Rapa Nui : Doit-on lui ériger une statue ?

L‘Île de Pâques et ses statues alimentent nombre de théories plus ou moins farfelues ; il faut dire que c’est une toute petite terre au large du Chili isolée par les mers de toute autre île (à plus de 2000 kms). Y sont érigés des géants de pierre de plus de 8 mètres pour certains, à l’intérieur, et tout autour de l’île. Ceux-ci, nommés Moais et datés chronologiquement des XIIIe et XVe siècles, regardent vers les terres. Nul ne sait comment ils ont été acheminés jusque-là. On sait juste qu’ils ont été construits dans une carrière volcanique au centre de l’île. Puis, les habitants des lieux ont disparu, probablement suite à la déforestation de leur île et leur surconsommation de ressources. Ce mystère nous passionne et résonne aussi en nous, peut-être car c’est un peu l’incarnation de l’épée de Damoclès qui pend au-dessus de nos têtes.

 

 

En 2008 était sorti un jeu qui s’appelait Giants, ou les Géants de l’île de Pâques en français, une création de Fabrice Besson avec des illustrations de Miguel Coimbra. Le jeu est arrivé chez Matagot et nous proposait rien moins que de construire ces fameux Moais.

À l’époque, Matagot avait fait sensation avec d’une part ce matériel impressionnant, notamment les fameux Moais, et d’autre part ce thème original et bien respecté avec la construction des moais évidemment, leur transport et la déforestation. Cela fut comme une marque de fabrique de Matagot et plusieurs jeux sont sortis avec cette charte de qualité et des univers assez fouillés, je pense notamment à Cyclades, Inis, Kemet et avant ça Utopia.

J’avais joué une fois à cette ancienne version. On m’avait parlé d’un jeu très long, et ça c’est confirmé dans mon expérience ; on jouait une phase d’enchère intéressante, mais aussi crispante, favorisant la constipation neuronale. S’ajoutaient de la pose d’ouvriers, de la production de ressources et une interaction forte dans le placement. Sans compter ce matériel somptueux évidemment.

J’étais donc très curieux, et même excité de voir ce que pouvait donner cette nouvelle épure, d’autant qu’en termes de durée et de difficulté, il colle bien aux demandes du marché actuel. 

 

Nous sommes donc à la tête d’un clan et nous allons sculpter des Moais, les ériger sur le plateau, afin de gagner des ressources que nous dépenserons pour gagner des offrandes. Le joueur ayant le plus d’offrandes remportera la partie. 

 

Open The Box

La première chose qui marque, nous l’évoquions, c’est la présence du jeu : l’édition est somptueuse, nous avons un grand plateau qui représente l’île de Pâques et des imposantes statues en résine, et tout le reste est à l’avenant, les plateaux sont double couche, les Meeples à notre couleur sont stylisés, les illustrations (de Miguel Coimbra) sont claires, et l’ergonomie, simple, et parfaite. C’est une belle entrée en matière, qui donne envie.

 

De la pose d’insulaires

Chaque manche se joue en deux phases : une première où dans l’ordre du tour, on va placer nos Meeples ouvriers sur le plateau ou à la carrière afin d’y construire des Moais. Notez que l’on a aussi un Meeple Sorcier qui va déterminer l’ordre du tour. Celui-ci a son importance sur la construction des Moais présents en quantité limitée. Sachez que l’on peut construire des Moais de trois tailles différentes, mais plus le Moai est grand et plus il demande d’ouvriers pour en assurer la construction. 

 

Ainsi (et je vous laisse regarder la photo ci-dessus) pour construire un petit Moai, j’aurais besoin d’un seul ouvrier dans la première colonne, mais pour un Moai de taille plus conséquente, un ouvrier dans la première colonne mais aussi dans la suivante, et pour le grand Moai vous avez compris l’idée. 

Nous n’avons que quatre ouvriers, du moins au début. C’est un premier dilemme qu’il va falloir régler : si je souhaite construire une grande statue, je vais devoir placer trois ouvriers, ce qui signifie que j’en ai plus qu’un pour l’installer ensuite.

De plus, pour cela, il faudra que je place mes trois ouvriers dans les trois colonnes du plateau : dois-je directement placer mon ouvrier sur la colonne la plus élevée dévoilant mes intentions au grand jour ? Ne risque-t-on pas de me mettre des bâtons dans les roues ? Mais les places étant limitées je vais devoir trancher…  Subtil, non ?

Dans la phase suivante, celle qui nous intéresse le plus, on va pouvoir – toujours dans l’ordre du tour – acheminer nos statues afin de les ériger sur une des tuiles « Ahu ». Le joueur ou la joueuse qui a érigé le Moai gagne des ressources (jonc, œufs, bois, perle) selon le lieu où il l’a construit (et la quantité dépend de la taille de la statue). Pour construire, il faudra d’abord qu’un de nos ouvriers, le Constructeur, soit présent sur la case destination, mais surtout, toute une chaîne de transporteurs pour acheminer le Moai de la carrière jusqu’à sa zone de construction devra être mise en place sur le plateau. C’est là où les camarades peuvent se rendre utiles. 

 

 

En effet, il faut souligner que Rapa Nui fonctionne avec une mécanique de collaboration malgré sa nature compétitive, car les adversaires ne sont pas en reste quand vous érigez une statue, tous ceux qui ont participé gagnent des ressources en fonction des cases par lesquelles la statue passe. Par conséquent, on peut aussi positionner ses ouvriers dans cette idée, afin de récolter des ressources au passage. C’est un élément charnière du jeu, on se place avant les autres pour qu’ils  passent par chez nous. Tout le monde y trouve son compte, l’un le droit de passage, l’autre une récompense, dans une forme d’interaction positive.

En érigeant un Moai, on prend la tuile Ahu qui était sur place, avec ce bonus on jouit d’un pouvoir one shot, permanent ou des points de victoire. Dans la réalité, les « Ahu » étaient des plateformes géantes et sacrées qui accueillaient le Moai.

 

 

Les ressources, de quatre types différents, peuvent être dépensées pour construire des améliorations, comme avoir un Meeple de plus, avoir son Chef de clan, et d’autres encore. Attention, on en a quatre, mais on ne pourra en réaliser que trois. Choisir, renoncer, tout ça tout ça …!

 

 

Mais surtout les ressources vont être dépensées principalement pour construire des Pukao, ces petits chapeaux rouges qui coiffent nos Moais. Cette fois, il faudra partir de la carrière de Pukao et réaliser la même chaîne humaine jusqu’à un Moai. Ce n’est pas anecdotique, car c’est ainsi que l’on gagne des points de victoire : quatre ressources dépensées d’un type permettent de gagner le jeton offrande le plus élevé. Ainsi la partie se scinde en deux temps, d’abord on construit pour récupérer des ressources, puis on les dépense pour scorer. 

Nous sommes dans une course : les premiers à réaliser des offrandes gagnent des points de victoire plus importants, les suivants ramassent les miettes, voire même rien du tout s’il n’y a plus de tuiles offrandes du type requis. Mais pas de panique, c’est aussi à cela que peuvent servir nos améliorations ou nos tuiles Ahu.

 

 

Nos impressions

Avec Rapa Nui nous sommes dans un jeu avec un thème bien imprégné, tout est pensé, et tout est logique. Pourtant, comme dans un jeu abstrait, nous avons du hasard entrant (pour vous rafraichir la mémoire je vous renvoie vers l’article de Grovast sur le sujet) tout est connu à l’avance, à nous de tirer notre épingle du Pukao 🙂 L’édition est somptueuse et soutient totalement le thème. On s’y croirait !

Petit bémol tout de même avec les tuiles Ahu qui ne sont pas bien claires et demandent d’aller rechercher le livret de règles pour savoir ce que procure tel ou tel jeton (il manque une aide de jeu). Et c’est dommage parce qu’elles sont une vraie plus-value au jeu, c’est un incitatif pour aller ériger ses Moais. De même on pourra confondre la taille des Moais. Gardez l’œil ouvert !

 

 

Cela dit, le game design est simple finalement, et plusieurs rappels sur le plateau favorisent son ergonomie. Après quelques tours on comprend comment fonctionne le tout et les dilemmes qui vont survenir qui prennent notre esprit sont essentiellement quelle taille dois-je construire, et surtout où ? Au début, proche de la carrière, mais plus on s’éloigne et plus l’on gagne des ressources intéressantes…  

On se surveille beaucoup et on tient toujours compte des placements des autres joueurs. L’interaction originale que propose le titre est plutôt dans le placement et finalement pas tant punitive, au contraire on profitera pleinement des placements des autres joueurs, mais la tension est bien présente.

On le disait, le jeu se joue vraiment en deux phases, une première où l’on va emmagasiner des ressources et une autre où l’on va les dépenser pour coiffer les Moais et gagner des points. Construire n’est pas tellement rentable si on ne le convertit pas en points de victoire (même si chaque ressource rapporte un point tout de même).

 

Rapa Nui est vendu comme un jeu familial+ (ou familial geek ^^), la boite nous indique 45 minutes mais en général on va plutôt dépasser l’heure de jeu (et bien plus même si l’on a des constipés du neurone à table). Attention, la mention 10 ans peut s’avérer trompeuse, le jeu peut rapidement devenir calculatoire et demande à construire une stratégie, utiliser les tuiles Ahu au bon moment, etc. 

On a aussi eu un peu l’impression qu’il pâtissait de la comparaison avec Polynesia paru la même année, même si celui-ci est plus interactif et agressif dans son placement mais aussi sans doute plus abstrait. Finalement les deux titres auront leur public.

Nous retiendrons surtout que Rapa Nui n’est pas une simple réédition, mais une nouvelle édition ; le pari était de dépoussiérer l’ancien jeu pour en tirer la substantifique moelle, de l’adapter aux attentes actuelles, et de ce côté le pari est réussi. Rapa Nui est un jeu sympathique dans sa catégorie avec une mécanique de production et livraison de ressources, non sans une certaine forme de collaboration originale.
À deux le jeu tourne correctement, une face du plateau est prévue à cet effet, mais à notre goût l’aspect collaboration ne fonctionne pas vraiment et c’est dommage. On vous conseille de privilégier sa sortie si vous êtes minimum trois et même quatre joueurs. 

 

Pour aller plus loin sur l’île de Pâques,

Si le Mystère de l’île de Pâques vous intrigue, je vous propose plusieurs liens intéressants ci-dessous. C’est une histoire sujette à controverse. Certains pensent qu’on a sculpté les Moaïs dans les carrières volcaniques et qu’ils furent ensuite déplacés sur des rondins de bois (ce qui expliquerait la déforestation), mais il semblerait que cette hypothèse ne soit plus à l’ordre du jour. 

D’autres pensent qu’ils auraient été déplacés avec des cordes, en faisant des mouvements vers la gauche ou vers la droite, en somme on les faisait tout simplement marcher. Avec plusieurs groupes d’hommes cela pourrait fonctionner. D’ailleurs un essai a été réalisé à Tahiti avec un Moai en béton sur un terrain plat et l’expérience fut concluante. Mais quid d’un Moai en tuf volcanique de 8 mètres de haut sur une surface non plane ?
Selon certains, le tuf volcanique est une roche friable et le déplacement aurait abîmé les statues, ce qui amènerait à penser qu’on les aurait préconstruites dans la carrière pour les alléger, puis elles auraient été finalisées une fois placées. 

Reste les mystérieux Pukaos, ces fameux chapeaux rouges qui trônent fièrement sur les Moais, mais pas tous, uniquement les Moais sur les autels les plus élaborés. Ils proviendraient d’une autre source volcanique, unique sur l’île (ce matériau aurait trouvé d’autres utilités comme des ustensiles de cuisine par exemple).

Le mystère demeure… et finalement c’est aussi cela qui nous passionne aujourd’hui. Avoir toutes les réponses nous rendrait-il vraiment plus heureux ?

 

 

 

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1 Commentaire

  1. morlockbob 07/10/2021
    Répondre

    une réédition passée un peu inaperçue. J’avoue n’y avoir que par hasard. Le hasard a bien fait les choses, c’est vraiment à re découvrir

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