Interview – PlayPunk à son Zenith ?

À l’approche de la sortie très attendue de Zenith*, leur deuxième jeu en tant qu’éditeurs, nous avons eu l’opportunité d’échanger avec Antoine Bauza & Thomas Provoost, les co-fondateurs de Playpunk. L’occasion de revenir sur le développement de ce titre du duo Gregory Grard & Mathieu Roussel, opus qui suscite déjà beaucoup d’intérêt (news, reportage). Dans cet entretien, plongez au cœur du travail de cette jeune maison d’édition fondée par des vétérans de l’industrie et déjà mise en lumière par une sélection au Spiel des Jahres et à l’As d’Or avec Captain Flip

*Initialement prévue au 14/02/25, la sortie du jeu est décalée au 14 mars suite à un retard de production.

L’arrivée de Zenith chez Playpunk

Shan : L’arrivée de Zenith dans votre ligne éditoriale représente un certain saut si l’on considère Captain Flip, déjà paru. Pouvez-vous nous parler de ce choix ? 

Antoine Bauza : Nous avons une ligne éditoriale très rudimentaire. Nous ne ferons pas de jeux pour enfants ni de jeux hardcore gamers, principalement parce que notre expertise ne s’étend pas jusque à ces publics. Captain Flip et Zenith se trouvent tous les deux dans notre intervalle (famille pour le premier, initiés pour le deuxième). Ils sont certes bien différents l’un de l’autre mais ils répondent parfaitement à la plupart de nos critères : corpus de règles simples, grande rejouabilité et vecteur d’émotions.

Shan : Comment l’envie de signer Zenith est-elle née ? Vous recherchiez un jeu dans ce style ?

A. B. : Nous ne recherchons pas de style précis, nous recherchons des jeux qui nous plaisent, qui nous bousculent, qui nous excitent. Des jeux auxquels nous voulons jouer et rejouer, encore et encore. 

Thomas a rencontré Grégory Grard en rendez-vous lors du FIJ Cannes 2023 et ce dernier a sorti Zenith (qui s’appelait alors Archonte) de son sac. Thomas est reparti avec et il a joué plusieurs parties sans que j’ai l’occasion de l’essayer, distance oblige. Quand j’ai pu finalement me fabriquer un prototype, j’ai été emballé dès ma première partie. Thomas fut soulagé d’apprendre que j’étais séduit car, dans sa tête, il avait déjà signé… et il aurait été vraiment déçu que je ne partage son enthousiasme pour le projet.


Shan : Comment était le proto quand vous l’avez signé ? 

Thomas Provoost : Les grands principes du jeu étaient en place, tout comme la thématique et le matériel principal. Les 80 cartes qui sont au cœur du jeu (et qui sont passées à 90 en cours de développement) ont presque toutes été modifiées par contre, session de développement après session de développement. Chaque aspect du jeu a été évalué, remis en question, poussé dans ses retranchements pour obtenir le résultat final.

Développement & équilibrage 

Shan : Qui fait quoi dans l’équipe PlayPunk ? 

A. B. : Alors, en termes d’organisation, c’est assez flou. On gère au jour le jour l’ensemble des tâches courantes (administratif, relation avec les distributeurs, les auteurs, les illustrateurs). Un système qui a ses limites bien sûr mais tant que nous sommes petits, nous pouvons nous le permettre. On verra comment les choses évoluent.

Le cœur de notre travail, c’est le développement. Faire tourner les prototypes, challenger les auteurs. Forcément, nous sommes tous les deux à 100% sur cette tâche. C’est, sans surprise, notre part préférée du travail d’édition.

T. P. : En parallèle, Gabriel (Durnerin) gère tout ce qui concerne la production, la logistique et l’évènementiel. Nous avons également deux indépendants qui nous prêtent main forte : Alexis Vanmeerbeeck s’occupe du graphisme, des fichiers pour les usines et Dorine Métral-Charvet de la communication, de la presse, des réseaux sociaux.


Shan : Une fois que vous avez engagé le travail de développement, quels furent les grands défis du jeu ? Comment les avez-vous surmontés ? 

A. B. : Le premier chantier du prototype, ce fut de définir nos 3 actions principales pour qu’elles soient le plus simple et le plus clair possible. L’action Recruter un Agent et l’action Développer une Technologie n’ont pas posé de problème mais la troisième, l’action de Diplomatie, a connu bon nombre de versions avant de trouver sa stabilité.

T. P. : Le passage de 3 à 6 tableaux de Technologie a également été un beau défi. Proposer 6 tableaux qui soient à la fois différents et équilibrés entre eux a demandé beaucoup d’expérimentations.

A. B. : Et puis, évidemment, nos 90 cartes. Une multitude d’effets mais en évitant ceux trop tordus. Pas simple. Sachant que dès qu’on touche à un bouton, il faut vérifier les répercussions sur l’ensemble du design. Et sur le tableau de bord de Zenith, il y a pas mal de boutons ! Les parties et les statistiques issus de BGA nous ont bien aidé à fignoler.

Shan : Pouvez-vous nous parler plus spécifiquement du développement du mode équipe ?

T. P. : Les auteurs disposaient d’un mode par équipe, 2 VS 2, dans leur prototype initial. Ils étaient d’accord avec nous pour dire que ce mode n’était pas assez bien. La situation s’est débloquée quand nous leur avons proposé la contrainte de pose (chacun des coéquipiers ne peut poser des cartes Agent que sur les 3 planètes situées de son côté du plateau). Puis, avec cette règle comme base solide, il a fallu expérimenter plusieurs pistes (chacun ses ressources ou des ressources communes, tours de jeu alternés ou équipe après équipe, fonctionnement l’action Diplomatie pour qu’elle est un effet d’équipe). 

A. B. : Il est intéressant de noter que lors des démonstrations du jeu, nous envisagions initialement de faire jouer uniquement des parties en 1 VS 1. Mais l’ambiance générée par les parties 2 VS 2 et les retours nous ont rapidement fait changer d’avis. A nouveau, ça a pris beaucoup de temps et de travail mais nous disposons d’un jeu qui fonctionne très très bien dans ses deux modes.


Shan : Comment l’équilibrage s’est-il déroulé ? Comment avez-vous utilisé BGA dans ce contexte ? 

A. B. : À grands renforts de parties, des dizaines et des dizaines. L’avantage d’un jeu 2 joueurs, c’est qui est facile de multiplier les parties. Nous avons utilisé TableTop Simulator au début du développement, bien vite remplacé par des sessions de travail intensif en présentiel : 2 auteurs, 2 éditeurs, 1 appartement de locatif, 3 jours à jouer, modifier le prototype. 

T. P. : Pour les derniers micro-réglages, nous avons fouetté, avec tendresse, notre développeur BGA, Fabien Riffaud, pour pouvoir utiliser la version numérique, multiplier les parties et extraire des statistiques comme la fréquence d’utilisation des cartes et le pourcentage respectif de chacun des trois types de victoire.

Dilemmes éditoriaux 

Shan : Sur quels axes majeurs le travail éditorial est-il ensuite mené (les races…) ? 

T. P. : Les espèces initiales étaient : les humains, les cyborgs et les aliens. Les Cyborgs sont devenus les Robots pour être plus en phase avec la direction artistique choisie. Les Aliens sont devenus des animaux anthropomorphiques, qui ont pris le nom d’Animod.

 

Shan : Quid du choix entre iconographie versus texte ? 

A. B. : À nouveau, c’est les tests auprès du public qui ont guidé notre choix. Le prototype initial était à base de texte. A partir du moment où les cartes sont devenues stables au niveau de leurs effets, nous avons fait coexister deux versions du prototype : une à base de texte, une à base d’iconographie. L’iconographie présente un fort avantage en terme de production (pas de traduction à gérer et donc pas d’erreurs de traduction, de fichiers). Et puis, passé la partie d’apprentissage, les parties sont plus fluides car la lecture des cartes devient plus immédiate. Alors, c’est vrai que la partie d’apprentissage est un peu plus exigeante mais une aide de jeu détaillée vient épauler les joueureuses. 


Shan : Côté illustration, le choix de la direction artistique peut surprendre par son décalage avec la typologie du jeu. Pouvez-vous nous en parler ? 

T. P. : Quand nous avons pris la décision de conserver le thème SF, nous avons également décidé de veiller à traiter le thème de façon originale et d’éviter à tout prix d’avoir “des vaisseaux gris sur des fonds étoilés noirs” ! Nous voulions quelque chose de coloré, de rond. Nous avons fait jouer Naïade qui a été emballé par le jeu et par le thème (il n’avait alors jamais illustré de jeu à thème SF). Je crois qu’il nous en veut encore de lui avoir fait dessiner 90 personnages différents… Nous le laissons se reposer avant de lui parler d’extensions !


Shan : Comment cet univers est-il né ? 

A. B. : Le thème de la science-fiction dans notre système solaire était celui des auteurs. Comme nous savons que la science-fiction est une thématique qui a parfois du mal à fédérer les publics, nous avons expérimenté d’autres thèmes (moyen-âge européen, antiquité égyptienne) pour finalement revenir au thème initial qui fonctionnait mieux en accord avec les mécaniques de jeu. Et puis, toute l’équipe aime la science-fiction alors pourquoi la renier au final ! Nous avons la conviction que si le jeu est bon, c’est l’occasion de populariser un thème qui nous est cher.

Production et marketing

Shan : Pouvez-vous nous parler des choix faits au regard de la production du jeu ?

T. P. : La principale réflexion a concerné les jetons (Planètes, Zenithium, marqueurs Technologie). Nous avons fait le choix de produire ces éléments en REWOOD, un agglomérat de bois recyclé et de colle écologique. La texture et les couleurs de ce composé nous plaisaient bien. C’est un choix qui a représenté un coût financier important (les moules sont très chers à produire) mais nous voulions éviter le plastique. 

Le reste du jeu est produit chez Fabryka Kart (Pologne) qui est déjà en charge de la fabrication de Captain Flip.


Shan : Quelles sont les différences entre pousser un jeu « famille » et un jeu plus gamer ?

A. B. : Le jeu initié a cet avantage qu’il adresse à un public “actif” (entendez par là qu’il est présent en festival, sur les sites internet, sur les réseaux sociaux, sur twitch, sur BGA, etc). De fait, la propagation est beaucoup plus facile que pour un jeu familial. Les joueur·euses parlent des jeux qu’ils et qu’elles aiment. C’est un schéma idéal pour faire connaître son jeu, surtout quand on est une petite structure avec peu de moyens en termes de communication. 

Pour un jeu familial comme Captain Flip, la présence et les démonstrations en salon sont cruciales car il faut atteindre le public cible, amener le public à la table. Le contact est moins direct, la diffusion plus lente. Pour les jeux familiaux, les prix ont par ailleurs plus d’impact à mon avis. Et le rôle des boutiquiers également.

Shan : Qu’est-ce que PlayPunk nous réserve pour la suite ?

T. P. : À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous sommes toujours à la recherche d’un troisième jeu. Les propositions arrivent en masse dans notre boîte mail mais nous sommes très difficile, il faut bien l’admettre. Notre volonté est de publier très peu de jeux, seulement quelques élus auxquels nous croyons dur comme fer.

D’ici à ce que nous trouvions, nous ne sommes pas désœuvrés pour autant. Nous travaillons sur une extension pour Captain Flip et nous avons déjà des pistes de réflexion pour Zenith…

 

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1 Commentaire

  1. Doc.Fusion 12/02/2025
    Répondre

    Merci pour cette interview passionnante.

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