La Guerre de l’Anneau – Chasse à l’Anneau

En novembre dernier, j’avais eu le plaisir de partager mes retours sur La Guerre de l’Anneau – le jeu de cartes de Ian Brody dans un Just Played. Par le dilemme presque constant qu’il crée chez les joueurs, l’aspect peu encombrant du matériel de jeu, ou encore les belles illustrations de John Howe, j’avais beaucoup apprécié découvrir ce card-driven. Comme beaucoup de passionné.e.s du milieu ludique, quand je découvre un jeu qui me plaît, cela me donne envie d’essayer des jeux d’une même collection ou d’un genre proche, s’il en existe.

C’est ainsi que les belles promesses thématiques de La Guerre de l’Anneau ont attiré mon attention et que j’ai fini par m’y intéresser et vouloir écrire un article à son sujet. Devenu un classique des jeux d’affrontement, La Guerre de l’Anneau a été créé par R. Di Meglio, M. Maggi et F. Nepitello et publié pour la première fois en 2004. Il a depuis connu une édition collector tirée à deux milles exemplaires et une réédition en 2011. En français, il est localisé par Nuts qui a également traduit des mini-extensions et l’extension Seigneurs de la Terre du Milieu.

Dans ce jeu d’affrontement pour deux à quatre joueurs, on incarne le camp des Peuples Libres et de l’Ombre. Les Peuples Libres cherchent à atteindre la Crevasse du Destin afin de détruire l’anneau, mais ils peuvent également remporter la partie en conquérant quelques places-fortes. L’Ombre tente de débusquer la Compagnie de l’Anneau au cours de son périple afin de corrompre le Porteur de l’Anneau. Mais elle doit aussi se concentrer sur la conquête militaire et étendre son contrôle sur la Terre du Milieu. Pour vous faire une idée plus claire du gameplay de La Guerre de l’Anneau, c’est par ici.

Le plateau central et quelques personnages emblématiques de La Guerre de l’Anneau. (Image de Nuts Publishing)

 

Bienvenue en Terre du Milieu

Le cœur mécanique de La Guerre de l’Anneau réside dans l’utilisation de dés permettant de réaliser des actions sur le plateau. Un dé équivaut donc à une action que l’on pourra effectuer à un ou à plusieurs endroits, en fonction de notre choix. Bien que les deux camps disposent de quelques moyens de limiter le hasard, le lancer de dés qu’on effectue au début du tour est le plus souvent déterminant. C’est tout particulièrement le cas pour les Peuples Libres : disposant de moins de dés, la Compagnie a besoin d’obtenir des résultats Personnage, pour se rapprocher de la Crevasse du Destin et Volonté de l’Ouest, pour séparer des compagnons.

Parmi les actions de ces dés à six faces, on trouvera des actions militaires de Mobilisation, pour le recrutement d’unités et la diplomatie auprès des nations qui ne sont pas encore en guerre, et d’Armée pour le déplacement et l’attaque des armées de chaque camp. Il existe également une face permettant de jouer des cartes Evénement qui, pour la plupart, permettent de réaliser des actions en bénéficiant de bonus qui les rendent plus puissantes. On peut jouer les cartes également avec les faces des dés qui correspondent à leur type (Personnage, Armée ou Mobilisation).

L’armée de l’Ombre se prépare à assiéger la Lorien. Gandalf et l’armée des Elfes parviendront-elles à s’opposer à son invasion ?

 

L’un des éléments qui font de La Guerre de l’Anneau un jeu captivant, est le double mécanisme de déplacement : alors que le déplacement des armées est connu des deux joueurs, le mouvement de la Communauté est caché aussi longtemps que Sauron ne réussit pas la Traque de l’Anneau en obligeant le joueur des Peuples Libres à révéler la position de Frodon et ses camarades. L’Ombre est donc confronté au dilemme consistant, d’une part, à vouloir assigner un nombre suffisant de dés pour que la Traque puisse réussir, et, d’autre part, à ne pas vouloir sacrifier trop de dés pour ses actions.

Enfin, les combats et les sièges sont résolus par des lancers de dés auxquels on peut appliquer des modificateurs. Les joueurs sont limités à cinq dés, chaque unité colorée en ajoutant un. Ils infligent un dégât sur un 5 ou 6 et les capitaines et les personnages permettent d’effectuer une ou plusieurs relances. Le défenseur a un bonus de défense sur les batailles au sein de certaines places-fortes et sur les sièges qui sont coûteux en actions comme en unités : ils durent seulement un tour à moins que l’attaquant réduise une unité d’élite pour les prolonger.

 

L’Ombre conquiert, les Peuples Libres gagnent du temps

Un coup d’œil rapide suffit pour se rendre compte que, tout comme dans le Seigneur des Anneaux de J. R. R. Tolkien, dans La Guerre de l’Anneau, la puissance militaire est déséquilibrée en faveur de l’Ombre. Non seulement, toutes ses Nations sont actives dès le début de la partie et proches d’entrer en guerre, mais il dispose également d’une présence militaire plus importante et de capacités de recrutement moins limitées. Contrairement à celles des Peuples Libres, les unités de l’Ombre défaites lors d’un combat ne sont en effet jamais retirées du jeu.

Une stratégie relativement courante pour l’Ombre consiste alors à se concentrer majoritairement sur l’aspect militaire, tout en consacrant au moins un dé pour la Traque de l’Anneau. Pour viser la victoire militaire, il est nécessaire que l’Ombre recrute ses unités petit à petit pour envahir les territoires des Nations des Peuples Libres au fur et à mesure de la partie, sans rendre vulnérables ses propres contrées ou ses personnages.

Au cours des parties où j’ai joué les Peuples Libres, en dehors de quelques opportunités rendues possibles par les maladresses d’un adversaire, il m’a semblé inutile de tenter de s’opposer militairement à l’Ombre, en l’attaquant frontalement, par exemple. En revanche, j’ai appris qu’il était nécessaire de se préparer le plus possible à ses attaques, afin de lui résister longtemps et de retarder son avancée inexorable.

Comme dans l’histoire de Tolkien, les Peuples Libres doivent d’abord déplacer la Communauté afin de persuader les Nations de la Terre du Milieu d’activer leurs armées et d’entrer en guerre. Dans un second temps, les Peuples Libres chercheront à recruter des unités des différentes nations et à envoyer des Compagnons pour organiser la résistance militaire, en laissant ainsi le temps à Frodon et à la Communauté d’arriver au Mordor pour détruire l’anneau.

Ralentie par des jets de dés peu favorables, la Communauté a décidé de tenter le tout pour le tout, et d’emprunter un autre chemin pour arriver au Mordor.

 

Pour l’Ombre d’abord, comme pour les Peuples plus tard dans la partie, le tempo de la stratégie est primordial. Si l’Ombre attaque trop tôt, elle risque d’activer des nations alors qu’elle n’est pas prête à aller au bout de ses attaques. Si les Peuples Libres négligent la diplomatie, ils risquent de se retrouver complètement trop peu préparés lorsque l’Ombre lancera les hostilités.

J’ai trouvé que cet aspect de la stratégie de La Guerre de l’Anneau n’est pas seulement là pour offrir des opportunités à saisir. Au contraire, l’épaisseur stratégique du jeu en est doublement accrue : d’un côté, car il faut déployer notre stratégie sur le temps long de la partie et l’adapter aux actions de l’adversaire ; de l’autre côté, car il est nécessaire de planifier nos coups, de façon à les réaliser au moment le plus approprié, sans s’exposer au risque que l’adversaire s’engouffre dans une brèche que nous aurions laissée ouverte, faute d’avoir pris les bonnes précautions.

 

Une aventure narrative

La tension stratégique de La Guerre de l’Anneau, et tout particulièrement, le fait que, entre joueurs d’un niveau proche, le résultat d’une partie ne puisse être anticipé avant les tout derniers tours, rend certes les parties longues, mais aussi intenses. D’une action à l’autre, on reste accroché à sa chaise en espérant que notre adversaire ne nous force à repenser notre stratégie de fond en comble. On essaye également de bluffer ou du moins de faire un peu de diversion pour semer le doute et éviter que l’autre faction déroule sa stratégie sans obstacles.

D’un point de vue thématique, cela se traduit par des parties épiques dont on a l’impression qu’elles pourraient faire l’objet d’un récit à part entière. Une fois la partie terminée, on a presque envie de se la raconter et de revenir, avec les autres joueurs, sur les moments les plus marquants de la partie – sur ses retournements de situation inattendus ou sur les événements qui nous ont semblé décisifs.

Lorsqu’on joue une carte pour son Evénement, on applique l’effet du haut. Au début de chaque tour de bataille, chaque faction peut jouer une carte pour son effet du bas.

 

Longs voire pénibles pour l’attaquant, les sièges avec leur durée limitée et le bonus pour le défenseur feront sans doute perdre patience à plus d’un joueur, surtout s’il est malchanceux aux dés. En contrepartie, réussir un siège procure un fort sentiment d’accomplissement : on a réalisé une conquête majeure de plus qui nous rapportera deux points, à la sueur de nos dés et de nos figurines. Dans la mesure où, pour la victoire militaire, il faut quatre points pour les Peuples Libres et dix pour l’Ombre, il suffit que des Peuples Libres un peu opportunistes parviennent à conquérir deux forteresses pour qu’ils remportent la partie.

Fortes par leurs effets, aussi bien en tant qu’événements que durant une bataille, les cartes soumettent les joueurs à des dilemmes dont la résolution n’est souvent pas évidente. Jouer une carte puissante pour ses effets militaires revient à renoncer à son événement mais peut aussi accroître significativement les chances de remporter une bataille. Pendant les batailles les plus déterminantes, on sera donc impatients de découvrir la carte jouée par notre adversaire. On se demandera si elle remet en cause la stratégie que nous avions préparée depuis plusieurs tours, ou si nous allons enfin arriver à prendre de surprise l’armée adverse.

Enfin, je ne peux pas ne pas mentionner les tuiles de traque que l’on pioche durant la partie et, à la fin, lorsque la Compagnie arrive au Mordor. Ces tuiles risquent en effet de précipiter dramatiquement le sort de la partie pour les Peuples Libres, en les empêchant d’avancer vers la Crevasse du Destin et en augmentant leurs points de corruption. Parfois, une partie peut se jouer à une tuile près, ce qui peut être frustrant si l’on n’aime pas le hasard. Mais cela produit aussi des sensations fortes.

Lorsque la Compagnie arrive au Mordor, on pioche une tuile de traque chaque fois qu’elle avance vers la Crevasse du Destin.

 

En bref, la narration épique que dégagent les parties de La Guerre de l’Anneau m’a semblé à la mesure des dilemmes stratégiques de ce jeu, les dés et les tuiles ajoutant la dose d’imprévisibilité nécessaire à surprendre même les plus stratèges parmi les joueurs.

 

Heureuse découverte

Il est clair que La Guerre de l’Anneau s’adresse à un public de joueurs qui ne rencontrent pas de difficultés à lire et à maîtriser des règles complexes. Il ne me semble pas nécessaire d’avoir beaucoup d’expérience avec les wargames traditionnels pour bien y jouer, mais plutôt d’être familier avec des mécanismes de contrôle de territoires et de conquête.

L’expérience de jeu que LGDA procure est forte d’un point de vue narratif : même si les parties sont longues – elles dépassent facilement les quatre heures surtout au début – la tension entre les deux factions a pour effet qu‘on ne décroche jamais de la partie. On ne s’ennuie pas et on est toujours en attente de connaître l’action de notre adversaire, de lancer les dés et de piocher la tuile de traque… bref, c’est un jeu qui met un suspense presque constant, surtout à partir du moment où les hostilités sont lancées.

Lorsqu’on déplace la Compagnie, l’Ombre fait un jet de dés. S’il est couronné de succès, on pioche une tuile de traque pour augmenter la corruption du Porteur de l’Anneau et/ou révéler sa position.

 

Il n’est cependant pas exempt de défauts, le défaut majeur de ce jeu étant à mon sens l’ergonomie du matériel de jeu. Il est certain que les Nations sont nombreuses, mais le choix de couleurs difficiles à distinguer sur le plateau et d’emblèmes très ressemblants rendent la mise en place pénible. Il en va de même pour les figurines qui, en plus d’être difficiles à distinguer, sont toutes de la même couleur – rouge, pour l’Ombre, bleu pour les Peuples Libres, gris pour les Capitaines et les Personnages. Trier les figurines au préalable est alors nécessaire pour accélérer la mise en place.

Sans être mal organisé, le livret des règles n’est pas non plus parmi les plus accessibles puisqu’on se retrouve à le feuilleter quelques fois durant la partie, et à chercher des informations d’un bout à l’autre. Mon impression est qu’il pourrait être structuré de façon à rendre la recherche d’informations plus facile et à diminuer le sens d’éparpillement.

Esthétiquement, beaucoup de composants du jeu sont tout simplement beaux – à commencer par le dos de certaines cartes, la couverture de la boîte ou encore certaines parties du plateau central. Ce qui fait un peu désordre, ce sont les figurines dont le plastique se déforme facilement et semble de mauvaise qualité, mais il faut préciser ici que je n’ai pas du tout d’expérience en peinture de figurines. D’un autre côté, ces figurines rendent la présence sur table de La Guerre de l’Anneau plus imposante.

 

Est-ce qu’une partie de La Guerre de l’Anneau vaut qu’on passe outre ces défauts ergonomiques et l’aspect un peu cheap de la plupart des figurines ? Oui, sans aucun doute. Une fois que la partie est lancée, la tension et la narration nous font pratiquement oublier tout cela, et on est heureux d’avoir pu ressortir cette perle ludique. Il est clair que, du fait de la durée des parties, je ne peux pas y jouer aussi fréquemment que je le voudrais. Mais chaque partie est mémorable.

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2 Commentaires

  1. saka-saka il y a 14 jours
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    Et merci à l’auteur de l’article de m’avoir fait découvrir cette merveille très récemment. Effectivement, une fois la partie terminée, on se remémore ses moments-clés, les bons et les moins bons choix qu’on a fait, les lancers de dés plus ou moins favorables, la carte qu’on a dégainé au bon moment pour prendre l’adversaire à contre-pied,… On écrit un scénario pendant la partie, et il reste ensuite longtemps en mémoire, je suppose.

    La seule chose que j’ai pu déplorer, c’est que l’issue d’une partie semble parfois ne se décider que sur un jet de dés : cela peut être frustrant pour un joueur comme moi, davantage porté sur l’eurogame, avec un enjeu fort de maitrise du hasard. Pour remédier à cette frustration, une seule solution, selon moi : ne pas se focaliser sur qui gagne ou qui perd la partie, mais se concentrer sur les péripéties vécues et le déroulement d’une partie, suffisamment longue pour qu’on puisse s’y immerger sans modération !

     

  2. ihmotep il y a 14 jours
    Répondre

    Un des meilleurs jeux adaptés d’une œuvre à mon gout. On y est, on revit la saga, avec une ambiance extraordinaire et une excellente profondeur stratégique. Et c’est encore mieux avec l’extension ^^. Mais que la mise en place est laborieuse. Elle aura fini par vaincre notre engouement pour ce jeu 🙁 (nous avions peint les socles des figurines pour nous y retrouver plus facilement)

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