Hybris Disordered Cosmos : Le projet de la démesure

Kickstarter a souvent été l’Eldorado des projets un peu fous, et si aujourd’hui la plateforme est souvent utilisée comme un système de précommande, il arrive parfois que des projets sortent réellement du lot. C’est le cas d’Hybris: Disordered Cosmos de Damien Chauveau, directeur créatif et développeur chez Aurora Game Studio. Hybris a été lancé en 2020 sur KS et devrait être livré en juillet de cette année.

Nous avons là une énorme boîte qui déborde de matériel. Un univers fort, des figurines… un jeu que n’aurait pas renié un éditeur comme Mindclash Games. Au départ, j’avoue que je ne savais pas trop dans quoi je m’engageais, j’avais lu les règles, le projet m’intéressait, mais ce qui a fini par me convaincre, c’est l’attention et l’animation de la campagne KS. On sentait une équipe qui croyait en son projet. Cerise sur le gâteau, le jeu est d’origine française, et les pages du Kickstarter sont dans les deux langues, ce qui est toujours vraiment appréciable. Un projet de cette envergure, ça donne envie de le soutenir.

Le jeu a été financé et l’équipe travaille d’arrache-pied pour livrer le produit auquel elle croit. La situation sanitaire a rebattu un peu les cartes et puisqu’il n’était plus possible de tester le jeu en salon, l’éditeur, à l’origine professionnellement issu du jeu vidéo, a élaboré une version scriptée du jeu sur Tabletop Simulator, afin de pouvoir le proposer en tests privés (ils organisent régulièrement des sessions). C’est dans ce cadre-là que j’ai pu essayer le jeu. Disclaimer : les illustrations pour la plupart proviennent de ce mod.

 

 

Le sommet de l’Olympe

Hybris s’installe dans la mythologie grecque. Nous y retrouvons les lieux emblématiques, les héros bien connus, les dieux puissants comme Zeus, Poséidon, Athéna, Hadès… mais dans un univers fantasmé futuriste limite proche du steampunk. Le prétexte du jeu étant de devenir le dieu le plus grand, nous sommes dans un jeu à points de victoire.

Pour autant, le thème n’est absolument pas plaqué, l’auteur et son équipe ont travaillé pour que tout reste cohérent. On y parle de primordiaux capturés dans les enfers qui fournissent l’aegis : l’énergie du jeu. Chaque dieu possède son lore, son univers, d’ailleurs ultra détaillé dans les pages du Kickstarter. Par exemple, Hermès, le dieu messager, grâce à sa fougue et ses ailes, peut prendre de vitesse les autres joueurs et jouer en premier pendant sa phase action en utilisant son jeton “arrogance”.

 

 

Tout, dans le jeu, sert la thématique, et peut se justifier, ce qui est plutôt agréable. L’inconvénient, c’est que l’on va avoir une foultitude de mécaniques et de petites règles qu’il va falloir appréhender. Hybris est le genre de jeu qui se savoure après plusieurs parties, un peu comme un Trickerion.

 

De quoi parle-t-on ?

Hybris est ce que l’on appelle un Eurotrash : on retrouve l’aspect gestion et le hasard maîtrisé d’un Eurogame, mais avec un thème puissant et de l’interaction comme dans un Ameritrash. Question mécanique, l’auteur n’a pas fait dans l’épure, on retrouve de la construction de technologies, de la programmation, et même du combat. Un bon gros jeu bien exigeant avec ces 30 pages de règles. Et pour compléter le tableau, chaque dieu que l’on va pouvoir incarner possède ses particularités. J’allais oublier le petit livret qui détaille chaque tuile technologie (avec ses axes stratégiques) que l’on va pouvoir construire et les pouvoirs des dieux.

Hybris est un jeu pour 1 à 4 joueurs, comptez 45 minutes par joueur. La partie peut se terminer de deux façons, soit au terme des 6 tours de jeu, et dans ce cas là on passera au décompte des points, soit si un joueur débloque la totalité de son plateau joueur.

 

 

Un tour de jeu messieurs dames ?

En premier lieu, les joueurs vont choisir un des 6 piliers divins (photo ci-dessous). Le joueur actif bénéficiera d’un effet et les autres joueurs d’un effet moindre. Mais ce n’est pas tout, car c’est aussi ce qui régit l’ordre du tour. Évidemment, plus vous jouez tôt dans le tour et moins l’effet sera puissant, et à l’inverse, plus vous jouez tard et plus le pouvoir va faire mal. On retrouve ce système bien connu dans Twilight Imperium par exemple.

Nous enchainons avec une phase de programmation : en simultané, nous plaçons secrètement sous nos figurines prophète ou héros des jetons qui indiquent dans quel lieu ils vont se rendre. Notre dieu quant à lui peut se rendre où bon lui semble et n’a pas besoin d’être assigné à un lieu.

La phase suivante est une phase d’actions : on va pouvoir envoyer, dans l’ordre du tour, nos pions dans les lieux et y réaliser les actions. Jusqu’ici c’est plutôt simple, non ? (Je vous épargne la traditionnelle phase d’entretien.)

 

Sur le terrain

Nos héros vont donc être envoyés sur le plateau de jeu ou plutôt devrais-je dire, les plateaux, car d’autres plateaux se juxtaposent au plateau central. Celui-ci représente le monde des mortels. Mais tout autour, nous aurons, l’Oracle où l’on pourra prendre connaissance des prochains primordiaux et des effets négatifs que l’on pourrait subir, la Forge d’Héphaïstos pour y construire nos technologies, avec un système intéressant de tuiles qui poussent les précédentes. Les Moires servent à réaliser des quêtes toutes liées à la mythologie grecque bien sûr, comme ramener la toison d’or, terrasser l’hydre de Lerne, les enfers pour récupérer de l’Aegis, ou ressusciter un de nos héros (oui ils peuvent passer de vie à trépas), ou encore le Colisée où l’on va s’entraîner (c’est-à-dire récupérer des cartes de combat) ou combattre un héros (une façon d’engager un héros supplémentaire qui viendra avec son pouvoir). Les lieux sont limités en termes de place, bref de la pose d’ouvriers classique.

 

 

Le plateau central représente le monde mortel. Nous sommes des dieux et nous y rendre déclenche de la dévotion à notre égard. On générera donc des jetons Prières. Ensuite, selon le lieu, on pourra y gagner des fidèles ou d’autres bonus, comme des points de victoire. On peut aussi déployer une de nos technologies, si bien entendu on a préalablement réalisé une tuile technologie.

 

Interactif ?

On parlait d’Eurotrash car l’interaction est présente dans toutes les strates du jeu. Précédemment j’évoquais le déploiement d’une technologie, sachez que celle-ci peut être contestée par un autre joueur, ce qui peut déclencher un combat avec un autre dieu. Par conséquent, on aura envie de différer ses actions ou jouer en dernier parfois – à moins d’avoir bien préparé l’affrontement.

Pour contester il faudra le faire avec un héros assigné, ou avec le dieu. Les prophètes ne combattent pas, d’ailleurs en cas de rixe ils fuient sans demander leur reste (mais du coup ne réalisent pas l’action). Si un joueur peut combattre il ne s’en privera pas. C’est vraiment intéressant puisqu’il gagnera un bonus sur trois possibles dont les deux présents sur la tuile technologie.

 

 

L’issue du combat reste incertaine. Elle est liée à son deck de cartes combat. Sans rentrer dans les détails, selon notre évolution dans la partie, on pourra jouer plus ou moins de cartes. Celles-ci indiquent plusieurs choses, d’abord une force de combat, mais aussi d’éventuels bonus, comme par exemple piocher une carte supplémentaire. Et parfois des bonus de liaison, comme vous le voyez dans l’image ci-dessus.

 

 

Une véritable guerre des nerfs se joue ici. Chaque joueur va pouvoir jouer une carte et décider secrètement s’il continue ou non la prochaine ronde. Néanmoins l’issue peut être fâcheuse puisqu’un héros peut être envoyé aux enfers.
Mais ce n’est pas tout, l’interaction ne réside pas uniquement dans la confrontation. En construisant sa tuile technologie on peut éventuellement marquer des points si celle-ci est reliée à celle d’un autre joueur, cela profitera aussi à ce joueur par ailleurs.

 

Dans l’atelier d’Héphaïstos, les tuiles technologies glissent dans la chaine de production en poussant les précédentes vers la sortie plus rapidement, ce qui arrangera bien les adversaires concernés puisque cela accélère leur propre production. 

Les jetons Prières que l’on va gagner sont pris dans le puits des prières, autant dire que s’il n’y en a plus, c’est tout de suite moins intéressant. Ce sont les joueurs qui par leurs actions vont remplir et vider ce puits. Si celui-ci dépasse un seuil, cela peut avoir des conséquences fâcheuses pour les joueurs. Et cela n’est qu’un éventail des possibilités.

 

L’aspect Eurogame est accentué par les améliorations de nos dieux. Rappelons que toutes les réaliser met fin à la partie et vous l’emportez dans une victoire à la Pyrrhus. 

Mais ces évolutions sont aussi réalisées pour profiter des effets et chaque dieu a ses bonus, ses effets immédiats. C’est l’aspect qui m’intéresse le plus ici, car on peut vraiment construire son plan de jeu. Chaque personnage ayant ses forces et faiblesses, ses nouveaux héros qui le rejoignent, etc.

 

 

En termes de stratégie, Hybris me semble riche, on peut réaliser des quêtes dans le lieu des Moires et gagner les bonus, on peut réaliser des cartes prémonitions pour là encore engranger des bénéfices, sans oublier les tuiles technologies qui nous offrent des bonus passifs, et certaines qui offrent aussi des bonus quand un joueur réalise une action. À mon sens, la clé de la victoire réside aussi dans la compréhension de son dieu et de ses pouvoirs. Aller recruter de nouveaux héros est aussi synonyme de plus d’actions.

Avec Hybris on se retrouve avec un gros jeu très exigeant. La première partie peut être du genre sacrifiée, car on n’intègre pas tout du premier coup, il faut donc être prêt à y investir du temps. C’est un Eurogame (ou Eurotrash) mais on a un univers très fouillé, tout est cohérent avec la mécanique. Ce qui est un avantage est aussi un inconvénient, cela explique l’épaisseur du jeu. Il est indiqué 30 minutes par joueur sur la boite, en réalité on est plus proche des 45 min (sur Tabletop Simulator une partie peut facilement durer 4 heures, mais c’est probablement lié aux contraintes du logiciel). 

 

Un projet Kickstarter

Comme mentionné en introduction, l’éditeur a construit un véritable univers qu’il continue d’enrichir à chaque nouvelle actualité sur la page Kickstarter où il explique aussi ses choix de game design. 

 

 

Aurora Game Studio a porté un soin tout particulier à son jeu, les figurines sont sculptées par Thomas David (déjà vu à l’œuvre sur Kingdom Death Monster) et Edgar Skomorowski ainsi que Edgar Ramos. Le travail d’illustration a nécessité le concours de quatre personnes : Tatiana Barbesolle, Grégoire Lebrun, Oscar Casel et Cédric Roux. Tous les visuels sont différents et pour vous figurer la chose imaginez que nous avons des cartes quêtes, des cartes héros, des cartes prémonitions… Les plateaux des dieux ont chacun leurs design, non seulement dans les illustrations mais dans la découpe, rendant chacun d’eux unique. Celui d’Hermès présente un aspect cotonneux éthéré avec son héros qui flotte dans l’air, celui d’Artémis (ci-dessus) est plus dans une ambiance nature et tout en arrondi, celui de Arès est plus rugueux, plus tranchant, etc.

 

À la demande des backers, les plateaux ont été réduits de 10 %, ce qui permettra d’y jouer sur nos modestes tables. L’éditeur travaille aussi sur un rangement Gametrayz pour faciliter l’installation et le rangement. Ce que j’appelle soigner son produit.

Si comme moi vous avez soutenu le jeu, vous avez une extension supplémentaire qui comprend le mode solo et le mode coopératif où les joueurs doivent combattre Chronos et un héros bonus. Vous pouvez aussi ajouter le plateau Tartare qui propose une nouvelle mécanique avec de la corruption.

Si cela ne suffisait pas, vous pouvez prendre le All In avec deux extensions supplémentaires : Love and Hate, avec le dieu de la guerre Arès et Aphrodite la déesse de la beauté. Cataclysme propose de jouer avec Artémis la chasseresse et une nouvelle mécanique avec le plateau Cataclysme qui offre un mode semi-coopératif. Là, les joueurs peuvent tous perdre s’ils ne contiennent pas les assauts de chaos qui va détruire les zones du plateau central une à une…

 

 

Alors… on pledge ?

Je ne peux pas répondre à votre place ! Néanmoins je pense qu’il faut être prêt à y consacrer plusieurs parties, joueurs kleenex s’abstenir. De par ses mécaniques, mais aussi sa complexité, son univers, il m’évoque beaucoup Trickerion qui lui aussi demande plusieurs sessions avant de devenir bien fluide.
Pour ma part, vous vous en doutez, j’ai craqué et j’hésite encore sur le All In, chose que je ne fais jamais en général, car j’ai constaté que l’on jouait assez peu avec le matériel supplémentaire (qui parfois a été réalisé pour faire plaisir aux backers donc avec moins de travail d’équilibrage).

Néanmoins, pour le cas d’Hybris… je l’envisage sérieusement. Pour moi, on est dans un projet peu commun à la limite de l’œuvre d’art et il mérite cette folie pour profiter de cette démesure.

Quoiqu’il en soit, si vous souhaitez l’essayer, vous pouvez encore le faire avant la fin du pledge manager, fin avril. Finalement le meilleur moyen de se faire une idée d’un jeu ! Le jeu sortira en boutique grâce à l’éditeur Intrafin.

 

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10 Commentaires

  1. TheGoodTheBadAndTheMeeple 09/03/2021
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    Pourquoi ne pas rendre le mod public sur TTS ? ca nous permettrait d’y jouer pour de vrai …

    C’est le cas de beaucoup de KS aujourd’hui, et c’est la seule facon qui me pousse a pledger perso. Celui-ci n’en fera certainement pas partie. Pour moi investir dans un gros jeu, c’est savoir a quoi s’attendre en y jouant, ni plus, ni moins.

  2. atom 09/03/2021
    Répondre

    L’éditeur a surtout utilisé TTS comme un outil de travail. Ils s’en sont servis pour tester le jeu entre eux (situation sanitaire oblige), mais aussi avec des joueurs. Ils réfléchissent à l’idée de le sortir en version publique, mais ça sera plus tard pour remercier les backers. Si tu veux tester le jeu tu peux leur demander il suffit d’aller sur discord.

    • TheGoodTheBadAndTheMeeple 09/03/2021
      Répondre

      Il y a tellement de jeux qui sortent que a mes yeux, l’effort est de leur cote pour le faire jouer encore et encore.

      La liste est longue comme le bras des jeux interessants a jouer.

      2 exemples me viennent en tete de jeux qui ont reussi cette transformation : Endless Winter et Darwin’s Journey. Tous les 2 avec un mod disponible, a jour et une promotion beton.

  3. Thibaut 09/03/2021
    Répondre

    Super article. J’ajoute que le jeu peut encore être backé dans le late pledge sur Gamefound.

    Sinon, il sortira aussi en boutique chez Intrafin cet été 🙂

  4. Ludoho 10/03/2021
    Répondre

    C’est un jeu que j’attends avec énormément d’impatience … Pledgé le All-In depuis le début Je foncé les yeux fermés.

  5. fouilloux 10/03/2021
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    Cyril, j’ai backé Perseverance, tu back celui là 😉

    • atom 10/03/2021
      Répondre

      J’ai backé le jeu de base, j’hésite encore (parce que ça fait une somme) sur le all in. Je pense que Persévérance peut te plaire, Hybris je sais pas, mais je me ferais une joie de te le faire jouer ^^

      • Gougou69 11/03/2021
        Répondre

        A mon humble avis, et bien entendu sauf à être limité financièrement, si le jeu te parle à ce point saute le pas et prends le all-in. Parce-qu’il est proposé là à un prix plus que correct, parce-que les deux extensions ne sont pas assurées d’être disponibles en boutique au vu du tarif auxquelles elles devraient être vendues, parce-que même si ces extensions au final ne te plaisent pas, tu ne devrais avoir aucun mal à les refourguer à ceux qui immanquablement auront regretté de ne pas les avoir prises.

        Perso, je reste persuadé qu’après la réception du jeu ses qualités vont faire parler de lui et qu’il va être recherché en occasion. Et je parie n’importe quoi que dans le futur on aura droit à un reprint, mais le tarif ne sera plus le même.

        Sinon, excellent article, hyper complet.

  6. Hilkar 13/03/2021
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    Le late pledge se fini quand exactement ?

    • atom 14/03/2021
      Répondre

      Apparemment il se termine fin avril, je ne l’ai pas mis dans l’article car c’était encore flou. l’éditeur attendait des réponses de son transporteur.

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