Dadada, au commencement était le jeu

Dadada appartient à cette petite catégorie de jeux qui veulent vous faire vivre ce moment très originel de création d’un nouveau langage.

Rien que ça, et oui, revivre l’aube de l’humanité, ce moment puissant, balbutiant, touchant, et un brin ridicule où naissent les maladroites prémices d’une connexion verbale entre Homos sapiens. À la rédac, il nous a fait penser à Osmosis, le prochain jeu des jeux Opla de Agnès Largeaud. Un jeu dans lequel on va devoir tous en commun concevoir une grammaire ou un langage commun pour se comprendre.

Dadada est localisé d’ici septembre par Pixie, dans une sobre parure noire et blanche. Il faut dire que le matériel de ce coopératif est tout simple : des cartes blanches présentant divers objets d’une part (un cactus, une abeille, une soucoupe volante, un burger…) et des cartes noires proposant des phonèmes d’autre part (“ha”, “gné”, “flo”, “bing”…).

Dès que la partie débute, vous n’avez plus le droit d’utiliser de langue connue. La seule communication verbale autorisée sera, à partir de là, les phonèmes en jeu. 

Progressivement, librement, vous allez associer ces sons à ces images. Au début, cela semble infaisable, on ne se comprend pas – et comme toujours dans ces moments-là, c’est ça qui est drôle. À force de tâtonnements (et d’éclats de rire), un langage commun émerge, étrange et joyeusement absurde. Comment ne pas rire quand tout le monde parle en mode australopithèque (“
PU-PEH-PEH !”), et que, contre toutes attentes, ces syllabes primitives suffisent. On arrive même à constituer des mots de plus en plus complexes. Si par exemple, notre cactus et notre abeille se retrouvent autour de la carte “Flo”, nous voilà en train de définir un nouveau champ lexical où “Flo” semble vouloir dire “élément naturel”. Admettons que “Gné” paraît signifier “objet”, alors un “arrosoir” pourrait être baptisé “Gnéflo” ou “Flogné”. La pensée s’affine. On s’aperçoit que les possibles sont nombreux. 

Crédits éditeur


Autour de la table, on passe de l’incompréhension à la connexion, de la perplexité aux réjouissances du déclic, avec une forme de soulagement, on sent une validation, et une sorte d’empathie se joue. Certes, on peut se sentir un peu grognon si on est seul·e à ne pas capter ce qu’il se passe alors que les autres semblent commencer à communiquer avec joie et aisance, mais faut laisser la partie progresser, des choses peuvent se débloquer.

Chacun notre tour, nous allons devoir créer et proposer un mot à partir d’une nouvelle image parmi plusieurs, et voir si les collègues identifient bien de laquelle on parle. C’est ainsi, en tentant des propositions, que l’on s’aperçoit que malgré les doutes et les errances, on parvient à établir ce qui ressemble à un langage commun. Plus étrange encore, vient ce moment clef du débrief final, véritable épilogue du voyage, où l’on découvre, non sans étonnement, que nos définitions n’étaient pas tout à fait les mêmes, que nos univers lexicaux s’étaient frôlés sans jamais parfaitement se rejoindre. Pourtant l’alchimie a opéré. On a transformé les contraintes en éclats de compréhension. Comme chante Tay Tay, même sans avoir perçu tous les indices, nous avons su tisser des liens invisibles. 

Crédits éditeur


Je vous ai compris ! 

Dadada est une proposition originale qui a le mérite d’être épurée, avec un set de règles plus simple qu’un Blabel qui proposait une expérience proche mais plus niche (notre article).  

Dadada se pratique théoriquement de 2 joueurs à … autant que vous le souhaitez ! Mais il sera plus aisé, et sans doute aussi plus fun, d’y jouer entre 4 et 8. Ce n’est peut-être pas un jeu dont vous enchaînez advitam les parties, mais il a ce truc particulier qui donne envie de le faire découvrir, de partager cette expérience un peu hors normes avec son lot de moments “ha!”, “hein heiiin”, “haha” voire “HAHAHA !”. 

Un dernier mot, j’ai pu lire un commentaire sur BGG regrettant le “système de notation” (honnêtement, je ne savais même pas qu’il y en avait un…), en se basant sur le vieux raisonnement de “pas de score, pas de jeu”. Et oui, pour certains, s’il n’y a pas de note, de validation chiffrée, de points de victoire, alors nous n’avons pas affaire à un jeu, mais plutôt à une “activité ludique”. On sort un peu du cadre d’un Just played, mais cela me fait toujours bondir. D’où une “activité ludique” ne serait pas un “jeu” simplement parce qu’il n’y a de points de victoire ou d’échelle de scoring ? Ironiquement, cela démontre un manque certain de ludicité (et de lucidité) de la part de la personne plus que du jeu… Dadada est un jeu – avec une édition sobre mais efficace, “un jeu d’ambiance amusant et plein de rebondissements” pour citer un autre commentaire BGG. Un jeu où la proximité entre les joueurs naît à mesure qu’ils se comprennent  – car donner du sens ensemble au chaos s’avère une expérience créatrice follement inspirante.

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5 Commentaires

  1. Chips il y a 9 jours
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    S’il y en a qui, comme moi, cherchent en vain qui est « Tay tay » et sa chanson, il s’agit en fait « d’invisible string » de Taylor Swift…

  2. B il y a 5 jours
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    Et merci pour l’aparté sur « l’activité ludique » ! C’est une posture très répandue voire instituée en Amérique du Nord -y compris parmi les influenceureuses- qui m’irrite au plus haut point. D’autant que le sous-texte induit souvent qu’une « activité », c’est moins bien qu’un « jeu »…

  3. fouilloux il y a 4 jours
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    Essayé hier, et j’avoue que j’ai trouvé que c’est tombé un peu à plat: finalement, on a surtout fait de l’association d’idée (en effet le lien avec Osmosis est très pertinent), et peut être que c’était du au tirage, mais on a pas senti de difficulté à retrouver les concepts dans la seconde partie du jeu. Bref ça n’a pas très bien marché.

    • Shanouillette il y a 3 jours
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      vous étiez combien ? j’ai l’impression qu’il faut quand même être assez nombreux pour qu’il y ait un joyeux chaos et suffisamment de propositions pour que ça soit drôle.
      après, que ce jeu-là ne fonctionne pas à tous les coups ne m’étonne pas plus que ça. Il propose un truc trop particulier pour ça. Non, ce n’est pas un « jeu efficace ». Ouf. Y en a déjà bien assez.

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