E.D.I.T.O. ► Le point sur ESSEN19 : Entre énergie et nostalgie

Le pèlerinage 2019 est désormais derrière nous. On s’est un peu remis de nos courtes nuits et de nos journées frénétiques ! En d’autres termes, le moment est parfait pour faire le point sur cette 37e édition. 

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Notre galaxie ludique connaît une expansion et une reconfiguration permanente telle qu’elle devient difficile à suivre à l’œil nu. Aller à Essen permet de visualiser ces changements, de se les figurer plus concrètement, et surtout de rencontrer les personnes à l’origine de toutes ces évolutions. Côté jeux, indubitablement, il est impossible de tout voir, même en une semaine, même en se levant plus tôt, même en secouant nos transmissions neuronales à l’aide de boissons énergisantes à base de taurine caféinée à la vitamine, et en se cocoonant les conduits avec un casque anti-bruit.
1 200 stands qui attirent le chaland, 209 000 personnes qui poussent, lancent, placent des cubes (colorés ou à pois), 53 nations qui font du business en enchaînant rendez-vous sur rendez-vous, ça brasse. Oui, ça fait du bruit. Et cette année, on laissait même entrer les chevaux ! Tout un folklore !

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Essen, pour moi, c’est avant tout une expérience physique. Comme le raconte Vincent Dutrait dans son intéressant retour (lire comment un illustrateur comme lui voit la production du salon avec son regard expérimenté est passionnant) d’aucuns racontaient que le fond sonore avoisinait les 80 décibels dans certains halls, seuil de risque de pertes auditives.
Essen est bien un monstre protéiforme, tentaculaire, absorbant et oppressant.” écrit Dutrait. Le brouhaha permanent, quand on essaie de comprendre une règle en anglais énoncée par un coréen ou un espagnol, à partir d’une certaine heure de la journée, finit par avoir raison de nos pauvres influx nerveux. Mais on s’accroche ! Le plus drôle est sans doute d’avoir un animateur français qui explique tant bien que mal le jeu en anglais à une tablée de français, parce qu’il y a un allemand qui s’est glissé sur une chaise libre… Et le seul qui parle parfaitement anglais c’est notre ami germain, bien sûr ! Tout un folklore, on vous dit ! Et c’est bien tout le charme et le bonheur d’Essen, se retrouver dans un village international où malgré les barrières linguistiques, on a tous un dénominateur commun, une évidence posée là, au centre de la table.

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9%

Le monde ludique évolue, les joueurs aussi, Essen pousse ses murs, vole de record en record chaque année, et 2019 ne fait pas exception. Chaque année, pas moins de 50 millions de jeux sont vendus en Allemagne. Les analystes de Research and Markets prédisent que les ventes internationales de jeux de société vont continuer d’augmenter de 9% annuellement jusqu’en 2022. Le grand écart s’étire entre les success stories d’entreprises qui se font une place au soleil (/rachetées) et les petits nouveaux cherchant à se faire une expérience sur le tas, parfois dans la douleur. On voit bien qu’ils ne nagent pas dans les mêmes eaux et qu’ils n’affrontent pas les mêmes problématiques, en tout cas, pas avec les mêmes échelles. D’un côté du spectre, ces grands noms qui jonglent avec les leviers de l’offre & de la demande, de l’autre les plus fragiles dont l’avenir repose entièrement sur l’accueil de leur prochain tirage. 

Cette année, des rumeurs non confirmées officiellement mais bien établies concernant des gros rachats d’éditeurs francophones ont beaucoup circulé, juste après les annonces des rachats de Lui-Même par Asmodee (nous avons publié un télégramme rapidement depuis la voiture pour vous l’annoncer) et des discussions exclusives devant déboucher prochainement au rachat de Blackrock par Hachette (nous avons publié une news rapidement depuis la voiture pour vous l’annoncer).
Bref, le sentiment que le monde tel que nous le connaissions est définitivement en train de se transformer, avec une vague de nostalgie touchant de plus en plus de personnes du milieu.

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C’était mieux avant, Francis ?

 

Théo Rivière, présent sur place pour la 7e année consécutive (exclusivement pour les projets de l’équipe Kaedama cette année) a bien senti ce changement d’ambiance : « Oui, on n’a plus parlé de ça et de l’évolution du marché que des bons jeux à découvrir pendant le salon. » Lui aussi, touché par la nostalgie ? « Je ne sais pas si je ressens vraiment une nostalgie. Cette évolution est assez naturelle et je ne sais pas si « c’était mieux avant », c’était juste différent. La seule chose que je peux regretter un peu, c’est que mon travail donne à Essen une importance de plus en plus grande, je peux donc un poil moins faire la fête le soir, j’ai été assez sage cette année. »

 

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Camille Chaussy en pleine dédicace

 

Dimitri Perrier était lui aussi présent à Essen, la première fois du côté “pro”, après plus de 15 ans en tant que simple visiteur. Cette année, il a fait le déplacement pour présenter son nouveau jeu en tant qu’éditeur, le très sympathique “Pirates under Fire” (sous bannière Explor8). “Globalement le marché du jeu s’est vraiment professionnalisé, les forces de frappe marketing ont été décuplées et le nombre de sorties n’a jamais été aussi important. Il appartient donc à chacun de faire le tri, de vraiment trouver les repères qui lui correspondent (blogueurs, prix/récompenses, avis des communautés…) afin de ne pas se faire émerveiller par le marketing de certains produits, qui sont de mieux en mieux packagés mais dont certains n’ont que peu d’intérêt ludique…” nous dit-il. 

 

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Plongée sur le hall 3

 

“Il y a une quinzaine d’année, il y avait juste une allée des nouveaux éditeurs francophones qui était le point de rendez-vous d’une petite communauté francophone et où l’on pouvait croiser Repos Production ou Ystari sur leur petit stand avec la nouveauté annuelle tant attendue.” se souvient-il, un sourire en coin.
Dans le contexte hyper foisonnant actuel, la communication reste le nerf de la guerre, remarque-t-il à bon escient : “la communication sur les jeux présents sur le salon doit être mieux anticipée, le salon doit être mieux préparé par les visiteurs. Le salon devient aussi un endroit où l’on peut tester les futurs Kickstarters et quand on connaît l’hétérogénéité en termes de qualité des différents projets, cela peut être vraiment intéressant.” En effet, de plus en plus de projets sont visibles, pas toujours jouables, mais viennent se montrer en particulier du côté du hall 6, pour une vraie promenade au milieu du futur participatif (le hall 2 n’étant pas en reste).

 

 

Fureteurs farfouilleurs explorant les allées à la recherche de “la” découverte qui changera le game, les joueuses et joueurs, eux aussi évoluent. Exit les photos de piles de 90 jeux qui entrent d’un coup d’un seul dans la ludothèque. On est soit plus discrets, soit plus raisonnés. Peut-être un peu des deux. « J’ai aussi le sentiment que les bons jeux arrivent de plus en plus vite sur le marché français et que je n’ai pas besoin des les acheter sur Essen. J’ai tout de même fait quelques petites emplettes et les deux que je sors le plus depuis le salon viennent du même éditeur, c’est Knaster (de Markus Schleininger, Reinhard Staupe et Heinz Wüppen) et Silver & Gold (de Phil Walker Harding) chez NSV,” nous confie Théo Rivière.

Oui, les jeux arrivent en France plus que jamais, localisés par un nombre de distributeurs toujours grandissant, avec des durées d’attente de plus en plus réduites. Les éditeurs grossissent et peuvent intégrer des traducteurs, ou fusionnent avec leur partenaire, ce qui leur permet d’avoir accès aux jeux en amont et d’envisager des sorties internationales. Dans ce contexte, le besoin viscéral de faire le trajet jusqu’en Allemagne pour revenir avec des boîtes qui seront à coup sûr introuvables se fait de moins en moins sentir même pour les plus passionnés. 

Il semblerait que pas moins de 1 247 nouveautés aient montré le bout de leur punchboard sur la foire. Autant dire que le flux devient assez illisible, malgré les outils dont on dispose, outils d’ailleurs souvent biaisés de bien des façons. Comme le souligne Régis Bonnessée (Libellud) : “Les « tuyaux » en termes de communication sont très encombrés. Et les systèmes en place pour faire émerger les tendances comme le GeekBuzz sont de plus en plus dévoyés de leur vocation initiale. On sait bien qu’il y a des biais qui l’influencent, comme les cars de « touristes » qui vont voter tous les jours, le fait que les stands proches du stand BGG incitent à aller voter juste à côté, tous les jeux Kickstarter qui galvanisent leur fanbase, etc.”
Pour information, le GeekBuzz est un dispositif permettant aux visiteurs de voter sur place pour leurs jeux préférés. De là naît un classement en temps réel censé représenter les goûts des joueurs. Il est de notoriété publique que les jeux présentés sur les stands juste à côté de BGG connaissent des buzz non négligeables. 

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Le podium du geekbuzz de cette année.

 

Beaucoup de joueurs et d’observateurs, dont nous-mêmes, avouent n’avoir pas eu de grandes attentes spécifiques sur cette édition 2019. On ne s’inquiète pas trop : des bons jeux, da, il y a, oui, à la pelle. Mais quand 1 247 titres sortent en même temps, on sait qu’il faudra du temps pour savoir où se cachent les pépites et les futures valeurs sûres. Lire la règle, trouver les joueurs, prendre le temps de jouer, de rejouer, de maturer, tout ça prend des semaines, des mois. Certes, d’aucuns noms font du bruit sur le salon, mais on le sait bien, bon nombre seront probablement oubliés dans moins d’un semestre.

Au final, face à ce constat, nombre d’éditeurs ont recours à une solution bien connue : sortir de belles rééditions – à défaut de déclinaisons – qui toucheront les nouveaux joueurs à moindre coût de développement et feront peut-être craquer les anciens, touchés par la nostalgie eux aussi. Last Bastion, Bruxelles 1897, Marco Polo II, Glen More II, Magic Maze on Mars, Azul : Pavillon d’été, Dune, Fireball Island, Snowdonia, Les châteaux de Bourgogne, Caylus 1303, Zombicide II…
L’autre option reste de capitaliser sur une licence qui a réussi en produisant une extension, comme l’ont fait encore cette année Terraforming Mars, Spirit Island, Newton, Concordia, Terra Mystica, Bärenpark, etc.

Bref, on se retrouve avec un secteur bicéphale qui rappelle un peu le cinéma : quelque part entre art et divertissement, structures industrielles et intention d’auteur, l’économie est tirée par d’un côté des blockbusters, rassurants et efficaces, qui s’installent sur la durée à coup de remake et de prequels, et de l’autre, une scène indé qui assure sa propre autonomie par l’auto-édition ou le financement participatif. 

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De notre côté, on a pu filmer les overviews d’une quarantaine de jeux, et on a pu vous faire des retours (déjà en ligne) sur Dragoon, Sarah’s vision, Flick of Faith, Bees, Dekalko, Gone Fishing, Octopus Party, City Blox, Daedalus Maze, Dawn of Mankind, Din Sin Jan, Walking in Provence, Klask 4, Eila and something Shiny, Erune, Guess Club, Flautz, (dans cette vidéo), mais aussi sur Megacity : Oceania, The Lord of the Chords, Formz, Rhein: River Trade, Copenhagen, Abyss Conspiracy, Bilder, Sabotage, et Alice in Wordland (dans cette vidéo).

Nous avons aussi joué à Aquatica, Zestrea, Les ombres de Macao, 5211, Aftermath, Titans, Cabo, Beasty Borders, Planet Undone, Magic Maze On Mars, Palm reading, Control+V (et tout ça on en parle dans cette
vidéo) ainsi que Cairn, The Suits, L’île de Pan, mais aussi Arkeis, Les chroniques d’Yggdrasil, Dust in the wings, Sierra west, Superfly, Kraken Attack, et Firefly Dance (du côté de cette vidéo). 

N’oublions pas un bilan à chaud, sur notre expérience des 4 jours à voir par

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Bzzzz 2019

Après un bain de 4 jours dans les halls du Messe, quelques nouvelles tendances propres à cette édition se révèlent timidement : un sensible retour à la nature, en parlant par exemple de thé (Chai, Alubari, Sencha, Formosa tea, Ceylan…) et surtout de nos chères petites abeilles en voie de disparition (Bees, Queenz, Queen bee, Line up bees, Honey buzz…).
Autre espèce tellement en voie de disparition qu’elle a pour le coup complètement disparu, les dinos, eux aussi plus tendance que jamais depuis quelques mois (Dinosaur Island, Babydino, Draftosaurus, Welcome to Dino world, Dinogenics…).
Il est aussi à noter que le plateau circulaire – à tendance rotative – est également très en vogue (Barrage, Pharaon, Titan, Above, Dedalus Maze, Couleurs de Paris, Glyph chess, Chroniques d’Yggdrasil, etc). 

 


Mais cette année la foire a rassemblé 209 000 âmes et toutes ces personnes avides de jouer cherchaient des tables pour s’asseoir… Du coup, on leur a proposé d’en acheter ! Malin. Wyrmwood, Geeknson, Kapplex, Meinspieltisch, Rathskellers, Hüne, Tischlerei collin… Faute d’avoir besoin de jeux en plus, on cherche à améliorer l’expérience ludique en elle-même.
Tables sur mesure, avec repose gobelet, enceintes intégrées, rétroéclairées, et j’en passe… on arrête pas le progrès ! 

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Si vous avez du mal à sortir vos jeux, l’autre voie pour se faciliter la tâche en 2019 consiste bien sûr à se rabattre sur le mode solo (au moins y a pas besoin d’attendre des partenaires !). La tendance du solo se confirme clairement, avec des jeux de plus en plus poussés en termes de narration, avec par exemple Eila and something shiny (un jeu solo pour enfant, où celui-ci sera conseillé par ses parents, à venir sur KS, joliment prometteur), mais aussi Proving Grounds, ou encore Lux Aeterna, Dawn of zeds, Fire, Coffee Roaster, etc.

Eila-and-Something-Shiny-jeu-essen19-ludovox

 

 

Et voilà pour cet Essen, 37e du nom !
Avez-vous eu la chance d’y être vous aussi ? Qu’en avez-vous retenu ?
Et au contraire, si vous étiez chez vous bien au chaud, quels jeux vous ont fait de l’œil ?

 

 

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4 Commentaires

  1. TheGoodTheBadAndTheMeeple 08/11/2019
    Répondre

    Bravo pour cet edito ! C’est complet et on sent l’evolution du salon… que je ne visiterai pas avant un bail a mon grand desespoir.

  2. tomdeouf 12/11/2019
    Répondre

    Merci pour ce retour à froid (merci également pour les précédents retours à chaud, en soirée + le débrief). Ludovox m’a permis de suivre le salon, de goûter l’ambiance comme le faisait trictrac, il y a quelques années : vous êtes les seuls (en français) à proposer çà et je vous en remercie.

    Je suis allé à Essen en 2008 et 2011 (j’étais jeune et j’avais moins d’enfants), je rêvais d’y retourner.

    Je réalise que je n’y retournerai probablement plus : je joue moins, internet permet d’avoir énormément d’infos sur les jeux sortis ou à sortir et les retours des habitués d’Essen semblent tous moins enjoués les uns que les autres.

    En tout cas, merci à Ludovox, pour la couverture du salon, l’esprit du site et pour la fraîcheur que vous apportez dans le média ludique.

    • Shanouillette 12/11/2019
      Répondre

      Un grand merci !

      Malgré tout, n’oublions pas que Essen garde une saveur particulière de par le fait d’être un salon à portée international et un village mondial réunissant tous les acteurs du jeu (ou presque) au même endroit pendant quelques jours. Autrement dit, si on y va moins pour les jeux, on y va toujours pour les gens ! 😉

       

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