Dreamscape : substance rêve

Ce jeu n’a pas fait l’unanimité, cet article a donc été écrit à quatre mains par Morlock & Pionfesseur et en deux temps (pour et contre). 

 

Généralement, la fin d’année arrivant, on voit débouler les grands classiques en version deluxe pour noël, avec leurs lots d’extensions (Aventuriers du rail, Catan…) et quelques jeux calibrés pour la période, clinquants et colorés. Le public de décembre n’est pas celui des autres mois : il vient pour des cadeaux ou pour trouver de quoi mettre l’ambiance pendant les soirées, pas nécessairement pour chercher l’innovation dans le gameplay.
Cette fin d’année 2019 aura été différente puisque plusieurs jeux nous auront surpris. Que ce soit
It’s a wondeful world (qui allait bientôt être nominé à l’As d’or), Hadara, La couronne d’Emara ou encore Dreamscape, tous auront fait mentir nos certitudes à propos de cette période.

Mais quelques mois plus tard quand est-il ? Ces bonnes surprises auront-elles passé l’hiver ? Dreamscape nous fait-il toujours rêver ?
Si j’apprécie encore ce titre, notre invité, Le Pionfesseur, n’aura pas Hadara, adhéré à la promenade. Il vous dit pourquoi un peu plus bas.

  

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Difficile de passer à côté de la couverture de la boite avec ce visage énorme et ce paysage poétique. Honnêtement, je trouve ce monde des rêves bien naïf, les illustrations ont quelques décennies de retard mais comme on dit, les goûts et les couleurs… En tout cas, elles sont en adéquation avec ce que veut les auteurs (David Ausloos, Pierre Steenebruggen) à savoir susciter l’apaisement et plonger dans un songe zen.

Dans tes rêves !

Le matériel est conséquent. Le plateau principal est divisé en 6 zones joliment illustrées, les plateaux personnels, lieux du puzzle qu’il vous faudra construire, possèdent eux aussi deux parties : un espace de stockage (les mains) et un espace de construction (le dreamscape). Le reste est composé de jetons en bois de couleur (les fragments de rêve), de sapins, de chandelles, des meeples dormeur et pour la variante, le sinistre Mr Cauchemar. Les cartes rêve (objectif personnel) et tuiles dessein (objectifs communs) complètent le décor.
Il faut souligner le soin apporté à l’iconographie claire et disséminée sur le plateau général et les plateaux personnels pour avoir tout sous les yeux à tout moment. La règle elle-même est très bien faite et on termine sa lecture en ayant l’impression d’avoir tout compris.

 

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six lieux pour assembler vos rêves au mieux

 

La partie est composée de deux phases qui vont s’enchaîner. Notre pion dormeur va se promener sur les 6 zones du plateau central afin de récolter des fragments de rêve (les ressources) et d’activer le pouvoir d’un lieu (piocher au hasard un fragment/piocher des objectifs/déplacer des fragments au sein de votre dreamscape…). Quelques subtilités de déplacements gratuits ou de positionnement pour récupérer le jeton premier joueur agrémenteront des choix déjà multiples.

La phase deux est axée sur la création. Il faudra, suivant son objectif (un schéma), reconstituer un décor avec les jetons de couleurs (et sapins, etc) et déplacer son rêveur, personnage présent dans le dreamscape, sur les bonnes couleurs.
Pour marquer des points il faudra bien sûr développer ainsi plusieurs compositions, le secret étant de se servir de ce qu’on a déjà mis en place pour construire plus vite le suivant et éviter au mieux de se bloquer sur son plateau.

 

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dreamscape in progress

 

Le rêveur doit se réveiller

Dreamscape malgré des termes choisis (le lac de l’éternel été, les archives oniriques, le roi des songes…) ne fait pas vraiment illusion avec son thème, même si tous les éléments s’assemblent parfaitement pour coller au propos. Si cela change des terres cultivables, on a du mal à plonger dans les méandres de l’inconscient.

La première phase ne doit pas être effectuée à la va vite (choisir ses jetons) et s’apparente beaucoup à une prise de ressources basique avec activation de pouvoir. Est-ce un frein au jeu ? Du tout. Il y a déjà beaucoup à faire à ce moment. Il faut planifier ses coups, aller à l’économie (éviter des allers-retours inutiles) et privilégier un lieu où terminer sa course. Si le fait de démarrer en tête n’est pas primordial d’entrée, il va le devenir quand les jetons qui vous manquent se raréfieront. Un bon timing et une bonne gestion de ses déplacements sont importants pour la phase un.

La phase deux est celle qui peut poser le plus de problème aux joueurs qui n’ont pas le compas dans l’œil, ceux pour qui le repérage dans l’espace est difficile. Gérer ses assemblages et les optimiser sera un des challenges du jeu. Pour aider, le plan peut être orienté dans n’importe quel sens du moment que la forme est respectée. On essaiera donc de ne pas construire un plan puis un second plan sans aucun lien, mais on posera les bases de l’un en anticipant l’autre. Sur ce sujet, le jeu développe une belle courbe d’apprentissage mais reste un point difficile à appréhender.

 

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L’ami des mauvais rêves

 

Une fois le principe compris, il est temps de faire rentrer Mr Cauchemar. Le méchant de service est indispensable à la partie ! Il bloque le pouvoir du lieu dans lequel il se trouve et vous charge de jetons rouges dès que vous changez de zone. Ces jetons ne servent à rien, à moins que vous en ayez trois, vous pourrez alors les échanger contre une ressource si vous parvenez à les sortir de votre dreamscape. Il faudra ruser car les convertir n’est pas aisé. Avec l’arrivée de Mr Cauchemar, le jeu devient également plus interactif, puisque vous pouvez l’envoyer sur un lieu visé par un autre joueur.

Bref pouce-vers-le-haut

Dreamscape n’est pas un jeu si expert mais il est un jeu qui a de la teneur et qui laisse entrevoir une progression sur les parties suivantes. Dreamscape ne fera pas le bonheur de tous car il n’est pas fait pour tout le monde et encore moins pour les rêveurs (!), il nécessite une vraie gestion de ses actions, de la concentration, de la planification et une bonne vision globale de son puzzle.
Malgré un thème qui reste en surface, il réussit à apporter un souffle d’originalité grâce à une somme de petits détails bien amenés. Pour ma part ce fut une des belles découvertes de la fin de l’année dernière. 
Ce qui n’est pas le cas pour tout le monde, comme vous l’explique le Pionfesseur dans le paragraphe suivant. 

 

Ma désillusion

« Faites en sorte que les gens s’arrêtent devant le jeu en raison de vos illustrations, mais qu’ils restent parce que le jeu est bon » disait Grant Wilson.

Dreamscape est en effet un bon client pour ce qui est de s’arrêter devant ses illustrations. C’est d’ailleurs sa thématique et son univers onirique de manière générale qui nous est offert comme une belle promesse. Malheureusement, on se réveille assez vite dans une dure réalité beaucoup moins enthousiaste et bariolée.

Plutôt qu’un vagabond errant dans son propre rêve, le jeu nous donne l’impression d’être un logisticien qui calcule le trajet optimal pour obtenir un résultat. À la manière d’un jeu abstrait, on agit de manière calculatoire et non de façon intuitive. Cela vient aussi du fait que le jeu n’est pas ouvert ni même flexible : vos objectifs sont très précis (réaliser des motifs particuliers) et il n’y a pas vraiment de grande voie stratégique. On pourrait croire que les objectifs de fin de partie le sont mais en fin de compte c’est essentiellement au moment de choisir son prochain motif à réaliser que cela importe, c’est probablement d’ailleurs le seul choix qui importe vraiment d’un point de vue stratégique et non tactique.

 

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En résulte donc une analysis paralysis de tous les instants. En bonus, le jeu essaye péniblement de justifier son thème en nous ajoutant des couches de petites règles très précises (je pense en particulier aux effets des différents terrains) qui au final n’ont d’importance qu’une partie sur 50 et n’ont donc pas d’autre effet que d’alourdir inutilement le tout.

Je pense que l’erreur principale est une mauvaise distillation du hasard et du contrôle. Lorsque l’on se retrouve face à des choix, c’est toujours après que l’aléatoire soit intervenu, et il n’y a donc quasiment plus d’inconnu qui entre en ligne de compte. Le hasard met en place un tour de jeu puis vous devez choisir vos actions.

C’est dommage car même mécaniquement le jeu nous faisait de belles promesses. Dreamscape veut être un jeu de construction de motifs dynamiques : nous sommes des architectes qui devons en permanence revoir nos plans pour s’adapter à de nouveaux objectifs. En cela la thématique se justifie complètement puisque, comme dans un rêve, tout bouge en permanence, tout se détruit et se reconstruit. Même si l’idée n’est pas forcément nouvelle (je pense à Tash-Kalar qui est un des meilleurs exemple de jeu de construction de motifs dynamiques), elle a le mérite d’être intéressante. Hélas, l’exécution l’est bien moins car on a l’impression de simplement suivre bêtement la tâche qui nous incombe (réaliser les motifs qu’on a en main).

pouce-vers-le-basDreamscape c’est donc pour moi une belle illusion. Un puzzle solitaire froid et mécanique sur une thématique qui invitait plutôt à l’aventure et à l’inconnu.
Il est pourvu de micro-mécaniques qui se veulent cohérentes avec ce monde fantasmagorique mais au fond ce n’est pas ça qui change grand chose : il lui faudrait plutôt des éléments qui apportent le sentiment voulu. Et si on le prend pour un casse-tête, alors là encore difficile d’être convaincu par la proposition, d’autant que la concurrence est rude. 

 

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► Pour info, la version KS proposait 4 extensions :

  • Feux follets : des esprits apportent points supplémentaires et des effets permettant de nouvelles combinaisons.
  • Blanc comme neige : nouvelle utilisation des jetons blanc se transformant en neige avec l’apparition du très mimi bonhomme de neige.
  • Créatures de rêve : des meeples animaux correspondant aux couleurs viennent aider en apportant effets et points de victoire.
  • La Corneille rouge : l’extension de la variante Cauchemar. La corneille vous permet d’utiliser les fragments rouges, mais cela a un prix qui peut devenir très punitif si on calcule mal son coup.

 

 Feux follets et Créatures de rêve sont disponibles en français depuis le mois de février. Blanc comme neige et la Corneille rouge viennent de sortir.
 

 

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5 Commentaires

  1. Theo 10/06/2020
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    L’avis négatif me semble être celui d’une personne n’ayant clairement pas beaucoup joué au jeu.

    Certains arguments s’entendent, d’autres absolument pas, comme « le type de terrain qui apporte des effets n’ayant une incidence sur la partie qu’une partie sur 50 ».

    On peux jouer sans les utiliser, mais cela peux clairement faire la différence sur une partie si on joue avec. Il peux être plus rentable de naviguer sur son Dreamscape en profitant des sources d’eau et des montagnes que de reprendre un petit objectif en fin de partie..

     

    Coup de cœur ici mais l’article me semble résumer assez facilement les choses : Le jeu divise.

  2. Mog 10/06/2020
    Répondre

    Personnellement, j’adore Dreamscape. Je trouve que le thème est bien rendu et j’aime beaucoup les illustrations et l’ambiance qui s’en dégage. Je ne trouve pas le jeu froid, bien au contraire. Dans mes différentes parties je n’ai pas été témoin d’AP. Oui le jeu est plus tactique que stratégique, mais ce n’est en rien un défaut. Bref moi j’aime beaucoup ce jeu. L’une de mes plus belles découvertes de 2019.

  3. Lymonade 11/06/2020
    Répondre

    Pour avoir fait quelques parties avec des joueurs différents, je trouve en effet que les sensations procurées sont très binaires : les gens adorent et ils en redemandent (notament pour la découverte des extensions), ou les gens détestent et ne veulent plus en entendre parler ! La seconde phase, qui permet de construire son Dreamscape, est clairement la partie qui divise à mon sens : la visualisation dans l’espace peut être un gros frein pour certain… En tout cas en ce qui me concerne, une très bonne surprise ce « petit » jeu, j’ai vraiment l’impression d’avoir quelque chose qui sort du commun (tant sur la mécanique que le dessin d’ailleurs)

  4. Starfan 12/06/2020
    Répondre

    Bonjour à tous! Pour ma part,j’ai trouvé les règles assez mal écrites avec plein de petits points précis dissèminés à toutes les pages! Puis quand j’ai commencé à jouer,ce fut le drame: je me suis ennuyé et je me suis totalement déconnecté du thème pourtant prometteur pour jouer à un casse-tête relou. Clairement pas mon type de jeu,je suis déçu car je le trouve beau et j’aurais tellement voulu l’aimer. C’est marrant,j’ai ressenti la même chose avec Magic Maze qui est pourtant très diffèrent. Je l’ai revendu à une personne qui adore le jeu.

  5. znokiss 12/06/2020
    Répondre

    Dans tous les cas, ce genre de format « pour/contre » est très sympa, et j’espère en voir arriver d’autres.

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