Les cités rivales : au fil de l’eau et du rasoir

Andreas Steding est un auteur allemand dont la liste des titres reste assez légère au niveau quantité, mais plus lourde au niveau qualité. Son jeu le plus connu reste Hansa Teutonica (2009) réédité en format Big box (comprenant, outre le jeu de base, l’extension Britannia, l’extension East et la mini extension goodie Emperor’s favour) en 2020. On peut aisément citer Firenze (2010) Gugong (2018) et dernièrement (2021) l’excellent et magnifique Stroganov, lui aussi proposé en Big box en 2024 (avec l’extension Turukhan). Tout cela pour dire que lorsque le nom de Mr Steding apparaît, on tend une oreille attentive et un œil avisé.

 

 

Quittons la Sibérie et l’Allemagne pour accoster au XVI siècle dans un petit village de pêcheurs du nom d’Altona qui, du fait de sa croissance, se retrouve vite en concurrence avec Hambourg, autre ville portuaire. Dans ce jeu pour deux joueurs, chacun va tenter de faire triompher sa cité. Il y a plusieurs façons de procéder au travers de quatre domaines de réussite, mais également en accumulant des jetons étoiles/points de victoire.

 

Crédit Photo : Henk Rolleman

 

 

 

Hambourg, ville hanséatique

Boite de taille moyenne, les éléments sont nombreux mais rentrent tous dans 4 rangements à glissière qui, avec le plateau, constituent l’ensemble du matériel. La mise en place est un peu longue puisque, répétons-le, nous allons agir dans quatre domaines bien spécifiques, chacun se partageant ressources, cartes et une zone du plateau. Quatre domaines, c’est donc quatre façons de gagner.

 

 

Les Navires : sur 21 cartes, on en tire 10 et on en propose 4 au marché. Un navire à un coût en ressources et va donner des bonus immédiats (avancer le curseur prestige…), permanent (l’achat des bateaux est réduit de 1/vous pouvez vous déplacer d’une case supplémentaire…), ou de fin de manche (revenu). Si vous possédez trois navires de plus que votre adversaire, c’est la victoire immédiate.

Les Alliances : ce sont 4 bâtiments (sur 8) qu’on peut acquérir ou voler à son rival et qui donnent des bonus (doubler la production /permettre de ne pas choisir entre deux actions sur une même carte…). À noter que les bâtiments demandent un coût d’entretien à chaque manche (1 ou 2 ressources/une lettre). Quatre alliances et c’est la victoire immédiate.

 

Les navires; leur prix et leur cargaison.

 

Le Prestige : il coupe en son milieu le plateau par une piste sous forme d’échelle de 8 cases x 2 qui va privilégier le tir à la corde entre les deux cités. Si le marqueur (pion cœur) arrive en bas et rallie une ville, c’est la victoire immédiate. Avancer sur cette piste permet aussi de récupérer des bonus en fin de manche.

Les Procès : c’est la partie la moins pratique du jeu de par ses trois pistes mobiles que l’on déplace en fin de manche suivant les résultats. Pour gagner un procès, il faut donner des ressources et ainsi faire progresser le marqueur (un cube) de son côté. On peut aussi jouer sur les deux autres procès qui attendent et anticiper. À la fin de la manche, le premier procès part à la poubelle (le cube est sur 0/1) ou, si les conditions sont remplies (le cube est sur la case 2/3), dans la réserve du gagnant. Les procès suivants glissent, le second devenant ainsi le procès en cours. Trois procès récupérés et c’est la victoire immédiate.

 

Un procès qui coûte cher (une lettre) mais rapporte beaucoup.

 

La victoire peut aussi se faire aux points si on a réussi à se freiner l’un l’autre et faire durer la partie assez longtemps pour qu’une des piles (navires, procès, jetons) soit épuisée. Ce sont alors les symboles étoile qui sont comptabilisés. Ces étoiles figurent sur les différentes cartes et peuvent être récupérées de plusieurs façons (gagner un procès sur la case 1 par exemple).

 

Altona – All to near

La mise en place n’est pas encore terminée, il faut déposer tout autour du plateau les cartes actions. Elles sont de deux types : normales (on fait l’effet) et spéciales (on les récupère pour les jouer quand on veut). Ce sont sur les cases qui leur correspondent que nous allons  arrêter notre pion encrier pour prendre la carte ou réaliser l’action. L’encrier fait le tour du plateau et revient à son point de départ. On avance d’autant de cases que l’on veut, si on peut payer (les deux premières cases sont gratuites). Un des points forts du jeu est la gestion de ce déplacement car s’il y a des ressources dont on a absolument besoin, il faut aller les chercher, avancer (et payer), mais surtout surveiller de ne pas laisser au voisin ce dont, lui, a besoin. Faut-il alors faire l’impasse sur une carte ? Lui laisser ce qu’il veut pour avoir ce que l’on veut ? Dilemmes cruciaux et permanents.

 

L’encrier positionné sur « prendre du cuir » ou « avancer sur un procès ».

 

Les actions sont légions mais beaucoup se recoupent : on peut récupérer des ressources, les échanger, avancer sur la piste des procès ou du prestige, acheter des navires, prendre une alliance, initier plus tôt que prévu un procès, récupérer des lettres (servant dans certaines conditions mais, surtout, pour pouvoir effectuer une prise de carte spéciale ET activer une carte normale ou échanger des ressources). Ajoutons les jetons Usines permettant de doubler la production et nous avons fait le tour de ce que recèle le jeu. Ou presque.

 

Bière, tissu, meuble et cuir. Non, pas de poisson.

 

À chaque fin de manche, à la Basse Saison, on passe en revue l’entretien des alliances, les bonus des navires, de la piste prestige, on résout le procès en enlevant et déplaçant les cartes, puis on remplace les cartes spéciales par des nouvelles. Jusqu’à une victoire immédiate d’un des deux camps ou une victoire aux points étoilés.

Altona et Hambourg

Pour la petite histoire, ces deux cités rivales se sont réunies en 1937, lorsque Altona est intégrée à Hambourg, mettant ainsi fin à cette bataille commerciale et juridique.

La mise en place donne le tournis mais est bien le reflet de ce tout ce qui va pouvoir se passer dans ce jeu, au cœur des multiples domaines dans lesquels on va pouvoir s’aventurer. Avec précaution car si le déplacement du curseur de la piste prestige indique clairement un tir à la corde, tout le jeu suit le même mouvement sous une forme déguisée. Ici on ne joue pas dans son coin, l’interaction est au cœur de l’action, à tous les niveaux. Le déroulement d’une manche est une gigantesque contre-attaque sur les désirs et prises de l’adversaire. Il se place sur les procès, à vous de ramener le cube dans votre camp ou au mieux à zéro. Il s’empare d’alliance, prenez des lettres pour les lui voler (si la case qui donne les lettres est encore en vue).

 

Crédit Photo : Henk Rolleman

 

Il faut être aux aguets, réagir, bloquer, anticiper, et doublement, quand on voit les cartes spéciales qui attendent sagement dans la réserve de votre rival. Rappelez-vous que la victoire des navires/procès ou alliances est immédiate. Votre concurrent possède un navire, il est grand temps d’aller au chantier naval. Il en possède deux, attention ! Bon, il ne possède pas les ressources demandées. Sauf qu’il a des jetons usines et une alliance qui double la production. Peut-être est-il déjà trop tard ?

 

La piste prestige

 

Dans ce jeu, tout est questionnement et cela commence avec le déplacement de l’encrier autour du plateau. Et si je me place là, je laisse la possibilité à l’autre d’avancer là. Alors, mieux vaut payer pour aller plus loin et dépasser la case qui intéresse l’adversaire… Le jeu est toujours sur le fil. On va prendre des risques en donnant à autrui afin de prendre ce qui nous intéresse. Tout en calculant ce qu’il peut faire et s’il a ce qu’il faut en stock pour investir. À partir du troisième tour d’encrier, l’erreur se paie chère.

La Basse saison, peu utile, au démarrage devient elle aussi pourvoyeuse de bonus. Une petite majorité de navires, un curseur bien placé sur la piste de prestige peuvent apporter de quoi compléter le stock et donner de quoi réfléchir à votre rival qui voit soudain que l’élément qui vous manquait est apparu. Tout comme les cartes spéciales, dont on va user pour bénéficier d’effets, ressources, au moment opportun et surprendre l’adversaire. Si certaines sont visibles, d’autres sont piochées et inconnues.

 

Gains en cours de partie : deux procès, un navire, une alliance.

 

Si la première partie se fait un peu en mode collection, la suivante, les suivantes sont plus lentes, au rythme des couinements car on hésite, on n’a pas ce qu’il faut, on ne peut pas freiner les desseins de son concurrent. Cités Rivales se transforme au gré des parties ou, du moins, transformons-nous notre façon de l’appréhender : on cherche des nouvelles ouvertures, on observe bien mieux ce que demandent les procès en amont ou l’ordre des cartes actions (on peut les disposer suivant leur numéro ou au hasard). Une vision globale de la mise de départ est importante. Le plateau est dense mais voilà un chaos orchestré. Si on peut reprocher quelque chose, ce sont les pistes procès, mouvantes, un faux mouvement et on ne sait plus où est le cube. Peu pratique.

Les cités rivales va partout, tire dans tous les sens. Il faut à la fois développer son plan d’action tout en freinant celui de la cité rivale et maintenir un équilibre, chacun essayant de le rompre en permanence, à son avantage. Cette ouverture de possibilités est également ce qui peut gêner, en ayant plus l’impression de jouer contre en permanence plutôt que d’avancer sur son propre terrain. Il faut trouver le juste milieu, la subtilité du jeu est là.

 


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1 Commentaire

  1. Fabrice il y a 14 jours
    Répondre

    Merci pour cette riche et complète revue du jeu.

    Précision : les alliances ne sont pas des bâtiments mais des villes avec lesquelles on crée des partenariats commerciaux.

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