The King’s Dilemma – Exécuter ou ne pas exécuter, tel est le dilemme | Le dilemme du roi

Souvent, les idées volent dans l’air et se posent dans plusieurs esprits en même temps, ce qui donne des jeux similaires qui apparaissant en même temps. Et c’est un peu de ça dont nous allons parler ici. Reigns est un jeu qui a très bien marché sur téléphone mobile, et qui a vu son adaptation en jeu de plateau financé sur Kickstarter en octobre dernier. Et c’est également en octobre, à Essen exactement, qu’est sorti le jeu King’s Dilemma, un titre qui fait penser à Reigns par son gameplay (sans l’humour de Reigns et avec un peu plus de sérieux), par son thème mais aussi par son esthétique.
Néanmoins, King’s Dilemma pousse un peu plus loin le concept, en proposant un jeu très narratif et qui surfe très fortement sur la vague des Legacy (analysée ici), c’est-à-dire des jeux en campagne dont le contenu va évoluer de façon unique entre chaque groupe de joueurs.

Autant dire que lorsque qu’Umberling m’a proposé de rejoindre sa campagne, j’étais plutôt emballé : je n’ai pas joué à Reigns sur mobile, et n’ai pas été convaincu par le jeu sur plateau, mais la perspective d’un jeu hyper narratif doublé d’une campagne Legacy, voilà qui avait tout pour me plaire ! Voyons voir si cela a pris sur moi après quelques parties…

Note : Nous jouons avec la version anglaise. Une VF va paraître en fin d’année 2020 chez Iello si tout va bien ! Pour les anglophobes (et même les anglophiles), nous vous conseillons d’attendre un peu, à moins que tout votre groupe soit tout à fait bilingue : le jeu contient BEAUCOUP de texte.

 

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Le contenu typique d’une enveloppe : 3 dilemmes, 1 résolution. Nous ne vous montrons que du contenu du scénario de démonstration. Spoiler-free !

 

Les lois du royaume

Bon, mais de quoi s’agit-il ? Les joueurs incarnent des familles de conseillers du roi d’Ankist, accompagnant les souverains de dynastie en dynastie, tirant les ficelles depuis les ombres. Chaque partie représente le règne d’un roi et les choix qu’il aura à faire pendant celui-ci. La mécanique est très simple : à chaque tour est proposé un dilemme, c’est-à-dire une question à laquelle il faudra répondre par oui ou par non. Par exemple, exécutons-nous ce soldat qui a déserté pour revenir aider sa famille ? Finançons-nous cette expédition en terre lointaine pour découvrir d’hypothétiques trésors ? Un système d’enchères va permettre aux joueurs de se positionner sur l’une ou l’autre des possibilités, et c’est bien sûr le camp qui aura reçu le plus de votes qui l’emportera pour ce dilemme précis.
Puis on passe à un autre dilemme. Simple, non ? Ah oui, j’oubliais : on peut choisir de ne pas se positionner sur le vote, et donc tout simplement passer son tour pour gagner du Pouvoir à utiliser pour les enchères prochaines et un peu d’or pour acheter les autres joueurs. On y reviendra plus tard.

 

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Le Royaume d’Anclisse, où se déroule la majeure partie des événements du jeu

 

En fonction du choix retenu, les indicateurs du royaume augmenteront ou baisseront. On trouvera notamment le moral, la puissance militaire, l’économie, la nourriture et la connaissance. Mais notre choix pourra avoir des conséquences à plus long terme, soit en donnant des bonus/malus à ceux qui se sont le plus investis dans le vote, soit en nous faisant ouvrir une nouvelle enveloppe qui ajoutera de nouveaux dilemmes potentiels par la suite et fera progresser l’histoire. Les enveloppes ouvertes (et leur contenu) varieront en fonction des choix (par exemple si on a décidé de déclarer la guerre à nos voisins ou bien si on a choisi la voie de la paix).

La partie se terminera soit au bout d’un certain nombre de dilemmes, soit si le royaume est trop « déséquilibré » parce que trop de marqueurs sont partis dans une direction ou une autre.
On comptera alors les points, principalement en fonction des objectifs secrets des joueurs : en début de partie, chaque joueur en choisira un différent des autres. Cet objectif lui rapportera des points en fonction des positions des différents indicateurs. Par exemple, si l’on a choisi l’objectif « opulent » on marquera d’autant plus de points que les indicateurs du royaume sont dans la zone positive. La position des joueurs en fonction de leur score et la façon dont la partie s’est terminée va leur faire gagner des points de Prestige ou de Convoitise qui serviront à déterminer le vainqueur en fin de campagne.

Rajoutez à cela quelques objectifs personnels à réaliser et vous aurez un assez bon aperçu du jeu.

 

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Un paravent de maison derrière lequel on cache son Pouvoir et ses sousous. Et ses objectifs (cochés au verso du paravent).

 

Les chroniques du royaume

Comme je vous l’ai mentionné au début, ce qui m’a intéressé d’emblée, c’était l’aspect très narratif et legacy du jeu. Je dois dire que de ce côté là, je n’ai rien à redire, le jeu tient toutes ses promesses. Les choix qui nous semblent anodins peuvent avoir des conséquences désastreuses pour le royaume sur le long terme et nous hanter partie après partie. Les sujets abordés sont nombreux et variés et on voit une vraie fresque se dessiner, ainsi qu’une histoire globale apparaître par petites touches. Bref, ça marche quoi : on est dans l’histoire (qui a au début un petit côté Game of Thrones sans la licence, mais cet aspect disparaît rapidement) et on a envie de voir où nous sommes menés. Il est à noter que le jeu n’est pas manichéen, mais très pragmatique : on peut faire tel ou tel choix, avec telle ou telle conséquence, sans que le notion de bien ou du mal n’entre à aucun moment en jeu.

L’histoire est vraiment le cœur du jeu. Les mécaniques qui sont autour sont simples, et presque accessoires au final. L’important est de faire avancer la narration dans un sens ou dans l’autre. On vit l’évolution d’un royaume et peu importe qui gagne ou qui perd (enfin en théorie, on y revient plus bas).

Néanmoins, le fait que ce qu’on nous propose ici soit un jeu permet des choses impossibles sinon. Je m’explique: on nous a demandé lors d’un dilemme, en gros si on était prêt à sacrifier des jeunes filles pour un rituel satanique (je caricature et force le trait ici). Sur tout autre support (livre dont vous êtes le héro, film interactif), c’est souvent l’éthique personnelle des joueurs qui priment, et on peut s’attendre à ce que globalement tout le monde fasse le même choix. Mais le fait de rajouter des mécaniques de jeux, avec des possibilités de gagner ou non, change pas mal les choses, et le résultat n’est alors plus du tout si évident. Ainsi, toutes les pistes de narration deviennent des choix envisageables et on ne sait donc vraiment pas comment les choses vont tourner. Cela créera aussi quelques contradictions dans les choix faits, mais bon, comme dans la vraie vie, quand certains dirigeants font passer leurs intérêts court-termistes avant les questions d’éthique.

 

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Les illustrations font vite comprendre que c’est pas la foire à la saucisse dans ce royaume.

 

Attention, néanmoins, à ne pas trop espacer les parties pour ne pas se perdre dans toutes les intrigues et sous-intrigues : elles sont nombreuses, et c’est toujours embêtant de devoir prendre une décision pour l’expédition qu’on a envoyée il y a 3 parties et dont on a complètement oublié le but (remarquez, c’est thématique).

Le côté Legacy fait que le jeu ne sera pas rejouable. C’est d’un côté une bonne chose, car cela implique vraiment dans l’histoire, qui sera véritablement unique d’un groupe de joueurs à un autre. De l’autre, c’est très frustrant car il y aura toute une série d’arcs narratifs auxquels on ne touchera pas. Et en fin de campagne, ça en fera du matériel inutilisé ! Je ne sais pas s’il sera possible d’en relancer une. Et si l’envie sera là – car le jeu propose énormément de parties. Il y a bien des maisons que l’on aura pas jouées, mais les différences entre elles, trop faibles, ne donnent pas forcément envie d’en essayer d’autres.

Bon, mais tout cela c’est bien beau, mais on est pas dans un livre dont vous êtes le héros ici, mais dans un jeu, compétitif de surcroît. Et là qu’en est-il de l’aspect purement ludique ?

 

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Départ de partie : les ressources peuvent être déjà sur la bonne (ou mauvaise) pente. A gauche toute, la stabilité, qui indique si le roi se fait renverser/abdique.

 

Jouer ou ne pas jouer

********DISCLAIMER********

Il me semble ici important de préciser une chose : nous en sommes à environ 8 ou 9 parties du jeu (environ la moitié de la campagne). Et, à très peu de choses près, je les ai TOUTES perdues. Ou alors j’étais, au mieux, 3e. Sur 4. Il est donc possible que le paragraphe qui suit soit un peu subjectif. Non, en fait il va être carrément subjectif, vous aurez le droit de me traiter de Caliméro si vous voulez ensuite.

********DISCLAIMER********

Bon, avec un jeu très narratif comme celui-là, on se dit que lors de la rédaction du test, on cochera la case « on fait des choix selon le thème ». Mais… non. On ne fait pas ça. Enfin, pas si on a envie de gagner. Eh oui, car on a un objectif à accomplir malgré tout. Et comme on a, à chaque dilemme, une assez bonne idée des indicateurs qui vont bouger et dans quel sens, cela va quand même pas mal guider notre choix. Alors certes, d’un côté, c’est thématique : nous sommes des conseillers qui ont leurs propres objectifs et la santé du royaume, ils s’en cognent. Mais cela peut nous faire prendre des décisions complètement contraire au background de notre famille. Un peu dommage.
L’idée d’avoir des conseillers qui ne s’intéressent qu’à eux est une bonne idée, mais elle est tiraillée ici entre deux façons de l’aborder, une mécanique et une thématique. Mon intérêt propre est-il reflété par le background de ma famille, ou bien par ce que le jeu me demande de faire pour gagner ? Le fait est que rapidement, l’identité de notre famille disparaît complètement. Les plus cyniques diront que cela reflète bien le fait que l’exercice du pouvoir détruit les valeurs de ceux qui l’exercent…

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Anatomie d’un dilemme (avec deux dilemmes différents de la démo)

 

Mais ce n’est pas ce qui me gêne le plus dans le jeu. Non, mon problème vient du hasard très présent, voire trop. En effet, les choix proposés peuvent avoir des résultats qui vous arrangent (ou vous handicapent) quels qu’ils soient, avec toute une graduation entre deux extrêmes, le plus souvent étant quand même un choix avec une conséquence neutre et une positive/négative. Et bien sûr, le type de choix que l’on va avoir face à soi change complètement notre façon de s’investir dans un vote ou non.

Malheureusement, il me semble qu’il arrive fréquemment que cela ne s’équilibre pas sur une partie, voire si on manque de chance, sur plusieurs. Et cela va influer très fortement sur le résultat, sans que les actions des joueurs y soient pour grand chose. Le besoin d’agir est donc très variable d’une situation à une autre. Parfois, la meilleure façon de gagner est de passer sur tous les votes ou presque. De ne pas jouer, quelque part.

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Des objectifs publics qui rajoutent un peu de visibilité et de court-termisme.

 

L’exemple le plus frappant, c’est que dans notre groupe de joueurs, celui qui perd systématiquement ou presque est celui qui va le plus négocier, voter, dépenser, (s’)investir (vous avez compris, je parle de moi) quand à l’inverse, le joueur qui passe son tour le plus fréquemment est le joueur qui est largement en tête, à chaque partie. C’est presque devenu une blague récurrente : « bon on te demande pas, tu passes ? »
Du coup, le jeu me donne la sensation d’être punitif pour celui qui joue le jeu justement. Et cela engendre du coup une très grande frustration chez moi à la fin des parties en général.

Alors, vous allez me dire : celui qui est devant sait choisir ses combats, c’est normal qu’il gagne. Forcément, il y a de ça. Néanmoins, si sur 6 dilemmes (la moyenne d’une partie), vous en avez 5 dont les deux issues sont équivalentes et une seule où vraiment un meilleur choix se dessine, vous aurez besoin de voter que sur ce dilemme-là. A contrario, si à chaque fois, vous vous retrouvez avec « choix 1 très positif, choix 2 très négatif », il faudra aller voter tout le temps. Et non, je n’ai pas eu la sensation que cela s’équilibrait d’une partie à une autre. Rajoutez à cela des pouvoirs de chaque famille assez déséquilibrés (« et vous savez quoi, la pire situation, à savoir perdre un vote, maintenant c’est une situation positive pour moi ! ») et le tableau sera complet.

Voilà, vous pouvez me traiter de Caliméro.

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Le meneur (mimine) commence les vote. Le modérateur (maillet) tranche (martèle ?) les égalités.

Une histoire sans fin ?

Bon, me voilà donc bien embêté pour vous donner une impression globale sur King’s Dilemma. Disons que d’un côté, j’adore suivre l’histoire qui se déroule sous mes yeux, voir comment le royaume évolue, où il va, et que j’ai toujours envie d’y rejouer ! Le jeu permet cela, que les histoires soient toutes possibles, chaque choix envisageable et ainsi chaque partie unique. D’un point de vue intention, on peut dire que le pari est réussi sur bien des aspects.

Néanmoins, je ressors également extrêmement frustré de chacune de mes parties. Les mécaniques, qui sont nécessaires, légères comme il le faut, m’enchaînent néanmoins à chaque partie au scoring et m’empêchent de me détacher d’elles pour apprécier la vue.

L’équilibre à trouver est délicat il faut bien le reconnaître, et encore une fois, mon sentiment est celui de quelqu’un dans une situation d’échec constant face au jeu (à prendre avec des réserves sans doute donc), mais qui malgré tout, à envie d’y revenir à chaque partie, pour connaître la suite de l’histoire.
Les autres joueurs ne partagent pas forcément mes réserves et on peut dire que sur eux l’alchimie prend totalement. À vous de trancher !

 

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11 Commentaires

  1. jejelafrime 17/04/2020
    Répondre

    De ce que je vois de ton avis très salé, je pense que je jouerai en me disant que je me moque de gagner, tant que le royaume va là où j’ai envie qu’il aille. Je pense que la victoire dans ce jeu n’est pas le principal mais que c’est le voyage qui compte.

    Pourtant j’adore gagner et je suis un très mauvais gagnant. Ce qui est sur c’est que je prendrai ce jeu quand il sera en français.

    • Shanouillette 17/04/2020
      Répondre

      Oui ça donne l’impression d’un côté « Tales of arabian night » !

      • Umberling 17/04/2020
        Répondre

        Clairement le voyage importe plus. Par contre c’est pas aussi punitif que Tales ou tu peux passer ta vie en taule alors que les autres sont sur un tapis volant avec des armées d’hommes tigres ou en train de draguer les princesses de tout l’Orient. Là les décisions sont cooptées par tous les joueurs et au final, tu peux être underdog d’une grande partie des décisions, tu as quand même une influence sur la partie et l’histoire globale ! 🙂

  2. Chauch 18/05/2020
    Répondre

    Merci pour cet article 😉 petite question à propos du format « legacy » (question qui revient souvent sur ce format) : est on obligé de « détruire » une partie du jeu ? Si oui, est ce que tu penses qu il est possible de ruser pour contourner ce point qui souvent me rebute ? Merci d’avance 😉

    • fouilloux 18/05/2020
      Répondre

      Alors il y a surtout des autocollants, rien qui se déchire. Donc oui ça se contourne sans trop de soucis.

      • Umberling 27/05/2020
        Répondre

        Sachant qu’il y a un rebut qui te permet de stocker tes cartes sous le thermo plutôt que de les déchire 🙂

  3. Chauh 18/05/2020
    Répondre

    Bonjour, petite question concernant le format « legacy » de ce jeu (question qui revient assez souvent sur ce genre de format). Est on obligé de détruire le jeu ? Si oui,  penses-tu que l’on puisse ruser pour éviter ce point qui me rebute en général ?

  4. palferso 02/01/2021
    Répondre

    Merci pour cet article. Je pense en faire l’acquisition avec juste un doute quant au public et à l’âge. Je sais que les thèmes peuvent être grave voire violents (tortures, massacres, viols, anthropophagie, etc.). Y a-t-il moyen de contourner certains textes un peu trop directement explicites tout en conservant le dilemme moral lié au sujet exposé? Si je me décide à l’acheter, j’envisage d’y jouer en famille et d’utiliser en off le jeu pour traiter de sujets périphériques et/ou directement corrélés aux différents dilemmes comme l’exclusion, l’esclavagisme, etc. mais aussi des dilemmes moraux liés à la politique et à certains de nos choix individualistes (la famille…) qui peuvent parfois entrer en contradiction avec certains besoins plus généraux liés à la communauté.Dans ce cadre là, à partir de quel âge minimum ça vous semble jouable? Merci!

    • fouilloux 02/01/2021
      Répondre

      Hum, on reste dans un univers fantastique, pas forcément facile à rattacher au réel. Globalement, quand le dilemme c’est du genre « est ce que vous tuez un enfant?? » je ne sais pas si ça peut s’édulcorer. Perso je dirais 12+ bien tapé.

  5. palferso 03/01/2021
    Répondre

    Ok. Merci!

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