Reykholt : quand nous chan-te-rons, le temps des légumes

Il y a des événements qui se répètent chaque année. Inlassablement. Une fête de village, le Beaujolais nouveau, Le père Noël est une ordure à la télé, etc. Pour les joueurs, le passage obligé, c’est le salon d’Essen en Allemagne. Et plus précisément pour les pousseurs de cubes, c’est la sortie annuelle du Rosenberg nouveau, qui coïncide aux dates de ce salon ludique incontournable.

On ne présente plus Uwe Rosenberg, auteur allemand émérite aux nombreux titres qui resteront dans l’Histoire du jeu : AgricolaBohnanzaPatchwork et tant d’autres. Auteur très prolifique, papa de la mécanique de placement d’ouvriers par blocage. Bref, un des auteurs incontournables de la scène ludique mondiale.

Reykholt

 

Bourgade de Reykholt

Bourgade de Reykholt

Cette année, le maître revient avec son nouvel opus : Reykholt, avec un sujet que seul cet auteur peut porter, tant son attachement au thème de l’économie agricole l’a accompagné tout au long de ces jeux.

Nous allons… faire pousser des légumes en Islande, dans la bourgade de Reykholt (100 kms au nord de Reykjavik, ce n’est donc pas juste un jeu de mot avec « récolte »),  avec pour objectif de servir une grande table de touristes impatients et surtout affamés.

Ne cherchez pas de zombies ou autres aliens de l’espace. Ici, on aura des choux et des carottes. Un vrai retour à la terre. À la découverte de la tomate islandaise, probablement la meilleure du monde.

Les habitués des jeux de Rosenberg noteront tout de suite une différence notable par rapport aux précédents titres sortis : ici, pas de points de victoire. C’est une course à l’assiette. L’objectif va être de remplir un nombre d’assiettes sur 7 tours de jeu. Celui qui sera le plus avancé sera déclaré « grand producteur de l’année ». Par contre, pour la mécanique générale du jeu, les aficionados d’Uwe ne seront pas dépaysés : nous sommes dans un jeu de placement d’ouvriers par blocage, à la Agricola/Caverna/Nusfjord/Terre d’Arles/À la gloire d’Odin/Ora&Labora.

plateau central

Le plateau central

Tout va tourner autour de 5 légumes : Tomates, Salades, Champignons, Choux et Carottes.

Un tour de jeu va consister à produire le plus de légumes possibles pour répondre à une demande croissante.
Plus on avance sur la piste des assiettes, plus il y aura de légumes à fournir, mais toujours dans le même ordre. Il va donc falloir récupérer des légumes, les planter dans des serres, les récolter et fournir les estomacs affamés de nos convives.

NdA : J’arrête tout de suite les plus pointilleux d’entre nous. Le légume, d’après la définition courante, est une plante potagère dont tout ou partie se mange. Par contre, en botanique, la tomate est un fruit, la carotte, une racine et les champignons appartiennent aux fongiques. Avançons. 

 

Chaque tour de jeu va se diviser en 4 phases :

La phase de temps de travail.

Il s’agit là du cœur du jeu. Avec nos 3 ouvriers, nous allons à tour de rôle effectuer une action en nous positionnant sur une disponible parmi une vingtaine possibles.

Ces actions sont séparées en 4 grandes familles :

  • Exploitation : Actions pour agrandir vos domaines de culture avec des serres. Ces dernières sont de différentes tailles et ne pourront accueillir qu’un seul type de légumes à la fois.
  • Culture : Actions pour planter ou récolter nos légumes dans les serres. Quand on plante, on remplit avec la variété de légumes choisie. Par contre, quand on récolte, on n’en récupère qu’un seul.
  • Marché : Actions pour récolter nos serres ou récupérer des légumes de la réserve commune.
  • Hôtel de ville : Actions un peu spéciales pour récupérer une carte service, alimenter une table plus vite ou faire du troc.

 

Ils sont pas beau sur leur fond ... rose

Nos 3 ouvriers. Ils sont pas bien beaux sur leur fond rose.

 

Les actions sont dans l’ensemble extrêmement simples.
Les seules contraintes étant de ne pas se positionner sur un emplacement déjà pris, mais aussi des restrictions au sein d’une famille où une seule case par joueur sera accessible (les cases avec drapeau).

 

La phase du temps des récoltes

Phase très rapide et simultanée entre les joueurs : chaque serre contenant des légumes permet d’en récolter un.
Attention, les légumes non récoltés ne pourront évidemment pas arriver dans les assiettes ce tour.

 

La phase du temps du tourisme

Cartes service

Cartes service

C’est la phase où on nourrit nos invités et où on se rapproche de la victoire. Chaque joueur va dépenser des légumes de sa réserve pour remplir une succession d’assiettes : tomates puis salades, puis champignons, puis choux, puis carottes. Une fois qu’une série est terminée, cela continue mais avec un légume de plus à fournir par assiette. Notre marqueur va donc avancer d’autant d’assiettes que possible.

Il y a néanmoins un point important : chaque joueur devra obligatoirement choisir une des assiettes à fournir et avancer sans dépenser les légumes mais les récupérer de la réserve à la place. Narrativement, c’est plutôt illogique (« Tiens, il y a des légumes dans cette assiette, c’est que personne n’en veut alors je les prends. »), mais dans la mécanique du jeu, cela permet de toujours avancer et d’anticiper quels légumes on pourra récupérer pour la suite.

 

La phase du temps du repos

Il faut aller dormir pour préparer le repas du lendemain : chaque joueur récupère ses ouvriers et on passe au tour suivant.

 

Les 7 tours de jeu de Reykholt vont donc consister à mettre en place son moteur de production pour avoir les légumes requis au bon moment et pouvoir avancer le plus loin possible sur la table du festin. Pour nous aider, nous disposerons aussi de cartes « services » qui peuvent donner différents coups de pelle pouce, s’activant lors d’une phase de jeu spécifique : récupérer un légume supplémentaire quand on vide une serre, planter 4 fois d’un coup… Une carte service, une fois acquise par un joueur, pourra être partagée avec un autre joueur (sous réserve que ce dernier fasse l’action de partage).

Au terme de la partie, le plus avancé sera le grand vainqueur…

Caisses en 3D. inutiles donc indispensables

Caisses en 3D, inutiles donc indispensables.

 

Ils sont bons, mes choux bouillis

Du matériel de qualité, des petits pions de bois, représentatifs de chaque légume (on est loin des pastilles rondes de la première édition d’Agricola), et surtout des petites caisses à légumes en 3D pour stocker nos pions… Inutiles pendant le jeu, mais faisant son petit effet sur la table.

Le visuel général du jeu reflète une atmosphère bucolique et automnale. Au fil des jeux de Rosenberg, on s’aperçoit qu’il s’éloigne de plus en plus de représentations cartoon pour favoriser des illustrations proches de la peinture sur toile version old school. C’est un peu comme pour son précédent jeu Nusfjord (non édité en français) : si les illustrations sont soignées, il en ressort un sentiment de « vieille peinture », loin des thèmes modernes et colorés que l’on a aujourd’hui. Un visuel un peu vieillot, qui sent presque la poussière, et qu’on retrouverait bien sur une gravure chez sa grand-mère et qui ne met pas en avant le dynamisme du jeu.

 

Evolution du design des jeux de uwe

Évolution du design des jeux de uwe

 

Du point de vue de l’iconographie, même si les actions sont en général simples et les pictogrammes évidents, je me suis surpris à toujours vouloir lire le texte de l’action sous l’iconographie pour être certain de faire la bonne action. D’ailleurs pourquoi combiner iconographie et texte ? L’un devrait aller sans l’autre, non ?

plateau à 2 joueurs/solo

plateau à 2 joueurs/solo

Les règles du jeu sont plutôt bien faites, simples à lire, et permettent de facilement rentrer dans le jeu.

Pour la mécanique, ne nous y trompons pas : si la manière de gagner diffère de l’obtention d’un maximum de points de victoire (une course à l’assiette), on est dans du Rosenberg pur et dur, avec de l’interaction indirecte par blocage d’emplacement. On va tenter d’optimiser au maximum ses productions pour récolter au bon moment et avoir un petit moteur qui nous fera avancer. On regarde très peu ce que font les autres joueurs, si ce n’est leur progression sur la piste (qui ne gêne en rien les autres joueurs), ou si il y a une carte service intéressante à partager.

À 3 ou 4 joueurs, les cases actions possibles sont suffisamment nombreuses, voire répétitives pour ne jamais être complètement bloqué. Néanmoins, la route toute tracée que nous impose le jeu (remplir des assiettes toujours dans le même ordre) rend Reykholt assez froid dans son ensemble.

À 2 joueurs, un autre plateau plus restreint ne propose que 12 actions, et le sentiment de blocage se fait plus ressentir, ce qui a pour conséquence d’alterner un tour sur l’autre les actions intéressantes.

 

À la mode de chez nous

Depuis quelques temps, un jeu ne peut plus sortir sans proposer son mode solo et son mode « legacy ». 

Reykholt ne fait pas exception et propose ces deux alternatives :

Le mode solo reprend ce que Nusfjord proposait : on joue successivement 3 ouvriers de deux couleurs différentes, les ouvriers d’une couleur restants sur le plateau sur le tour suivant pour bloquer les cases actions. L’objectif étant d’aller le plus loin possible sur les assiettes à fournir.
Si ce mode marche parfaitement sur Nusfjord (auquel je me suis surpris à enchaîner les parties), il devient insipide sur Reykholt. En effet, le faible nombre d’actions possibles (on utilise le plateau à 2 joueurs donc 12 cases) limite grandement les stratégies et donne le même effet qu’à 2 joueurs : on attend un tour sur deux pour faire une action intéressante.
Les cartes services n’arrivent pas à donner du souffle à la partie, d’autant que plusieurs sont inapplicables en solo.
Pour ma part, j’ai fini par passer sur le plateau à 3/4 joueurs pour le mode solo pour me donner plus de liberté dans mes choix.

Le mode legacy ne prend pas non plus. Sans spoiler, il se compose de quelques scénarios qui changent un peu les conditions de victoire avec un axe narratif sans grand intérêt. S’y rajoutent quelques cartes événements pour pimenter le jeu et services supplémentaires, qui n’apportent que peu de choses au mode legacy. Un premier essai plutôt raté pour Rosenberg.

Cartes serre

Cartes serre

 

Chaque année, l’impatience de découvrir le nouveau titre de Rosenberg est palpable. On sait qu’il est capable du meilleur. Avec Reykholt, la tentative est de faire un jeu manifestement plus accessible que les précédents opus, toucher un public plus large, peut-être plus familial, sur une durée plus courte (une quarantaine de minutes).

Même si on est loin de la profondeur d’un Agricola, on confirme vite que c’est une mécanique efficace, qui marche.

Mais l’alchimie ne prend pas.
Trop peu d’originalité et de profondeur, un thème qui ne parlera probablement qu’à peu de joueurs (mais parfaitement orienté pour les végans et autres végétariens : sûrement un vrai créneau à prendre). Même si on peut rétorquer qu’il s’adresse plus à un public qui souhaite découvrir cette mécanique, il s’opposera aux nombreux autres titres plus accrocheurs sortant chaque mois.

On sent qu’Uwe Rosenberg est un peu, à mon sens, dans le creux de la vague. Après quelques chefs d’œuvres (Terres d’Arle, Patchwork), il enchaîne des titres assez moyens et redondants (Hengist, Indian Summer), restant dans sa zone de confort et ne proposant que des variantes plus ou moins bien réussies de ses précédents jeux. Ici, il joue la carte des dernières tendances, avec le mode solo et le legacy, mais en vain.

Avec Nusfjord, il avait tenté quelques variantes intéressantes, collées à sa mécanique, sur un format de jeu écourté, qui avait fini par me convaincre, là où Reykholt n’y parvient pas.

Mais je ne perds pas espoir : je sais qu’il est capable de revenir avec une perle ludique qui fera battre mon cœur de joueur. 2019 ?

 

 

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4 Commentaires

  1. keltys 21/12/2018
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    Au-delà de la mode du solo, je dirais plutôt qu’il reste cohérent par rapport à son cap initial. Suite à Agricola (2007), la grande majorité de ses productions ont proposé des modes solo, lui-même étant un grand solitaire dans les phases amont de ses projets et avant de les faire tester… Enfin c’est ce qu’il disait dans la magazine Plato n°98 🙂

  2. Meeple_Cam 21/12/2018
    Répondre

    Oui, tous les jeux de placements d’ouvriers de Rosenberg se jouent en solo (je suis moi même un gros joueur solo, notamment sur nusfjord et agricola). C’est plutôt sur la mode du legacy qu’il tente une ouverture.

  3. Umberling 24/12/2018
    Répondre

    J’ai ouvert les règles pour le mode solo, j’ai lu les règles pour le mode solo, j’ai refermé la boîte (par ennui).

    • Meeple_Cam 24/12/2018
      Répondre

      Moi, lors de ma 3eme partie en solo, j’ai arrêté avant la fin et j’ai rangé la boîte (puis j’ai refait une partir solo de nusfjord, tellement plus intéressant)

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