Les foulancements JDR : Mars 2020

Le jeu de rôles est né aux Etats-Unis, et beaucoup des gammes phares dans les rayons sont les traductions d’ouvrages provenant d’outre-Atlantique. Si les productions françaises ont rapidement créé des cadres de jeu dans l’hexagone (Les jeux de Croc chez Siroz, Nephilim chez Multisim ou Maléfices chez Jeux Descartes), les succès ont rapidement poussé les éditeurs à se désintéresser des univers français. Sans doute que le rôliste de métropole n’aime plus trop fantasmer autour de son lieu de vie. Et si Tolkien a inspiré les premiers grands noms du jeu de rôles comme D&D ou Runequest, c’est l’histoire européenne qui a ensuite servi de terreau aux imaginaires nationaux. Les américains, ne pouvant aller chercher dans leur jeune parcours des légendes à faire revivre, se sont vite projetés dans le futur (le genre cyberpunk / futur sombre urbain et néolibéral s’y décline à profusion par exemple) ou dans le voyage dimensionnel (voyage dans le temps, ouverture de brèches dimensionnelles, mélanges complètement barrés).
Te Deum pour un massacre
De son côté, la vieille Europe essaie régulièrement de greffer le fantastique dans des époques emblématiques ; souvent le succès n’est malheureusement pas au rendez-vous. Les jeux historiques, tels que Te Deum pour un massacre qui a pour toile de fond les guerres de religion en France au XVIe siècle, demandent une culture préalable à la fois du MJ mais aussi des joueurs, ce qui peut rebuter.
Ceux qui s’en sortent le mieux offrent des outils clés en main pour présenter le contexte aux joueurs, et les immerger dans l’époque. C’est ainsi que le mythe lovecraftien – tombé dans le domaine public – permet à de nombreux projets ancrés dans une période historique (les années folles, le Japon des samouraïs, les années 90, etc) d’utiliser l’attractivité de l’univers pour produire des ouvrages documentés avec de nombreux accessoires de jeu.

Depuis une décennie, les habitudes des rôlistes ont changé. Les maîtres de jeu travaillent moins, les joueurs sont plus libres, les hexagon-universe-ludovox-univers sont plus compacts, parfois dans une forme « bac à sable » qui a envahi tous les supports ludiques. L’édition n’a plus besoin de grosses locomotives, c’est le financement participatif qui permet l’impression. Les auteurs, sans doute plus âgés, sont également plus audacieux, plus cultivés, plus expérimentés. Si l’on regarde dix ans en arrière avec des jeux comme la Brigade Chimérique, réappropriation des comics dans l’Europe de l’entre deux-guerres, le message est donné : la France aussi peut avoir des héros attrayants. Les XII singes vont enfoncer le clou avec l’Hexagon universe (2014). Puis aller jusqu’à s’attaquer à un autre genre jusqu’ici exporté des US : les histoires de flics avec les Encagés (2019).

Ce mois-ci, un financement participatif parvient à séduire dans le créneau monopolisé par l’Appel de Chutlhu : le début du XXème siècle.

De Sombres Secrets

Le département des sombres projets (éditeur), récemment rallié à la bannière TITAM France, mène une ligne de production chaotique et passionnée, à l’instar des melnibonéens de Mournblade (jdr ancré dans les Jeunes Royaumes de Michaël Moorcock). La campagne participative de Les Héritiers a été annoncée sous forme testamentaire, puisqu’une de ses artisans, Isabelle Périer, est prématurément décédée avant d’avoir pu terminer ce projet. 
les héritiers jdrPrésenté comme un jeu maudit, en gestation, depuis deux décennies, la qualité de la proposition des Héritiers semble pour autant convaincre les rôlistes de participer, puisque le jeu est déjà financé à plus de 300%.
« Dans les replis de la société humaine se cachent les Faux-Semblants : des Fées classiques (telles que les elfes, ogres, korrigans, vampyrs) ou modernes (fées électricité, smogs, fleurs de métal). Vous incarnez l’une de ces créatures, cachant sous une apparence humaine son identité réelle. »

Dans la tradition des jeux de l’éditeur (Wasteland, Mournblade), le système propose au joueur de choisir le nombre de faces de son dé avant de tester ses compétences : selon le style du personnage et le côté dramatique de la situation, on peut opter pour la prudence ou le panache. La vidéo accrocheuse ou les paliers pdfs permettent à tous les publics de se projeter, et le contenu du jeu gonfle rapidement au rythme effréné des paliers débloqués.
L’avenir nous dira si ce nouveau jeu de TITAM France, reprise d’une première édition posthume qualifiée de mythique, arrivera à s’imposer sur les tables de jeu comme un Agone en son temps. Ecryme, autre pépite française axée sur l’ambiance moderne et les secrets qui avait cartonné en financement participatif, a une communauté très discrète (sinon détrompez-moi dans les commentaires). 

shadow run 6

Autre univers à secrets avec des créatures non-humaines à l’affiche : Shadowrun 6ème édition revient le 10 mars à 20h sur GameOn en précommande. Le jeu de cyber-fantasy, dans lequel on incarne des équipes mercenaires engagées par des corporations toutes puissantes, permet d’incarner des elfes, nains ou gobelinoïde tour à tour cyberpirate, mage, shaman, guerrier urbain ou encore maître des machines. Le monde de Shadowrun, largement décliné en romans, en jeux vidéo ou en jeux de société, peut sembler être un curieux mélange au départ, mais possède sa propre cohérence qui séduit une large communauté depuis 20 ans. Néanmoins, la traduction de cette édition un peu précipitée soulève chez les fans de nombreuses interrogations, notamment sur le système, puisque que Shadowrun Anarchy (sorti très récemment) proposait déjà une variante de règle – très épurée – à la 5ème édition. Les vieux croûtons comme moi, qui ont surtout joué à ce jeu avec la 2ème édition, y voient un appel du pied pour s’y remettre. 

En aparté…

Ce mois-ci se termine une campagne participative qui explose tous les plafonds : Aria. Celle-ci devrait se clôturer autour des 2000%, un score inattendu j’imagine, qu’on explique par son origine. Le jeu est tiré d’un Actual Play (partie de jeu de rôles diffusé en ligne) dans l’émission Game of Rôles, visiblement très populaire. Son concepteur, FibreTigre, a donc décliné son savoir-faire sur papier dans l’optique de l’initiation (avec par exemple des livres dont vous êtes le héros), mais certifie que le résultat pourra également passionner les vétérans rôlistes. Votre serviteur n’étant pas consommateur d’Actual Play, je me garderai bien d’avoir un avis sur cette campagne, mais comme elle s’est envolée vers les sommets, y participer vous récompensera de nombreux bonus certainement exclusifs au lancement Ulule.

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On se souvient de la campagne Aventures, également promu par un présentateur populaire sur la toile (Mahyar Shakeri) qui avait terminé dans les 1500%, mais qui, suite à un conflit auteur / éditeur, ne sera pas livré. L’attente était donc là, Aria l’a cueilli, reste à livrer maintenant un jeu à la hauteur du financement.

 

Frenchie Punk

Doxa arrive dans la place, et ouvre son marketing sur une distribution de préservatifs et un sponsoring par le site de rencontres Geekmemore…! Annoncé comme post-cyberpunk, certaines thématiques me semblent flirter avec le post-apocalyptique, d’autant que l’expérience de jeu est centrée autour de l’exploration et de la découverte. 11 régions qui présentent semble-t-il des corporations différentes seront chargées de nous occuper, et vous jouerez un délinquant qui va venir voler la technologie du savoir immédiat.
Avec un système narratif assumé, un jeu de cartes pour rendre les combats nerveux, et un penchant certain pour l’humour et le porte-nawak, Doxa s’inscrit dans les rares titres français provocateurs, aux côtés de One% et de Bimbo ou des vieux jeux de Croc, et se paie le luxe de le faire sans être racoleur non plus. Des noms connus (Dirty Biology par exemple) ont été invités à participer à la rédaction, et j’espère que ce mélange d’influences va fonctionner, car certains éléments de la présentation s’assemblent moyennement. Malgré tout, ici nous sommes dans un cas où il s’agit vraiment de porteurs de projet qui prennent leurs risques et pas une énième précommande déguisée d’un éditeur ronronnant, et rien que pour cela, j’ai envie de laisser NovaCorp progresser sur Ulule sans lui pointer tout de suite mon flingue sur la tempe, même si la présentation m’a laissé avec beaucoup de questions et de l’hésitation au bout du clic.

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Autres temps, autres punk, c’est dans l’ère Steampunk que les XII Singes nous emmènent avec Abstract Aventures Steampunk. Abstract Donjon était sélectionné aux Graal d’Or 2020 du FIJ de Cannes il y a peu, mais il était épuisé. Cette campagne participative se propose de le rééditer, mais plutôt que de faire un bête copier-coller, il lui donne un nouveau cadre de jeu.
Le système de jeu générique très minimaliste, qui travaille avec une réserve de dés à dépenser judicieusement, donne envie de lire les pdfs disponibles à la lecture et de se faire une idée précise sur ce qu’il vaut. La campagne Steampunk écrite par Frédéric Toutain, va vous offrir un voyage inoubliable dans le monde steampunk : Voyager en train, bateau ou dirigeable. Et rencontrer Jules Verne, Gustave Eiffel ou Edgar Rice Burroughs. La campagne n’étant pas très chère, et approvisionnée à chaque fois par des PDFs disponibles, donnez-vous une chance de tenir un jour ce système pas comme les autres entre les mains.

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Quand votre cœur fait plouf !

C’est un jeu d’aventures de plus dont je vais vous parler à présent, cher au cœur de nombreux bédéphiles qui suivent le travail d’Olvier Vatine depuis un moment. Toujours en flirt avec la tranche d’âge initiation, Aquablue prend le risque de faire un jeu de rôles autour de la licence et de garder un œil attendri sur les participants. En brassant les thématiques écologiques avant l’heure et l’exploitation de la planète par l’homme, la série BD a marqué une génération de lecteurs et s’est taillé une place de choix dans nos palpitants.
Alors, même si on ne peut pas acheter le PDF du jeu sans abattre des arbres, même si le système semble assez classique, même si la conception graphique de la campagne participative ne me semble pas à la hauteur d’un univers de BD, ce parfum de nostalgie d’une histoire culte rejouable à l’infini dans un jeu de rôles va surement vous faire de l’œil…

aquablue

Si les belles émotions ne sont pas votre dada, et que vous parlez la langue de Shakespeare, Midnight World est un Kickstarter comme on les aime, avec une prise de risque initiale, un public rapidement trouvé. Le jeu s’intéresse à jouer avec la santé mentale des personnages, qui vont être plongés au cœur d’une invasion de monstres dérangeants. L’univers proposé a l’air de s’adapter aux envies du MJ et les pistes qui seront proposées dans le setting de base pourront être modifiées.
« The Midnight World comprend un décor riche, une vue particulière de la Terre moderne qui languit dans le crépuscule perpétuel et qui abrite un bestiaire hargneux de choses diaboliques. Mais comme le jeu se déroule dans un multivers, cette réalité n’est qu’une des nombreuses variations vraiment infinies. Que vous souhaitiez raconter l’histoire d’anciens migrants fuyant les steppes eurasiennes ou que vous soyez plus intéressé par des récits d’horreur se déroulant à bord d’un croiseur stellaire générationnel en panne, le système est suffisamment souple pour vous permettre de créer une version du monde adaptée à vos goûts ». La boucle est bouclée. Comme je le disais plus haut, pendant que nous allons puiser dans notre héritage de la révolution industrielle, les américains jouent encore une fois avec un multivers. Mais cela peut être agréable, si c’est bien fait.

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Je laisse les amateurs anglophiles aller regarder Ptolus, l’univers proposé par Monte Cook et les autres nouveautés anglaises de ce mois, car la production hexagonale n’a ce mois-ci rien à lui envier !

Je vous souhaite de bonnes livraisons, de belles lectures, et vous donne rendez-vous vers le Printemps pour de prochaines campagnes participatives.

 

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