Fictions – Mémoires d’un gangster – À la mitraillette camembert

Fictions – Mémoires d’un Gangster est un jeu qui raconte une histoire. Trois actes, trois mécanismes de gameplay avec un socle commun, un arc narratif complet. Jusque-là, vous allez me dire, rien de nouveau sous le soleil. Sauf que l’ambition de Fictions, c’est de raconter l’histoire via le mécanisme. Vous jouez donc à trois jeux sur une base commune.

L’angoisse des dés : les maudits cadenas ! (Photo éditeur)

 

Gangster, mon frère

Fictions propose une expérience coopérative : nous sommes un gang uni (mais bon, divisé parce qu’on a chacun sa main et son action à allouer). Vous pouvez communiquer, discuter des objectifs, gérer la pression ensemble. Et l’un des joueurs, surtout, se voit attribuer un problème (deux par manche à quatre joueurs). Pas grand-chose, hein, juste un petit malus qui vient froisser la machine huilée du gang. Sauf que les problèmes attirent l’attention de la police et si l’on a trop d’icônes Empreinte, hop, c’est finito pipo. Donc on sait qu’on devra s’en occuper.

Une fois le problème pris, les joueurs ont deux actions chacun (trois à deux joueurs, et mes informateurs me disent que c’est très bien à deux). Mais petit twist, on choisit qui commence et prend un problème ; on s’arrangera donc toujours pour communiquer de façon vague sur ce qui est prioritaire, on se définit un plan de jeu qu’on essaiera d’exécuter au mieux. Évidemment ce plan fera la rencontre fortuite du hasard des tests de compétences.

En tant qu’action, on peut piocher des complices qui rejoignent notre main ou effectuer des actions contextuelles présentes sur le plateau ou les cartes, par exemple résoudre un problème ou faire progresser le scénario. Ces actions présentent toutes des défis demandant une compétence et un seuil de réussite. Et suivant le résultat, on peut obtenir plusieurs réussites ! Par exemple, si votre seuil est de 3 et votre résultat 10, vous aurez 3 réussites et le point en excédent sera perdu. Bien entendu, les icônes requises ont une importance : en effet, vous pourrez allouer des complices à l’action, et suivant leur niveau, chacun a entre une et trois icônes. Une icône non correspondante donnera un dé à lancer, une icône de la même couleur deux, et l’icône précise, trois. Le maximum de complices à allouer étant de deux, on lancera donc jusqu’à six dés… plus un dé de risque, tout à fait optionnel, mais portant des multiplicateurs fort goûtus.

 

Tout est organisé autour du plateau central, avec un certain aspect cinématique. Mais abstrait.

 

Lucky robbers

Sur les dés, on trouvera des trèfles (relances), des chiffres (pour réussir les tests, allant de 1 à 4), mais aussi des cadenas. Dé non relançable, et l’un de nos complices en subira les conséquences. Sur le dé de risque, des multiplicateurs de x2 à x4, de la pioche, un cadenas, et une face qui donne une carte Problème. Celles qui font perdre la partie, oui.

Évidemment, les cartes Complice de tous les joueurs ont des pouvoirs, et peuvent être utilisées pour divers effets (mais s’épuisent ensuite) : relances, ajout de valeur, ignorer certains symboles… On appréciera la flexibilité apportée aux tests via eux, surtout que l’on peut se sentir engagé pendant le tour des autres joueurs car attentif à leur réussite. Appréciable ! On aura l’impression de devoir gérer ses ressources en permanence, les siennes et celles du groupe, mais aussi d’équilibrer les objectifs personnels (se débarrasser de ses problèmes, reprendre des forces en piochant) et ceux du groupe (le scénario, la pile de gangsters épuisés).

Les cadenas infligent des pénalités : un cadenas épuise un gangster (il est défaussé) et deux cadenas le blessent (il est placé dans la pile des blessés). Et votre gang n’est pas inépuisable ! La pile descend, petit à petit, inexorablement. On en voudrait toujours plus, de la chair fraîche, mais on n’a pas le temps, on n’a pas envie d’arriver à sec. Bien entendu certaines actions peuvent motiver les troupes, mais c’est encore quelque chose de plus à faire.

Et, au milieu de tout ça, les objectifs de partie ; grande force de Fictions, ils sont différents de partie en partie, se voulant thématiques ; on va de la course-poursuite au casse de banque. Bien que les moyens de résoudre soient les mêmes (tests), différents leviers sont exploités pour apporter une touche de couleur à chacun. Chaque plateau est en effet designé avec un certain soin, une attention au système afin de raconter quelque chose de différent à chaque partie.

 

Les gangsters ont tous leur personnalité… et leurs pouvoirs.

 

Campagne au court cours

À la fin d’un scénario, suivant le degré de réussite, les joueurs pourront dépenser de la réputation pour accroître les effectifs du gang avec des personnages niveau 2 et 3. (Et les blessés, zou, ils sont écartés pour de bon, il fallait les soigner avant.) 

Le choix d’une campagne en trois épisodes n’est pas anodin, faisant référence sans le dire aux histoires en trois actes, avec un final qui vient refermer l’expérience. La première partie sert d’amorce, la deuxième nous donne plus de contrôle puisque notre gang a progressé, la troisième est l’apothéose. Mais dans un monde où les jeux se font pléthore, avoir six scénarios, donc deux campagnes en les découvrant quasi-tous, eh bien ce n’est pas une mauvaise idée, loin de là : on n’a pas peur de se lancer dedans. Le format intrigue un peu, on se laisse prendre facilement, et on ressort avec la satisfaction d’avoir vécu un arc narratif complet.

On retrouve d’ailleurs ce souci du détail narratif dans chaque carte et chaque situation de Fictions ; il faut dire que Fabien Riffaud et Juan Rodriguez n’en sont pas à leur coup d’essai, avec par exemple Time Stories : Madame (un de mes épisodes préférés !). Problèmes, gangsters et actions contextuelles ont du sens, sublimés par Eric Hibbeler (qui a notamment illustré Sky Team), avec des inspirations très pop, giallo, film noir : on salue le  travail effectué par tout ce petit monde. Pourtant, en jeu, on oublie un peu ce thème : il s’efface devant les nombreuses pressions subies par les joueurs. Une vibe Le Signe des Anciens, avec tous les soucis à régler, des dés qu’on aime haïr, des gangsters qu’on apprécie voir pour leurs pouvoirs et leurs icônes plus que par leur présence, mais parfois, on se surprend à raconter l’action, à trouver du sens à l’interaction entre des cartes.

En revanche, les règles ne sont pas un super cadeau : la difficulté des jeux au design aussi ouvert, c’est qu’il faut trouver par quel bout les expliquer et Fictions souffre un peu de cela. Elles sont à la fois abstraites et précises, difficiles à saisir et pourtant complètes. Mais je vous enjoins à ne pas être découragé·e : le jeu en vaut la chandelle.

 

La zone de recrutement/motivation/blessure : on apprend à la gérer de plus en plus. (Photo éditeur)

 

Malgré ses côtés intensément mécaniques, sa procédure un peu ferme, son thème qui disparaît la plupart du temps pour ressurgir par instants (surtout dans les plateaux d’histoire, si bien conçus), j’ai bien aimé Fictions – Mémoires d’un Gangster. Entre son format digeste, ses idées brillantes, l’émotion qui se dégage de certaines interactions ou des lancers de dés, mes attentes de joueur sont satisfaites. Mais est-ce que j’en ferais un jeu de chevet ? Probablement pas : j’ai l’impression de glisser un peu trop vite sur son univers, conséquence, justement, de son aspect abordable. La fiction, la narration, justement, reste un poil trop en surface pour le féru d’histoires que je suis.

 

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