Feierabend : c’est la luuuutte finaaaale !

En 2020, Friedemann Friese, le célèbre auteur de jeux aux cheveux verts et aux thèmes insolites, ne s’est pas seulement occupé de l’Égypte ancienne (Faiyum) et de lignes de train (Freeride). Avec Feierabend, mot allemand qui désigne la fin de la journée de travail, Friese nous présente en effet un jeu de plateau dans lequel nous devrons placer et gérer des ouvriers… au sens propre. Dans ce jeu à la thématique socialement et politiquement engagée, il s’agit en effet de gérer le temps de repos d’une équipe de travailleurs et de lutter pour améliorer leurs conditions de travail.

 

 

Après l’effort, le réconfort !

Notre but est ici d’éviter que nos travailleurs fassent un burn-out, voire, pire encore, qu’ils meurent de Karōshi (mort subite par excès de travail, reconnue au Japon comme maladie professionnelle). Pour cela, il faut absolument réduire le stress qu’ils accumulent en travaillant durant la semaine. Et il n’y a pas que le repos qui permet de déstresser… Les activités que pourront pratiquer nos travailleurs sont en effet nombreuses réparties sur trois plateaux ronds.

Sur le plateau des «  divertissements », chaque travailleur pourra faire un tour de foire, trouver un nouveau partenaire durant un blind date et passer une nuit d’amour au motel avec un partenaire (eh oui ! C’est d’ailleurs ce qui détend le plus et qui coûte le moins cher !). Sur le plateau des « loisirs » qui, eux, ne coûtent rien, les travailleurs se détendent par des activités de plein air. Enfin, les « vacances » permettent au travailleur de partir durant une, deux ou trois semaines (en fonction des congés payés dont il dispose), tout seul ou avec un partenaire.

 

Le plateau « détente » (avec l’usine et son en-tête emblématique Karōshi & Son), nous renseigne sur le nombre d’heures de travail hebdomadaires et sur le niveau de stress de nos ouvriers.

 

Il faut noter que les congés payés sont très bien pensés, puisque, d’un tour à l’autre, si un travailleur est en vacances, notre stress augmentera d’un point en moins. Remarquons également qu’au fur et à mesure que les heures de travail sont réduites, certains travailleurs partent à la retraite pour profiter de leur temps libre. Eux aussi permettent de diminuer d’un point le stress accumulé à l’usine.

 

De la nécessité de lutter

Au début de la partie, le patron de cette usine est bien peu scrupuleux à l’égard de nos travailleurs : chaque joueur commence la partie avec une semaine à soixante-dix heures, un salaire de sept pièces (qui est réduit de deux à cause des inégalités hommes-femmes) et seulement quatre jetons pour faire grève. Nous suivons la progression des conditions de travail et du stress de nos travailleurs à travers deux plateaux rectangulaires (oui, il y a beaucoup de plateaux, et ils prennent de la place !).

 

Un aperçu du plateau des divertissements et des activités relaxantes… !

 

Heureusement, comme dans la vraie vie (enfin… espérons !), on peut lutter pour arrêter de se faire exploiter. Car on a beau se détendre autant qu’on veut pendant le week-end, on ne tient pas longtemps avec une semaine à soixante-dix heures et, qui plus est, en étant payé des clopinettes ! C’est notamment grâce aux jetons grève que nous allons pouvoir faire entendre notre voix de travailleurs.

Pendant chaque tour, la lutte pour de meilleures conditions de travail pourra alors être combinée avec des activités sur le plateau « maison » (se détendre ou faire des extras au bar) et sur les plateaux « loisirs », « vacances », « divertissements » et « syndicat ».

La leçon de ce jeu est alors que la lutte est tout aussi nécessaire que la détente. Après quelques parties, il semble alors qu’on ne puisse sortir gagnant de Feierabend sans dépenser nos jetons grève. Ceux-ci permettent d’améliorer notre situation de plusieurs façons :

  • en diminuant le nombre d’heures de travail, ce qui réduira le stress accumulé à la fin de la semaine ;
  • en augmentant le salaire et/ou en réduisant les inégalités de genre ;
  • en augmentant les droits syndicaux, ce qui nous fera gagner plus de jetons grève après la semaine de travail ;
  • en obtenant des congés payés, d’une, de deux ou de trois semaines pendant lesquels partir en vacances.

 

 

Un jeu fait pour le collectif

Si la mécanique de ce jeu permet tout aussi bien l’élaboration de stratégies qui se concentrent sur une seule catégorie de revendications que sur plusieurs, après plusieurs parties, il me semble que la stratégie consistant à se concentrer, dès le début de la partie, sur l’accumulation de jetons grève et sur la diminution du nombre d’heures de travail fonctionne mieux que les autres.

De ce fait, à deux joueurs, Feierabend devient vite répétitif car chacun place tour à tour ses sept travailleurs de façon à ce qu’ils obtiennent des jetons grève et à ce qu’ils se détendent. Le caractère répétitif de cette configuration est accentué par le fait que, sur les nombreux plateaux du jeu, il y a suffisamment de place pour chaque travailleur. On a alors l’impression d’enchaîner toujours les mêmes actions jusqu’à la fin de la partie.

C’est à partir de quatre personnes que le jeu devient plus intéressant : en effet, le choix est alors limité par le manque de place, notamment sur le plateau du syndicat. Cela nous oblige à faire des choix et à orienter notre stratégie de façon plus claire, dès le début de la partie. On joue alors en ayant un sentiment de fluidité, car, même à six, on attend très peu entre les tours. Dans cette configuration aussi, l’importance des jetons grève semble favoriser la stratégie de réduction du temps de travail et d’augmentation des droits syndicaux au détriment d’autres possibilités de jeu.

 

À la « maison », on suit la progression du salaire, des inégalités et des droits de grève. Si l’on est fatigué, on pique un somme devant la télé ou on va boire une bière. Si l’on manque de pépettes, on pourra faire des extras au bar)

 

Du matériel engagé, mais des plateaux pas toujours lisibles

Au sujet du matériel, on salue l’effort pour traduire l’engagement de l’auteur envers l’égalité des sexes, via des meeples non-genrés (ils ont tous la même forme) qui ne se distinguent que par la taille et, pour les partenaires, par le choix d’une seule forme et d’une seule couleur : le rose. Il faut dire que les couleurs des meeples et des plateaux sont chatoyantes et attirent l’œil.

Mais, les initiés comme les néophytes, trouveront qu’on ne distingue pas facilement les trois plateaux en forme de roue, ni les différentes activités de ces plateaux. Même si l’on connaît le jeu, on se surprendra en train de se rapprocher des plateaux pour éviter de confondre la nuit au motel avec le tour de foire, ou encore la pêche avec les vacances… Ces graphismes empêcheront en particulier les néophytes qui s’intéresseraient au jeu du fait de sa thématique, de s’orienter sur les plateaux de façon aisée.

S’il est vrai que Feierabend pourrait s’adresser à des débutants qui accepteraient de prendre le temps d’en étudier les règles, cette approche ergonomique peut s’avérer rédhibitoire. C’est pourquoi à mon sens Feierabend est bien plus destiné à un public d’initiés qui seraient sensibles à l’univers social et politique de ce jeu et attirés par le caractère ludique des activités de détente proposées sur les nombreux plateaux. Sans cette sensibilité et cet attrait, le risque est de se lasser assez rapidement du caractère déséquilibré de la mécanique, et tout particulièrement de l’usage des jetons grève.

 

 

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