Les princes de Florence : Cantucci de prato

Les Princes de Florence n’est pas de toute première jeunesse, il nous ramène à l’époque où les jeux sortaient au compte-gouttes. Créé en 2000, il bénéficie du savoir-faire d’un de ses co-auteurs : Wolfgang Kramer. Auteur incontournable (Gueules noires, El Grande, Tikal…), il s’associe pour ce titre avec avec Richard Ulrich pour proposer ce jeu qui emporte alors les prix ludiques (As d’or prix du jury, Nederland Spellenprijs, finaliste du Juego del Ano…), et le succès public. Les critiques sont dithyrambiques, même sur le territoire français, alors que le jeu n’est pas encore traduit. Il le sera en 2007 par Ystari. Une mini extension sera ajoutée en 2009, et il faudra attendre 2023 pour qu’il se rappelle à notre bon souvenir. Alors, les vieux pots, la meilleure soupe ?

Les princes de Florence est un jeu pour 2 à 5 joueurs, et vous allez le voir, il vaut mieux y jouer nombreux. Si aujourd’hui on ne le classera plus dans la catégorie expert, il demande néanmoins de la planification, de la gestion, et le sens des affaires !

 

 

Nous voilà plongé en pleine renaissance italienne. Vous êtes riche, vous voulez briller. Pas d’empoisonnement et de lutte intestine, votre préoccupation, votre but sont de rallier à vos côtés les meilleurs artistes, scientifiques, écrivains… L’art règne et vous voulez régner avec lui. Vous voilà mécène, apportant votre soutien aux talents que vous rencontrez. S’ils se sentent en confiance, ils créeront des chefs-d’œuvre, contribuant à votre prestige.

Si on ne trouvait rien à redire à l’ancienne version au moment de sa sortie, j’avoue que, rétrospectivement, les teintes marronnasses à l’allemande piquent les yeux. Le nouveau visuel conserve cet esprit du passé tout en modernisant le trait. Un juste milieu. Niveau éditorial, nous voilà avec de belles tuiles jardin, parc, bâtiment et une grande série de personnages variés représentant, au travers d’illustrations soignées dues à Lukas Siegmon, les différentes disciplines. Des paravents homme/femme permettent de choisir son genre, des plateaux individuels affichant deux types de topographie, et des aides de jeux bien utiles complètent le matériel.

 

Qui voulez vous inviter ?

 

J’adooooore ce que vous faites !

La mise en place est simple, il faut juste avoir l’œil et placer les polyominos sur leur emplacement du plateau commun. Chaque joueur part avec des florins, un plateau individuel vierge où construire son décor, et trois cartes personnages. Au long de la partie, il faudra récupérer des ressources, coller aux symboles demandés par les personnages pour valider des points. Tout en trouvant le rythme et l’équilibre entre dépense/choix des achats et avancée sur la piste de prestige.

Le jeu se déroule en sept tours et, à chaque fois, en deux phases très distinctes, liées bien sûr, mais usant de mécaniques très différentes. Une phase d’enchères où chaque joueur va acquérir un élément (paysage/jeton/carte), et une phase où chacun va réaliser deux actions en essayant de coller à ses objectifs.

 

Piste du tour et valeur artistique (en haut), tuiles paysages, cartes prestige (face cachée) et recrutement (face visible), jetons architecte et saltimbanque.

 

 

Le tour d’enchère

Deux types de points sont à glaner dans ce jeu et il faut bien les différencier : le prestige, point de victoire classique, et la valeur artistique, points à collectionner pour valider l’œuvre.

La zone d’enchères contient 7 éléments : 

Les tuiles forêt, étang, parc vont élever la valeur artistique des œuvres. À partir du second parc etc, on gagne des points de prestige (les points de victoire). Retour de bâton, plus on place de tuiles, plus leur placement devient complexe. Il faut donc s’arranger pour accueillir les futurs paysages et bâtiments. Chaque type de tuile ne plaira qu’à un certain nombre de profession, par exemple, les parcs ne figurent que sur 5 cartes…

Deux types de jetons sont disponibles : les architectes qui aident à la construction des bâtiments en minimisant les coûts ou en contournant certaines contraintes de pose (construire en adjacence), et les saltimbanques qui augmentent la valeur des œuvres.

 

Choisissez votre terrain de jeu

 

Des cartes prestige (objectif) donnent des points en fin de partie (vous avez le plus d’architectes, trois types de paysage…), et des cartes recrutement, utiles pour débaucher un artiste chez un adversaire ou via la pioche sont également achetables.

Au départ, on a une direction suivant les personnages qu’on a en main. On sait qu’il nous faut du parc plutôt que de la forêt. Comme son plateau personnel est vide, on peut être plus souple en prenant autre chose, mais très vite les choix vont s’imposer et la bataille va se dérouler au sein des enchères. L’architecte, qui baisse le prix des bâtiments de 400 florins, est vite une cible de choix. Si vous n’êtes pas très à l’aise avec ce genre de mécanique, pas de panique, elles sont rapides et légères. Une fois un élément désigné, chacun y va de son apport, de 100 florins en 100 florins. Le gagnant ne participe plus. On peut donc passer tout le temps et récupérer une miette pour quasi rien ? Une méthode qui ne fonctionne pas longtemps, en sachant qu’un élément n’est mis en vente qu’une fois par phase. Tout le monde a pu acheter quelque chose ? Parfait, passons à la suite.

 

Le tour d’action

On change de zone sur le plateau commun. Nous avons maintenant accès aux bâtiments (polyominos de tailles variées), aux jetons liberté (des plaquettes qui élèvent la valeur artistique), et aux cartes bonus à usage unique (chaque lac augmente la valeur de l’œuvre de 2…), ainsi qu’aux personnages.

 

Les bâtiments, cartes bonus et profession (toutes deux face cachée) et jetons liberté (avec leur coût).

 

Cette phase change radicalement de la précédente. On la prépare en achetant aux enchères afin de livrer une œuvre en collectionnant ce que demande l’artiste qui vous accompagne. Le mieux est évidemment de réunir des artistes qui aiment la même chose. C’est le moment de créer une œuvre, d’acheter de nouvelles cartes ou de bâtir. Il va falloir se fixer une ligne directrice, chaque artiste, scientifique etc, ayant des exigences. Certains s’épanouissent au sein de la nature, d’autres ont besoin d’un jeton liberté précis, ou chérissent un certain type de bâtiment.

Plus contraignant est le plafond de la valeur artistique de l’œuvre à atteindre à chaque manche pour la valider. Une fois la valeur des différents éléments en votre possession, on les additionne. La somme doit être supérieure à la valeur indiquée sur la piste des tours. Si à cette manche le tableau indique 12 et que vous êtes en dessous, vous ne validez rien. Le plafond augmente à chaque tour, ne vous laissez pas distancer.

 

La carte pharma augmente la valeur artistique si vous possédez un parc (3), un parchemin (3) et un hôpital (4) + 2/saltimbanque et 1 par carte de couleur.

 

Chacun leur tour, les joueurs vont pouvoir réaliser 2 actions parmi 5, les actions sont payantes. Construire coûte par exemple 700 florins. Aie ! Vous pouvez donc au choix :

Créer une œuvre, c’est-à-dire valider le niveau de valeur artistique demandé en additionnant les différents symboles (parc, liberté, saltimbanque….). Construire un bâtiment et l’intégrer sur son plateau personnel. Acheter une carte profession/personnage afin de valider une nouvelle œuvre. Acheter une carte bonus au cas où il manque des points en artistique. Recevoir une liberté donnant elle aussi des points de valeur artistique suivant les professions.

Dilemme de fin de manche, la banque paie 100 florins par point de valeur artistique. On peut dépenser des florins pour les transformer en prestige, échanger des florins contre du prestige au taux de 200/point. L’œuvre la plus avancée gagne 3 points de prestige. Un petit côté prime au gagnant dont on pourrait se passer.

Sept tours plus tard et un niveau artistique à 17, la partie est terminée. Il est temps de sortir ses cartes prestiges. Le joueur en tête sur la piste de score est le mécène le plus influent.

À noter que ces nouveaux Princes sont livrés avec un mode solo et l’extension La muse et la princesse. Ce sont six personnages et leurs pouvoirs utilisables une fois dans la partie (le cardinal donne une troisième action etc). Un mode plus interactif est également inclus avec le module Construction coopérative.

 

Une aide de passage

 

 

PDF ou papier recyclé ?

Pour un jeu qui a plus de 20 ans, on reste admiratif du travail fourni. À priori, l’utilisation des polyominos n’étaient pas légion en 2000. On ne savait d’ailleurs pas que ça s’appelait ainsi. Aujourd’hui des jeux comme Patchwork ou Barenpark s’en servent allègrement. Si le principe de pose et d’assemblage reste le même, la façon de les récupérer est plus poussée.

Le jeu se divise donc en deux parties. Si la phase d’enchères n’est pas violente, elle est néanmoins tendue et voilà la raison pour laquelle il faut jouer au minimum à quatre (même si une version 2 joueurs est possible, on sent bien qu’elle n’existe que pour exister). Je ne vous fais pas un dessin, des enchères c’est mieux quand on bataille. Et bataille il y a : pour les architectes qui vous économisent de l’argent, les saltimbanques qui vous garantissent des points de valeur artistique, pour les cartes bonus de fin (qu’il ne faut pas négliger)… Bien sûr, on essaie de réunir des artistes ayant des demandes communes, mais ce n’est pas toujours possible, alors il faut un peu de tout. Et si tout le monde ne vise pas les mêmes éléments, cela se recoupe fatalement, et payer moins ou gagner plus est toujours intéressant.

 

un architecte, 2 liberté et 2 saltimbanques pour booster la dame rouge

 

Le sel du jeu est dans la phase action. Les personnages, bien qu’ils aient des demandes similaires sur des bonus de couleur de cartes acquises, sont différents sur les bâtiments (à croire qu’ils le font exprès). On a beau essayer de grouper, il manque toujours un symbole pour être à l’aise et atteindre ce f*** plafond artistique. D’où l’intérêt des jetons liberté (en nombre réduit), saltimbanque etc. Le jeu est bien équilibré à ce niveau. On entend couiner dans les chaumières, et c’est un bon point. Deux actions, c’est peu au final, les choix sont difficiles : prendre un nouveau personnage car on risque d’en manquer et ce serait dommage de parvenir au prochain tour sans rien à valider, ou prendre une carte bonus à usage unique (qui peut grandement aider), ou encore reprendre un bâtiment (mais ai-je la place de le construire ? Va-t-il vraiment servir ?).

Si au début de la partie on va se concentrer pour posséder des architectes, des sous, le jeu va évoluer vers un compromis entre points de prestige et argent. Tout en s’arrangeant pour valider des œuvres. Un exercice tendu. Un tour à vide fait mal, il faut savoir anticiper sous peine d’être distancé. La fin sera plutôt axée sur les points de victoire. L’argent étant le nerf de la guerre, il nécessite une bonne gestion et le système de sous/points de prestige est une bonne idée. À utiliser avec modération cependant. Si le jeu ralentit vers les derniers tours pour cause de réflexion intense, la partie est rapide et peut se jouer en une heure.

 

3 points de parc + 4 de bâtiment + 2 de liberté + 4 de saltimbanque + 3 pour les 3 cartes = 16 + 1 pour la carte pharmacologie.

 

En fouillant un peu, j’ai retrouvé ce que j’avais écris  à propos de ce jeu en 2015 (version Ystari) :

Une boite peu excitante, du matériel un peu daté… il n ‘y a qu’un pas pour dire que « Princes  de Florence » sent la naphtaline. Mais dans son cas, il faudrait plutôt dire que « c’est dans les vieux pots … ». Car il y a tout ce qui fait un bon jeu de placement/optimisation ici. Avec en prime l’ajustement et le coup d’œil de la pose de tuiles façon Tetris. Prise de risque, opportunisme et anticipation, la rejouabilité est importante, et la façon de gagner ne suit pas une stratégie plaquée (même si certains éléments sont préférables à posséder plutôt qu’à laisser à son voisin). Je ne sais pas au final si ce jeu a marqué son année de sortie, mais en tout cas quelques années après, je ne peux qu’y songer avec une certaine admiration et revenir avec plaisir… même si j’en sors rarement gagnant. Ce qui est peut-être la marque d’un bon jeu. L’aimer pour lui-même…

Est-ce aussi vrai en 2023 ? Le passage de la catégorie expert à initié symbolise le passage du temps sur ce titre. On peut louer son inventivité et rester admiratif sur la construction des cartes personnages, la progression du niveau de la piste artistique, ou encore cette bonne idée de regagner de l’argent, mais on ne peut s’empêcher de trouver que le jeu a un certain âge. Il reste classique avec un cheminement assez balisé et peu de stratégies pour parvenir à ses fins. Le Tétris en création de décor est amusant, un peu gadget, mais c’est surtout une certaine répétitivité qui est ressortie après ces quelques parties. Bien que le jeu demande de plus en plus de points de valeur artistique et donc d’agrandir son parc immobilier ou de piocher/poser des nouvelles cartes, le déroulement des manches est très linéaire.

Les Princes de Florence fait un peu daté, la faute à l’évolution des mécaniques de jeu et le mélange des genres. Il a pour lui des règles simples, un fond qui a de la teneur et procure sa dose de plaisir lors de la partie. Il peut encore s’inviter à table sans rougir. Pour ceux qui ne le connaissent pas, il est à découvrir (à redécouvrir si vous n’y avez pas joué depuis longtemps).

 

(bandeau: Pallas et le centaure – botticcelli – 1482)

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