L’Oracle de Delphes : quand Zeus se fait taquin

Le thème, crénom de Zeus !

Ce matin, Zeus s’est levé du bon pied et, dans sa mansuétude occasionnelle, a décidé de récompenser un humain qui en vaudra la chandelle. Pour ce faire, il ressort l’idée des 12 travaux d’Hercule et d’Astérix en simplifiant le concept : il y a en fait quatre travaux différents, mais à faire trois fois chacun ; ça fait 12, le compte y est.

Nous voilà donc embarqués avec trois autres concurrents (au plus) dans une course folle à travers la mer Egée pour accomplir le plus rapidement possible ces fameuses épreuves afin d’être l’élu du roi des dieux.

Pourquoi ce jeu s’appelle-t-il « L’Oracle de Delphes » (« Das Orakel von Delphi » en VO qui n’est pas le grec) et non « Les Douze Travaux de Zeus » alors ? Parce que le cœur du jeu (oui, le cœur du jeu) sont des dés de l’oracle qui vont guider nos pas dans la mer, enfin, qui vont guider nos étraves dans la mer.

Des dés ? Dans un jeu allemand ? Diable ! Teufel ! Certes, mais ce n’est pas la première fois que cela se produit, voyez donc Les Marchands de Gênes ou, du même auteur, Macao, tous deux de belles réussites ; sans parler du très récent A la Gloire d’Odin.

 

Le matériel : de l’élégance du kitsch

Les goûts et les couleurs, on ne discute pas et de fait, ce jeu n’est pas avare en couleurs.

Le tout est, comment dire, plutôt réussi, pour peu qu’on ait une certaine attirance pour une pointe de kitsch. J’aime bien, mais je n’ai pas la prétention d’avoir bon goût.

Crédits Andreas Resch

Crédits Andreas Resch

L’iconographie est bien choisie, les aides de jeu bien faites, on peut choisir deux faces pour les tuiles terrain ; je n’aurai aucun reproche à faire si ce n’est que les couleurs qui servent le mécanisme (les couleurs des six dieux, nous y reviendrons) sont communes avec les couleurs des joueurs. Cela peut entraîner un peu de confusion ; surtout au moment du rangement, pour tout dire (« non, ne mets pas les statues rouges dans ton kit du joueur rouge ! ») ; mais ce doit être par psychorigidité.

En tout cas, les dés 6 et 10 faces (et oui, 10 faces !), noirs, sont du plus bel effet. Sans parler des dés spéciaux oracle.

Notons en outre que le matériel ne comporte pas de texte, ce qui permet à tous de jouer, même si l’édition de Pegasus Spiele ne comporte pas de règle française (ni grecque, ce qui est regrettable).

 

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Le plateau en début de partie ; on voit les dés noirs en haut à droite et pas l’ombre de texte

 

But du jeu : un retour à du Feld simple et efficace

On a pu reprocher aux dernières productions feldiennes leur trop grand nombre de sources de points (la fameuse salade de points). On fait ceci, on gagne des points, on fait cela, on gagne aussi des points. Si je n’ai rien de fondamentalement contre cette gouleyance, je ne peux cependant que reconnaître que la simplicité édénique du but de ce jeu est également attrayante.

Le but du jeu : on dresse trois statues, on tape sur le coin de l’oreille de trois monstres, on construit trois autels (oui, oui, comme au Monopoly), on fait trois offrandes aux dieux (mais attention, Timeo Danaos et dona ferentes) et hop, on retourne voir papa Zeus. Simple, non ?

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Le plateau du joueur en début de partie, et ses 12 travaux à accomplir, en haut (3 autels, 3 statues, 3 offrandes et 3 monstres, dans l’ordre)

 

Principe du jeu : comment tirer parti des oracles de la Pythie

Là aussi, la séquence de jeu est simple : chaque joueur joue à son tour, jusqu’à ce qu’un d’entre eux atteigne son objectif. Et là, oui madame, on termine le tour : et ça, quand tous les joueurs ont le même nombre de tours, j’aime. Rien de plus exécrable que cette injustice qui fait que, quand le premier joueur atteint ses objectifs avant, les suivants n’ont plus leur mot à dire. Foin de tout cela ici, Zeus veille au grain.

À chacun de ces tours, un joueur va :

  • Vérifier s’il n’a pas trop de blessures ; si c’est le cas, il saute son tour ;
  • Faire trois actions (ou quatre) ;
  • Consulter l’oracle de Delphes en jetant ses dés.

 

C’est évidemment le deuxième point qui est le plus important. Chaque dé oracle comporte 6 couleurs correspondant à un dieu et ces 6 couleurs se retrouvent partout : les statues, les offrandes, les temples, les îles où l’on doit poser les autels (oui, oui, comme au Monopoly), les cases de mer, les monstres.

 

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Zoom sur la Pythie, qui cache son addiction à la fumée sous sa cagoule et sur les 6 couleurs des 6 dieux présents

 

À partir de là, le jeu est simple comme bonjour : vous voulez taper un monstre vert ? Utilisez un dé vert. Vous voulez vous déplacer sur une case bleue ? Utilisez un dé bleu. Vous voulez récupérer une offrande rouge ? Utilisez un dé rouge. Vous voulez ériger une statue rose ? Utilisez un dé… Ah ben oui, rose. Bravo. Vous avez tout compris.

 

C’est bien joli, mais les dieux, dans tout ça ?

Il y a six dieux correspondant aux six fameuses couleurs. On peut leur faire prendre de la hauteur sur une échelle en utilisant des dés à leur couleur. Une fois qu’ils sont dans les vapeurs éthérées de l’Olympe, ils peuvent agir en notre faveur et leur pouvoir est grand : Neptune peut déplacer notre vaisseau n’importe où. Arès nous apporte la tête d’un monstre sur un plateau, il suffit d’avoir le bateau garé à côté. Aphrodite nous console de toutes nos blessures. Et Athéna ? Elle n’est pas là, je suis assez inquiet à son sujet. Bref, des effets puissants. De la part de dieux, le contraire eût déçu.

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Un petit zoom sur le plateau : les bateaux sont prêts à sortir du giron de Zeus et à aller affronter les monstres roses et rouges (entre autres)

 

Hum, des dés pour faire des actions, ça ne m’a pas l’air bien contrôlable, tout ça…

Alors c’est sûr que si vous développez une allergie aux dés, il vous vaut mieux éviter ce jeu ; le fuir comme la peste, même. Mais du contrôle, on en a : comme il sait très bien que la Pythie de Delphes est une junkie qui va lui raconter un peu la première chose qui lui passe par la tête, le héros précautionneux aura soin de se munir de faveurs divines qui lui permettent de « recoloriser » les dés.

La Pythie nous offre un oracle jaune ? Il n’en a cure, il le transforme en vert. Évidemment, il faut veiller à garder une bonne réserve de faveurs. Une autre façon d’avoir du contrôle est de chercher à se mettre dans des situations où on a un maximum d’opportunités. Bon, c’est plus facile à dire qu’à faire, bien entendu. Enfin, il faut observer le terrain et voir si des solutions alternatives n’existent pas.

Si vous pensez qu’Ulysse a toujours fait ce qu’il voulait, relisez l’Odyssée.

Crédits Andreas Resch

Crédits Andreas Resch

Et l’interaction dans tout ça ?

Déjà, je vous demanderai d’arrêter de poser des questions se terminant par « tout ça ».

Évidemment, il serait audacieux et vain de chercher à celer qu’il y en a peu. Les règles conseillent même de réfléchir à son futur tour après avoir tiré ses dés pendant que ses adversaires jouent. Ceci étant, ce qui se passe au tour des adversaires peut changer ce que l’on a à faire : les dés oracles qu’ils lancent peuvent faire progresser vos dieux et vous ouvrir des opportunités. Et, surtout, ils peuvent chiper sous votre nez ébahi par tant d’insolence l’offrande, la statue, le monstre que vous convoitiez. Parce qu’on convoite un peu tous la même chose.

N’oublions pas que L’Oracle de Delphes est, fondamentalement, un jeu de vitesse. De ce fait, le moindre retard infligé à un adversaire par un coup audacieux peut lui ôter tout espoir de victoire s’il n’a pas eu le soin de prévoir une solution de secours. Surveillez donc bien vos adversaires afin qu’ils ne convoitent pas vos prochaines proies.

Et il n’y a pas un petit risque d’analysis paralysis ?

Lors d’un tirage de dés calamiteux, si on n’a pas de faveurs, on peut être en effet paralysé. Sans savoir que faire. Dans ce cas, autant investir sur l’avenir en dépensant des dés pour prendre des faveurs, ou des cartes oracles (qui permettent une 4ème action), car on a toujours cette ressource, avec n’importe quel dé. Dans d’autres situations au contraire, on a plusieurs possibilités et on pourra avoir du mal à trouver la meilleure. Alors oui, certains joueurs pourront être frappés de ce fléaux, de cette mouche tsé-tsé du monde ludique. Évitez donc de proposer ce jeu à des analytiques compulsifs.

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Mais à quoi servent les fameux dés noirs ?

C’est vrai, je ne vous en ai pas parlé. Le dé noir à 6 faces va être jeté par le dernier joueur, avec ses dés oracle. Il va déterminer l’attaque des Titans. Le montant du dé va être comparé par chaque joueur à sa valeur de bouclier. Si les Titans sont plus fort que sa défense, ils lui  infligent un dégât. Ce sont ces dégâts qui, cumulés, peuvent faire perdre un tour. Et dans une course de vitesse, il est toujours fâcheux de perdre du temps. Il va donc falloir s’employer à éviter de prendre ces dégâts ou à les soigner au moment opportun.

Le dé noir à 10 faces sert au combat contre les monstres : lorsqu’on doit en affronter un, on calcule sa force : 9 moins sa valeur en bouclier. On jette le dé. S’il est supérieur à la force du monstre, on le bat. Sinon, on lui fait perdre un point de force et on peut le réattaquer en rejetant le dé, pour peu que l’on dépense une faveur divine. Ce qui fait qu’on est à peu près sûr de vaincre un monstre à condition d’avoir assez de faveurs. Tout est sous contrôle.

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Quels beaux dés noirs sur une belle table !

La rejouabilité

Si la plupart des objectifs sont à peu près les mêmes d’une partie sur l’autre, la modularité du plateau, l’ordre dans lequel tel ou tel joueur remplit ses objectifs et acquiert les récompenses associées, la diversité de ces dernières, sont autant de sources de variation du jeu. Sans oublier ces coquins de dés qui ne vous ménageront pas leurs surprises.

 

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Plateau de joueur en fin de partie : beaucoup de blessures (en bas à gauche), des héros (en bas à droite) et plus que deux objectifs à remplir. Le halo n’est évidemment pas le flash de l’appareil photographique, mais le reflet de la colère de Zeus

 

Alors, heureux ?

Ayant lu les règles avant d’aller à Essen en bon pèlerin ludique, je n’ai pas eu l’occasion d’y jouer sur place et je l’ai acquis sur la bonne tête de celles-ci. Deux parties à deux ne m’ont pas déçu : il y a des rebondissements, des coups opportunistes à trouver, une certaine immersion dans le thème servi par un beau matériel (mais un poil kitsch, donc) ; j’ai lancé une partie à trois joueurs à laquelle je n’ai pas pu participer mais qui, de ce que j’ai compris, a bien plus à tous. J’aimerai jouer à quatre pour voir si l’interaction est plus forte (le plateau étant le même, c’est probable) en espérant que le temps d’attente ne soit pas trop long. Et je conseillerai ce jeu aux règles assez simples à toutes les personnes qui aiment bien les jeux tactiques, de prise de risque, où une certaine dose de hasard à son mot. Enfin, soyez conscients que l’interaction est limitée à l’aspect course et hop « je te jette des bâtons dans les roues (enfin, dans les rames) au moment opportun ».

 

L’Oracle de Delphes

Un jeu de Stefan Feld
Illustré par Dennis Lohausen
Edité par hall games
Langue et traductions : Allemand, Anglais
Date de sortie : 10-2016
De 2 à 4 joueurs
A partir de 12 ans
Durée d’une partie entre 70 et 100 minutes

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6 Commentaires

  1. eolean 11/11/2016
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    Merci pour ce bel article, à te lire il semble léger pour un feld… Je suis impatient d’y jouer quoiqu’il en soit ^^

  2. atom 11/11/2016
    Répondre

    Merci pour le Jp. La salade de points je pense que c’est ce qui fait le succès de ses jeux. ça rends le jeu moins frustrant, même si on a perdu on a fait plein de points, c’est moins aride. Dans celui la il prend un risque. Je me demande aussi si c’est ça qui fait que l’on parle peu de Aquasphére, alors qu’il est si bon ^^.
    Je vois que quelqu’un a posté un avis contrasté, j’aimerais bien savoir ce qui t’a déplu @ahuacatl visiblement mécanique et durée de vie.

  3. Dhjaz 13/11/2016
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    Testé et apprécié hier soir, je dois dire que je suis pas déçu. On reconnait largement la patte de l’auteur (résultats de dés ajustables, actions supplémentaires, plusieurs moyens d’arriver à ses fins, richesse des règles…).

    Premier point négatif malgré tout, la mise en place du terrain de jeu m’a paru bien fastidieuse… des tuiles aux formes à coucher dehors pas évidentes qu’on emboîte comme on peut, un coup dans le bon sens, un coup dans l’autre.. m’enfin après 10 minutes de mic mac puzzlien on a fini par s’en sortir.

    Autre chose à savoir : il est vrai qu’il comporte plus de hasard qu’à l’accoutumée. Toujours à doses homéopathiques, mais en plus d’occurrences que d’habitude. (Attaque du Titan à la fin de chaque round, pioche de cartes blessure dont on craint de découvrir la couleur, attaque de monstres, brouillard, …). Mais comme d’habitude, plusieurs possibilités sont là pour y remédier : Monter son niveau de bouclier, consulter le brouillard, accumuler des faveurs, choper des cartes pouvoirs pour ne plus subir une couleur de blessure en particulier, ou pour « jokeriser » une couleur de dé, utiliser les pouvoirs des dieux, … On a TOUJOURS quelque chose à faire et un moyen de s’en sortir pour rester dans la course.

     

    Et c’est cette dynamique là, de pouvoir réajuster, de ne jamais se sentir bloqué, qui me fait apprécier le travail de ce monsieur. Dynamique retrouvée avec plaisir dans l’Oracle de Delphes! Pour moi il n’a pas grand chose à envier à un Bora Bora, un Aquasphère ou un Trajan, j’ai pris autant de plaisir et j’attends la prochaine partie avec impatience.

  4. atom 13/11/2016
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    Joué aussi hier et apprécié mais je trouve qu’il a beaucoup trop d’aléatoire, alors certes c’est gérable en partie, mais c’est un poil agaçant. Je dirais que c’est un feld ameritrashé lol.
    Aléatoire :

    les blessures oh pas de bol c’est pas la bonne couleur dommage tu va perdre un tour
    Le titan  ou on lance un dé mais ça encore c’est tout le monde, c’est juste la blessure que l’on va prendre pour cela.
    Les lancers des dés qui font monter votre jeton dieu s’il a dépassé les nuages, vous pouvez avoir 3 dieux capable de monter mais les faces qui ne tombent pas. Du coup vous voyez les autres se gaver et vous rester en cale.
    aléatoire encore sur les tuiles montagnes, j’en reléve une ho c’est une des miennes et hop un travaux de fait un.

    Les points positifs comme l’a dit Dhjaz, on a toujours un truc a faire, dans notre partie on pouvait tous gagner, a un tour prés. Relativement fluide, car 3 actions par joueur + des actions potentielles des dieux et les combos parfois ça patine un peu mais ça reste correct. Point positif encore un départ asymétrique plutôt sympa qui a mon avis renouvelle un peu les parties.

    Bref mitigé, ça n’a rien avoir mais Bora Bora reste mon préféré avec Aquasphére en embuscade.

  5. Meeeuuhhh 14/11/2016
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    Merci pour vos retours, j’y ai pas mal joué ce week-end en famille, il est approuvé par mon neveu de 9 ans… Et il est connaisseur. Des parties serrées, avec notamment, sur notre dernière partie, ma nièce qui revient du diable vauvert et qui nous coiffe sur le poteau alors qu’on aurait pu terminer juste avant.

    Je me suis rendu compte qu’il existe, dans la règle fournie dans le jeu, des erreurs ou en tout cas des imprécisions : je ne saurais que trop vous recommander de vous baser sur les règles V2.

    Alors oui il y a du hasard, mais contrôlable puisque souvent, on termine dans un mouchoir de poche.

  6. davy 16/11/2016
    Répondre

    3 eme partie hier soir,grosse deception pour cette partie, a 1/3 de la partie on avait notre vainqueur et impossible de rattraper, donc le jeu est plaisant ,opportuniste,et d’optimisation mais la je vais y rejouer ,mais si la meme sensation cela sera ma premiere grosse deception d’essen, les 2 premieres parties été bien plus sérrées, et pourtant on a pas fait de grosse erreur de notre coté.

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