Guards of Atlantis II : le MOBA total
Je me suis fait un peu rare sur LudoVox, la faute essentiellement à un nouveau boulot qui ne me laisse que très peu de temps pour mes loisirs ; et qui m’a forcé à choisir entre jouer et écrire sur les jeux. Comme pour écrire sur les jeux, il faut jouer, cela n’a pas été un choix très cornélien, même si cela m’a également permis de me rendre compte qu’écrire, c’est la joie.
Déjà la joie de partager notre passion avec d’autres passionnés, et puis ; jeter son cœur sur le papier (tout cela est très figuré, puisque j’écris ces mots sur un clavier et que jeter des organes où que ce soit est très déconseillé, en particulier quand ce sont les siens, et qu’ils sont vitaux).
Pouf, pouf.
Ecrire c’est la joie, mais je dois bien choisir mes sujets, et si je reprends la plume, c’est que je me suis dit que je devais vous faire partager une découverte. Parce que je suis tombé sur un jeu qui m’a profondément marqué, obsédé, et qui je pense, ne bénéficiera certainement pas de la moindre exposition médiatique, puisque c’est un financement participatif pour commencer, qu’il n’existe qu’en anglais pour continuer, et que c’est la réédition d’un jeu plus ancien qui avait déjà été soumis au financement participatif (je fais des efforts pour ne pas écrire Kickstarter dans la mesure où 1/ c’est une marque et 2/ c’était sur Gamefound).
Pouf, pouf, pouf.
Le jeu dont j’aimerais vous parler aujourd’hui c’est Guards of Atlantis 2, de l’éditeur Wolffdesigna (que je ne connaissais pas avant, je suis allé faire un petit tour sur leur page, j’ai vu leurs autres jeux, j’ai compris pourquoi je ne les connaissais pas avant, à valeur faciale ça ne ressemble pas à ce que j’aime).
Guards of Atlantis 2, c’est quoi ? Imaginez un MOBA (type League of Legends ou Dota) mais en jeu de société, et surtout, sans hasard. Deux équipes de deux, trois, quatre voire cinq joueurs s’affrontent pour aller très gentiment démolir la base adverse. On incarne des héros assistés de minions, ces petites créatures aussi courageuses que stupides, qui foncent tête baissée sur l’ennemi. Objectif : pousser sa vague jusqu’à la base adverse ou mettre KO suffisamment de fois les héros adverses. Et s’il n’y a pas de vainqueur d’ici là, on compte un certain nombre de « push » prédéterminé, puis on joue jusqu’à ce qu’un camp remporte le dernier « push » décisif.
Comment ça se joue ?
Chaque héros a une main de cinq cartes. Le jeu est constitué par une série de rounds, jusqu’à ce qu’une des conditions de victoire soit atteinte. Chaque round comporte quatre manches. En début de manche, chacun choisit secrètement une carte à jouer. Une fois les cartes révélées, on les résout dans l’ordre décroissant d’initiative. Chaque carte sert à se déplacer, à attaquer, à défendre ou à activer une compétence spéciale.
Votre sort n’est pourtant pas scellé au choix de la carte, car la plupart des cartes permettent de choisir entre exécuter le pouvoir de la carte, ou bien bouger. Souvent, on regarde la situation, on se rend compte que si on exécute le pouvoir de la carte, on reste à portée d’un adversaire qui a décidé que vous aviez respiré pendant largement assez longtemps et qu’il est temps d’y mettre un terme, et du coup vous préférez vous carapater plutôt que d’exécuter votre action et d’en prendre une énorme sur le museau.
Un round est composé de quatre manches, pendant lesquelles on va jouer une carte à chaque fois. Donc finalement, ça fait 120 possibilités 🙂 (j’ai compté – obsédé je vous dis).

Main de départ pour Tigerclaw
Alors en revanche, ce n’est pas tout à fait cela, car lorsqu’on se fait attaquer on doit se défendre avec une carte de sa main d’une valeur suffisante. Si on n’a pas la carte qu’il faut ou qu’on n’en a plus (ce qui arrive si on se fait attaquer plusieurs fois dans le même round, ou suite à d’autres effets de carte), et bien… on est KO et on réapparait au QG au début de la manche suivante (manche, pas round).
Le terrain est divisé en zones : deux plages devant chaque QG, une zone centrale, et des jungles (en vert ci-dessous) utilisables uniquement par les héros pour se faufiler. Chaque fois que tous les minions d’un camp sont éliminés, il y a un « push » : les lignes avancent ou reculent, et perdre un push sur sa propre plage à proximité de son QG, c’est perdre la partie.
Pas de hasard dans tout ça : on joue avec les cartes en main et l’information est publique. Plus le round avance, plus on devine les options restantes de ses adversaires. C’est du poker à échelle épique. Tous les « mind games » que vous pouvez imaginer seront là :
- « Je sais que tu sais que je peux faire cela et que si je le fais tu meurs, donc tu vas jouer une carte à initiative rapide pour pouvoir te mettre à l’abri, donc ce n’est pas la peine que je joue mon attaque et je te fais défausser ta haute initiative pour rien, et je te cueille plus tard… À moins que je n’attaque ? » 🙂
- Faire jouer l’adversaire de manière sous-optimale, car il est sous la pression de mes cartes d’attaque ou de pouvoir, est déjà une fin en soi. Je me souviens d’une partie où j’ai passé un round à esquiver les attaques de Brogan le Barbare. Pendant ce round, je n’ai tué aucun minion, ce qui m’a posé pas mal de problèmes ensuite car tuer des minions, c’est important à double titre…
- Bien se coordonner avec son coéquipier est capital, même si les règles de communication empêchent un flot d’information total.
Tuer les minions, c’est la vie
Le massacre des minions par les héros est le cœur du jeu et il a fait l’objet d’un choix de design audacieux, mais en ce qui me concerne, payant. Les minions sont très abstraits dans GoA2, ils n’ont aucune IA et ne font presque rien, si ce n’est croustiller sous la dent.
Presque rien, mais pas rien car :
- Un certain nombre d’effets de jeu dépendent de la position et de la proximité de minions du héros qui déclenche l’effet.
- Ils protègent et appuient les héros (en substance, on a des bonus de défense quand on a des minions alliés autour de soi, et des malus quand on est à proximité de minions ennemis, et à portée de minions à fusil)
- Ils sont manipulables (déplacement, essentiellement, mais d’autres effets existent) par les héros au travers de leurs pouvoirs. Rien de tel que de voir un héros adverse jouer sa grosse attaque en pure perte parce que vous avez eu le temps de déplacer sa cible avant qu’il ne joue ^^
Évidemment tuer les minions c’est important parce que c’est ce qui déclenche les « push ». C’est ce qui arrive quand le dernier minion d’une équipe se fait éliminer dans la zone de bataille. À ce moment-là, immédiatement, la zone de bataille est déplacée sur la plage du QG de l’équipe qui vient de perdre son dernier minion, et qui se retrouve donc gentiment sous pression. Si l’équipe qui défend gagne le prochain push, elle ramène la bataille au centre, et si elle le perd, elle perd la partie car son QG est alors à la merci des minions adverses.
Et tuer les minions, c’est absolument capital car c’est comme cela qu’on ramasse de l’or, qui permet d’améliorer son héros entre deux rounds. J’en parle plus bas, mais c’est un autre point fort de GoA2. On gagne aussi de l’or en tuant les héros (plus) mais c’est beaucoup plus difficile, car les héros peuvent se défende (pfff..), alors que les minions vous regardent de leurs grands yeux inexpressifs sans réagir alors que vous les oblitérez de la surface de la planète.
Et les héros alors ?
Chaque héros commence la partie avec une main de cinq cartes : une grise, une jaune, une rouge, une verte, une bleue. La grise et la jaune ne changeront pas de toute la partie, mais les autres peuvent être améliorées deux fois chacune.
Chaque héros peut évoluer en cours de partie. En tuant minions et héros adverses, on gagne de l’or qu’on dépense pour améliorer ses cartes. Et à chaque amélioration, un choix cornélien : pour chaque amélioration, on a le choix entre deux cartes, qui correspondent à deux styles de jeu différents, et la carte qu’on aura écartée (hihihi) vous donnera un bonus passif (initiative, attaque, défense, selon la carte…). Au début, on ne choisit les cartes que pour les pouvoirs qu’elles donnent, mais assez rapidement, on s’intéresse de près au bonus que donne l’autre carte, car dans ce jeu, un bonus de +1 peut faire la différence entre la victoire et la défaite.
Quand vous aurez récupéré toutes les cartes de niveau 3, vous aurez droit à la carte « Ultime », qui n’est pas une carte à mettre dans votre main, mais un tout nouveau pouvoir permanent pour votre héros, qui vient casser tout le jeu tellement elle est balèze. Perso, je n’ai jamais vu une de ces cartes entrer en jeu, encore :-).

Cartes niveau 2 et 3 pour Brogan le Barbare, et carte ultimate tout en haut
Ce système d’évolution est à la fois grisant et stratégique, car il faut adapter son héros à la partie en cours. Dans GoA2, chaque décision a des conséquences et des ramifications très importantes, que ce soit une carte que vous jouez, ou un pouvoir que vous choisissez d’améliorer.
Aussi, la gloire de pulvériser un héros dépend de son niveau ; quand les héros deviennent plus fort, ils valent plus de points, et leur décès peut précipiter la fin de la partie car quand on meurt, on fait perdre à son équipe des points de vies proportionnellement à son niveau. Du coup, bizarrement, on fait beaucoup plus attention à ses arrières quand on devient de haut niveau. Parfois, une attaque bien placée peut faire basculer une partie si le héros qui se la mange est de très haut niveau (mais pas forcément beaucoup plus solide !).
L’aspect matériel
On est en substance sur un sans-faute. La boîte de base contient 7 héros ultra-différents, avec leurs figurines, leurs decks de cartes personnalisées, les minions, le plateau… et c’est très beau, solide, coloré, dynamique. Rien à redire.
J’ai bien apprécié le livret de règle et la volonté de faire court. Pour un jeu de cette richesse, réussir à tout faire passer en quelques pages de règles est un exploit (y compris les différents plateaux, comment on fait pour jouer à 4v4 ou 5v5, quelques variantes, des règles de handicap, etc).
En revanche, cela signifie que chaque ligne du livret est importante, y compris quand elle n’en a pas l’air… Les encadrés bleu clair disséminés dans les règles – qui ressemblent à de simples exemples ou clarifications – contiennent en réalité des informations essentielles, introuvables ailleurs dans le livret… Ce n’est pas l’idéal en termes de clarté.
Cerise sur le gâteau : il existe 5 boites d’extensions de 5 héros chacune, ce qui fait 32 personnages en tout, avec des niveaux de complexité croissante. J’ai à peine gratté la surface des 7 héros de la boite de base, qui permettent déjà de bien, bien se faire chauffer les neurones, et quelques coups d’œil jetés sur les personnages des extensions me font penser qu’il va me falloir une greffe de cerveau pour les jouer. Et pas le cerveau de n’importe qui. Un Vinz, surement. Désolé Vinz.
On joue à la parlotte
C’est un autre parti pris relativement important dans le jeu ; les règles de communication sont assez strictes, et je dois avouer que j’ai mis quelques parties à en comprendre l’importance. On a le droit de parler librement avec son coéquipier (mais jamais de lui montrer une carte) mais en public, à portée des oreilles mal intentionnées de l’équipe adverse, SAUF quand les cartes ont été révélées.
Lorsque les cartes sont révélées, et jusqu’à ce qu’elles soient toutes résolues, on n’a plus le droit de se parler. Ce qui est assez étrange au début. Mais après quelques parties, j’ai compris. GoA2 est un jeu qui repose sur un cadre de règles assez simples, dont la richesse vient des situations tactiques et de leur interaction avec les cartes. Si tout le monde a toute l’information, et dispose de tous les éléments, je pense que le jeu se bloque. Il faut que de temps en temps, on fasse des erreurs, on oublie un pouvoir ennemi, on prend un risque qu’on n’aurait pas du. Si personne ne fait d’erreurs, le jeu va se limiter à du massacre de minions et perdra pas mal sa saveur. En tout cas c’est ma théorie. Par ailleurs, la résolution des cartes est suffisamment courte pour qu’on puisse quand même parler librement 95% du temps.
En mode « tutoriel », je pense qu’on peut autoriser toutes les discussions du monde dans la première partie, pour que chacun progresse le plus rapidement possible, mais la règle de communication me parait importante si vous voulez profiter du jeu dans son ensemble.
Les sensations de jeu
Là, à titre personnel, c’est l’extase. Guards of Atlantis 2 est un jeu d’équipe : la victoire passe par une coordination constante et une stratégie commune. Chaque choix de carte est une promesse de satisfaction (ou de désastre) : anticiper ce que l’adversaire va jouer, contrecarrer ses plans, déployer sa stratégie à la perfection… Quand ça réussit, le sentiment de triomphe est rare et précieux.
Le jeu est à la fois ultra-dynamique (pas de temps morts) et ultra-cérébral. Un subtil mélange de planification et d’adaptabilité instantanée.
La richesse des différents héros est juste ahurissante. À mon sens, on doit jouer un héros un bon nombre de parties déjà avant de se dire qu’on en maitrise bien les subtilités. Le gameplay émerge au fur et à mesure des sessions, et vous verrez des gens faire des choses avec un pouvoir donné auquel vous n’aviez pas pensé, ou bien qui se combinent puissamment avec le pouvoir d’un autre héros. Cela m’arrive régulièrement et ce sont vraiment des moments de révélations sur la richesse du jeu.
Ce qui pourrait freiner certains joueurs
Guards of Atlantis 2 n’est pas un jeu « léger », même si les règles sont plutôt simples. Il est exigeant, parfois brutal pour les débutants, et demande quelques parties avant de réellement apprécier sa profondeur. Les victoires se méritent et on mouille le maillot, ce qui rend les parties encore pus mémorables. Dans l’idéal, il faut réussir à se lancer dans l’aventure avec un groupe relativement stable qui progressera de concert, ce qui permettra à tout le monde de profiter au maximum de l’expérience. De mon côté, je pense qu’il y a des chances que GoA2 rejoigne la pile de jeux à 2 auxquels je ne joue presque jamais car « comme c’est ton jeu, tu y joues beaucoup donc t’es super balèze, ce sera pas drôle pour moi », alors que 1/ je joue qu’avec vous les mecs, si vous n’y jouez pas, moi non plus, et 2/ c’est mal me connaitre que penser que j’arrive encore à progresser et apprendre des trucs. Mais tout ça c’est psychologique.
Mais pour ceux qui aiment les stratégies profondes et l’affrontement intelligent, c’est un véritable bijou.
En conclusion
Guards of Atlantis 2 est une expérience rare. Un vrai jeu de stratégie d’équipe, tendu, gratifiant, et sans aucune part de hasard. Un jeu qui récompense la communication, la prévision et la maîtrise. Bref : une perle à côté de laquelle il serait dommage de passer… sauf si votre objectif en jouant, c’est de papoter en sirotant un soda. Dans ce cas, il y a plein d’autres jeux plus appropriés, et tout aussi amusants !
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Xavier Mornard 21/05/2025
c’est un peu le même problème que j’ai avec Rise & fall, jeu également sans hasard mais moins « guerrier »: pour le sortir c’est compliqué (alors que je suis une brelle à ce jeu…)