Voyageurs du Tigre du Sud : Voyage au pays des pictos

Après la trilogie du Nord puis de l’Ouest, Voyageurs du Tigre du Sud ouvre une nouvelle trilogie. Pillards de la Mer du Nord est sorti en 2015, à l’époque c’était une petite révolution, de la pose d’ouvriers avec un twist intéressant (les ouvriers ne nous appartiennent pas), son thème tranchant avec la froideur des jeux à l’allemande et un visuel rafraîchissant signé The Mico (on ne savait pas que l’on allait en manger pendant une décennie ^^). L’opus est d’ailleurs ressorti avec une autre thématisation nommée Pillards de Scythie en 2020. Après la trilogie du Nord (deux autres titres ont rejoint le jeu), Shem Philips est revenu en 2018 avec son compère S. J. MacDonald pour nous proposer une nouvelle trilogie, et découvrir les royaumes de l’Ouest avec leurs architectes, paladins et vicomtes.

 

 

On peut reprocher beaucoup de choses à ces trilogies, mais elles ont le mérite de proposer quelque chose de nouveau, et vous allez voir que celui-là n’est pas avare en nouveautés non plus. Mais est-ce suffisant pour se distinguer ? Après plusieurs voyages dans ces terres lointaines, je dois dire que je suis non pas mitigé, mais ambivalent sur ce titre, et je vais essayer d’expliquer pourquoi. 

 

Sœur Anne ne vois tu rien venir ?

Voyageurs débute donc une nouvelle trilogie, qui nous invite à découvrir et cartographier les terres et les mers du monde arabe pendant la dynastie des Abbassides. On peut louer l’effort d’aborder cette époque et ce monde musulman sans le faire de manière caricaturale. Après tout, c’est une civilisation qui a apporté la connaissance de la médecine, l’astrologie, etc. Deux autres jeux sont annoncés : Érudits du Tigre du Sud et les Inventeurs du Tigre du Sud.

Dans Pillards, la mécanique était simple, on posait un ouvrier, on prenait un autre ouvrier, et on réalisait les actions. Avec Architectes idem, pose, action, joueur suivant. Petit à petit, la série a perdu cette apparente simplicité en amalgamant des mécaniques – pose d’ouvriers, deck building et compagnie – au prix d’une certaine lourdeur et d’une perte de la cohérence thématique.

C’est un peu le cas de ce Tigre qui mixe de la pose d’ouvriers, une mécanique de cartes avec des prérequis, et un système de dés d’action liés à notre plateau caravane. Sur le papier, toutes ces mécaniques ravissent le joueur amateur que je suis. Mais qu’en est-il réellement en jeu ?

À notre tour, nous avons une seule action, avec le choix entre jouer un de nos dés sur notre plateau ou une carte que l’on aura jouée précédemment, ou bien poser un ouvrier sur le plateau commun pour y réaliser l’action afférente. 

 

Suivre la piste …

La pose d’ouvriers est dans le pur style Shem Philips : ceux-ci ne nous appartiennent pas, ils peuvent même être récupérés quand on prend une carte sur laquelle il y a un ouvrier. Ils arrivent en trois couleurs : les jaunes qui peuvent aller sur la terre, les bleus sur la mer, et les verts un peu partout, par conséquent, on essayera surtout de récupérer les petits hommes verts. 

Comment les récupère-t-on ces supers ouvriers ? En avançant son jetons sur la piste centrale de parchemin (on peut le faire en réalisant une action ou bien quand on se repose pour récupérer tous nos dés). Attention, pour pouvoir avancer sur cette piste parchemin, il faudra réunir quelques prérequis, que l’on acquiert principalement via des cartes avec de nombreuses icônes. Cela n’est pas sans poser un problème. Il faut anticiper et planifier ces prérequis à l’avance, sans quoi on peut être bloqué sur notre avancée du parchemin, sachant que c’est le déclencheur de fin de partie. Mais on y reviendra.

Pour réaliser ces actions, on va aussi utiliser nos dés, en respectant (encore une fois) un prérequis. La valeur de nos dés implique les actions en fonction de notre “Plateau” caravane. Pour faire simple, avec un dé 1, je peux jouer une action chameau, avec un dé 6 une action télescope, pour les autres actions, je ne peux pas les réaliser au début, pour cela il va falloir que je développe mon plateau en achetant des tuiles. 

 

le plateau joueur.

 

Nous avons parlé des ouvriers et des dés, et bien nous avons aussi des cartes, beaucoup de cartes. Côté “terre”, nous avons des villes et observatoires, côté “mer” des ports et des haute mer. Au-dessus du plateau, des artisans vont bonifier nos actions, sans oublier les cartes “espaces” qui sont un gros pan du scoring (donnant des points en fonction de notre tableau de cartes).

Et voila un des problèmes que l’on va rencontrer : nous avons une quantité phénoménale d’icônes en tout genre (44 au total). La plupart d’entre elles paraissent assez claires à intégrer de prime abord, mais beaucoup se ressemblent, et il faudra tout de même ingérer tout ça. On n’est franchement pas loin de l’indigestion, surtout lors d’une première partie.

Et ce n’est pas tout. Pour avancer sur le parchemin, on a besoin d’un certain nombre d’icônes : ici 3 symboles librairie, là 4 symboles montagne, etc. Par conséquent on va partir à la pêche aux pictos, mais quand le picto recherché n’est pas disponible dans une des rivières de cartes en jeu, on peut toujours, moyennant paiement supplémentaire, aller piocher trois cartes pour en choisir une, sans aucune garantie de trouver le Graal. C’est un hasard pas forcément dérangeant dans un jeu, après tout, cela pousse à s’adapter, sauf qu’ici, cela contraint vraiment notre avancée et peut peser lourd sur la fin de partie. 

Il est peut-être temps de regarder le ludochrono pour mieux visualiser toutes ces règles.

 

Les cartes mer

 

Le tout est-il supérieur à la somme de ses parties ?

les minarets

Ou, dit autrement, la quantité de bonnes idées fait-elle un bon jeu ? Ce Voyageurs peut être frustrant par certains côtés, mais très stimulant et amusant par d’autres. D’abord, ces cartes que l’on acquiert peuvent nous donner des bonus immédiats ou permanents ou à activer. On va donc les chercher pour différentes raisons, parfois plusieurs à la fois. Côté mer, les connecter entre elles déclenche des petits bonus : un autre aspect gratifiant du développement qui aurait pu être plus développé. 

Nous n’avons pas parlé des jetons influences, pourtant ils sont eux aussi une bonne idée. Ils peuvent être placés sur des zones du plateau central (les minarets) pour des points de victoire en fin de partie (en cas de majorité), mais pas seulement, il sera aussi possible de les dépenser pour avancer plus vite sur le parchemin central ou bien encore pour modifier la valeur des dés. On a trouvé cette richesse versatile très maligne, l’influence n’est pas qu’un moyen de marquer des points de victoire. Il faudra les utiliser à bon escient, sans quoi on pourra y laisser de précieux points justement.

Ces jetons d’influence peuvent aussi être placés sur des cartes pour obliger nos adversaires à nous payer une obole (un sou ou une nourriture) pour faire l’action ou pour acquérir la carte : un bon moyen d’embêter les adversaires ou de se “réserver” une carte (ou plutôt de placer une option dessus). Malin, là encore.

Néanmoins, tout cela est bien abstrait, et l’explication (et/ou) la compréhension peut être laborieuse. Il faudra une partie voire plus pour bien intégrer le tout et profiter de l’apparente profondeur du titre. La condition de fin unique peut bloquer la partie et la laisser s’éterniser si personne ne se décide à la déclencher. Cela peut advenir soit parce qu’il n’a pas les pictos idoines, soit parce que ce n’est pas son intérêt. Tout cela finira dans une salade de points peu élégante, où l’on va cumuler nos cartes objectifs (espaces), les points sur les tuiles, les majorités, et surtout des collections de cartes et pictos… D’autant plus lourde qu’il n’y a pas de carnet de scoring dans la boite – cela aurait été plus utile que le thermoformage totalement inefficient. 

 

 

L’interaction n’étant pas centrale ici, j’aurais pensé que la configuration en duel serait intéressante, sauf que dans les faits elle a traîné en longueur. Personne n’avait intérêt à déclencher la fin, préférant plutôt agrémenter nos collections. On a largement préféré à 3 et 4 joueurs où l’on se surveille tous (et l’on se gêne plus), les cartes dans les différentes rivières tournent aussi beaucoup plus.

Au final, je regrette un peu que toutes ces bonnes idées ne soient pas complètement au service du jeu. Je n’ai pas détesté mes parties, loin de là même, je trouve ce Voyageurs du Tigre du Sud plutôt fun, mais trop de choses gâchent le tableau, le hasard sur les cartes, le blocage lié aux prérequis, certains axes obligatoires, d’autres plus faibles, le thème qui s’efface pour partir à la pêche aux pictos.

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1 Commentaire

  1. frédéric ochsenbein 01/06/2023
    Répondre

    En jouant à cette gamme j’ai souvent à la fois le plaisir de mécaniques bien pensé et pourtant d’un manque de quelques choses
    – Architectes du royaume de l’Ouest : l’approche cathédrale trop forte par rapport au côté criminel, avec une fin de partie qui arrive au moment où on sent son jeu se mettre en place. C’est dommage car j’ai trouvé génial le système de jeu.

    – Paladins : les bons placements avec les bons combos font « buggé » le jeu. J’ai chronométré un ami joueur, il a joué 7 minutes son tour sans temps de réflexion excessif : juste pour poser ses meeples, récupérer ses dûes,etc..

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