RRR : Si le Shogi était un jeu de placement minimaliste

Nous connaissons bien, ici en Europe, Seiji Kanai comme étant le premier auteur japonais à avoir connu une petite starification sur notre continent grâce à son Love Letter en 2012. Ce n’était néanmoins pas le premier jeu de cet auteur, il avait notamment réalisé deux ans plus tôt RR, un micro-jeu jouable avec seulement 15 cartes qu’il avait créé lors d’une compétition de conception de jeux qui devaient coûter 500 Yens (environ 5€ à l’époque). Cela
préfigurait alors son style minimaliste, que l’on retrouvera bien sûr dans Love Letter mais aussi dans R, que l’on connait sous le nom de BraveRats chez nous en France, suite spirituelle de RR.


Seiji Kanai
fera appel à Hayato Kisaragi, avec qui il collaborera notamment sur Lost Legacy, pour transformer RR en RRR, une version plus soignée qui ressemble un peu plus à un jeu édité. Et c’est justement ce RRR qui vient d’être dépoussiéré par l’éditeur Igiari dont c’est justement une des spécialités que de dépoussiérer des jeux.
Mais alors que vaut ce RRR ?

 

Minimalisme vs Profondeur : Élégance

Martelons-le une fois encore : les jeux japonais ont une tendance prononcée à faire dans le minimalisme et RRR ne fait pas exception. Ici cependant, ce style va s’exprimer au travers d’un jeu abstrait, genre qui se marie bien avec des mécaniques épurées. On va donc retrouver toutes les caractéristiques habituelles d’un jeu à information complète : des règles simples mais un potentiel calculatoire vertigineux qui explosera les neurones des plus enclins à l’analysis paralysis.

À la manière des Échecs, on cherchera à déployer au mieux ses unités sur le plateau, chaque personnage ayant ses spécificités qui auront une puissance relative selon le moment de la partie.
Déployer est cependant un bien grand mot car on se sent à l’étroit sur ce petit plateau de 3 cases sur 3 qui finalement rend le jeu encore plus tactique, (c’est-à-dire avec une vision à petite échelle) qu’il ne l’était déjà.

À titre personnel, je suis rarement fan des jeux abstraits à cause justement de leur côté calculatoire. Certains jeux arrivent à me réconcilier avec ce genre mais RRR n’est malheureusement pas de ceux-là : il s’avère avant tout un gros puzzle très complexe où la personne qui connait les meilleurs coups gagne. Du pur calcul logique, froid et austère.

 

Analyse vs Rebondissements : Manigances

Néanmoins RRR a le mérite d’aller un peu plus loin que cela. D’une part sa mécanique principale tourne autour du fait que les unités vont changer d’allégeance au cours de la partie, si bien qu’elles se retournent autant que les situations. En cela, ce n’est pas les Échecs mais plutôt le Shogi qui semble être l’inspiration principale de ce sentiment de conversion plutôt que d’attrition des pièces ennemies. Ce n’est pas une progression, c’est un changement permanent de l’espace de jeu. Pas mal de coups contre-intuitifs à anticiper donc.

D’autre part, la monotonie des deux armées similaires est brisée par des mercenaires neutres différents à chaque partie qui apporteront variété, remue-ménage et remue-remue-méninges. C’est clairement là que le jeu brille le plus à mon sens et cela se ressent au travers des multiples variantes que proposent les auteurs pour introduire ces nouveaux belligérants, créant parfois de l’asymétrie entre les deux camps voire même de l’information cachée en embusquant ces combattants face cachée dans notre main. Des possibilités qui permettront donc à des allergiques
comme moi des jeux abstraits de trouver tout de même cette petite part de chaos si appréciable dans d’autres styles de jeux.

 

Rouge vs Bleu : Esthétique

Ces machinations où des personnages vont et viennent d’un camp à un autre sont tout à fait cohérentes avec la thématique du jeu qui tourne autour d’une rivalité médiévale entre des sphères d’influence et de pouvoir.
Thématique qui est paradoxale cependant car bien que cohérente avec la mécanique même du jeu, elle est aussi très distante et le jeu reste très froid lorsque l’on y joue. Comme un Santorini, nous sommes face à un jeu abstrait qui essaye de nous faire croire en une thématique forte mais au fond nous ne sommes là que pour calculer des coups. Même dans ses plus beaux atours, un jeu abstrait reste un jeu abstrait.

Cette ambiance est en revanche bien soutenue par une édition de qualité avec un matériel agréable à manipuler. Mention spéciale au choix d’avoir gardé les illustrations de Noboru Sugiura qui officie régulièrement dans les versions japonaises des jeux de Seiji Kanai et dont on ne peut que rarement voir son style si original à mi-chemin entre des vitraux et du dessin aux traits épais évoquant l’encre de Chine ou certains Mangas. Il faut bien noter ce point car malheureusement les versions occidentales des jeux de Seiji Kanai sont souvent localisées avec de nouvelles illustrations, trop souvent plates et sans personnalités comparées aux versions originales.

Conclusion

RRR est un duel entre deux esprits qui feront tout pour convertir les pions à leur cause. Il est un exercice de style qui cherche à accueillir le monde des jeux abstraits dans le milieu du jeu minimaliste japonais. Si sa proposition d’y ajouter des personnages aux capacités spéciales multiples va pimenter les parties, RRR procurera avant toutes choses les mêmes émotions et sensations qu’un jeu calculatoire traditionnel.
Seiji Kanai est très bon pour miniaturiser des jeux existants et en faire des versions épurées. En voulant réduire un jeu comme le Shogi en RRR, il a au final un peu réinventé la roue dans un genre qui, depuis bien longtemps, sait nous proposer des jeux à la fois profonds et élégants.

 

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