Hallertau : Savez-vous planter du houblon ?

Uwe Rosenberg est connu principalement pour ses Eurogames et en premier lieu Agricola (2007) qui a posé des jalons dans le jeu de société et surtout du côté de la pose d’ouvriers. Dans ce célèbre titre, nous jouions un couple de fermiers du 16e siècle qui labourent les champs, ramassent les légumes, pratiquent l’élevage, etc. La famille s’agrandit dans la partie, ce qui offre plus d’opportunités (attention, à peine né tu pars travailler à la ferme !). Le jeu est immensément riche et les stratégies sont nombreuses.

Cette thématique agricole ou de production de ressources, on la retrouve dans la plupart de ses Eurogames, citons Caverna, À la gloire d’Odin, Reykholt (le bien nommé), Nusfjord, la Route du Verre, Aux portes de Loyang, etc.

 

 

Alerte au bon jeu ? 

Avec Hallertau l’auteur reste dans ce terrain connu qu’il a contribué à défricher, mais quitte la petite exploitation familiale pour la gestion d’un village dans la Bavière profonde, la région de Hallertau, connue historiquement pour sa bière, et son bon houblon.

Le revoilà donc avec de la pose d’ouvriers. Ici ils sont symbolisés par des petits cubes bleus, que l’on envoie six tours durant sur le plateau central afin d’aller récupérer des ressources, des champs, etc.

 

 

On n’a que l’embarras du choix. Exit la pose d’ouvrier bloquante (et pour certains exaspérante) de Agricola, le système est moins punitif ici, puisque les lieux permettent d’accueillir de un à trois cubes. Le premier joueur à se placer sur un lieu payera moins en ressources ouvrières, un peu à la manière d’un Gueules Noires si vous vous souvenez. Cela n’a l’air de rien mais déjà on se sent moins pris au piège, et pourtant si l’on dépense un peu trop vite nos six pauvres cubes ouvriers on ne fera pas grand chose … Hallertau reste avant tout un jeu de développement. 

Car l’idée est d’agrandir sa communauté, afin d’avoir toujours plus d’ouvriers pour les tours suivants. Comme souvent dans les jeux du genre, plus de main d’œuvre signifie plus de possibilités et plus d’actions. Pour agrandir son village, il va falloir dépenser beaucoup de ressources, de plus en plus, et de différents types. 

 

Abondance de biens ne nuit pas

Et les ressources vous en avez énormément dans ce jeu : du blé, du houblon, du lin, du seigle, mais aussi de la brique, des moutons, qui peuvent être transformés en peau, en gigot, ou produire du lait (les brebis, sinon c’est autre chose), ou encore de la laine.

Pour produire ces ressources, il va falloir semer des graines sur vos champs. Au début on commence avec trois champs, mais on va pouvoir en ajouter d’autres pour faire de la production de masse. Le système des champs est d’ailleurs plutôt malin et surtout thématique comme toujours avec Rosenberg : ici nous plaçons une graine présente dans notre plateau sur un champ, et en fin de manche il produira autant que le niveau du champ (si mon champ est au niveau quatre il produit quatre ressources). Le champ a produit ? Il perd en rendement, hop on le descend d’un cran. La jachère a du bon : les champs qui n’ont pas produit montent en niveau. Il faut donc trouver une sorte d’équilibre entre les champs que l’on va semer, et ceux que l’on laisse au repos.

 

 

Mais si vous préférez l’élevage vous pouvez vous rendre au marché et acheter un mouton que vous irez débiter en gigot et peau à la boucherie, à moins que vous ne le gardiez pour produire du lait, ainsi que de la laine. Thématique on vous dit.

Pour agrandir son village, on devra déplacer en fin de manche des jetons, et pour nous obliger à produire de tout et ne pas faire dans la monoculture, on doit faire évoluer chacun des bâtiments. Pour la Boulangerie on devra dépenser du blé ou du seigle ou du lin, la Manufacture exige la dépense de lin ou seigle, mais pour la Menuiserie il faudra de la brique, la Glacière du gigot et du lait.

 

 

Non seulement on doit produire de tout, mais à chaque manche on va devoir en produire et dépenser de plus en plus. Malheureusement on ne peut pas dire que ce système soit le plus élégant qui soit, on se retrouver avec pas mal de manutention et beaucoup de petits éléments à manipuler. Disons que ça fait un peu daté, mais ça force les joueurs à aller dans plusieurs directions à la fois, et comme chacun sait, choisir c’est toujours renoncer…

 

Les cartes à la carte

Mais là où le jeu se distingue des autres productions de l’auteur, c’est par les cartes que nous allons jouer ; si nous avons de la pose d’ouvriers, nous avons aussi pléthore de cartes que nous pouvons jouer à peu près quand bon nous semble (certaines sont limitées à un type de phase tout de même).

Les cartes c’est vraiment la bonne idée du jeu, même si nous allons le voir, cela pose d’autres genres de problèmes. Ce sont elles qui amènent l’élément amusant d’Hallertau, ce qui va nous pousser à sortir de l’ornière dans laquelle le jeu nous aurait inexorablement poussé. Et bonne nouvelle, on en possède déjà quelques-unes au départ de la partie.

 

Certaines cartes vont nous demander de dépenser des ressources pour en gagner d’autres (de la conversion traditionnelle de ressources) ou avoir un revenu à chaque début de tour, d’autres vont juste nous demander un prérequis, du genre avoir 7 houblons dans notre stock. Une fois ce prérequis atteint, on peut le déclarer aux autres joueurs et réaliser la carte, mais rien n’empêche d’en jouer une autre, puis une autre et encore une autre si les conditions le permettent. Car oui, il arrive que le gain d’une carte valide une autre carte. On aime. 

Comme on obtient les cartes au hasard, on peut se plaindre de cet aléa qui peut être plus favorable à un joueur ou un autre, c’est vrai mais en général on obtient beaucoup de cartes (surtout que certaines une fois réalisées permettent d’en gagner d’autres comme nous le disions). Je trouve que ce reproche est surtout valable en fin de partie quand on décide de piocher une carte sur le plateau central et que l’on obtient quelque chose de totalement irréalisable (le contraire étant possible aussi). Dans la partie, on se retrouve avec tellement de cartes en main que l’on en aura toujours qui vont être réalisables, tandis que d’autres n’auront aucune utilité.

 

La chance sourit aux audacieux (tordre le cou à cette idée de hasard)

Quand on connaît l’auteur (Uwe Rosenberg), son attrait pour l’équilibre, la plupart de ces jeux sont des tableurs Excels bien déguisés, on peut se dire que rien n’est fait au hasard. Un examen attentif des différentes pioches nous permet de comprendre que chacune a son apport dans le jeu. Les cartes Portail sont faciles à réaliser (elles demandent un prérequis), idem pour les cartes Cour de Ferme, les cartes bonus comme leur nom l’indique donnent des bonus et donc des revenus en début de partie, quant aux cartes Point, comme le dit si bien leur nom, elles offrent des points de victoire (beaucoup) en dépensant un type de ressources.

 

 

Sur la première partie, on peut se sentir un peu floué, mais une fois que l’on a bien intégré cela, on comprend ce que l’on va chercher et finalement on joue avec cet aléa. Plus on va chercher tôt des cartes et plus on aura de contrôle sur notre planification. Par exemple, vous piochez en début de partie une carte qui permet de gagner 12 points de victoire en dépensant 7 champs, vous pouvez donc produire en masse des ressources pendant la partie, mais pas le dernier tour où il faudra penser à faire le vide complet. 

 

 

Pas de salade de points (cocasse pour un jeu agricole)

Mais comment gagne-t-on me direz-vous ? 

C’est peut-être la seule grosse faiblesse du jeu. Finalement il n’y a vraiment que deux moyens de marquer des points, que vous allez potentiellement mixer. Les cartes, nous l’avons vu, mais aussi la progression de son village. En effet à chaque fin de manche, on peut dépenser des ressources pour déplacer les tuiles artisans : au début ça n’offre que des ouvriers supplémentaires, mais dès que l’on dépasse les 12 ouvriers, on va gagner des points, beaucoup de points. Le premier seuil est à 18 points, mais cela peut aller jusqu’à 70 points. De plus, en déplaçant encore plus vos tuiles artisans, vous allez encore gagner des points… Mais cela demande une certaine planification et application qui de prime abord rend la chose complexe (en tout cas pour moi).

 

 

Le champ des possibles

Côté édition, chapeau bas car malgré la quantité de matériel, d’icônes, d’éléments différents, la lecture du jeu est impeccable. Si une carte vous pose un problème d’interprétation, un simple coup d’œil dans le livret va vous permettre de régler la question, d’autant qu’elles sont numérotées. Les règles sont d’excellente qualité, il faut le souligner. Pour chipoter un peu, j’aurais aimé trouver le rappel du décompte en fin de livret plutôt qu’au milieu, mais comme il est assez limpide, ça reste acceptable.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le jeu est assez fluide, alors n’espérez pas faire jouer le tout venant, cela reste un jeu “Expert”. Néanmoins, une fois que l’on est lancé, on suit les différentes étapes de notre aide de jeu et tout coule de source. Hormis la pose d’ouvriers, tout est simultané.

On ne pourra pas dire qu’il n’y a pas d’interaction, car elle reste présente sur le plateau Action et peut nous obliger à changer notre fusil d’épaule. Cependant, il est clair que cela reste un jeu de développement où l’on reste tous centrés sur sa production et on ne s’intéresse pas trop à celles des autres joueurs.

Aide de jeux double face, un coté avec du texte et l’autre iconographié.

 

On est vraiment dans un jeu à la Rosenberg où l’on va produire des ressources en masse, et cette profusion peut déranger d’autant que l’on a vraiment besoin de tout pour faire avancer nos Artisans. Cela dit, en général je n’apprécie pas vraiment de finir une partie avec plus de 30 ressources, ici cela ne m’a pas dérangé.

Le thème est bien retranscrit comme nous le disions plus haut ; on a beaucoup aimé cette mécanique de rotation et de jachère des champs mais l’élevage de moutons a aussi ses avantages bien pensés (ils donnent du lait, sans oublier la laine, et un petit tour à la boucherie et hop des gigots pour la Glacière ^^).

Je n’aime pas vraiment Agricola pour sa pose d’ouvriers bloquante (oui j’ose le dire), mais Hallertau est bien plus moderne, la frustration est mieux dosée car le jeu est beaucoup plus ouvert et libre (par exemple on peut avoir des champs ou des grains sur plusieurs endroits du plateau, idem pour les moutons). La mécanique de cartes apporte un atout indéniable, et rend le jeu plus amusant et moins contraint. Certains points sont moins séduisants, comme la mécanique du village que l’on déplace, mais le tout reste un bon cru. 

 

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1 Commentaire

  1. -Nem- 10/12/2021
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    Une belle découverte ce Hallertau. Je pense pas qu’il détrônera Agricola dans mon cœur, mais il a de bon arguments ! Il est notamment plus accessible et (un peu) moins exigeant.

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