Les Jardins Suspendus – Jardins Combo ?

Aujourd’hui, une nouvelle création de Matthieu Verdier (Federation, Demeter) et de Grégory Grard (Château Combo, Mot Malin) est arrivée dans une boite au format carré, communément appelé « format Akropolis » par chez moi (chez vous aussi ?). Si vous ne les connaissez pas, le duo d’auteurs avait brillé par leurs deux podiums, au Spiel des Jahres 2024 et au prix As d’Or « Jeu de l’Année » 2024, avec Sur les Traces de Darwin.

Édité chez Gigamic, Les Jardins Suspendus nous parlera de civilisation Babylonienne et de jardinage, mais surtout, il nous parlera de pose de tuiles et de collection. A l’instar de Numérobis avec sa pyramide, vous incarnerez des paysagistes en charge de construire le plus beau jardin possible afin de gagner les faveurs du roi. Un petit Ludochrono pour découvrir les règles en vidéo ? C’est par ici.

Les coulisses de Babylone

Les Jardins Suspendus propose un gameplay de pose de tuiles/cartes et de collection qui suit un standard assez classique. Chacun à leur tour, les joueurs devront choisir une carte parmi une offre disposée en trois colonnes, puis la placer dans leur espace de jeu pour construire leur propre jardin. L’offre de cartes propose de prendre gratuitement une des trois cartes du bas, ou bien de payer de plus en plus cher en jetons Outils pour prendre une carte d’une des rangées supérieures. Si l’on prélève une carte, celles du dessus viendront combler le vide. Ce principe en « Puissance 4 » permet de voir loin dans l’offre et d’éventuellement planifier ses coups.

C’est plutôt mal barré pour coller au plan d’irrigation (les petites encoches en haut des cartes), mais on limite la casse !

Chaque joueur va ainsi placer progressivement ses cartes pour former une demi-pyramide à 3 étages. La partie se terminera lorsque celle-ci sera complète (4 manches de 3 tours). Les moyens de marquer des points sont relativement nombreux :

Reproduire avec le plus de cartes possible le pattern imposé par son plan d’irrigation
Réaliser 4 objectifs aléatoires le plus tôt possible
Réaliser des séries d’arbres ou de fleurs consécutifs les plus longs possibles
Placer des animaux aux étages qui leurs sont les plus avantageux
Collectionner des personnages ainsi que les cartes qui créeront des combos avec eux (1 point par animal, 2 points par trio de chaque fleur, etc.)

Plusieurs motifs seront présents sur les cartes. On va ainsi chercher à les combiner au mieux pour scorer à plusieurs niveaux en même temps (objectif, séries, combos…). Enfin, tous ces motifs (irrigation, fleurs, personnages, animaux…) ne figurent pas au même endroit sur les cartes que l’on posera. Par exemple, les animaux ou arbres rapportant plutôt gros seront situés dans les alcôves au centre, alors que les modestes fleurs ou les bonus (gain de jetons Or, Outils, pion Premier joueur, etc.) seront situés en périphérie. Il y a un sens à cela. Vous l’aurez peut-être remarqué sur les photos, de nombreuses cartes sont vides en leur centre. Elles ne sont pas simplement moins intéressantes, mais donnent l’opportunité de combler cet espace plus tard dans la partie, avec une tuile qu’il sera possible d’acheter en plus, en échange d’or.

Les séries ininterrompues (arbres, fleurs…) peuvent traverser les étages

On pourra donc optimiser son jeu entre pur placement de cartes, et mise en place de stratégies à moyen terme. Par exemple : prendre une carte donnant des jetons Outils, pour pouvoir acheter ensuite une carte précise donnant des jetons Or, puis dépenser cet or pour acheter une tuile et combler ainsi une alcôve vide, etc.

L’ensemble de ces angles d’attaque laisse la possibilité à une optimisation fine du score, à condition que l’on garde un œil sur l’offre de cartes présente et à venir, ainsi que sur les jardins des adversaires. Nous sommes bien d’accords, cela fait plusieurs yeux au total !

A votre tour, il est possible d’acheter des tuiles supplémentaires pour embellir certaines de vos cartes vides en leur centre.

Dans l’ombre de Château Combo

À la lecture du paragraphe précédent, on reconnait le style des jeux de pose et de collection. On pourrait y voir des similitudes avec Château Combo, le précédent jeu co-écrit par Grégory Gérard. Un principe d’offre, de collection de cartes et de combos, d’apparence classique, simple et fluide, avec une liberté dans la construction de sa structure faite à base de cartes. Dans les faits, c’est peut-être même plus que cela. Les Jardins Suspendus m’apparait comme un petit frère de Château Combo, mais avec une DA, des sensations bien à lui et des interactions entre joueurs légèrement différentes. Sans doute que les deux jeux ont partagé une partie de leur période de gestation dans les esprits de leurs auteurs.

C’est donc naturellement que je vais chercher à comparer les deux titres pour mieux situer Les Jardins Suspendus par rapport à son ainé et comprendre à quel public il est destiné. Alors que peut-on en dire ?

Premièrement, Les Jardins Suspendus a un visuel signé Miguel Coimbra (7 Wonders, Small World) qui peut diviser. Si une partie des joueurs(ses) que j’ai croisés l’ont apprécié, d’autres le trouveront un peu plus fade, timide, manquant peut-être de pétillant. Bien que la lisibilité soit sans défaut (ce qui est le plus important à mes yeux), cela ne joue sans doute pas en sa faveur auprès du grand public, là ou Château Combo brille par un certain charisme, un caractère fouillé bien à lui.

On retrouve des qualités communes. L’édition est correcte, le matériel bien étudié, agréable à manipuler et rapide à mettre en place. L’étendue des choix est plaisante avec un espace décisionnel bien dimensionné. Sur tous ces plans, c’est l’ex-aequo.

Les personnages rajoutent des points de collection non négligeables

Dans Les Jardins Suspendus, la frustration pourra être présente, surtout si l’on laisse nos adversaires nous contraindre dans nos choix. Elle pourra même devenir une monnaie déchange. D’ailleurs, un des éléments-clé est là : la contrainte dans l’offre et la pose de cartes est sans doute plus forte dans Les Jardins Suspendus, avec parfois moins de facilité dans les choix. Par exemple, le plan d’irrigation imposé à chacun apporte potentiellement beaucoup de points. Le gâcher en posant une tuile qui ferait décaler l’ensemble de votre structure peut s’apparenter à un drame. On va avoir tendance à vouloir le protéger à tout prix, et donc à se priver de ce droit, là où dans Château Combo, il est utilisé à tout va.

Mais des choix plus contraints ne riment pas forcément avec aspect négatif, bien au contraire : ils résultent d’une vraie interaction avec nos adversaires. On peut par un jeu intellectuel les inciter à choisir des tuiles moins intéressantes pour eux. La contrainte ressentie par l’un fait le bonheur de l’autre. En effet, à chaque carte que vous prendrez, vous placerez un ouvrier en bas de la colonne, et les places sont limitées. Sans parler de jeu à placement d’ouvrier, le même esprit est là. Cette interaction se retrouve évidemment dans Château Combo, avec la possibilité de déplacer le pion Messager sur une ligne inconfortable pour l’autre, ou bien la défausse de toutes les cartes d’une ligne. J’ai malgré tout ressenti une finesse légèrement supérieure et une propension à la planification des coups plus grande dans Les Jardins Suspendus, entre la pose d’ouvriers au bas des colonnes et l’offre étalant 12 cartes (au lieu de 6), sans compter les tuiles à acheter.

Je dirais donc qu’en matière de choix entre une titre et l’autre, Les Jardins Suspendus s’adresse peut-être à un public un peu plus joueur, sans être plus complexe. Il pourrait marquer plus de points chez les joueurs friands d’interaction indirecte dans un style propre aux jeux à l’allemande. Si vous vous reconnaissez dans cette phrase, le jeu marquera des bons points pour vous :

« Par un subtil stratagème, je bloque ton choix préférentiel, ou bien je t’incite à choisir une carte pour qu’une autre tombe ensuite toute cuite dans ma main, »

D’ailleurs, dans un sens, même le visuel, l’âme du jeu peut s’inscrire dans une lignée « eurogame » et parlera possiblement mieux à son public abonné. Cela dit, encore une fois, c’est une question de goût, de feeling, et les deux titres me semblent tout aussi intéressants à découvrir.

En résumé

Si l’on consulte sa note moyenne sur BGG, Les Jardins Suspendus peut paraitre quelque peu boudé. Mais s’arrêter à cette note serait trompeur, car il est sans doute clivant. Certains joueurs sont possiblement sensibles au visuel sans style très marqué. D’autres ne vont peut-être se sentir frustrés par des choix contraints ou bloqués par les adversaires à travers la pose d’ouvriers. D’autres encore saturent peut-être avec les jeux de collections ou ne voient pas de twists lui donnant une vraie originalité ?

La comparaison avec Château Combo, est intéressante, car lui aussi est un jeu aux mécaniques d’apparence classiques. Pourtant il séduit énormément. Eh bien je ressens la même chose pour Les Jardins Suspendus. Sous ses airs de jeu potentiellement déjà vu, se cache un gameplay impeccable, fluide, avec des choix intéressants, une durée de partie idéale, et surtout, de la subtilité. Seulement là où les qualités apparaissent de manière immédiate dans Château Combo, il faudra aller un peu plus les chercher dans Les Jardins Suspendus, à travers des tentatives de jeu fin, manipulateur.

En définitive, si vous correspondez à un public joueur, stratège, Les Jardins Suspendus montre beaucoup de qualités, révélant peut-être un style « eurogame » à l’ancienne, si l’on pousse un peu la réflexion. Pour tout dire, il a réellement un public et j’en fais partie. L’envie d’y retourner est bien là. Je sais qu’il sera simple à mettre en place, que la partie sera rapide, avec possiblement du beau jeu. De plus, il se jouera aussi bien à deux qu’à cinq joueurs(ses), sans dépasser les 40 minutes.

Mais avant tout, à l’instar de Château Combo, il n’est pas exigeant pour un sou et peut se jouer à plusieurs niveaux. En mode détente, il offrira un « filler » bien dosé. Les joueurs voulant la jouer expert pourront s’y retrouver, pour les raison évoquées ci-dessus, mais aussi car une bonne partie de l’offre est planifiée et il est tout à fait possible d’établir une stratégie à long terme et d’optimiser ses placements.

Pour aller plus loin