Mysterium et boules de gomme

Mysterium, c’était un peu l’inconnue pour moi : d’accord, on en a déjà parlé sur le site. D’accord, on a une vidéo cannoise sur le sujet, et je crois que ce n’est pas la seule. Mais tout ça s’est fait sans moi : je n’ai pas encore le don d’ubiquité. La seule chose qu’on m’a vendu, c’était qu’il s’agissait d’un Monopoly avec des… (oubliez, blague cannoise). D’un mélange improbable entre un Cluedo coopératif et Dixit, donc.

Pourquoi pas.

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Gare à vous, âmes noires. N’espérez point de jamais voir le ciel… (Ou comment commencer un article par du Dante)

 

J’ai appris plus tard de quoi il s’agissait : un fantôme dans une maison hantée parlant à des médiums. Seulement, il envoie des visions cryptiques qu’il faut démêler. L’histoire du jeu est aussi venue à ma connaissance : il s’agit d’une réédition, un jeu slave à peu près du même nom. On parle du Tajemnicze Domostwo de 2013. Ouais, avouez, un jeu polonais de plus, ça fait plaisir.

Libellud a fourni un travail différent sur celui-ci : le même jeu, certes, mais pas la même prémisse. À la base (polonaise), on est des oniromanciens à qui un esprit envoie des rêves, et effectivement, ça colle un peu mieux avec les visions très oniriques à la destination des joueurs. Dans le Mysterium français, j’ai du mal à croire qu’un médium à amulettes fonctionne de la même manière qu’une praticienne du Yi Qing. Mais ce n’est pas très grave : la rethématisation fait infiniment moins de mal que celle de Lords of Xidit (rendez-moi mes yaks !), et est presque entièrement inoffensive. On est juste sur un pitch plus grand public, qui s’explique donc plus facilement. La direction artistique va plus dans le sombre que la version polonaise, légèrement plus onirique et diurne. Notons que l’adaptation ne s’arrête pas là, et que Libellud a fait de superbes efforts pour ce jeu, qui n’est pas un simple reprint. Comme pour le sus-nommé LoX et son ancêtre Himalaya, un développement a été fait, et c’est tombé sous nos mirettes ébahies.

Résumons donc mes craintes : de la hype à mort, du coopératif (donc du leadership ?), du jeu rethématisé, du jeu d’association d’idées presque abstrait (bon, là, vu le passif de Libellud, la crainte était minimale).

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L’horloge compte-tours de la mort et le sablier du stress.

 

Le point matos

On étalera bon nombre de cartes sur la table et comme on doit s’y attendre dans ce genre de jeu, les illustrations sont grandes et belles. Sur des cartes géantes pour la plupart, elles portent un cachet somme toute victorien et nous transportent directement dans l’univers. On peut noter une petite différence entre le milieu du rêve et celui de la réalité.

Quant au thermoformage, il déroute un peu, mais une fois apprivoisé, contiendra tout le matériel avec malice, facilitant ainsi l’installation et le rangement du jeu. Rien n’a été laissé au hasard dans Mysterium et si ce n’est une horloge compte-tours un peu bancale sur son support, on a affaire à de la qualité.

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Un thermo de malinois.

 

Le bruit de mes visions

Au cœur du jeu, le fantôme essaie donc de faire deviner un trio associé à chaque médium : personnage, lieu et arme du crime. Ces groupes suspects finiront par émerger et une fois ceci fait, le fantôme enverra une dernière vision, mais collective, visant à désigner le bon groupe suspect avec trois indices, un pour chaque élément (personnage, lieu, arme).

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Derrière le paravent du fantôme, les réponses en cartes au format traditionnel.

 

La compétence du fantôme ne s’arrête pas à de la simple discrimination visuelle ; effectivement, les indices reprennent souvent quelques thèmes fétiches (l’eau, la nourriture, la nature) que l’on pourra associer plus facilement à certaines cartes qu’à d’autres. Mais c’est aussi là que réside le sel de ce Mysterium : la communication n’est pas faite que de routes faciles, et il faudra se plonger profondément dans l’association d’idées pour trouver la communication (ou le message) adéquat. Et quand on déchiffre, on se demande si le fantôme a voulu faire passer des impressions d’ambiance, de couleur, de concept, de thème… Bref, c’est le casse-tête assuré. Et si le personnage est relativement aisé à trouver car entouré de sa panoplie d’objets, on va vers le dépouillé avec des lieux – encore quelque peu meublés – mais surtout, les objets, qui ne représentent qu’une seule et unique chose. Et là, ça devient dur.

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Derrière le paravent, c’est rarement aussi bien rangé…

 

 

Mysterium, un jeu pour tous ?

Je sais bien que c’est une question à laquelle on ne s’attend pas de prime abord, mais en fait… ça compte un peu. Pourquoi ? Eh bien déjà c’est un jeu pour jusqu’à sept joueurs. Et Cluedo, Dixit, ça parle à la famille. Oui, Mysterium est un jeu familial. Les règles peuvent sembler compliquées pour ce type de public, mais dès les premiers tours, elles se clarifient et forment un ensemble cohérent, logique. Ça finit par faire un bel ensemble que personne ne saurait renier.

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Certains objets ne rassurent pas, tel ce sécateur…

 

Sous ses aspects intimidants, oui, ce jeu est accessible pour tous : mais attention, il faudra réfléchir au public que l’on cible. Même si le côté victorien abandonné parle à tous, chacun n’aura pas les mêmes références. Mais cela est un défi inhérent au jeu plus qu’au public : appréhender la psyché des autres avec les moyens du bord fait partie intégrante de l’expérience Mysterium.

À noter, plusieurs modes de jeu existent : facile, normal et difficile, et permettront d’adapter vos parties en fonction de votre public et de son expérience.

Question configuration, le jeu est censé se jouer de deux à sept bozos. Je n’ai pas joué à deux, mais je crains un amoindrissement de l’intrigue, et le fait que les joueurs cherchent tous dans un ensemble commun apporte indéniablement au jeu. On voudrait ne pas se placer des bâtons dans les roues, mais ces indices pointent vraiment vers la même personne ! Le jeu annonce une durée d’environ 42 minutes, et il faut bien avouer qu’avec un peu d’expérience et 4 à 5 joueurs, ça tourne autour de ça. Mais sinon, il faudra compter une heure pour résoudre votre énigme. A 6 ou 7, c’est peut-être un peu longuet : entre le premier indice donné par le fantôme et le dernier, il s’écoulera un peu trop de temps à mon goût. Mais why not, ça reste très agréable grâce à l’ambiance distillée par le matériel de jeu. Et comme on peut discuter avec les autres joueurs et les conseiller…

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D’abord un personnage, puis un lieu, puis les armes du crime…

 

Clairvoyance, aie confiance

Au cours du jeu, il sera possible d’interagir avec nos camarades médiums en validant ou invalidant leurs intuitions. Si nous avons juste, notre clairvoyance augmente, et ce score indique combien de portions de la vision finale nous pourrons voir avant de voter. Dans ces conditions, on espère parfois que nos petits camarades vont se gourer pour pouvoir jouer ses jetons « non ». Lorsqu’on optimise… On se retrouve à faire quelques actions un peu basses (comme pousser quelqu’un à choisir une mauvaise solution quand on a tous des jetons négatifs à dépenser), mais ces hics de gameplay ne sont pas problématiques pour autant : il faut vraiment avoir la gagne et la calculationnite pour que ça arrive (et que les étoiles s’alignent dans le bon sens).

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Les pochettes individuelles ne servent pas à grand-chose, mais sont jolies !

 

C’est d’ailleurs la seule interaction qu’on aura avec les autres médiums ou peu s’en faut. On pourra discuter entre médiums, sauf pour la dernière vision, mais ce n’est pas si grave : l’esprit de groupe fonctionne. Nous sommes tous centrés sur ces mêmes souvenirs disjoints, avec nos préoccupations, nos besoins, nos ressources propres. Le leadership commun a beaucoup de jeux de coopération tombe ici, pour le plus grand bonheur de tous : l’interprétation, le point de vue importent beaucoup, et le fantôme sait qu’il s’adresse à une personne en particulier.

Du côté fantôme, le/les corbeaux est/sont là, et vous allez dépenser cette ressource à la gestion minimaliste pour vous aider en cas de pépin. Trop de cartes inutilisables ? Allez, placez-moi un corbac sur le paravent et faites-moi un mulligan, qu’on n’en parle plus.

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Bilan

On n’est pas en reste quand on a fini une partie de ce Mysterium : il diffuse un charme à l’aune de cette expérience si particulière, qui le différencie fondamentalement de Dixit. Les règles, cette asymétrie qui veut nous raconter une histoire, le décor (et le décorum) du spiritisme, tout cela donne à l’expérience cette saveur particulière. J’admets sans l’ombre d’un doute préférer le thème originel, plus doux et moins gothique classique, mais la rethématisation a ici pour but d’attirer un public plus large, ce que le jeu mérite amplement. J’ai apprécié toutes les parties faites, que ce soit du côté médium ou fantôme. Effectivement, les médiums interagissent peu avec les autres joueurs, et le fantôme envoie ses signaux sans pouvoir rien dire d’autre. Mais l’atmosphère qui se dégage de cette asymétrie a du chien, et donne à un jeu d’association d’idées un véritable cadre et un thème. Et puis l’aspect coopératif vient cimenter le sentiment d’appartenance et on ne se sentira jamais frustré par le leadershipping des autres joueurs : si on n’est pas d’accord avec un autre, on le fait savoir d’un jeton et on ne force pas la main de l’autre. Je valide !

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Du rêve en barres.

 

Mysterium

Un jeu de Oleg Sidorenko, Oleksandr Nevskiy
Illustré par Igor Burlakov, Karolina Węcka, Mariusz Gandzel, Xavier Collette
Edité par IGAMES, Libellud, Portal Games, uplay.it edizioni
Langue et traductions : Francais
De 2 à 7 joueurs
A partir de 8 ans
Durée moyenne d’une partie : 40 minutes

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Belle ambiance.

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14 Commentaires

  1. Fendoel 02/10/2015
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    Très chouette article. M’en va m’acheter ça moi…. ^^

  2. Ludo de la Ludo 02/10/2015
    Répondre

    « Effectivement, les médiums interagissent peu avec les autres joueurs, et le fantôme envoie ses signaux sans pouvoir rien dire d’autre » Alors non au contraire sur mes deux parties, il y avait beaucoup d’interactions entre les médiums !!

    • Umberling 02/10/2015
      Répondre

      Je voulais parler de l’aspect mécanique pur. Rien n’empêche de discuter ensemble des interprétations possible de telle ou telle vision, c’est sûr 🙂

  3. Sha-Man 02/10/2015
    Répondre

    Citation : « il faut vraiment avoir la gagne et la calculationnite pour que ça arrive »

    Je jouais le fantôme, il restait 1 médium (Grogro) qui n’avait pas trouvé quand soudain l’idée a émergé parmi eux (avec Umberling + Jim) que faire une déduction foireuse et qu’ils disent qu’ils n’étaient pas d’accord optimisait l’avancée de la clairvoyance.

    Et moi pauvre fantôme victime d’un crime atroce, comment devais-je vivre ce dédain absolu pour la recherche de la vérité ?

    Bande de « gagne-petit ».

    • Shanouillette 02/10/2015
      Répondre

      hahaha je les vois d’ici « mais il faut tester toutes les zones et limites d’un jeu ! »

      • Umberling 03/10/2015
        Répondre

        Oui. Tu nous prends pour qui ?

        On est médiums, okay, mais on s’improvise détectives. Et tu sais ce qu’il te dit, Holmes ? Analyse. Et Poirot ? Déduction. On avait le droit de faire poireauter ce fantôme, hein ! Une heure de plus ou de moins… c’est quoi, pour lui ?

        • Sha-Man 03/10/2015
          Répondre

          1h ? C’est revivre les 5 dernières secondes de  ma fin tragique 720 fois.

          • Umberling 05/10/2015

            Va mourir !

            Oh, wait. 😀

  4. Zuton 10/10/2015
    Répondre

    4 parties jouées cette semaine dont 3 en tant que fantômes. Le jeu est plaisant, beau, source de fous rires : comme indiqué dans l’article,  il a aussi l’avantage d’adresser des personnes non joueurs et de différentes générations. Seule la dernière phase du jeu (découverte du coupable) est un peu poussive à mon goût pour désigner la victoire collective (ou non), qui est de toute façon accessoire tant on s’est amusé.

    J’ai entendu parler d’une phase de fin de partie différente au niveau mécanismes sur le jeu initial que celle proposée par la VF : savez-vous de quoi il en ressort ?

     

    • Umberling 10/10/2015
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      Je mènerai l’enquête mais en gros, la clairvoyance n’existe pas dans la version de base. 😉

  5. rotabla 09/01/2016
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    Je suis quand même dubitatif malgré les avis dithyrambiques, après tout la phase des 7 tours ne sert juste qu’à attribuer des points de clairvoyance, avec tous les joueurs ayant rejoint la case finale (je pense que le cas où des joueurs n’ont pas tout découvert, et donc que la partie est perdue, doit être assez rare), et donc le jeu se résume juste au final à deviner le coupable selon 1,2 ou 3 indices que le fantôme choisit à la fin.

    • Grovast 09/01/2016
      Répondre

      En facile, ça ne nous est jamais en effet arrivé d’échouer avant la finale. Mais ça ne nous est jamais arrivé non plus de ne pas passer une super partie. Donc bon, l’un dans l’autre…l’intérêt de ce jeu n’est pas vraiment de savoir si on gagne ou si on perd.

      As-tu par ailleurs essayé le jeu dans les modes plus difficiles ? Parce que là, c’est plus la même.

    • Umberling 09/01/2016
      Répondre

      Je pense que le trajet qui mène au final est plaisant ; certes, il n’est pas trop difficile (en mode normal) de parvenir à ses fins. Mais si tu ne t’amuses pas dans cette partie du jeu, alors peut-être le genre de mécanisme lui-même te laisse froid ?

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