Kamicha, les aventuriers du thé

Un peu de contexte…

Après avoir découvert Kamicha lors de l’écriture de mon article de janvier dernier, j’ai eu un coup de cœur, et une grande envie de le tester. J’en ai parlé à Mme Shan notre Rédactrice en chef, et quelques jours plus tard l’éditeur m’envoyait un chouette package : le livre, l’écran, des dés et des illustrations. Merci à eux !

contenu colis éditeur

Kamicha est un jeu de rôle de Loïc « Melti Imperia Lanista » Massin, Pauline « Dilhu » Panel et Laëticia « Jalee » Jalabert. C’est là leur premier Jdr publié mais ils avaient gagné la deuxième place au concours de prototypes de jdr du festival Troadé en 2019. Leur récente campagne de financement participatif a été un succès. Comme nous allons le voir, étant donné ce beau résultat sur ce premier jet, on ne peut qu’espérer qu’ils continuent de nous présentent d’autres propositions rôlistiques ! On peut dire qu’ils ont gagné une belle légitimithé 😉 

Découvrir Kamicha, son univers et son gameplay, sa simplicité et son potentiel, a été un vrai régal pour moi. Il m’aura fallu plusieurs jours pour lire entièrement le livre de 241 pages, et jamais je ne me suis ennuyée. Je souhaitais écrire cet article en deux parties : avant et après la première partie.

Prenez une tasse d’eau chaude, installez-vous confortablement, c’est parti ! 

Ressenti à la lecture du livre de règles

Le thé a réponse à tout

Kamicha est le nom de la déesse la plus vieille de la Myriade d’Esprits. Moquée par ses pairs, un jour ses larmes se sont transformées en petits arbustes. Elle fit infuser les feuilles, et le breuvage lui rendit sa jeunesse. Elle ferma ensuite les portes de son jardin pour cacher son trésor. Après cela, les humains se mirent à développer la culture du thé, et à en tirer des bénéfices, gustatifs, mais aussi à aiguiser leurs sens lors de la Cérémonie du thé.

Tout, dans l’univers de Kamicha, tourne autour du thé. Toutes les accroches de scénario proposées sont en rapport avec le thé, d’une manière ou d’une autre. Il y a même des histoires d’addiction, et une sorte de pègre locale fume le thé…

Le thé détient des vertus multiples, et la préparation de celui-ci suit un véritable rituel, très précis, élaboré avec un matériel particulier.

Mais le thé est aussi tout à fait présent dans la mécanique de Kamicha. Par exemple, la Cérémonie du thé apporte des bienfaits aux PJs en visant un sens en particulier, souvent pour l’exacerber, d’autres fois pour guérir ou prévenir de différents maux. Les points de Théine vont permettre de déclarer des actions héroïques qui dépassent les possibilités du commun des mortels !

Le thème du thé est donc bien omniprésent dans toute la description de l’univers, et imbriqué dans le gameplay. Le fait de se focaliser sur une thématique majeure aussi spécifique pourrait sembler restreignant, mais c’est la belle surprise de Kamicha : il y a tout simplement plein d’éléments d’aventure possibles autour du thé ! 

 

livre ouvert sur une illustration

 

Un univers concentré sur les 5 sens

Le second sujet prépondérant dans Kamicha, c’est l’expérience et l’exploration par les sens. Tout comme le thé, les cinq sens sont au cœur de l’univers et du gameplay.

Pour décrire l’univers, plutôt resserré, de Kamicha, on suit l’un des aventurier habitant la cité aux Mille Arômes à travers les différents quartiers de l’île du Dernier Soleil. Chacun est présenté selon l’un des 5 sens :

  • Le quartier bleu, ou le quartier qu’on hume, est celui par lequel on arrive lors d’une visite de la Cité. C’est le quartier des pêcheurs. On y sent l’odeur de l’iode et du poisson. On y respire la fraîcheur de l’air marin.

  • Le quartier blanc, ou le quartier que l’on effleure, est celui des façonniers. On y trouve donc les artisans qui travaillent les matières comme le métal, l’osier ou le bambou. La majorité des fabricants sont d’anciens aventuriers.

  • Le quartier vert, ou le quartier qu’on entend, est un lieu où le bruit est omniprésent. Etant donné sa situation, entre la ville et la forêt, il est le lieu d’arrivée du thé et le lieu de départ des aventuriers. Les résidents sont les commerçants, qui notamment peuvent vendre du matériel aux aventuriers. On n’y trouve aussi des restaurants et des kiosques.

  • Le quartier rouge, ou le quartier qu’on contemple, est un quartier escarpé. C’est le quartier riche, mais aussi le coin calme. On y trouve de beaux jardins des bâtisses sobres, des petits chemins, des autels aux esprits ainsi que des pavillons de thé de l’école du thé.

  • Le quartier noir, ou quartier qu’on savoure, est le quartier où le thé est dégusté. On y trouve donc de nombreuses boutiques et salons de thé, ainsi que des restaurants. Le thé est donc bien sûr à l’honneur mais aussi le poisson et le riz. C’est le lieu où des esthètes font des expériences pour obtenir le meilleur thé.

 

À chaque description de quartier un lieu ou un PNJ emblématique est représenté dans les encarts. Je pense que c’est cela qui donne le caractère vibrant à toute cette description des lieux. Il y a également des références à l’histoire de l’île, toujours appréciable pour mieux se figurer les choses.

Ce que j’ai beaucoup apprécié, c’est ce sentiment d’un monde vivant, qui a son histoire, mais aussi et surtout, tout un monde d’individus, avec des personnalités, des lieux charismatiques, des légendes locales, mais aussi des factions de la pègre, des esprits, des sectes… À la lecture, on se sent dans l’ambiance de chaque quartier à l’instar d’un livre de fiction bien écrit, c’est vraiment très plaisant.

Après la description de la cité aux Mille Arômes, le livre décrit l’autre partie de l’île, à savoir là où on trouvera plutôt les forêts. On est tout de suite averti des dangers qui y résident : aucune carte n’existe a priori, il est très facile de s’y perdre. On peut aussi tomber sur des animaux sauvages comme des sangliers, être surpris par un déluge de pluie, ou être attaqué…

Pour la description de la forêt, les zones sont définis par une couleur et par un sens, mais cette fois-ci dans un sens négatif, par exemple la forêt verte que l’on n’entend plus, ou la forêt rouge que l’on ne voit plus. Pour chaque zone de la forêt, la typographie des sentes est donnée, notamment s’il s’agit de chemins praticables (plus ou moins).

Ainsi, la description des différents lieux de cet univers est intéressante pour plusieurs raisons. Toujours facile à lire, et même agréable à lire, vivante, avec des personnalités marquantes, une histoire, des lieux emblématiques. Et il y a même des pistes pour d’éventuelles aventures. On retient facilement les tenants et aboutissants de l’île et tout cela semble assez simple à transmettre aux joueurs.

Les aventuriers du thé

Les personnages sont nommés des aventuriers, les joueurs des initiés, et le MJ le Maître de Cérémonie. Dans Kamicha, les valeurs d’honneur et de respect sont primordiales. Chaque aventurier arrive avec ses raisons personnelles, son arme et un service à thé dans son balluchon.

La création des personnages est assez originale : On va choisir l’importance de chacun des 5 sens pour commencer. Cela correspond plus ou moins aux caractéristiques traditionnelles. On va ensuite choisir les Voies que nous privilégions, parmi la Voie des courtisans, des sages, des guerriers, des travailleurs, des voyageurs, ou des parias. Chacune de ces Voies recèle des Arts. Par exemple, dans la Voie des sages on peut trouver l’Art de « connaître les mythes ». Dans la Voie des courtisans, « ne pas perdre la face », avec la Voie des voyageurs il s’agira de « reconnaître les herbes », etc. Je trouve le système intéressant, permettant de créer des personnages cohérents mais subtils, nuancés. Cela donne tout de suite une idée de son personnage d’une manière plutôt simple et direct.

 

feuille de personnage

 

La création se poursuit avec les goûts de l’aventurier, où celui-ci va choisir ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas – toujours par rapport aux cinq sens. Donc les couleurs, mais aussi les légendes et les contes, le climat du monde ou encore les mets. Le joueur dira s’il n’aime pas la couleur rouge, s’il apprécie les épopées, l’odeur de la pluie ou le thé noir, par exemple.

Cette création qui sort clairement de l’ordinaire, ressemble finalement au jeu de rôle dans son ensemble. C’est attirant mais aussi très intrigant. Cela change vraiment des autres jeux de rôle que j’ai pu pratiquer, apporte une touche de légèreté, et une intelligence qui donne envie de jouer.

Un gameplay original et cohérent

boite et dés spéciauxLes tests ici se résolvent avec des D12 ; de 1 à 3 selon la Voie privilégiée et des Arts que l’on possède. Lors de la création du personnage, on aura attribué à chaque sens des valeurs de 1 à 12. Par exemple, pour la vue, on pourrait avoir 2, 3, 4, 7, 9. Lorsque j’effectue un test, si j’utilise ma vue pour le réaliser, parce que cela concerne un détail visuel, je lance alors les dés et si j’obtiens une des valeurs associées à ma vue, j’obtiens une réussite.

Les règles décrivent ensuite les tests d’opposition et la fatigue (ce qui peut être très néfaste, comme amener à la perte d’un sens), mais aussi les affrontements. L’originalité à ce niveau se situe dans le préambule des combats. En effet, avant que celui-ci ne commence, tous les personnages cherchent à obtenir un avantage : par exemple en impressionnant un adversaire, ou en l’attaquant par surprise. Ces avantages apportent des bonus à l’initiative calculée juste après.

Viens ensuite tout ce qui concerne les Cérémonies du thé. On nous rappelle d’abord l’importance du thé, notamment dans les relations sociales. Le thé, c’est un état d’esprit ! Les aventuriers peuvent réaliser les quatre Cérémonies existantes : Sérénité, Pureté, Harmonie et Respect. Toutes les Cérémonies sont décrites précisément, avec le thé qui va bien à chaque fois, et ses bienfaits. 

Par exemple, pour la Cérémonie de la Sérénité, la plus commune, selon le parfum choisi, elle aura différents effets : le Jasmin va aiguiser les sens en allongeant leur portée, le Lotus endort la douleur, la Menthe rend les sens plus vifs, l’Osmanthus développe le potentiel et offre un bonus aux jets de dés, etc.

Le gameplay se clôture sur la partie équipement, malheureusement assez sommaire. Ici, j’aurais bien aimé trouver le matériel classique pour partir à l’aventure, mais aussi des objets du quotidien, plus d’armes, pourquoi pas de meilleurs nécessaires à thé qui boosteraient les Cérémonies du thé, par exemple.

Au final, la description du gameplay est assez simple mais efficace. Tout de même, la difficulté pour moi à ce moment est de bien saisir comment lier correctement les différents sens aux tests que les joueurs voudront effectuer, parce que ces 5 sens couvrent aussi d’autres compétences, comme la dextérité, les réflexes, la volonté, etc. Je verrai lors de la première partie, si cette difficulté est présente ou non. Je crains un peu aussi que le cadre ne soit finalement trop restreint pour pouvoir imaginer nos aventures.  

En tout cas, à ce stade, j’ai bien hâte de jouer ma première partie !

Retours après une session de jeu

Un breuvage rafraichissant 

Je craignais que le contexte ne soit trop précis, trop établi, pour pouvoir y inventer nos péripéties : Il n’en est rien. En effet, au cours de cette première partie j’ai pu trouver tout ce dont le MJ a besoin : un cadre fort, mais qui est suffisamment souple pour y trouver un certain espace de liberté.

J’ai pu notamment imaginé et créé des PNJs hauts en couleurs – une pensée particulière à Celui Qui A Été Père (sorte de mentor attendri par le groupe), et à Celui Qui Court Plus Vite Que Sa Tête (costaud qui parait pas malin, mais loyal, et copain avec les sangliers !). 

 

ecran de Kamicha

Je me suis bien amusée à les incarner ! Et mes joueurs ont aimé les rencontrer mais aussi voir leurs relations évoluer au fur et à mesure du scénario : Celui Qui Court Plus Vite Que Sa Tête n’est peut-être pas si bête et s’avère finalement très précieux dans sa naïveté dénuée de toute méchanceté. Celui Qui A Été Père a apporté des infos précieuses sur la cité et n’était jamais loin quand les aventuriers se retrouvaient en mauvaise posture.

J’ai créé d’autres PNJs, souvent à la volée, et le plus compliqué était de leur trouver un nom ! mais c’était un exercice très amusant, même si parfois j’oubliais quel nom j’avais donné au personnage la scène d’après … ^^

J’ai cependant suivi le livre concernant les PNJs du scénario, qui sont bien présentés, et qui ont été plutôt simples à cerner, de mon côté, en tant que MJ, et les interactions avec les joueurs ont été fluides.

Fluide, c’est aussi ce qu’on peut dire du gameplay : c’est simple, ça coule tout seul, et après deux ou trois cas à résoudre, le groupe avait intégré les mécanismes des tests et des tests en opposition. 

D’ailleurs dans mon intro au scénario, j’ai multiplié les petites scènes dans les différents quartiers, pour poser tout de suite une ambiance et des références, et j’y ai aussi intégré des tests simples : ne pas glisser à cause de la pluie, reconnaître que cette amulette est de la camelote, repérer que quelqu’un piste les personnages, suivre discrètement quelqu’un, etc. Je pense que ce sont ces premiers tests, pas forcément nécessaires au scénario, qui ont permis de prendre les choses main.

Je me suis permis quelques changements mineurs. Par exemple, au Foyer des Aventuriers, j’ai ajouté que les aventuriers peuvent aussi participer à la communauté en aidant au jardin, dans la cuisine ou en faisant le ménage, et c’est quelque chose qui a plu à mes joueurs, tout comme le fait que les plus vieux aventuriers racontent leurs exploits le soir autour de l’âtre, devant des aventuriers retombés en enfance le temps du conte…

J’avais trois joueurs à la table, avec qui j’avais déjà joué à d’autres jeux de rôles par le passé. Leur première parole, à la fin de la partie, a été « ça change ! » : l’un parlait du gameplay, une autre de l’univers. Je crois que ça a été, pour nous tous, une expérience rafraîchissant. Mieux : Nous avons tous envie et hâte de continuer l’aventure. 

Quelques regrets cependant. Tout d’abord, les combats. Ils ne sont pas évidents à gérer tel qu’ils sont présentés, on ne sait pas trop comment blesser les ennemis, par exemple. Et en tant que MJ je trouve qu’il manque quelque chose : peut-être une notion spatiale, où sont les différents protagonistes les uns par rapport aux autres ?

L’argent
: les notions le concernant sont peu nombreuses, le livre évoque les boisseaux, qui représentent en quelque sorte le niveau de richesse, mais si le PJ veut acheter du thé, du matériel ? C’est un peu flou. Du coup on s’est dit qu’un boisseau équivalait à 50 taels. C’était peut-être un peu approximatif, mais plus pratique.
L’équipement : il n’y en a que très peu comme je le mentionnais ci-dessus, c’est un peu dommage ! 

lot d'illustrations


Un nuage de lait dans votre eau chaude ? 

Je suis tout à fait convaincue du potentiel de ce jdr. Il est simple, original, et sans fioritures. Cela a été un plaisir de le découvrir via la lecture du livre de règles, et le plaisir a été tout aussi présent lors de cette première partie. 

Il faut quand même une sacrée audace pour proposer ce mélange d’univers et de gameplay qui est si loin de nos habitudes ! Et ça fait un bien fou. Je le recommande donc chaudement à tous ceux qui veulent goûter un mélange savoureux sortant des sentiers battus.

Evidemment, le thème est particulier, et ne sera peut-être pas votre tasse de thé… Mais si vous êtes intrigué·e·s, n’hésitez pas ! Vous aussi, découvrez les trésors d’ingéniosité de Kamicha ! 🙂

 

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