shanouillette 20/10/2015
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    « La raison pour laquelle j’ai choisi ce titre, c’est tout simplement parce que je suis conscient qu’il s’agira probablement de mon seul passage dans ce salon » ..hey, il ne faut jamais dire jamais 😉
     

    « J’ai lu ici et là qu’Essen était un supermarché géant du jeu de société. C’est l’impression que j’ai aussi ressentie. Il y avait cependant plus que cela. »…Et oui c’est avant tout un incroyable lieu de rencontres, le village mondial des jeux de société si l’on peut dire !
      

    De rien pour Jerry 🙂 et oui tu voulais m’expliquer ce soir-là pourquoi c’était si important pour toi mais devant la multitude de sujets qui faisaient nos conversations, celui-ci s’est perdu en cours de route ! J’ai hâte de lire la suite pour connaitre le fin mot de l’histoire !

  4. morlockbob 20/10/2015
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    j espère bien un jour faire le match retour …. Voir le tokyo game market et…:-)

     

  5. TheGoodTheBadAndTheMeeple 20/10/2015
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    N’en déplaise à certains, je suis 100% en phase avec le titre.

    Essen transcende le jeu en un salon ou je reviens chaque année avec un plaisir renouvelé. Un plaisir effémère, poumon ludique, temple du craquage, de la promo et des jeux exotiques !

    Pour moi aussi, un salon pour jouer, beaucoup, toujours plus chaque année.

    Belle prose 🙂

    Ah oui sinon, moi je trouve le salon peu bruyant par rapport a Cannes et tellement mieux organisé/dimensionné !!!

  6. Potus 20/10/2015
    Répondre

    Toujours le même plaisir à lire les papiers de Izobretenik San!

    Pour moi qui me suis retrouvé à Essen sans l’avoir vraiment planifié ni même souhaité je ne peux que « plussoyer » le fait que certes c’est un grand super marché (un hyper-géant lieu de consommation folle) mais c’est surtout un lieux de rencontre à nul autre pareil pour ce qui est de la chose ludique. Dit comme ça on pourrait croire que j’étais au salon de l’érotisme… hmmm. bref.

    C’est encore là que ça se passe, moi qui croyait que la GenCon allait tuer Essen, c’est pas encore pour demain!

  7. Shanouillette 20/10/2015
    Répondre

    en effet je fus étonnée de la qualité de la circulation dans les allées cette année (merci au hall 7) on a pu naviguer avec notre chariot et notre dolly – un peu plus lentement le week-end, certes, mais tout de même pas pire qu’à Cannes !

  8. madtranslator 20/10/2015
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    Salut Izo, comme l’ont dit plusieurs collègues plus haut c’est toujours un plaisir de te lire. J’aimerais juste que cela soit moins rare !! 😉

    Beau rendu d’expérience je trouve ! Bravo !

    En espérant pouvoir un jour vire mon premier Essen aussi pour y rencontrer plein de monde aussi !

    A très bientôt !

    • Izobretenik 21/10/2015
      Répondre

      Avec les traductions, comme toi d’ailleurs, c’était juste impossible de trouver le temps d’écrire. Merci pour ton commentaire !

      • madtranslator 21/10/2015
        Répondre

        Oui il est vrai que les trads prennent du temps, beaucoup de temps ! D’ailleurs là je suis en pause de trads et je dois avouer que j’ai enfin pris le temps de créer un sujet sur un autre site pour poser une question sur le glissement (qui pour moi) s’opère au niveau du monde du jeu asiatique. J’espère que tu pourra sy passer nous faire part de tes lumières !!

  9. eolean 20/10/2015
    Répondre

    Arf, j’aurais bien aimé serrer la pince a plus de ludovoxiens que je ne croise pour l’instant que sur le site ! Ce serait bien de faire un off spécial ludovox l’année prochaine ! 🙂

    • Wraith75 22/10/2015
      Répondre

      Ce serait vraiment bien en effet.

      L’an passé, j’ai eu la chance de dîner avec Sha-Man et Shanouillette, mais cette année-ci j’ai à peine eu le temps de leur dire bonjour en passant, ainsi qu’à Seagull. J’ai aperçu quelqu’un en t-shirt Ludovox, je crois que c’était Bardatir (mais je ne sais pas à quoi tu ressembles =( ), mais il allait dans une direction opposée dans une autre allée, et je n’ai pas pu le rattraper au risque de perdre les amis avec lesquels je me déplaçais.

  10. christ 20/10/2015
    Répondre

    RAHDO diffuse 1 vidéo d’explication de jeu par jour , et il explique clairement dans ses vidéos qu’elles ne sont là que pour donner un sentiment sur le gameplay et en aucun cas pour expliquer sans erreurs le fonctionnement du jeu.

    il s’en excuse à chaque fois, cela n’est pas génant !!!

    son seul défaut, c’est son enthousiasme indéfectible même quand le jeu est moyen et surtout quand il s’agit d’un kickstarter ,

    christ roll the dice

    • Izobretenik 21/10/2015
      Répondre

      Oui, on est d’accord, en fait 🙂 Bon, des règles correctes, ça aide aussi à se faire une bonne idée du gameplay. Une vidéo tous les deux jours, ce serait tout aussi bien. Je pense que la Dice Tower et la façon dont fonctionne Youtube incite les reviewers à faire plus, toujours plus, plus vite, au détriment de la qualité parfois.

  11. TheGoodTheBadAndTheMeeple 21/10/2015
    Répondre

    Au dela de son enthousiasme indefectible, pour moi, c’est surtout la longueur extreme de ses videos qui m’endort franchement, sans analyse du jeu à la fin… Vive les formats courts !

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