Autopsie de Cover spéciale Vincent Dutrait : Sherlock 13 et Rising 5

C’est complètement fou cette autopsie de cover. Non seulement c’est Monsieur Dutrait (Augustus, Madame Ching, New York 1901 et taaant d’autres) qui nous guide dans son travail step by step mais en plus c’est de la preview exclusive, et en plus de chez en plus, c’est pas une cover, c’est DEUX ! On pourra pas dire qu’on est radins là.

Nous allons donc lever le voile sur les boîtes de deux futures sorties.

Nous commencerons par un jeu de Hope S. Hwang (Guildhall, Kabuki, The Dome) nommé Sherlock 13. Et oui, Sherlock Holmes never dies mes amis ! Il s’agit en fait de la nouvelle édition de Holmes 13, visible en démo à Essen.

L’autre exclu, c’est carrément le premier jeu de plateau de Gary Kim (Koryo/Choson, Abracada quoi, Le lièvre et la tortue), en duo avec Evan Song : Rising 5 ! C’est le premier jeu de plateau de Gary Kim dans le sens où le jeu comporte un grand plateau central (52x52cm) où l’on joue dessus cartes, tuiles et personnages… Et une appli mobile. Le tout sera édité par Gary Kim Games et Mandoo Games – une toute nouvelle société coréenne créée par Kevin Kim.

Mais Monsieur Vincent, dites-nous, comment ça se fait que vous avez des plans made in Asia comme ça ?

« Pour la petite histoire, je réside à nouveau en Corée du Sud, à Ilsan, une petite ville tranquille proche de la tentaculaire Séoul. Je me suis bien intégré au monde du jeu coréen en multipliant les rencontres et en jouant régulièrement avec des acteurs importants du milieu. Ce qui débouche aujourd’hui sur plusieurs collaborations. Ces deux réalisations sont intéressantes à plusieurs titres, sur le fond, sur la forme et sur leur place dans mon parcours. »

Sherlock 13

Notre première cover, c’est Holmes 13 avec donc de nouvelles illustrations, un nouveau format de boîte « et quelques ajustements. » Nous dit Vincent. « C’est un jeu de pure déduction, rapide et prenant, de 2 à 4 joueurs à partir de dix ans pour une petite quinzaine de minutes. Il y a 13 personnages dans le jeu (tous issus des aventures de Sherlock Holmes) et le premier joueur à découvrir derrière lequel se cache l’ennemi remporte la partie. Le jeu devrait sortir d’ici la fin de l’année (et sera d’ailleurs présenté à Essen 2015 sous forme de prototype). »

Un travail digne d’une affiche de film

« Avec Jade Yoo de BoardM Factory, nous avons très vite pensé à mettre en place une illustration sous la forme d’une affiche de film. S’appuyer sur le casting du jeu plutôt que sur une scène en particulier. Miser sur les « gueules » des personnages, leurs regards, et moins sur de l’action ou des postures. Le jeu consistant à deviner une identité, j’ai préféré l’approche de portraits plus ou moins rapprochés en couverture et sur les cartes, les joueurs retrouveront chaque personnage en plan américain, en action. »

De la forme de la boite

« Au tout début, l’éditeur pensait à une boîte à la verticale. Mais dès les premiers essais de mises en page, nous nous sommes aperçus que le titre serait trop long et beaucoup trop petit pour tenir sur une ligne, manquant de lisibilité et d’impact. Et les différents portraits semblaient « empilés ». J’ai donc proposé de basculer la boîte pour profiter pleinement de sa longueur et du panorama : le titre peut s’étaler sur toute la surface s’assurant une bonne lecture, un encombrement conséquent et j’ai ainsi pu agencer les personnages de la gauche vers la droite en suivant une forme de vague montante vers le visage de Holmes. »

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« Durant la partie, cachés derrière un petit paravent, on a devant soi un feuillet qui permet au fur et à mesure d’éliminer les suspects et de se rapprocher de la cible. Le jeu est très accessible et limpide. Ce que je souhaitais retranscrire dans cette illustration, tendre vers une certaine « économie » de moyens et aller à l’essentiel, sans fioritures ni effets. »

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Forme épurée et contrastée

« Le thème de Sherlock Holmes a déjà été très travaillé et j’avais aussi envie de proposer quelque chose de différent. Ce qui nous a conduit vers une forme épurée, à contrario des ambiances sombres et feutrées des habituels fumoirs de l’époque. En profitant d’espaces blancs et en jouant sur les contrastes et encombrements entre des zones très détaillées et d’autres plus légères. C’est un petit format de boîte et je souhaitais que le titre se détache bien, qu’il conserve une parfaite lisibilité à distance et que le regard accroche rapidement celui de Sherlock. »

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Crayon et photoshop

« Pour la réalisation, j’ai tout d’abord commencé par crayonner légèrement les portraits des personnages pour les encrer par la suite. Je les réalisé de manière « éclatée », séparément, pour ensuite recomposer mon image dans Photoshop sur l’ordinateur. Une fois le crayonné calé et validé, je l’imprime sur du bon papier et m’attaque à la mise en couleurs dont je m’occupe encore et toujours de manière dite « traditionnelle », c’est-à-dire pinceaux et peintures acryliques pour l’ensemble et crayons, encres et feutres pour les retouches et petits ajustements. »

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« Cela faisait longtemps que je souhaitais réaliser une illustration où le blanc du support serait très présent et où je pourrais travailler dans l’optique d’une affiche générique. Mon travail sera tout autre sur les cartes et les paravents. Je profiterai de ces espaces-là pour donner corps au thème avec un travail axé sur les attitudes des personnages, les ambiances, atmosphères et lumières. »

 

S13 photos (8)As-tu eu des inspirations conscientes ou inconscientes d’affiche de film ?

« Pas d’inspiration directe mais en Corée on utilise souvent le blanc comme un élément à part entière, ce qui se rapproche très certainement du travail de la calligraphie ou de l’estampe. On voit donc souvent des images avec un grande place laissée aux « vides » et au blanc. Et j’ai toujours admiré le travail d’illustrateurs comme Colbus ou les peintures américains du début du XX siècle qui utilisaient aussi beaucoup le blanc pour dessiner des formes, générer des espaces en creux, compléter du décor… »

Le fond blanc te permet et t’évoque quoi ?

« Le fond blanc me permet de créer un fort contraste entre ce « vide » et le visage de Holmes, très détaillé, avec des couleurs et textures denses. Le visage paraît plus intense et « chargé » ainsi, sur un fond travaillé il perdrait de sa force. Je travaille toujours avec comme principe un équilibre 3/4-1/4 ou 2/3-1/3. Ce qui signifie par exemple que là j’ai estimé 2/3 de « light » (le fond blanc, Big Ben, les personnages en retrait) pour un 1/3 de chargé (le visage de Sherlock). »

Cette composition avec des personnages est la première idée que tu as eu tout de suite ou il y a d’autres travaux de recherche avant ?

« J’ai eu d’emblée l’idée de caser les 13 personnages avec une certaine hiérarchie (Holmes en grand, un personnage féminin un peu plus petit, Watson, Lestrade, etc). Mais je me suis vite rendu compte que ce ne serait pas possible de faire tenir tout ce monde dans cet espace. »

On voit des ombres en reflet sur les visages, d’où t’est venue cette idée ?

« Ce sont justement les autres personnages, mais suggérés, juste évoqués plutôt que de les représenter en détails. »

Un dernier mot sur cette cover ?

« La couverture de Sherlock 13 c’est l’occasion rêvée d’allier ces envies et ce fut un véritable challenge, pour une illustration finale disons plus « graphique » que « narrative », moins descriptive et plus sur le ton du concept, du symbolique. »

 

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► Cette composition de personnages donne l’impression que des destins forts vont s’entremêler, mais le regard du personnage principal qui se pose sur nous, cassant le 4e mur, nous invite à rejoindre cette partie de chassés-croisés. Les brumes, l’horloge de Big Ben, la pipe, les chapeaux et les moustaches d’époque – on sait qui, on sait , on sait quand – mais bon, pas de loupe ni de deerstalker : on suggère sans sortir toute la panoplie ! Car c’est l’ambiance, l’atmosphère plutôt, qui prime. Avec une économie de moyens remarquable, Vincent Dutrait évoque les trottoirs luisants de Londres fin XIXe, pour un peu on entendrait presque les notes de violon s’échapper du 221B Baker Street

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Rising 5

« Rising 5 de Gary Kim et Evan Song c’est un tout autre format. Une boîte au format carré habituel avec un grand plateau, des cartes… et une application mobile. C’est un jeu coopératif d’aventure et de déduction disons « familial + » de 1 à 5 joueurs pour une durée d’à peine 30 minutes. Les joueurs incarnent un groupe de cinq héros aux différents pouvoirs devant affronter créatures et périls pour assembler correctement 4 runes afin de sauver la planète en danger !

La partie aventure concerne plus l’exploration de la planète pour y trouver aides et indices et la solide phase de déduction, s’apparentant à celle du fameux « Mastermind », sera soutenue par une application mobile pour aiguiller les joueurs vers la bonne solution. Un mélange détonnant et très tendu pour une course contre la montre que les joueurs devront déjouer en gérant au mieux les héros, leurs actions et en faisant preuve d’un bon esprit d’équipe pour trouver la bonne combinaison finale. »

Cover

Enfin de la Science-Fiction !

« Je m’étais frotté à ces univers il y a longtemps en illustrant le jeu de figurines Starship Troopers mais n’avait pu depuis m’y replonger pleinement, sur la durée et pour un sacré volume. On est clairement dans l’aventure épique et la saga cosmique (d’autant plus que le jeu est certainement le premier d’une série !).

J’ai décidé d’y aller à fond et pas par quatre chemins : les héros en pleine action, le leader, Ekho, découvrant les fameuses runes, ses acolytes l’entourant. La scène au cœur d’une planète étrange sous un ciel profond donnant souffle et profondeur. Avec une structure d’image pyramidale laissant un tiers haut de l’image libre pour y placer plus tard le titre. »

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Mais ! Là-haut à droite, serait-ce Arkana des Mondes engloutis ?

 

« La Science-Fiction est un genre très particulier car déjà visité et revisité. J’ai pris le parti d’une SF aux couleurs vives et denses, aux lumières fortes et franches en usant de contrastes efficaces, comme de l’orange sur du bleu ou du très clair sur du foncé. »

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Mais oui !

 Casting mystère

« J’ai souhaité montrer ce qui va se dérouler pendant la partie tout en conservant une part de mystère. Là aussi, il y a une certaine présentation de casting mais mis en situation. Je donne quelques pistes sur ce qui nous attend, sur l’environnement de jeu, qui fait quoi, etc. Je souhaite donner des clefs et l’envie aux joueurs d’entrer dans cet univers et participer à l’aventure. »

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« Le jeu a une histoire claire et un thème bien présent. Comme vous pourrez le constater plus tard, il n’y a aucun texte sur les cartes ni sur aucun autre élément de jeu. Tout se transmet par les illustrations et l’iconographie. »

R5_Cover_05De la complexité de faire simple

« Je cherche à soutenir l’immersion des joueurs, qu’ils puissent se projeter pleinement dans le périple. D’autant plus que la durée de jeu est courte, ce qui me semble plutôt rare pour un jeu de cet acabit avec une centaine de cartes, un grand plateau, etc. Mon leitmotiv durant cette réalisation c’est d’être efficace, essayer d’esthétiquement viser juste et précis afin de proposer une expérience de jeu soutenue en un court laps de temps (avec le fameux goût de reviens-y en fin de partie). Et faire simple est toujours bien plus complexe que de faire compliqué ! »

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« La réalisation de l’illustration s’est déroulée sensiblement comme celle de Sherlock 13 avec une première étape de crayonnés, puis montage numérique pour revenir sur le papier et la mise en couleurs aux pinceaux. »

Un petit coup de vieux

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Ben Affleck a remplacé le petit jeunot qu’on peut malgré tout voir sur les images ci-haut ou sur la dernière planche – fin de l’article –

 

« Une petite anecdote, dans un premier temps, nous avions imaginé un héros très jeune mais cela ne correspondait pas vraiment au public visé, disons les « casual + », et j’ai retravaillé son visage à part, pour ensuite l’intégrer à l’illustration définitive. »

Je dois être le public cible… Les personnages me font penser à des héros de mon enfance (Arkana des Mondes engloutis, la fille bleue sortie d’Ulysse 31, le Maitre du jeu de Donjon & Dragon…) est-ce que c’est grave docteur ? Est-ce qu’on titille ma corde sensible plus ou moins sciemment ?

« Nous avons bien les mêmes références et c’est bien ce que j’avais en tête ! Tu peux même aller jusqu’à Il était une fois l’Espace en passant par les Maîtres du temps de Laloux !
J’ai fait ressortir tout ceci plus ou moins consciemment et c’est Emmanuel Beltrando de MGA qui, de passage à Séoul, a joué avec nous au jeu et a tout de suite percuté. »

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Il en est où du coup ce jeu ?

« Il est en cours de réalisation, la balle est dans mon camp. Nous envisageons une sortie pour Nuremberg 2016 en multi langues. »

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► Une course contre le temps réalisée par un panel de personnages au centre de l’action, de la collecte de gemmes colorées, une planète étonnante… Le pitch est expliqué efficacement et même pourrait-on dire, frontalement. Le positionnement des acteurs me rappelle un peu la posture des héros d’un autre coopératif : Andor (lire son Autospie de cover), car chacun semble couvrir les arrières des autres, scruter l’horizon, usant de ses capacités propres… Mais ici toute la structure est pyramidale, donnant un ordre d’arrivée (rappelant la course) et en même temps une certaine verticalité (efforts pour gravir la roche). Imaginons au-dessus de nos 5 personnages en pleine ascension, le titre, « Rising 5« … Pour le coup, l’illustration de Vincent Dutrait est une véritable translation du nom en image.

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Monsieur Vincent, un dernier mot sur ces deux réalisations ?

Et… As-tu joué aux jeux ?

« Je suis particulièrement attaché à ces deux projets. Ils marquent pour moi tout d’abord les débuts d’une étonnante et enrichissante aventure humaine, ludique et professionnelle en Corée. Ensuite j’ai là plusieurs occasions de développer de nouveaux pans de mon travail de l’image (une illustration générique, une incursion dans la Science-Fiction). Oui, je tiens à préciser que les auteurs et éditeurs avec qui je collabore m’ont inclus très tôt dans le processus de conception et réalisation de ces jeux. Nous avons joué et rejoué aux jeux, dans leurs différentes versions, en échangeant points de vue, commentaires et suggestions. Ce qui me permet de m’exprimer pleinement, autant sur le fond que sur la forme, sur le travail de la transmission de l’information par l’image, l’impact de ces images et leur perception, le jeu des sentiments liés couleurs, aux contrastes, etc. Il en découle des séances de travail intenses où nous mettons en commun nos bagages en bonne intelligence pour tenter d’assurer aux joueurs des expériences de jeux inédites et originales. »

 

> Sherlock13 de Hope S. Hwang en démo pour Essen

> Rising 5 de Gary Kim et Evan Song sortira probablement pour Nuremberg 2016

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7 Commentaires

  1. atom 30/09/2015
    Répondre

    woaw ça n’arrête pas sur le vox. J’ai un petit attirance pour le projet sci fi ne serait que pour voir revivre toutes ces références le temps d’un jeu. même si de la déduction je ne crache pas dessus. Quel style ce Mr Dutrait certaines de ses illustration irait bien en tableau dans une belle piéce.

  2. TheGoodTheBadAndTheMeeple 30/09/2015
    Répondre

    du tout bon ! excellent article !!!

  3. Shanouillette 30/09/2015
    Répondre

    Merci ! Et surtout… Merci à Monsieur Dutrait 🙂

  4. ahuacatl 30/09/2015
    Répondre

    Super intéressant, merci!

  5. Djinn42 01/10/2015
    Répondre

    Très beau travail et des réflexions intéressantes. Voilà un acteur qui enrichi grandement l’univers ludique. Bravo.

  6. Tomfuel 24/12/2015
    Répondre

    non, ce n’est pas un deterrage, c’est juste une irrepressible envie de dire que je trouve le travail sur la boite de Sherlock absolument SUPERBE !! o_O

  7. Juan Serval 30/01/2016
    Répondre

    Très bel article.

    Mr Dutrait a un talent que j’envie !
    Quel travail !
    Un jeu illustré par mr Dutrait attire toujours mon oeil curieux.

     

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